Jean Lauffray, Fouilles de Byblos, t. VI : l’urbanisme et l’architecture (BAH, 182)
Jean Lauffray, Fouilles de Byblos, t. VI : L’urbanisme et l’architecture (BAH, 182), Ifpo, Beyrouth, 2008, 1 vol. 516 p. + 4 p. en arabe, 1 vol. atlas de 19 pl. et coupes, ISBN : 978-2-35159-072-0.
Texte intégral
- 1 De ce point de vue, M. Dunand, « Chronologie des plus anciennes installations de Byblos », RevBibl, (...)
1Il y a des géants dont l’ombre ne commence à s’effacer que bien longtemps après qu’ils sont partis. Maurice Dunand et Jean Lauffray sont certainement de ceux-là. L’ouvrage doublement posthume que constitue Byblos VI, qui nous livre une synthèse sur l’urbanisme et l’architecture de la Byblos du IIIe millénaire, en est l’illustration. Paraissant dix-neuf ans après le décès de son initiateur, M. Dunand, et huit ans après celui de son continuateur, J. Lauffray, cette monographie comble une longue attente, qui est en grande partie à l’origine des récriminations formulées à l’encontre de la méthode de fouille et d’enregistrement imaginée par Dunand et mise en pratique dès la première campagne, en 1926. Conçue en vue de permettre la reconstitution en trois dimensions de la succession des vestiges mis au jour, elle était autant visionnaire en son temps qu’elle paraît banale aujourd’hui. Il lui manquait toutefois un outil adapté (comme aurait pu l’être l’ordinateur) pour prouver immédiatement son efficacité. La longueur des fouilles, les aléas de l’Histoire, les décennies passant et l’absence persistante de synthèses intermédiaires quelque peu consistantes1 lui auraient porté un coup de grâce, n’avait été la persévérance éclairée de son inventeur et de ses collaborateurs.
2L’ouvrage reprend le format des précédents de la série. Au volume de texte, augmenté de figures (au trait pour l’essentiel) et de planches de photographies de fouille en noir en blanc, fait pendant un volume d’atlas qui, en l’occurrence, rassemble uniquement des plans et des coupes. Ces feuillets de 95 x 70 cm, encombrants une fois dépliés, gagnent toutefois en lisibilité ce qu’ils perdent en maniabilité. Au reste, on n’aurait pu à moins reproduire les plans des phases successives du site entier de Byblos au Bronze ancien. On regrettera que le plan XIV, au lieu d’illustrer le plan de la Ba‘alat du Piqueté II donné à la fig. 197 du volume texte, duplique le plan XV qui correspond bien pour sa part au plan de la Ba‘alat du Piqueté IIIa. Il est à souhaiter que cette erreur, qui nous prive irrémédiablement d’un certain nombre de numéros de structures et des cotes du Piqueté II de la Ba‘alat, sera réparée.
- 2 M. Dunand, « Chronologie des plus anciennes installations de Byblos », RevBibl, 57, 1950, p. 583-60 (...)
3Le volume de texte s’ouvre sur une préface de J.-Cl. Margueron, suivie d’une quinzaine de pages introductives qui apprennent à se familiariser d’emblée avec les différentes couches palimpsestes du texte. L’étude elle-même est organisée selon un plan convenu, c’est-à-dire chronologique, d’une simplicité qui fait l’efficacité des esprits clairs. Ses quatre grandes parties sont respectivement consacrées aux quatre périodes architecturales reconnues dans le développement de Byblos et dénommées d’après le mode de construction principal qui les caractérise : la période du style « Épi » ou « installation proto-urbaine » (initialement présentée comme la « Byblos III » de l’« installation intermédiaire »2) ; celle du style « Sableux », marquant la « naissance de la vie urbaine » (la « Byblos IV » de la « Première Installation Urbaine) ; celle des « Grosses Fondations », qui voit le développement de l’« urbanisation » (la « Byblos V » de l’« Installation Urbaine Contemporaine du Premier Temple ») ; celle, enfin, du style « Piqueté » I à III, c’est-à-dire « pré-amorite » et témoignant d’un « épanouissement de la vie urbaine ». Il n’est fait qu’accessoirement référence à la quatrième phase du Piqueté, dite amorite (cf. p. 288-289 par ex.), qui, avec les trois précédentes, formait anciennement la « Byblos VI ». La transition du IIIe au IIe millénaire est ainsi condamnée à rester obscure pour l’instant. Pour chaque période, l’établissement est présenté quartier par quartier avec une grande rigueur dans le détail et une honnêteté scientifique non moins grande lorsque les données manquent. Une coda tient lieu de conclusion.
4L’ouvrage partage tous les défauts et qualités de n’importe quelle œuvre majeure de synthèse, trop succinct par-ci, trop foisonnant par-là. Ces piètres inconvénients sont largement rachetés par le fait que, pour la première fois, on peut approcher Byblos dans son évolution — tant à l’échelle de la totalité du site qu’à celle de nombre de ses bâtiments — sur toute la durée du IIIe millénaire. Et, faut-il le dire ? il ne s’agit pas moins que d’un exemple unique dans les annales archéologiques du Proche-Orient, Tepe Gawra faisant pâle figure en comparaison !
- 3 Pour une première évaluation de la question, voir J.-Cl. Margueron, « L’urbanisme de Byblos : certi (...)
- 4 Cf. Baal hors série II, 2005.
5Que l’agglomération, au vu de sa voirie, de son bâti différencié et de son rempart, revête les atours d’une ville dès le Sableux est indéniable3. Il ne faudrait pas oublier cependant que le statut pleinement urbain d’un établissement s’évalue aussi à l’aune de son degré d’intégration dans un réseau régional et interrégional, ce qui n’est pas le propos de l’ouvrage, d’autant que la fouille laisse dans l’ombre la principale spécificité du site, savoir qu’il fut un port majeur du Levant nord — question qui, au vrai, se trouve abordée concrètement depuis peu4. Quoi qu’il en soit, il y a désormais matière à disserter sur le développement de Byblos, matière aussi pour les spécialistes à la replacer dans un contexte élargi.
- 5 Cf. M. Dunand, Fouilles de Byblos. Tome I : 1926-1932 (BAH, 24), Paris, 1937 (atlas), 1939 (texte) (...)
6La parution de Byblos VI rend caduques toutes les tentatives antérieures de reconstitution des plans des édifices et de la stratigraphie du site. Il suffit de se reporter aux anciennes publications de Dunand aussi bien qu’à celles de quelques autres auteurs5 pour mesurer le saut qualitatif réalisé. On l’appréhendera immédiatement en se reportant aux pages consacrées aux quatre monuments qui ont été traités avec un soin particulier et qui ont reçu le privilège d’être illustrés dans l’atlas : le Temple de la Ba‘alat (p. 109-114, 226-231, 355-373), le Rempart (p. 76-77, 159-160, 165 sqq., 289-324), le Temple en L (p. 101-104, 211 sqq., 331-353) et le Palais (p. 432-444).
7La primauté donnée à l’analyse architecturale pour établir la stratigraphie du site est légitime. On n’en tient pas pour autant une périodisation. Il transparaît par endroits (voir notamment la chronologie de Dunand, p. 13) que, dans l’esprit du fouilleur, les différentes périodes étaient évidemment associées à un assemblage mobilier (y compris céramique) caractéristique. Les mentions d’un Bronze I, II et III, eux-mêmes subdivisés en sous-périodes, en font foi. Leur définition demeure énigmatique en l’absence d’une présentation du mobilier concerné, laquelle avait pourtant été projetée (cf. p. 29, n. 18), sur le modèle de Byblos V. Les données mises à notre disposition par Byblos VI permettent-elles néanmoins de remédier à cette lacune ?
8À titre expérimental, nous avons demandé à deux de nos étudiants en Master à l’Université de Strasbourg, É. Guthmann et M. Gerwill, de procéder à un essai de contextualisation stratigraphique du mobilier de la Ba‘alat pour les phases du Piqueté I et IV. Passons sur les problèmes de localisation des objets listés dans Byblos I — ils sont dus à plusieurs facteurs : plans dépourvus du carroyage final et repérage par rectangles de fouille, amphibologie des identifiants des salles des bâtiments II et XVIII, superposition imparfaite des plans de Byblos I et VI à cause de distorsions lors de la mise à l’échelle, cotes d’altitude finalement peu nombreuses — et venons-en aux résultats.
- 6 H. Klein, Untersuchung zur Typologie bronzezeitlicher Nadeln in Mesopotamien und Syrien (Schriften (...)
- 7 G. Gernez, L’Armement en métal au Proche et Moyen-Orient des origines à 1750 av. J.-C. (thèse de do (...)
- 8 R. J. Braidwood, « The Date of the Byblos Temples Buildings II, XVIII, and XL », AJSL, 58/3, p. 254 (...)
- 9 http://www.unige.ch/lettres/antic/mesopotamie/Dunand.html.
9L’exercice a fait apparaître que les objets attribuables par exemple au Piqueté I (II au plus tard) sur la base de leur altitude de trouvaille sont les suivants : 1746, 1747, 1829, 1830, 1833-1835, 1925, 1928, 2514, 3106, 3360, 3636, 3975, 3977, 5071, 5134, 5170. Au moins deux sont datables de la fin du Bronze ancien ou du début du Bronze moyen, savoir l’épingle 39756 et la hache 51707, ce qui entre en flagrante contradiction avec la datation proposée avec constance par Dunand pour les débuts du Piqueté, soit 2700 av. J.-C., mais rejoint étrangement les hypothèses de Braidwood8. La fouille de Byblos n’est donc pas achevée et l’exploitation des archives du site, notamment celles du fonds Dunand de Genève9, a encore de beaux jours devant elle.
- 10 Nous pensons en particulier à Tell ’Arqa (J.-P. Thalmann, « Tell Arqa et Byblos, essai de corrélati (...)
10On ne saurait terminer cette recension sans exprimer notre profonde reconnaissance à Y. Makaroun-Bou Assaf et au service des publications de l’Ifpo, qui ont définitivement sauvé des limbes un ouvrage promis à devenir déterminant à l’heure où un nombre grandissant de niveaux du IIIe millénaire sont mis au jour sur les sites du littoral levantin10.
Notes
1 De ce point de vue, M. Dunand, « Chronologie des plus anciennes installations de Byblos », RevBibl, 57, 1950, p. 583-603 ; « Byblos au temps du Bronze Ancien et de la conquête amorrite », RevBibl, 59, 1952, p. 82-90 ; « Histoire d’une source », MUSJ, 37, 1960, p. 39-54.
2 M. Dunand, « Chronologie des plus anciennes installations de Byblos », RevBibl, 57, 1950, p. 583-603.
3 Pour une première évaluation de la question, voir J.-Cl. Margueron, « L’urbanisme de Byblos : certitudes et problèmes », in E. Acquaro, F. Mazza, S. Ribichini, G. Scandone-Matthiae & P. Xella (dir.), Biblo, una città e la sua cultura. Atti del Colloqio Internazionale (Roma, 5-7 dicembre 1990), Collezione di Studi Fenici, 34, Roma, 1994, p. 11-35.
4 Cf. Baal hors série II, 2005.
5 Cf. M. Dunand, Fouilles de Byblos. Tome I : 1926-1932 (BAH, 24), Paris, 1937 (atlas), 1939 (texte) ; Fouilles de Byblos. Tome II : 1933-1938 (Études et Documents d’Archéologie, 3), Paris, 1950 (atlas), 1954 (texte *), 1958 (texte **) ; U. Finkbeiner, « Untersuchungen zur Stratigraphie des Obeliskentempels in Byblos. Versuch einer methodischen Auswertung », BaghdMitt, 12, 1981, p. 13-69 ; M. Saghieh, Byblos in the Third Millennium. A Reconstruction of the Stratigraphy and a Study of the Cultural Connections, Warminster, 1981 ou M. Sala, « Il Temple en L a Biblo », Vicino Oriente, 14, 2008, p. 59-84.
6 H. Klein, Untersuchung zur Typologie bronzezeitlicher Nadeln in Mesopotamien und Syrien (Schriften zur Vorderasiatischen Archäologie, 4), Saarbrücken, 1992, p. 118-119.
7 G. Gernez, L’Armement en métal au Proche et Moyen-Orient des origines à 1750 av. J.-C. (thèse de doctorat de l’Université de Paris I-Panthéon-Sorbonne), Paris, 2007, p. 168.
8 R. J. Braidwood, « The Date of the Byblos Temples Buildings II, XVIII, and XL », AJSL, 58/3, p. 254-258.
9 http://www.unige.ch/lettres/antic/mesopotamie/Dunand.html.
10 Nous pensons en particulier à Tell ’Arqa (J.-P. Thalmann, « Tell Arqa et Byblos, essai de corrélation », in M. Bietak & E. Czerny (dir), The Bronze Age in the Lebanon. Studies on the Archaeology and Chronology of Lebanon, Syria and Egypt (Denkschriften der Gesamtakademie, 50 - Contributions to the Chronology of the Eastern Mediterranean, 17), Wien, 2008, p. 61-78.) et Sidon (Cl. Doumet-Serhal, The Early Bronze Age in Sidon. « College Site » Excavations 1998-2000-2001 (BAH, 178) Beyrouth/Damas/Amman, 2006.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Philippe Quenet, « Jean Lauffray, Fouilles de Byblos, t. VI : l’urbanisme et l’architecture (BAH, 182) », Syria, 87 | 2010, 396-398.
Référence électronique
Philippe Quenet, « Jean Lauffray, Fouilles de Byblos, t. VI : l’urbanisme et l’architecture (BAH, 182) », Syria [En ligne], 87 | 2010, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/789 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.789
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