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Recensions

Alice Mouton & Julie Patrier (éd.), Vivre, grandir et mourir dans l’Antiquité : rites de passage individuels au Proche-Orient ancien et ses environs. Life, Death, and Coming of Age in Antiquity: Individual Rites of Passage in the Ancient Near East and Adjacent Regions

Brigitte Lion
p. 392-394
Référence(s) :

Alice Mouton & Julie Patrier (éd.), Vivre, grandir et mourir dans l’Antiquité : rites de passage individuels au Proche-Orient ancien et ses environs. Life, Death, and Coming of Age in Antiquity: Individual Rites of Passage in the Ancient Near East and Adjacent Regions (PIHANS 124), Leyde, NINO, 2014, 26,5 x 19,5, xiii + 566 p., ISBN : 978-90-6258-335-5.

Texte intégral

1Ce volume de 21 articles résulte d’un programme de recherches intitulé « Vivre, grandir et mourir dans l’Antiquité », consacré à l’étude des rites de passage « au Proche-Orient ancien et ses environs », le cadre géographique retenu incluant la Mésopotamie, l’Égypte, le Levant, l’Anatolie hittite et le monde gréco-romain. Les éditrices, dans leur introduction, rappellent les définitions et notions de base, en particulier les trois phases qui caractérisent les rites de passages étudiés par A. Van Gennep il y a plus d’un siècle (1909) : préliminaire ou de séparation, liminaire ou marginale et post-liminaire ou d’incorporation. Elles dressent un état des études sur la question, présentent les principales caractéristiques de ces rites, en termes de rapport entre l’individu et la société à laquelle il appartient et de déroulement spatio-temporel, et introduisent la notion d’impureté qui correspondrait, dans les textes antiques, à la liminalité.

2Les rites de passage marquent des transformations importantes, liées notamment au cycle de la vie. S. Laribi-Glaudel propose donc de donner une lecture anthropologique des rites de naissance en Mésopotamie, appliquant la grille de lecture de Van Gennep aux incantations et rituels liés aux accouchements. Le bébé est présenté comme reclus dans un lieu obscur pendant sa vie in utero, comparé à un animal sauvage ; la mère est peut-être séparée du reste de la maisonnée pendant l’accouchement. La phase liminaire, celle de la naissance, met en danger la mère, comparée à un bateau qui porte une cargaison précieuse, et l’enfant. L’intégration peut se faire par l’attribution rituelle du genre (apport d’un fuseau ou d’une arme) et du nom au bébé, la femme change de statut en entrant dans le groupe des mères. Dans un autre article consacré à la naissance et à la petite enfance, V. Dasen examine la documentation romaine, iconographique, archéologique et textuelle. Elle rejette l’idée reçue selon laquelle le nouveau-né serait posé à terre, puis soulevé par son père qui le reconnaîtrait par ce geste. En revanche, après l’accouchement (séparation), c’est la sage-femme qui soulève l’enfant, juge de sa viabilité, coupe le cordon (liminarité) et lui donne son premier bain (agrégation). L’archéologie témoigne d’autres étapes liées à la croissance de l’enfant, comme l’apparition des dents, vers six mois.

3Tous les articles consacrés au monde grec dans le recueil s’intéressent à l’adolescence. D. Lefèvre-Novaro suppose que certaines offrandes votives des sanctuaires minoens, statuettes de boxeurs et d’hermaphrodites, se réfèrent à des rituels concernant les adolescents ; elle s’interroge aussi sur lien entre le motif des fleurs de crocus et les initiations féminines, dans le monde minoen et mycénien. I. Rutherford étudie plus généralement les liens entre rite de passage et purification, et parmi les exemples qu’il choisit figurent plusieurs rites liés à l’adolescence, comme ceux qui se déroulent, pour les petites filles, au sanctuaire d’Artémis de Brauron. Les études de C. Calame et de S. Bohringer se font écho, tant par leur réflexion méthodologique poussée que par leur sujet, la lecture de textes poétiques d’Alcman (et, chez S. Bohringer, de Sappho), comme reflétant l’itinéraire initiatique des jeunes filles, moins étudié que celui des garçons. Tous deux rappellent le caractère non universel des grilles de lecture des historiens, discutent la notion de « rite d’initiation » souvent utilisée pour expliquer les pratiques grecques, opposent les catégories étiques et émiques et insistent sur la nécessité de contextualiser les poèmes, chantés et dansés dans le cadre de performances collectives. S. Bohringer fait l’historique des différentes approches de « l’homosexualité » grecque, considérée comme participant de « l’initiation » des jeunes, pour remettre en question la pertinence de ces deux catégories.

4Ultime passage, la mort occupe ici une large place. S. Donnat étudie les funérailles égyptiennes comme un rite d’institution, qui donnent au mort et à l’héritier un nouveau statut : le premier part dans l’Au-delà où il aura pour rôle de défendre sa maisonnée, tandis que le second gère sur terre le domaine du défunt. J. C. Moreno García note que les bouleversements de la fin de l’Ancien Empire ont renforcé les groupes familiaux, surtout ceux des élites, qui ont accordé aux défunts un rôle crucial pour cimenter leur cohésion : le phénomène est observable dans les nécropoles où les tombes des potentats locaux deviennent un centre autour duquel s’organisent les autres inhumations, dans l’importance croissante de la famille élargie et des amis, qui dessinent le réseau social du défunt, et dans les cultes rendus aux ancêtres prestigieux. Le cas particulier des rois égyptiens qui vont au ciel rejoindre les dieux est assimilé à une renaissance, la déesse Nout mettant le roi au monde ; il est analysé par M.-L. Arnette et C. Greco (et C. Eyre). Le parallèle peut donc être fait avec le rituel funéraire šalliš waštaiš, qui montre la destinée du roi hittite : son esprit, séparé du corps, va rejoindre les dieux et connaît une nouvelle naissance (A. Mouton). Pour la Mésopotamie, D. Katz analyse le processus qui permet au défunt de rejoindre l’Au-delà : décès (séparation), libération du « vent » ou de l’« esprit », IM, du défunt (transition), transformation en « fantôme », GIDIM (incorporation au monde des morts).

5Deux articles plus généraux concernent les changements d’état possibles au cours d’une vie humaine. Celui de N. Yoffee envisage les rites de mariage, de divorce et d’adoption à l’époque paléo-babylonienne, ainsi que les consécrations de religieuses-nadītum. Celui de C. Eyre reprend les différentes phases de la vie en Égypte en commençant par… la mort, la mieux documentée, et la naissance, qui lui est souvent associée, le rituel d’ouverture de la bouche du mort imitant le traitement du nouveau-né.

6Les rites peuvent marquer aussi un changement de statut, comme l’accès à une prêtrise. F. Huber Vulliet étudie les cérémonies d’intronisation d’une grande prêtresse du dieu-Lune Nanna dans la ville de Karzida et d’un grand prêtre du dieu Enki à Eridu, à l’époque d’Ur III ; elle y distingue plusieurs phases qui correspondent au schéma des rites de passage. M.-G. Masetti-Rouault dégage elle aussi une telle structure dans le rituel d’intronisation de la prêtresse-entu à Emar.

7L’accession au trône ou la confirmation du rôle du roi peuvent suivre un schéma comparable. J. Bidmead trouve une structure de rite de passage dans la fête de l’Akītu, célébrée au Nouvel An à Babylone, qui (re-)légitimise rituellement le roi et le dieu Marduk : séparation pendant les premiers jours où le roi, peu visible, part à Borsippa, point culminant le cinquième jour avec l’entrée du roi dans le temple de Nabû où le prêtre lui ôte ses attributs, le frappe, le mène au temple de Marduk et lui rend ses insignes ; enfin, réincorporation les jours suivants, marquée par la grande procession lors de laquelle le roi tient la main de la statue divine. À l’issue de la fête, l’ordre du monde et royauté sont ré-établis pour un an. C. Van den Hoven, à partir des textes hiéroglyphiques et des images du temple ptolémaïque d’Horus à Edfou, retrouve les trois mêmes étapes dans le rituel du couronnement comme roi d’un faucon sacré vivant, qui renouvelle et confirme le pouvoir royal. En revanche, dans le monde hittite, A. Gilan et A. Mouton notent que l’intronisation, peu documentée, est liée aux funérailles royales qui interviennent dans la légitimation du souverain, déjà désigné par son prédécesseur. L’onction et le port de vêtements royaux, et surtout l’acte rituel le plus important, la montée sur le trône, confirment la légitimité plus qu’ils ne la confèrent. Le rôle du roi hittite dans les fêtes liées aux saisons est étudié par S. Görke, et par A. Mouton, pour les cérémonies d’avènement du roi seul ou du couple royal.

8J.-J. Glassner s’intéresse au rôle d’Inanna dans des rites d’initiation, étudié à partir de l’hymne A d’Iddin-Dagan d’Isin. La déesse y apparaît comme la souveraine qui préside à ces rites : les sagursag, jeunes hommes, participent à une fête où, devant la déesse, défilent des personnages ayant échangé les vêtements masculins et féminins, et dans laquelle les kurgara pratiquent une danse armée avec effusion de sang.

9Pour G. Mobley, certains héros de la littérature proche-orientale, Bible comprise, sont des personnages restés dans une phase marginale, liminaire, sans intégration sociale. Il les oppose à des figures féminines plus discrètes, Ninsun ou Siduri dans l’Épopée de Gilgameš, Rahab et Michal dans la Bible, associées à des espaces liminaires, terrasses ou fenêtres, dans des épisodes eux-mêmes placés aux marges du récit. Leur rôle est comparé à celui des mères et des sages-femmes, en charge des passages liés à la naissance : face à des héros fragiles, les femmes des récits épiques se tiennent aux passages de l’espace domestique, modestes mais essentiels à la vie.

10Selon I. Rutherford, si tous les rites de passage n’impliquent pas de purification, toute purification peut en revanche être analysée comme un rite de passage, qui conduit d’un état d’impureté à un nouvel état de pureté. A. Mouton consacre un article aux rituels de purification hittites qui mettent en scène la liminalité au sens premier du terme, le participant devant, selon diverses combinaisons, franchir un portail végétal et/ou passer entre deux feux ou deux moitiés de carcasses. Avec R. Hawley et C. Roche-Hawley, elle tente une comparaison entre les rites de purification dans le monde hittite et à Ougarit : elle étudie les gestes symboliques qui accompagnent la libération ou du moins le transfert d’un esclave vers un nouveau maître et la libération de corvées ; la recherche de R. Hawley et C. Roche-Hawley se situe sur le plan philologique, avec l’examen du terme ougaritique brr, équivalent à l’akkadien zakû, qui tous deux font référence à la pureté, éventuellement rituelle et, dans les textes juridiques, à la libération.

11Les divers articles intègrent plus ou moins la notion centrale de rite de passage, même si tous portent sur les notions de transition, transformation, changement d’état. Certains, plus éloignés du sujet, n’en sont pas moins intéressants, comme celui d’une centaine de pages qui porte sur les aliments accompagnant le mort dans son passage vers l’Au-delà : J. Patrier, M.-L. Arnette et I. Sachet y présentent trois études détaillées de dépôts alimentaires dans les tombes, respectivement à Yanarlar, un cimetière d’Anatolie centrale (xviiie-xviie s.), en Égypte à Deir al-Medina dans la tombe de Khâ (TT8) et dans le tombeau 303 d’ath-Thughrah à Pétra.

12L’un des points positifs de ce volume est d’établir des dialogues et de suggérer des correspondances possibles entre les diverses aires culturelles étudiées (l’index des sujets en fin de volume est bienvenu). De plus, si les études grecques ont depuis longtemps pris en compte les acquis de l’anthropologie, on ne peut pas en dire autant des études proche-orientales, à quelques notables exceptions près ; cet ouvrage contribue donc à fait entrer plus largement, par la thématique des rites de passage, les approches anthropologiques chez les historiens de la Mésopotamie et des régions voisines.

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Pour citer cet article

Référence papier

Brigitte Lion, « Alice Mouton & Julie Patrier (éd.), Vivre, grandir et mourir dans l’Antiquité : rites de passage individuels au Proche-Orient ancien et ses environs. Life, Death, and Coming of Age in Antiquity: Individual Rites of Passage in the Ancient Near East and Adjacent Regions »Syria, 94 | 2017, 392-394.

Référence électronique

Brigitte Lion, « Alice Mouton & Julie Patrier (éd.), Vivre, grandir et mourir dans l’Antiquité : rites de passage individuels au Proche-Orient ancien et ses environs. Life, Death, and Coming of Age in Antiquity: Individual Rites of Passage in the Ancient Near East and Adjacent Regions »Syria [En ligne], 94 | 2017, mis en ligne le 15 décembre 2017, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/5817 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.5817

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