- 1 Kohl 1910 ; Bachman, Watzinger & Wiegand 1921, p. 56-61.
- 2 Parr 1960.
- 3 Parr 1967-1968.
- 4 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003.
- 5 En février 1999, l’équipe de l’Ifapo-Amman a réalisé le relevé architectural des structures visible (...)
- 6 Outre C. Augé, directeur de la mission « De Pétra au wadi Ramm » de 1999 à 2012 et co-responsable a (...)
1Le programme de fouille entrepris par l’équipe archéologique française autour du Qasr al-Bint fait suite à des travaux ponctuels menés dès le début du xxe s. (fig. 0.1). Après la publication d’une première étude architecturale, W. Bachmann et Th. Wiegand pratiquèrent en 1917 des sondages contre les murs ouest et nord du téménos du Qasr, à l’origine d’un relevé de sa partie occidentale 1. Celui-ci fut dégagé à partir de 1958 par le Département des Antiquités de Jordanie, puis ponctuellement fouillé 2. En 1965, P. J. Parr, aidé par l’architecte G. R. H. Wright, réalisa des sondages dans le Qasr, sur l’escalier d’un autel situé au nord du temple et dans le téménos 3. Entre 1979 et 1991, un programme d’étude et de relevé systématique de l’architecture du temple mené par F. Larché et doublé par des fouilles ponctuelles dirigées par F. Zayadine a abouti à une première proposition de phasage du monument 4. En 1999, à l’occasion de sondages menés à la demande du Département des Antiquités par une équipe de l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient (Ifapo), sous une route moderne aménagée en remblai entre le Qasr et l’ancien hôtel dit « Nazzal Camp », furent découverts de nombreux blocs sculptés comprenant de la statuaire et des inscriptions. Une campagne complémentaire fut donc mise en place, avec pour principal objectif l’étude des vestiges entourant le Qasr al-Bint. À l’initiative de J.-M. Dentzer et de J.-L. Huot (Ifapo), un nouveau programme portant sur la compréhension de la partie occidentale du téménos fut entrepris et placé sous la responsabilité de F. Renel 5. À partir de 2001, ces travaux sont devenus l’un des axes de recherche d’une mission archéologique du ministère des Affaires étrangères français dirigée de 2001 à 2012 par C. Augé 6. Seront présentés ici : une zone d’habitat située à l’ouest du sanctuaire ; des données sur la configuration du sanctuaire et ses limites ; quelques informations nouvelles sur le Qasr al-Bint ; le grand autel qui fait face au temple ; une petite structure située au nord-ouest de la cour ; l’édifice situé à l’est du temple ; le monument impérial à abside et une première chronologie générale du secteur (fig. 0.2-0.3).
Figure 0.1.
Photo générale du sanctuaire
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 0.2.
Pétra, plan du centre-ville (Kanellopoulos & Akasheh 2001, fig. 1)
Figure 0.3.
Plan général de la zone occidentale
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
- 7 Renel et al. 2012.
- 8 Renel à paraître.
- 9 Renel 2013.
2Les dégagements opérés à l’ouest des limites du téménos, à l’arrière du bâtiment à abside (infra) ont permis de mettre au jour les vestiges d’un vaste édifice inscrit dans les limites fixées par l’implantation du mur sud-nord du téménos, la rive du Wadi Musa et très probablement les premiers ressauts de la base de la falaise d’Al-Habis à l’ouest (Bâtiment C, zone C4, fig. 1.1-1.3). Ces vestiges ont été interprétés comme appartenant à un ensemble résidentiel établi dans ce secteur depuis la fin de la période hellénistique. La surface dégagée correspond à une partie d’un bâtiment important qui, au vu des nombreux remaniements observés, a été utilisé durant plusieurs siècles. Il ne s’agit pas d’un programme architectural unitaire mais d’un noyau de construction sur lequel se sont greffés de nouveaux volumes au cours de la longue histoire de l’occupation du secteur. Les pièces dégagées ne montrent pas une organisation interne régulière ni une grande clarté structurelle ; le module des pièces, leur agencement et le type de matériau mis en œuvre paraissent relever d’une architecture domestique. Il est prématuré de dresser un bilan définitif mais plusieurs données chronologiques sont cependant assurées. Les phases de remaniements se sont en effet succédées depuis l’implantation du complexe vers le tournant de notre ère, sur l’arasement d’un bâti d’époque hellénistique 7. Sous Arétas IV, cette demeure fut amputée de sa façade orientale et de sa probable ouverture vers l’est, lors de la construction du mur de clôture occidental du téménos du Qasr, ce qui entraîna des réaménagements significatifs dans la structure et ses circulations. La conséquence la plus notable de cet événement est le remblaiement de l’ensemble des pièces méridionales du complexe, entraînant la création d’un système en terrasse permettant de rattraper la pente et la création d’un nouvel accès au bâtiment par le sud. Outre des espaces à fonction de vestibule, de circulation (couloir, escalier) ou de réception, ce bâtiment fut doté dans un premier temps d’une cour (espace P12) remblayée progressivement à partir de la fin de la période nabatéenne. Chronologiquement, son évolution est similaire à celle observée pour le Bâtiment B (infra). Après un premier abandon au tournant des ier - iie s. apr. J.-C., le Bâtiment C fut réoccupé au cours de la période romaine sous la forme d’un « squat » accompagné, ou précédé, d’une série de restructurations de l’espace, qui sont probablement à mettre en relation avec l’édification du monument à abside. Cet édifice subit un nouvel abandon au cours de la première moitié du iiie s. apr. J.-C. marqué par la découverte d’un abondant matériel laissé in situ 8 (fig. 1.4-1.6). Une amorce ponctuelle de réoccupation avant le séisme de 363 apr. J.-C. semble attestée et il faut attendre la fin du ive s. pour observer l’installation d’un habitat lâche et d’un atelier de tabletterie fonctionnant avec la réutilisation partielle des ruines du monument à abside, désormais désaffecté 9. Le premier quart du ve s. marque la rupture de cette occupation, l’ensemble du secteur étant à partir de cette date transformé en terrasses agricoles. On le voit, les vestiges de ce secteur, jusqu’alors insoupçonnés, livrent des premiers témoignages d’un noyau d’habitat ancien, antérieur à la réorganisation de l’espace autour du Qasr al-bint, et une intéressante séquence chronologique de l’occupation du centre-ville de Pétra, dont le phasage est présenté à la fin de cette contribution.
Figure 1.1.
Bâtiment C : plan du secteur C4
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : F. Renel, M. Belarbi
Figure 1.2.
Bâtiment C, secteur C4 : vue aérienne des vestiges dégagés
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 1.3.
Bâtiment C, secteur C4 : partie sud des vestiges dégagés
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 1.4.
Bâtiment C, Secteur C4 : matériel archéologique
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 1.5.
Bâtiment C, Secteur C4 : matériel archéologique
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 1.6.
Bâtiment C, Secteur C4 : matériel archéologique
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
3Depuis le début du siècle dernier, divers auteurs se sont interrogés sur les limites de l’espace sacré du Qasr. Le temple s’ouvre vers le nord mais l’accès depuis la voie d’époque romaine se fait par l’est dans un espace configuré en L. La cour, d’autre part, paraît être de plan trapézoïdal à l’est du secteur du temple et des autels. La forme atypique des vestiges actuellement visibles permet de supposer que la cour du téménos fut remaniée (fig. 0.2-0.3).
- 10 Parr 1968, p. 20.
- 11 Graf, Bedal & Schmid 2005, p. 427-428.
- 12 Zayadine 1987, p. 139. On remarquera que la limite nord de cet édifice est constituée de deux murs (...)
4À l’est, la porte monumentale a été datée par P. J. Parr et G. R. H. Wright après 75 apr. J.-C. (terminus post quem) 10 (fig. 2.1-2.2). Cette datation a été confirmée par les sondages de S. Schmid et D. Graf 11. Construite sur un axe un peu décalé par rapport à celui de la cour, la porte semble adapter son architecture aux perspectives combinées de la rue à colonnade, située à l’est, et de l’espace sacré, situé à l’ouest. D’orientation nord-sud et construite entre les vestiges d’une tour ancienne et ceux de l’édifice couramment désigné comme « thermes » 12, la porte constitue la limite est du téménos.
Figure 2.1.
Le téménos : partie orientale
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 2.2.
Le téménos : plan général de l’aire du sanctuaire (McKenzie 1990, d’après Parr 1967-1968, pl. 11, avec l’adjonction des pl. 69 et 75)
5Au sud, le grand mur du téménos (de direction est-ouest) suit un alignement parfait d’un bout à l’autre de sa construction sur 142,50 m (fig. 2.4). Son appareil, cependant irrégulier, marque les limites des édifices situés directement au sud. À son extrémité occidentale se développe la façade du Bâtiment B. Au-delà de cet édifice, le mur est-ouest se retourne perpendiculairement vers le sud. Si nous ne pouvons le suivre que sur 5,65 m, il est probable qu’il contourne le Qasr pour former les limites de son péribole au sud.
Figure 2.3.
Le téménos : le mur sud
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 2.4.
Le téménos : le mur sud
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
6À l’ouest, le monument à abside constitue la limite du téménos. Les fouilles établissent qu’un premier mur sud-nord limitant l’espace de la cour du sanctuaire a été construit, probablement après le milieu du ier s. av. J.-C., et a servi de fondation, une fois son élévation arasée, à la construction d’un grand monument à abside d’époque provinciale au iie s. apr. J.-C. Dans le lit du Wadi Musa, l’extrémité nord de ce mur de fondation doublé (infra), est encore en place et se retourne pour former le départ du mur nord du téménos (section de mur a), à 54,50 m des murs d’ante du Qasr al-Bint. Les vestiges de cet angle en bel appareil à bossage émergent de la maçonnerie des murs et du pont modernes (fig. 2.5).
Figure 2.5.
Le téménos : angle nord-ouest du mur du sanctuaire nabatéen
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
7Au nord-est et sur la terrasse actuelle se retrouve ensuite un alignement de blocs de 33,50 m de long, rejoignant la porte du téménos (section de mur b). Approximativement parallèle au grand mur de limite sud et distant de celui-ci d’environ 28,50 m (au maximum), son parement interne jouxte en son milieu les vestiges d’une structure ressemblant à la base d’un escalier ou d’un piédestal (fig. 2.1-2.3). Enfin, sur son extrémité orientale, ce tracé est doublé d’un autre mur parallèle et distant de 36,50 m (au maximum) du grand mur de limite sud. Limitant la rive du wadi, ce dernier tronçon de près de 3,50 m de long (section de mur c), rejoint également la porte du téménos. Cinq sondages déterminants ont été menés d’ouest en est, sur le tracé supposé de la limite nord du téménos (EI, EII, EIII, EIV, EV) (fig. 0.3). Ces interventions, à l’extérieur du périmètre de fouille principal, ont été contraintes par les circulations touristiques et donc effectuées par multiples tronçons, de 2002 à 2009.
- 13 C’est ce que montrent aussi certaines photographies anciennes sur lesquelles on observe clairement (...)
- 14 Parr 1968, p. 9, fig. 8.
8Le premier sondage, EI (E02-E02bis/2002-2003, E05/2007, E08/2008), a été réalisé à partir de l’angle reconnu au nord-ouest, à proximité du pont moderne (fig. 2.6-2.8). Les vestiges mis au jour montrent une continuité d’espace manifeste avec les structures du périmètre de fouille principal, notamment illustrée par la poursuite d’un dallage de même module et la présence d’exutoires des canalisations reconnues. La fouille permet surtout de suivre un mur de limite rectiligne, subissant une légère inflexion vers le sud (section de mur a). Construit en bel appareil à bossage, son tracé s’interrompt à 14,35 m de l’angle et semble se retourner vers le sud 13. Ces données confirment les observations publiées par P. J. Parr et témoignent de la destruction du contexte archéologique, liée aux aménagements récents (présence de gabions contre le mur) dans ce secteur 14. Faisant d’abord l’hypothèse d’une cour centrée sur l’axe sud-nord du Qasr al-Bint — suivant une configuration des cours de sanctuaires courante à l’époque hellénistique et romaine — il fallait imaginer un dispositif symétrique à l’est, dans le prolongement du mur de péribole longeant le temple sur son flanc oriental. Un deuxième sondage, EII (E02ter/2002) effectué sur plus d’un mètre de profondeur à cet emplacement supposé au nord s’est pourtant révélé négatif. Sur cette base, nous pouvons formuler trois hypothèses : soit cet aménagement n’a jamais existé, soit il a été emporté par les crues récurrentes du wadi, soit enfin il a été détruit lors des travaux d’aménagement moderne de ses rives. Toujours dans cette logique de symétrie, le troisième sondage EIII (E10/2008-2009), réalisé plus au sud dans le même alignement, n’a pas plus livré de vestiges de mur, comme le proposait W. Bachmann (fig. 2.9-2.11). On peut cependant signaler que la différence de modules de dallage est-ouest (l. moyenne : 0,45 / 0,70 m) à cet emplacement constitue peut-être l’indice de la présence d’une limite plus légère (éventuellement dotée de propylée, colonnade). Revenant aux données établies, nous avons poursuivi nos investigations. L’extension du sondage EI (section de mur a) vers le sud étant impossible en raison de la circulation touristique, un quatrième sondage EIV (E03/2003-2005, E04/2005-2006, E06/2007) a été implanté dans le prolongement supposé de l’alignement de blocs reconnu près de la porte du téménos (section de mur b) (fig. 2.12-2.14). Dans ce sondage à l’ouest, les vestiges d’un solide mur oblique d’orientation nord-ouest/sud-est ont été mis au jour sur 6,15 m (section de mur d). Construit en bel appareil à bossage, il se chaîne, à près de 5 m de la face nord du grand autel, à un mur d’orientation ouest-est, suivi sur plus de 17,30 m (section de mur e). Établi à quelques à 44,50 m (au maximum) des murs d’ante du Qasr al-Bint et donc dans l’alignement possible des vestiges reconnus plus à l’est (section de mur b), son tracé est pourvu de ressauts et subit (comme la section de mur a) une légère inflexion vers le sud. Par ailleurs, les vestiges de ce sondage montrent également une continuité d’espace manifeste avec les structures du périmètre de fouille principal, illustrée là aussi par la poursuite d’un dallage de même module et la présence d’exutoires de canalisations reconnues plus au sud. Enfin, afin de vérifier notre hypothèse d’alignement, un cinquième sondage EV (E11/2008) a été effectué plus à l’est, à mi-distance entre ces vestiges et ceux reconnus près de la porte du téménos (section de mur b). On y retrouve une section de mur d’orientation ouest-est (section de mur f), établi à quelques 32 m (au maximum) du grand mur de téménos sud. (fig. 2.15).
Figure 2.6.
Le téménos : plan des relevés assemblés du sondage EI sur l’angle nord-ouest (échelle : 1/100)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
Figure 2.7.
Le téménos : sondage EI
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 2.8.
Le téménos : sondage EI
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 2.9.
Le téménos : plan des relevés assemblés des sondages EIII et EV sur le mur de péribole supposé à l’est (échelle : 1/100)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
Figure 2.10.
Le téménos : sondage EIII
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 2.11.
Le téménos : plan du sanctuaire (d’après Bachmann, Watzinger & Wiegand 1921, fig. 50)
Figure 2.12.
Le téménos : plan des relevés assemblés du sondage EIV au Nord de l’autel (échelle : 1/100)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
Figure 2.13.
Le téménos : sondage EIV
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 2.14.
Le téménos : sondage EIV
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 2.15.
Le téménos : sondage EV
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 15 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 178-179.
- 16 Bachmann, Watzinger & Wiegand 1921, fig. 50.
- 17 Joukowsky 1998, p. 132, 189-208, fig. 2.82 ; Joukowsky 2001, p. 326-331.
- 18 Voir Laborde & Linant de Bellefonds 1830, p. 56 : « Nous suivîmes en marchant vers l’Ouest le ruiss (...)
- 19 Voir Ehni 1894, p. 120 : « Toute la vallée, ainsi que les aboutissants des différents ravins qui ar (...)
- 20 Voir la suite de Laborde & Linant de Bellefonds 1830, p. 56, bien qu’une incertitude persiste sur l (...)
9Peut-on déterminer comment se présentait le téménos du Qasr dans sa phase nabatéenne ? Comme on l’a noté ci-dessus, on imagine volontiers une cour axiale dont les limites seraient établies symétriquement à son axe de symétrie nord-sud 15. Cette idée sous-tend la restitution de W. Bachmann 16. Cependant, les structures représentées sur ce plan n’ont pas été retrouvées. De même, l’idée que deux autres absides aient été aménagées dans les murs nord et est supposés doit être rejetée, puisque la construction de l’abside occidentale est datée, au plus tôt, de la moitié du iie s apr. J.-C. Des sondages (EII, EIII) ont été ouverts sous le dallage du téménos pour vérifier, sans succès, la présence éventuelle d’un mur de limite sud-nord symétrique, par rapport à l’axe du temple, au mur sud-nord occidental existant. À l’heure actuelle, nous ne disposons pas d’éléments suffisants pour permettre de restituer l’ensemble des limites d’une cour contemporaine de la construction du Qasr al-Bint. Nous avons cependant trouvé des éléments nouveaux, malheureusement en dehors de leur contexte architectural d’origine, dans des dégagements et sondages dans la partie de la cour qui s’étend du temple au nord du grand autel : il s’agit de plusieurs fragments de chapiteaux ioniques, taillés dans le même calcaire gris fin et dur que les métopes figurées et les chapiteaux corinthiens de colonne du Qasr (fig. 2.16). Les éléments conservés des échines sont de même style que ceux des chapiteaux ioniques aux éléphants de la cour inférieure du « Great Temple » 17. Le diamètre restitué des fûts correspondants est d’environ 0,80 m. Certains ont été retaillés, sans doute dès l’Antiquité, pour des remplois de construction, ce qui est un indice important pour évaluer les remaniements dans le sanctuaire. Au nord du grand autel ont été dégagés, d’autre part, trois tambours de colonnes portant encore un enduit stuqué cannelé, d’un diamètre d’environ 0,80 m également (fig. 2.17). Ces fûts sont sans doute à mettre en relation avec les chapiteaux. Peut-être tenons-nous là des éléments de portiques, sans doute déjà détruits à l’époque de la province d’Arabie pour des remaniements d’envergure. Cependant, nous ne connaissons pour le moment ni leur localisation, ni leur extension. Par ailleurs, plusieurs blocs de grande envergure (tambours de colonne, piédroits à pilastres), probablement d’époque nabatéenne, qui ont appartenu à un dispositif de porte monumentale ou de propylée, ont été remployés dans la construction des piédroits du bâtiment à abside et dans le massif de remplissage de celle-ci. On peut supposer, d’après leur taille et leur poids, que leur situation d’origine était peu éloignée. Ceci nous oriente donc vers l’hypothèse d’une première cour de téménos, dotée de propylées, mais dont l’extension nous échappe. Cet examen en plan a toutefois permis de constater que la cour du sanctuaire correspondant au Qasr, le temple et le Bâtiment B respectaient tous trois une même grille métrologique en grandes coudées de 0,525 m, ce qui conforte l’idée suivant laquelle l’ensemble auquel appartenait le Qasr al-Bint correspondait à un programme architectural homogène. Par ailleurs, les données dont nous disposons ne permettent pas de restituer plus précisément l’ensemble des limites d’une cour contemporaine de la construction du monument à abside d’époque impériale. La différence d’orientation et de localisation des portions de murs nord mises au jour (section de mur a bis, d, e et f), entre elles et avec les portions de mur reconnues (sections de murs a, b et c) est problématique. Toute tentative de restitution, intégrant ces différents éléments, esquisse en effet un tracé irrégulier de la limite nord du téménos. Il faut cependant signaler que les violentes perturbations, naturelles (crues du wadi) 18 et anthropiques (terrassements récents), du contexte archéologique ne nous ont pas permis de préciser la chronologie relative de ces portions de murs. Enfin, il faut garder à l’esprit la présence probable d’un pont rejoignant l’autre rive du wadi ou celle d’un tunnel souterrain dérivant ses eaux, comme semblent en témoigner Ehni 19 et Laborde 20. Seule l’extension des sondages déjà réalisés permettrait donc de préciser l’histoire manifestement très perturbée de cette limite nord de l’espace sacré au cours des siècles.
Figure 2.16.
Le téménos : chapiteau ionique en calcaire gris
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 2.17.
Le téménos : fûts de colonnes stuqués au nord du grand autel
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
10Les travaux effectués dans le secteur occidental du téménos du Qasr al-Bint ont permis d’apporter quelques précisions relatives à l’escalier d’accès du monument, aux canalisations qui lui sont associées et, à travers l’étude des fragments architecturaux retrouvés en chute, au décor de la façade de l’édifice (fig. 3.1a-b).
Figure 3.1a.
Qasr al-Bint : les caniveaux et l’escalier du temple
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 3.1b.
Qasr al-Bint : les caniveaux devant l’escalier du temple
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 21 À cette époque, le Département des Antiquités de Jordanie entreprit le dégagement de la quasi-total (...)
- 22 Quelques mois après notre première campagne de fouille, l’Unesco entreprit la restauration de l’aut (...)
- 23 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 8.
- 24 Parr 1968, p. 13-18, fig. 2-6, 8.
- 25 Un dispositif similaire est aménagé à l’intérieur de la première cour du sanctuaire de Kh. at-Tannu (...)
- 26 Les vestiges endommagés du mur d’échiffre est de l’escalier n’ont pas pu être relevés.
11En 2002 a été mise au jour une partie de l’escalier du Qasr, en dégageant les remblais accumulés depuis les travaux de 1963 et 1964 21, ainsi que ceux que retenait un mur de fortune construit lors d’une intervention ponctuelle de l’Unesco en 2000 22 (fig. 3.2). La découverte des premiers degrés de cet escalier monumental à plus de 2,70 m en avant (vers le nord) de leur emplacement escompté révéla que sa profondeur était plus importante que celle restituée dans les documents publiés jusqu’alors. Par ailleurs, le dégagement d’une surface carrée dans l’axe médian du temple mit au jour l’extrémité nord du palier intermédiaire, également située à plus de 2,50 m (vers le nord) de son emplacement supposé. Cette opération permit de démontrer que la majeure partie des degrés de marbre avait bien été démontée, laissant à nu le mortier portant leur négatif. Ces données corrigées ont été reportées sur le plan général de la monographie du Qasr peu avant sa publication 23. L’escalier qui se déploie sur toute la largeur de la façade du temple est donc composé de deux volées de 19 marches en bas et huit marches en haut, séparées par un palier d’une profondeur de 3,83 m. La connexion de cet escalier avec le dallage de la cour du téménos est assurée par deux caniveaux et une rigole centrale partiellement vus par P. J. Parr en 1965 24. Accolés à son premier degré inférieur, de part et d’autre de l’axe central de l’édifice, leur pente permettait de recueillir les eaux de ruissellement pour les diriger vers l’extérieur, dans des canalisations souterraines 25. Au centre, un espace libre de 6,02 m de large, couvrant la rigole, préservait l’accès à l’escalier depuis la cour. Notons que si cet aménagement est approximativement centré sur l’axe de symétrie nord-sud de l’autel principal, il semble être décalé vers l’est par rapport à celui des murs d’échiffre de l’escalier monumental (infra) 26 (fig. 3.2). L’enlèvement de ces remblais récents ont justement permis la mise au jour de l’extrémité du mur d’échiffre ouest de l’escalier du Qasr al-Bint. Sa largeur, également plus importante que celle escomptée, s’aligne, semble-t-il, au nu extérieur du podium du temple, après un rétrécissement probable. Sa limite nord, ne dépassant pas le premier degré de l’escalier, est parfaitement alignée au piédroit sud de la porte méridionale du monument à abside. Construit en grès, ce mur d’échiffre était décoré d’une mouluration de base en marbre blanc appliquée, encore en place sur ses parements nord et est, qui servait d’assise à la pose d’éléments de placage verticaux (fig. 3.3). Enfin, ces travaux ont aussi été l’occasion du dégagement de la zone de dallage comprise entre le grand autel, le temple et la limite occidentale du téménos. Le module et l’organisation des dalles composent un premier ensemble homogène le long de l’escalier du Qasr, habilement raccordé à une seconde unité cohérente contre la façade du monument à abside, d’une part, et à un troisième ensemble homogène amorçant l’espace du péribole ouest du temple, d’autre part (sans présumer de l’antériorité de l’une ou l’autre de ces unités). Pas moins d’une dizaine de trous d’encastrement ont été comptabilisés sur cette surface (fig. 3.2). Devant la moitié occidentale du grand autel, quatre d’entre eux délimitent notamment un espace approximativement carré, de moins de 2 m de côté. On observe aussi une demi-douzaine de tracés rectilignes incisés à la surface du dallage : toujours devant le grand autel, deux d’entre eux plus ou moins aboutis (ou érodés ?) semblent représenter un dessin identique, composé de lignes dotées de petits retours et ordonnées à 90°. Il serait tentant d’y voir le tracé préparatoire de l’aménagement ou du remaniement des ensembles architecturaux occupant cette partie du sanctuaire.
Figure 3.2.
Qasr al-Bint : plan des relevés assemblés des caniveaux et de l’escalier (échelle : 1/150)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
Figure 3.3.
Qasr al-Bint : le mur d’échiffre ouest de l’escalier du temple
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 27 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003.
- 28 Renel 2013, p. 351. F. Zayadine attribue hypothétiquement l’incendie à l’origine de la destruction (...)
- 29 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, fig. 3-7, 28, 30a, 33b et 86.
- 30 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 137, fig. 3.
- 31 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 163, fig. 29, 216, fig. 83.
- 32 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 163, fig. 29, 194, fig. 7, 216, fig. 83.
- 33 Wright 1968, p. 38-39, pl. VII, 13 ; McKenzie 1990, pl. 68 c ; Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 200 (...)
- 34 Wright 1968, p. 27, pl. IV ; McKenzie 1990, p. 134-135, pl. 60 à 62, voir buste féminin pl. 61b ; L (...)
- 35 Fragments C 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232, 235, 258, 259, 260, 287, 401, etc ; Zayadine, Larché (...)
12Les principaux éléments architecturaux du temple sont connus 27. Les fouilles effectuées dans la cour du téménos ont mis au jour, dans tous les secteurs situés à proximité du temple et sur son escalier, de nouveaux fragments de blocs provenant de la façade et de la toiture de l’édifice. L’écroulement des parties hautes du temple est lié, entre autres événements, à un incendie qui a ravagé sa charpente dans la seconde moitié du iiie s. apr. J.-C., comme l’indique le matériel trouvé dans les couches liées à la destruction 28. Parmi ces blocs et fragments, on reconnaît aisément la corniche principale en grès rose du temple, dont plusieurs éléments étaient déjà connus 29, en particulier ceux qui sont encore en place au sommet du mur est. Ces blocs de corniche sont tombés sur une mince couche sableuse peut-être liée à une période d’abandon, à quelques mètres de l’angle nord-ouest du temple. On reconnaît également divers éléments de la frise dorique, dont de nombreux fragments ont été retrouvés. En dehors des morceaux de triglyphes en grès rose, de nombreux éléments des métopes en calcaire gris fin et dur confirment la restitution de la façade proposée par F. Larché 30. Ces métopes étaient constituées en alternance par de grandes rosettes 31 et par des bustes en relief dans des cadres ronds 32. Le plus grand des nouveaux fragments conservés permet d’identifier un buste masculin dans un médaillon, vêtu d’une tunique et d’un manteau drapé sur l’épaule gauche (fig. 3.4). Le visage manque, mais le haut du cou semble avoir été préparé pour l’insertion d’une tête rapportée. La coiffure en mèches flottantes tombant au niveau des épaules est bien visible sur l’épaule droite. Le relief du fragment conservé n’est pas en forte saillie. Le traitement fin et souple des tissus et des mèches permet de le rapprocher du buste d’Helios qui ornait une des métopes du côté est du temple 33. D’autres très petits fragments de vêtements drapés ont été répertoriés ainsi que plusieurs fragments de visages. Ils permettent de confirmer l’existence d’au moins quatre métopes à bustes en façade, alors que le dégagement de l’escalier est encore partiel. Il est difficile de proposer des identifications des figures d’après les fragments retrouvés. Le buste radié de la métope du côté est correspond très probablement à une représentation divine mais aucun indice significatif n’est visible sur nos fragments. Le traitement des visages nous donne des renseignements sur les parentés stylistiques : sur le bas du visage no C151 (fig. 3.5), qui porte une moustache tombante évoquant soit l’iconographie antique des Gaulois, soit le monde parthe, on remarque que la forme de la bouche entrouverte aux commissures légèrement tombantes, le contour et le volume des lèvres sont identiques à ceux de la bouche de l’un des bustes du groupe de reliefs en calcaire trouvés en 1967 en remploi près de la porte monumentale du téménos 34. Cette similitude de traitement sculpté semble indiquer que les reliefs des métopes du Qasr al-Bint et certains des reliefs trouvés près de la porte monumentale sont vraisemblablement sortis des mêmes ateliers et sont donc probablement contemporains. En dehors des métopes en calcaire gris, de très nombreux fragments de tiges cannelées et de rinceaux d’acanthe taillés dans le même calcaire ou en grès rose se trouvaient dans les couches de destruction du temple. La plus grande partie de ces fragments provient des chapiteaux de colonnes et de pilastres corinthiens à rinceaux de la façade, similaires au grand chapiteau de pilastre d’angle retrouvé dans l’angle sud-est du temple 35.
Figure 3.4.
Qasr al-Bint : métope sculptée d’un buste masculin dans un médaillon (no C295 ; H : 48 cm) provenant de la frise de la façade
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 3.5.
Qasr al-Bint : partie inférieure d’un visage masculin (no C151) provenant d’une métope sculptée de la frise de la façade
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 36 Laborde & Linand de Bellefonds 1994, p. 159.
- 37 Brünnow & Domaszewski 1904, p. 178 et 306, structure 402.
- 38 Bachmann, Watzinger & Wiegand 1921, p. 56, fig. 50 ; Wright 1968, p. 36.
- 39 Une série de très grandes conduites couvertes de dalles plates ou en bâtière et de multiples canali (...)
- 40 Parr 1967-1968.
13Cette structure, située approximativement dans l’axe du temple du Qasr al-Bint, semble avoir été toujours apparente, comme l’attestent dès 1828 les dessins et les commentaires de Laborde et Linant de Bellefonds 36. Deux interprétations différentes ressortent des examens limités pratiqués au début du xxe s. Pour Brünnow et Domaszewski, il s’agit d’un autel monumental en relation avec le Qasr al-Bint 37. Wiegand le compare en revanche à une structure encore visible sur la berge opposée du Wadi Musa, interprétée aujourd’hui comme un bassin ou un réservoir 38 (fig. 4.0). La localisation de l’autel monumental, au point le plus bas du complexe et la proximité de très nombreuses canalisations dissimulées sous le dallage du téménos pourraient en effet laisser supposer une fonction liée à l’acheminement ou au stockage de l’eau 39. L’idée pourrait être confortée par des cavités observées dans le massif de maçonnerie de l’autel qui seraient interprétables comme des réservoirs. Ceci étant, aucune trace d’enduit hydraulique n’ayant été identifiée sur le monument, l’hypothèse d’un réservoir situé au milieu de la cour du sanctuaire peut être écartée. Revenant à la proposition ancienne, P. J. Parr identifia donc cette structure comme un autel, en raison de l’alignement du massif et du temple et de la présence d’escaliers monumentaux sur son flanc méridional, et il pratiqua en 1965 une série de sondages contre ses fondations 40. Nos travaux sur ce secteur ont donc débuté par des relevés exhaustifs des vestiges visibles et par un dégagement des sondages anciens, élargis de manière ponctuelle, afin d’en réactualiser les conclusions (fig. 4.1-4.4).
Figure 4.0.
Sur la rive nord du Wadi Musa, structure maçonnée interprétée comme un réservoir (échelle : 1/150)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
Figure 4.1.
Le grand autel : vue d’ensemble
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 4.2.
Le grand autel : plan des relevés assemblés
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
Figure 4.3.
Le grand autel : plans des relevés assemblés des sondages de P. Parr et coupes (échelle : 1/100)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
Figure 4.4.
Le grand autel : faces est, ouest et nord des relevés assemblés (échelle : 1/100)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
- 41 Des travaux de conservation, menés en 2000 sous l’égide de l’Unesco, ont scellé les remblais accumu (...)
14Les vestiges de l’autel sont constitués d’une fondation supportant un podium auquel est accolé du côté sud un escalier flanqué de deux murs d’échiffre. Nous l’avons vu, son axe de symétrie nord-sud est identique à celui des caniveaux de l’escalier du Qasr, mais semble être décalé vers l’est par rapport à celui des murs d’échiffre du temple. La fondation quasi quadrangulaire de l’autel (ca 14 m d’est en ouest x 12,10 m du nord au sud) est une puissante structure constituée d’un appareil régulier de blocs de calcaire. Au sommet de cette fondation se dresse un podium (H. 2,40 m) composé de deux assises de calcaire, surmontées d’une petite assise de réglage en grès, sur laquelle s’élèvent six autres assises de grès. La limite nord du massif de grès est parfaitement alignée au piédroit nord de la porte nord du monument à abside. Les dernières assises de grès compose aussi un carré approximatif (ca 11,00 x 9,85 m) décalé de 0,20 m vers l’est, par rapport à l’axe de symétrie de l’autel (et donc de près de 0,85 m par rapport à celui de l’escalier du Qasr). Dans la partie nord du podium se trouve une grande cavité orientée est-ouest (l. ca 1,5 x L. 9,50 m). Sa profondeur est au moins égale à la hauteur des quatre dernières assises de grès 41. La cavité est accessible par une ouverture irrégulière aménagée dans la face ouest du podium et dont le seuil est entaillé d’une canalisation. Au nord de cette cavité s’ouvre une seconde échancrure nord-sud (l. 1,50 x L. 3,40 m) sur une profondeur de deux assises.
- 42 G. R. H. Wright voyait dans cette ouverture un « ancien sondage clandestin » : Wright 1968, p. 37. (...)
15Un dispositif d’accès au sommet de l’édifice, construit en blocs de grès est accolé contre la face sud du podium. Sa fondation repose au sud sur des structures d’orientation obliques, visibles dans les anciens sondages de P. J. Parr, à mettre en relation avec les premiers aménagements de la cuvette du wadi (infra). Ce dispositif se compose d’un large escalier de dix degrés, menant à une première plateforme, dont l’axe de symétrie est-ouest correspond parfaitement à celui de la baie centrale du monument à abside. De ce palier, un petit escalier centré d’au moins sept degrés permet d’accéder à la plateforme supérieure de la construction. Notons qu’une cavité creusée dans la partie orientale de la plateforme inférieure, sur une profondeur au moins égale à la hauteur du podium, était visible en 1999 42. Il est possible que le petit escalier soit issu d’un remaniement : sa ligne de foulée ne semble pas correspondre au grand emmarchement, mais plutôt à celle d’une maçonnerie grossière qui le recouvre. L’escalier de l’édifice est encadré de murs d’échiffre probablement plaqués de marbre, dont les vestiges en place permettent de restituer l’épaisseur finie maximale à près de 1,45 m.
- 43 Effectuant un parallèle avec l’escalier du temple, Wright attribuait la présence de cette moulure à (...)
16Les vestiges encore en place de canalisations verticales sont visibles sur les faces nord et ouest de la construction. Parfois encore dotées de leurs conduites de bronze, elles se raccordent aux multiples canalisations superficielles ou aux gros collecteurs entourant l’édifice, en surface et sous le dallage de la cour (fig. 4.4). Par ailleurs, la couche de mortier qui recouvre la plateforme supérieure du podium porte les traces d’un revêtement d’appareil régulier disparu, composé de dalles d’une largeur moyenne de 0,70 m (fig. 4.2). On observe une douzaine de trous d’encastrement sur cette surface horizontale, dont la plupart forme un alignement est-ouest, de part et d’autre de la petite cavité nord-sud. Le mortier recouvrant les degrés de la première volée d’escalier porte également les traces d’un revêtement disparu. Sur la plateforme inférieure subsistent quelques petites dalles de sol et de placage vertical en marbre blanc, dans l’angle formé par le mur du podium et la face ouest du petit escalier. De leur côté, les vestiges du mur d’échiffre est de l’escalier portent des ressauts et des mortaises indiquant la mise en place de parements verticaux et horizontaux. Un fragment de moulure de base en marbre blanc, en place à l’extrémité orientale de la face sud du podium, est recouvert par la maçonnerie de l’escalier (fig. 4.5). Sans forcément y voir l’indice d’un changement de programme en cours de construction (hypothèse de Wright), cette observation constitue simplement la preuve d’une postériorité de la construction de l’escalier sur celle du podium 43. Enfin, sur la face ouest et à l’extrémité occidentale de la face sud, la plateforme de fondation et les assises de calcaire portent de multiples ressauts et mortaises, parfois encore dotés de leurs agrafes et goujons en bronze, destinés à la pose de parements et moulures de base, probablement en marbre aussi.
Figure 4.5.
Le grand autel : mouluration en marbre sur la face est
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 44 Hellmann 2006, p. 122-144.
- 45 P. J. Parr effectua en 1965 des fouilles au « voisinage immédiat » de l’autel, notamment dans son a (...)
17L’hypothèse généralement admise, et de loin la plus probable, est de reconnaître dans cette construction l’autel du Qasr al-Bint. Bien que la restitution architecturale de l’édifice comporte diverses incertitudes, on suppose que le noyau maçonné conservé constituait, dans son état principal, la partie essentielle d’une plateforme accessible par une volée de marches, suivant un type connu aussi bien dans le monde gréco-romain qu’oriental 44. Les observations architecturales permettent d’identifier plusieurs phases de construction et/ou de modifications. La première d’entre elles fut manifestement la construction de la fondation et des assises de calcaire, de même matériau et de facture identique. Une seconde phase peut être constituée par la construction de l’assise de réglage et des six assises de grès du podium. Une troisième phase doit voir la construction du dispositif d’accès à la plateforme du podium, dont la structure, indépendante des deux précédentes, leur est simplement accolée. Une quatrième phase (peut-être divisible) semble avoir concerné le démontage de parties de l’édifice : celui du massif de grès à l’ouest, suggéré par les excroissances de son appareil ; celui des deux assises de calcaire au nord et à l’est, révélé par les traces d’un débitage systématique et organisé. Si l’observation des structures conservées nous permet d’établir une chronologie relative, nous ne disposons pas de données de datation décisives car les sondages réalisés autour du bâtiment dans les années 1960 ont entraîné la destruction des niveaux archéologiques utiles 45 : seul l’angle nord-est de l’autel a pu être sondé sans que la fouille ne livre d’indice formel de datation. De leur côté, les fouilles engagées à l’intérieur des cavités de l’édifice n’ont pu être poursuivies en raison de la restauration inopinée de la structure en 2000. En l’absence d’éléments de datation absolue, nous ne pouvons qu’avancer les quelques hypothèses suivantes :
- dans la mesure où la localisation de la fondation et des assises de calcaire de l’autel ne correspond pas exactement à l’axe nord-sud de l’escalier du Qasr al-Bint, ces vestiges pourraient être antérieurs ou postérieurs à la construction du temple. Dans le cas de l’antériorité, un lien entre un premier état de l’autel et une hypothétique construction située sous le Qasr serait envisageable 46. Cette première structure pourrait avoir été démontée jusqu’à sa fondation lors de la construction du Qasr et avoir servi à la construction du nouvel autel du temple. Elle appartiendrait dans ce cas à une phase nabatéenne du sanctuaire précédant la construction du Qasr al-Bint et déjà orientée sur un axe nord-sud. Dans nos travaux récents, nous n’avons pas retrouvé de trace de ce premier sanctuaire hypothétique ;
- si l’on ne retient pas cette hypothèse et que l’on considère que la construction de l’autel est soit contemporaine de celle du Qasr, soit du début de la province d’Arabie, le remaniement de son (seul) emmarchement d’accès a pu être opéré dans une phase secondaire à sa construction, à l’époque romaine (iie-iiie s. apr. J.-C.). Il est ainsi possible que l’escalier de l’autel (comme les murs d’échiffre du temple ?) ait été réaménagé afin de ne pas masquer la façade du monument à abside (infra). Par ailleurs, le démontage d’une partie du massif de grès à l’ouest pourrait aussi correspondre à cette période car il semble avoir été effectué pour permettre l’aménagement d’un dispositif hydraulique particulier, face au monument à abside. Quoi qu’il en soit, ces modifications du podium suggèrent une mise en scène détournée de l’axialité nord-sud du temple en faveur d’une orientation d’est en ouest. La fonction initiale de l’autel aurait alors été complétée ou supplantée par des activités liées au monument à abside ;
- on peut enfin supposer que des opérations de récupération de matériaux ont pu entraîner, aux périodes byzantine et/ou médiévale, le débitage d’une partie des assises de calcaire, comme des moulurations et placages de marbre.
18Une seconde structure a été découverte en 2000 dans l’angle nord-ouest de la cour du téménos, contre la baie latérale nord du monument à abside (infra). Ses vestiges sont constitués d’une semelle de fondation supportant un podium et une plateforme contre lesquels est accolé un petit escalier d’accès méridional (fig. 5.1.-5.2).
Figure 5.1.
Le petit autel : vue d’ensemble
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 5.2.
Le petit autel : plan des relevés assemblés du petit autel et du sondage Sud
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
19La construction est constituée d’un podium de plan approximativement carré (ca 5,50 m d’est en ouest x 5 m du nord au sud), ceinturé d’un mur à double parement qui limite un blocage interne dont la surface était recouverte d’un dallage. La face externe de ce mur est entourée d’une petite assise de grès servant à la pose d’éléments de placage verticaux. Sur ce podium s’élève une seconde structure de forme approximativement carrée (ca 4,50 x 3,60 m), centrée et composée d’au moins une assise de grès. En son centre, une dernière structure de plan carré (ca 2,45 x 2,40 m), paraît être noyée dans la maçonnerie. Un petit escalier centré de 1,30 m de large est accolé à la façade sud du podium. Sa maçonnerie interne en grès est entourée, sur le périmètre de sa base, d’une assise de grès identique à celle du podium et servant aussi à la pose d’éléments de placage. Six creusements, pratiqués le long du palier intermédiaire de part et d’autre de l’escalier, suggèrent l’installation d’un garde-corps ou d’autres structures verticales. L’édifice a conservé une grande partie des éléments de placage verticaux. Son étude, ainsi que celle des éléments retrouvés en chute, permettent de restituer en façade une base et un couronnement moulurés, animés de pilastres aux angles (fig. 5.3). Au nord, on observe les vestiges d’une conduite en bronze, encastrée dans le parement et raccordée au collecteur jouxtant l’édifice sous le dallage de la cour (fig. 5.4).
Figure 5.3.
Le petit autel : détail des moulurations de placage
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 5.4.
Le petit autel : sondage nord
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
20La face latérale ouest de la construction jouxte le monument à abside, dont la fondation subit une légère inflexion, comme pour l’éviter. Ces deux édifices, pourtant d’orientation nord-sud, ne sont donc pas strictement parallèles. Par ailleurs, le piédestal appliqué au nord de la porte nord du monument à abside est positionné immédiatement contre la face nord de la construction étudiée. Cette configuration confère aux deux piédestaux nord du monument à abside un écartement légèrement plus important que celui observé sur les piédestaux sud (L. 6,2 m au nord / L. 5,85 m au sud). D’autre part, des mortaises aménagées dans la maçonnerie des piédestaux encadrant la baie nord du monument à abside suggèrent la présence d’une barrière séparant l’édifice de notre construction. Enfin, les données issues d’un sondage réalisé en 2008, au droit de l’angle sud-ouest de la structure à son contact avec le mur du monument à abside, démontrent clairement que la fondation du monument à abside et du dallage qui le longe reposent sur la fonction de ce petit édifice.
- 47 Kolb 2007, p. 166, fig. 19.
21Malgré certaines anomalies difficiles à expliquer, nous émettons l’hypothèse que cette petite structure est un autel. Sa situation atypique dans le sanctuaire, puisqu’il est accolé à sa limite occidentale, nous conduit à supposer qu’il est non seulement antérieur au monument impérial à abside, mais peut-être aussi antérieur à l’installation de la cour du Qasr al-Bint. Nous formulons actuellement l’hypothèse que cet autel pourrait avoir été, dans un de ses premiers états, une structure en relation avec l’ensemble résidentiel (Bâtiment C) situé à l’ouest du monument à abside, à l’image de l’autel domestique d’Al-Zantur IV 47. L’édifice aurait été ensuite inclus dans l’espace sacré, lors de la construction du programme monumental du Qasr. Sa fonction pourrait avoir perduré durant toute la durée de fonctionnement de l’espace cultuel. En tout état de cause, son maintien semble avoir été suffisamment important pour modifier très discrètement la composition architecturale du monument à abside par la suite (infra).
22Le sondage de 2008 a permis de mettre en évidence la tranchée de fondation dans laquelle, outre les déchets de bronze liés à la fabrication des crampons de fixation des moulures, une assiette peinte a été retrouvée. Elle correspond à la phase 3a de S. Schmid, ce qui permet de dater le dernier état cette structure du début du ier s. apr. J.-C., au plus tôt. Par ailleurs, la poursuite de ce sondage a pu montrer que cet autel a été implanté sur des structures plus anciennes, sa fondation recoupant l’arasement d’un mur appartenant à la phase hellénistique (fig. 5.5).
Figure 5.5.
Le petit autel : sondage sud
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 48 Bachmann, Watzinger & Wiegand 1921, fig. 50.
23Immédiatement à l’est du temple du Qasr al-Bint et au contact de son péribole ont été mis au jour les vestiges d’un vaste complexe bâti autour d’une cour centrale (fig. 6.1-6.3). Ils sont connus depuis la mission allemande de Th. Wiegand et W. Bachmann, qui en avaient réalisé le relevé dès 1917 et proposé une restitution en plan 48 (fig. 2.12). Le plan de ce vaste ensemble, dont nous ne connaissions au début de nos travaux que les limites nord et ouest, a pu être complété dans ses grandes lignes par nos travaux et une prospection radar électrique réalisée en 2002. Les fouilles y ont repris depuis 2012. Le complexe s’inscrit topographiquement dans un plan approximativement carré (ca 42 x 45 m) dont l’emprise surpasse celle du temple. On y accède depuis la cour de téménos par une porte de 3,30 m de large, située à 12,30 m de l’extrémité nord-ouest du bâtiment (vers le Qasr) et ouvrant sur un vestibule (P2) (fig. 6.4).
Figure 6.1.
Le bâtiment B : plan d’ensemble
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : F. Renel, M. Belarbi
Figure 6.2.
Le bâtiment B : vue d’ensemble des parties dégagées depuis l’ouest
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 6.3.
Le bâtiment B : vue d’ensemble des parties dégagées depuis l’est
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 6.4.
Le bâtiment B : façade
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
24La partie nord de cet ensemble est constituée par une aile bâtie composée de quatorze pièces réparties de part et d’autre du vestibule d’accès (P2 ; 8,50 m de large x 7,30 m de profondeur). Du côté est, la topographie actuelle et la présence de nombreux blocs en chute laissent supposer l’existence d’une aile construite. La limite orientale est actuellement enfouie sous une importante accumulation de blocs et de sédiments. En ce qui concerne la limite sud, seul un tronçon de mur est-ouest, dans la continuité du mur sud du péribole que l’on peut restituer au sud du temple, est à l’heure actuelle identifié. La limite occidentale de cet ensemble ne paraît pas avoir comporté de corps de bâtiment.
25Au nord, un dispositif d’entrée assure donc la liaison entre le téménos et la cour interne de l’édifice. L’accès aux différents espaces de l’aile nord se faisait par le biais d’un péristyle bordant la cour et attesté par les vestiges d’un stylobate et de deux colonnes retrouvés en place dans un sondage en 2013. Cette configuration permettait d’apporter de la lumière aux pièces réparties autour de cet espace central. Les blocs d’architecture identifiés en chute établissent que ce péristyle était surmonté d’une façade intégrant à l’étage une galerie couverte rythmée par des baies. Deux séries de pièces indépendantes se répartissent donc derrière ce péristyle de part et d’autre du vestibule d’entrée. Seuls deux de ces espaces internes sont dotés d’aménagements spécifiques permettant d’en définir la fonction. À l’ouest du vestibule, deux pièces, dont le sol est exhaussé par rapport aux autres, occupent l’angle nord-ouest du bâtiment, près du Qasr. La pièce nord (P1) assure une double fonction, associant un espace lié à l’eau et une cage d’escalier très dégradée. Un puits d’environ 1,30 m de diamètre est localisé dans l’angle nord-ouest de cette première pièce. Limité par une margelle taillée dans une base de colonne, il a pu être exploré sur près de 11,50 m de profondeur. Il est associé à un pédiluve et à un collecteur destiné à évacuer les eaux usées vers le sud. À l’est, sans réelle symétrie, les pièces dégagées ne recèlent pas d’aménagements domestiques et semblent pour une bonne part avoir constitué des antichambres ou des espaces de circulation. Ce secteur a cependant fait l’objet de remaniements importants. À l’est du vestibule, une série de petites pièces occupe toute la longueur supposée du bâtiment. Contre le mur est du vestibule, une pièce étroite (pièce P3) constitue la limite occidentale d’une descente d’eaux usées (0,50 x 2,20 m) correspondant à une descente de latrine du niveau supérieur du bâtiment. Une structure de configuration analogue est visible dans le complexe souvent qualifié de « Bains » accolé au sud des propylées du téménos du Qasr al-Bint. Construit contre ce dispositif d’évacuation, un escalier encloisonné à triple volée en U (pièce P4), permettait d’atteindre le niveau supérieur de l’édifice.
26La chronologie de cet ensemble a pu être établie. Plusieurs niveaux d’occupation antérieurs à la construction du vestibule, alternant rejets cendreux et sols, ont été découverts dans l’emprise de la pièce P3. La présence d’une monnaie séleucide frappée à Damas sous le règne de Philippe II (63 av. J.-C.) en constitue le terminus post quem. Le matériel retrouvé dans les fondations des structures et dans les niveaux de sols les plus régulièrement attestés permettent de dater le début de la construction de ce complexe au cours du règne d’Obodas III ou au début de celui d’Arétas IV, soit dans le dernier tiers du ier s. av. J.-C. Plusieurs niveaux d’abandon répartis dans l’édifice témoignent de la fin de l’utilisation de cet édifice entre la fin du ier s. et le début du iie s. apr. J.-C. On note une réoccupation partielle du complexe à partir de la fin du iiie s. ou du début du ive s. apr. J.-C., à des fins domestiques, comme en témoignent la découverte de fours culinaires (tawabeen) dans la pièce 14. Enfin, à l’instar des autres secteurs périphériques du Qasr al-Bint, une réoccupation byzantine s’étendant jusqu’au début du ve s. apr. J.-C. succède au tremblement de terre de 363 apr. J.-C., avant la ruine globale de l’ensemble du secteur. Le complexe paraît relever, par sa métrologie, son décor architectural et sa chronologie, du même programme de construction que le Qasr al-Bint.
- 49 Hellmann 2006, p. 218-231.
- 50 Bachmann, Watzinger & Wiegand 1921, fig. 50.
- 51 Seyrig, Amy & Will 1975, p. 241-243.
- 52 Villeneuve & Al-Muheisen 2001, p. 279.
27À ce stade de l’analyse, la fonction du complexe reste indéterminée. La proximité de ce complexe avec le temple et son téménos incitent à y voir une dépendance du sanctuaire. L’organisation générale de l’édifice pourrait répondre à la typologie de certains édifices de banquets connus dans le monde grec 49. La découverte d’une circulation directe vers le Qasr, similaire à celle proposée par le plan publié en 1921, renforcerait cette hypothèse, de même que l’intégration topographique du complexe dans son environnement religieux 50. Pour des raisons de liturgie, ce complexe érigé à proximité du temple pourrait relever de son espace sacré. Ainsi, à Palmyre, une grande salle de banquet en relation avec le temple de Bêl a été identifiée au sein du téménos dans une large construction proche du grand autel 51. De même à Dharih, où les cours sont dotées de grandes salles à triclinia 52.
28Un des apports les plus décisifs de la Mission archéologique française de Pétra consiste en la fouille et l’étude d’un monument à abside, qui marque la limite occidentale de la cour du téménos (fig. 7.1-7.2).
Figure 7.1.
Le monument impérial à abside. En haut, à gauche, les escaliers du Qasr al-Bint, avant leur dégagement (photo aérienne, ballon, Mission italienne)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure 7.2.
Le monument impérial à abside : plan des relevés assemblés
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
- 53 Cette différence à peine perceptible semble être due, nous l’avons vu (supra), aux contraintes issu (...)
29Construit le long d’un axe sud-nord, le monument à abside constitue la limite occidentale de la cour du téménos dans son dernier état. Sa façade, orientée vers l’est, est composée d’une abside centrale (L. 7,12 m) qui est prolongée vers le nord et vers le sud par un mur rectiligne. Dans ce mur sont aménagées deux baies latérales (L. 2,35 m) disposées presque symétriquement à 12,30 m de son axe central au sud et à 12,50 m au nord 53. Ce monument a été érigé au-dessus du mur sud-nord qui constituait la limite occidentale du téménos du sanctuaire (supra). Les vestiges en grès du monument à abside, dégagés sur environ 35 m de long, sont conservés sur une hauteur de près de 4,50 m au sud et réduits à environ 0,70 m au nord. Son élévation s’adapte à la pente sud-nord de 2,8 % du sol sur lequel le bâtiment est érigé et présente une épaisseur moyenne de 1,70 m. Quatre piédestaux continus sont appliqués contre la façade orientale, de part et d’autre de l’abside centrale comme des baies latérales. L’appareil du monument est homogène sur la totalité de son élévation orientale, à l’exception des abords immédiats de l’abside centrale. Les piédroits de celle-ci sont constitués de piliers à pilastre appliqué auxquels sont accolés deux quarts de colonne de 0,50 m de rayon du côté interne de l’abside. Les baies latérales sont quant à elles flanquées de pilastres d’angle. Deux niches rectangulaires sont encore en place de part et d’autre de la baie sud et suggèrent un dispositif similaire encadrant la baie nord. À l’intérieur de la baie sud, sur le lit d’attente de la fondation, ont été aménagés deux degrés témoignant de circulations possibles entre la cour de téménos et l’espace situé derrière le monument à abside (fig. 7.3-7.4). Par ailleurs, des degrés ont aussi été aménagés devant l’abside centrale du monument. Des blocs en remploi et plusieurs étapes de construction y ont également été observés : ainsi, les piédroits de l’abside prennent appui sur le mur obturant la partie inférieure de l’espace central, non chaîné aux faces latérales internes des piédestaux (fig. 7.5). La présence de mortaises dotées d’agrafes en bronze sur la face orientale de ce mur montre qu’il fut, dans l’une des phases de son histoire, revêtu d’un placage. Le blocage du sol de l’abside comprend également de nombreux blocs en remploi. Par ailleurs, plusieurs petites structures adjacentes ont été érigées devant l’abside : contre la fondation de son espace central est construit un escalier (P. 2,98 m) qui comportait au moins trois degrés et permettait d’accéder à une plateforme construite contre le mur de bouchage mentionné supra. Deux socles, conservés sur une seule assise, flanquent le départ de cet escalier au nord (L. 1,38 m ; P. 1,12 m) et au sud (L. 1,48 m ; P. 1,12 m), ce dernier socle étant décoré d’une mouluration de base. Contre sa face sud prend place une seconde petite structure de plan carré (2,16 m de côté). Deux blocs superposés servant de degrés ont été retrouvés en place entre son parement ouest et l’un des piédestaux du monument à abside (fig. 7.6). Enfin, des inscriptions mentionnant P. Julius Geminius Marcianus et Quintus Antistius Adventus, gouverneurs de la province d’Arabie entre 162/164 et 167/169 apr. J.-C., ainsi que des fragments de statues honorifiques en marbre, ont été trouvés à proximité de ces socles, lesquels devaient par conséquent constituer les parties inférieures de bases de statues honorifiques (fig. 7.7 et annexe 1, infra).
Figure 7.3.
Le monument impérial à abside : vue générale de la face est
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Figure 7.4.
Le monument impérial à abside : faces est et ouest des relevés assemblés
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Figure 7.5.
Le monument impérial à abside : détail constructif des piédroits de l’abside
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Figure 7.6.
Le monument impérial à abside : l’escalier devant l’abside et les bases de statues
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Figure 7.7.
Le monument impérial à abside : socle de la statue présumée d’un gouverneur (no C300)
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30Revenant au monument principal, on peut distinguer deux parties superposées dans le mur de l’abside, qui décrit sur son parement intérieur une portion d’arc inférieure au demi-cercle (Diam. environ 11,32 m) : la partie inférieure du mur, d’une épaisseur moyenne de 1,65 m, dont on ne voit à l’est qu’une assise (H 1,10 m) et à l’ouest quatre assises (H moyenne 0,42 m) ; la partie supérieure est constituée de deux assises (H 0,50 m et 0,44 m) et son épaisseur de 1,50 m, très régulière dans la partie centrale, se réduit à moins de 1,40 m aux extrémités. Seule la dernière assise conservée du mur de l’abside est chaînée au mur rectiligne sud-nord. Notons qu’un seuil de porte, grossièrement taillé à l’extrémité sud de cette assise, donnait accès à l’arrière de l’édifice. Trois ouvertures, hautes et étroites (H. min 0,85 m, L. 0,25 m sur le parement interne, 0,45 m sur le parement externe) ont été aménagées dans la dernière l’assise de la partie inférieure du mur (fig. 7.5). Ce niveau, les socles des piédroits ainsi que la partie supérieure du muret fermant la partie inférieure de l’abside, s’élèvent au-dessus de deux massifs de remplissage superposés entre le mur curviligne de l’abside et le muret rectiligne qui ferme cet espace à l’est. Ces remplissages sont constitués d’éléments d’architecture remployés et liés par un ciment gris cendreux. On peut en déduire, d’une part, que la construction de cet édifice n’est pas homogène et, d’autre part, que le remplissage massif qui a constitué le sol de l’abside a été préparé pour soutenir un poids important.
- 54 Mouton, Renel & Kropp 2008.
31Comme on l’a vu supra, le sondage EI, effectué dans le lit du Wadi Musa, au nord du monument à abside, a permis de retrouver l’angle nord-ouest du téménos et sa fondation. On constate à cet endroit que la fondation supportant le mur du péribole était composée de deux structures juxtaposées. Trois parements se succèdent en effet d’est en ouest : un parement à l’intérieur de l’angle nord-ouest du péribole, qui est aligné sur le nu oriental de la fondation du monument à abside, suivi 2,05 m plus à l’ouest par un parement extérieur à bossage ; ce dernier est ensuite chemisé par un second mur, portant l’épaisseur totale de la fondation à 2,70 m (fig. 2.5). Cette largeur correspond à celle de la fondation du monument à abside. D’un point de vue chronologique, la fouille a permis d’établir que la fondation de ce mur constituant la limite occidentale du téménos du Qasr a été construite dans le courant de la seconde moitié du ier s. av. J.-C. et a précédé la construction du monument à abside, qui se situe dans la seconde moitié du iie s. apr. J.-C. 54 Les sondages stratigraphiques pratiqués le long de ce mur (fig. 7.8) établissent que la fondation du premier mur d’époque nabatéenne fut, dans une seconde phase, doublé pour établir une seconde construction plus large limitant l’espace sacré. Comme on l’a mentionné plus haut, il apparaît que les structures du mur de téménos nabatéen furent arasées jusqu’au niveau de leurs fondations. L’épaisseur de la fondation fut donc augmentée contre son nu occidental par l’accolement d’un parement de blocs de 0,65 m d’épaisseur.
Figure 7.8.
Le monument impérial à abside : sondage sur les fondations au pied de la partie centrale de la face est
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- 55 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 95-96.
32Lors de la construction du bâtiment impérial, les premières assises des murs rectilignes furent d’abord érigées. On constate en effet qu’aux limites nord et sud de l’espace médian laissé libre pour l’édification de l’abside, les faces latérales internes des piédestaux filent vers l’ouest contre le mur de bouchage, accolé dans un second temps devant l’abside. Le fait que seule la dernière assise conservée de l’abside soit chaînée au grand mur sud-nord et que les piédroits qui la limitent latéralement soient posés sur le mur de bouchage montre en effet que la construction de celle-ci a succédé à la construction des premières assises du mur sud-nord. On peut reconstituer les opérations suivantes : dans l’embrasure de la baie ainsi constituée, un blocage fut construit à l’aide d’éléments d’architecture remployés. Il fut limité à l’ouest par le mur inférieur de l’abside, doté d’ouvertures verticales, et à l’est par le mur de bouchage. Sur ce massif, furent ensuite construits des socles permettant la mise en place des piédroits. La dimension de ces piédroits suggère qu’ils étaient destinés à supporter une lourde charge, probablement celle d’un arc. Dans une étape postérieure, la seconde couche du massif de remplissage de l’abside a condamné les trois ouvertures verticales. Son installation constitue donc une nouvelle phase de construction qui a peut-être constitué un changement de programme. Nous pouvons lui associer la mise en place de la dernière assise partiellement conservée au sommet du mur de bouchage, qui en constituait la limite et devait d’ailleurs supporter une assise supplémentaire. Le creusement grossier d’un seuil dans l’assise supérieure conservée de l’abside montre que son lit d’attente était au moins partiellement visible au moment de cet aménagement. Il nous faut donc considérer qu’il a été réalisé après la destruction partielle de l’édifice. En nous référant à la chronologie du Qasr, nous pouvons supposer que la ruine de cet édifice est liée soit aux événements qui ont entraîné l’incendie du temple, soit au séisme de 363 apr. J.-C. qui a également endommagé ses structures 55. Cette phase pourrait alors être contemporaine des réoccupations byzantines du site.
33Les fouilles menées à l’est du monument à abside ont livré une quantité très importante de blocs. Les niveaux en avaient malheureusement été perturbés, d’une part par l’aménagement moderne d’une rampe artificielle permettant la circulation des véhicules dans ce secteur du site et, d’autre part, par leur exploitation de ses matériaux lors de la construction des murs canalisant le Wadi Musa. En raison de la topographie du site, seuls les éléments en chute liés à la partie méridionale du bâtiment paraissent avoir conservé leur position d’origine. L’altération ancienne des données archéologiques gêne la mise en œuvre d’une réflexion globale et assurée.
34Il est établi que les piédestaux continus, situés de part et d’autre de l’abside, portaient chacun un ordre de trois colonnes. Adossées à l’élévation, ces colonnes présentaient un diamètre inférieur de 0,60 m environ et un entraxe de ca 2,20 m, des bases de profil attique et des chapiteaux ioniques à quatre faces taillés dans un grès blanc friable (fig. 7.9). Sur la base des tambours retrouvés et des rapports de proportion canoniques, on peut leur restituer une hauteur probable de ca 4,90 à 5,40 m. S’il ne relève pas des parties hautes du monument, un fragment de chapiteau de pilastre ionique très aplati, de même hauteur et de même style que les chapiteaux de colonne, appartenait peut-être à un ordre appliqué en arrière plan. Ces colonnes ioniques supportaient un entablement composé des éléments suivants :
- grandes inscriptions encadrées (fig. 7.10-7.12) d’environ 0,60 m de haut, L. 1,55 à 1,58 m ;
- reliefs figurés de divinités gréco-romaines dans des cadres carrés de 0,60 m de côté comprenant au moins un bloc d’angle (fig. 7.13-7.15) et de plusieurs fragments de figures de mêmes dimensions, taillées dans un grès blanc friable ;
- blocs et fragments de frise d’acanthe dans le même matériau (H. = 0,415 m) (fig. 7.16) ;
- nombreux blocs de corniches à denticules avec des décrochements et des blocs d’angle (H. = 0,26 m) (fig. 7.17).
Figure 7.9.
Le monument impérial à abside : chapiteau de colonne ionique des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.10.
Le monument impérial à abside : inscription encadrée des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.11.
Le monument impérial à abside : inscription encadrée des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.12.
Le monument impérial à abside : inscription encadrée des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.13.
Le monument impérial à abside : buste en relief dans un cadre de 0,60 m provenant des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.14.
Le monument impérial à abside : buste en relief dans un cadre de 0,60 m provenant des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.15.
Le monument impérial à abside : buste en relief dans un cadre de 0,60 m provenant des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.16.
Le monument impérial à abside : frise d’acanthe provenant des ordres situés de part et d’autre de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.17.
Le monument impérial à abside : bloc de corniche provenant des ordres situés de part et d’autre de l’abside
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- 56 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 62 et 174.
- 57 McKenzie 1990, p. 95.
- 58 McKenzie 1990, p. 112.
- 59 McKenzie 1990, p. 135.
- 60 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 174, pl. 40
- 61 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, pl. 5 et 7 ; p. 139, 141, fig. 68 à 78 ; p. 212-214.
35L’absence des blocs d’architrave et une réflexion approfondie sur l’emplacement d’origine des grandes inscriptions, tombées visiblement non loin de leur lieu d’origine, nous amènent à proposer la restitution suivante : l’architrave était composée des longs blocs à cadres portant une inscription dédicatoire fractionnée et de petits cadres à bustes (les angles étant ornés de deux faces figurées) ; les blocs inscrits reposaient donc sur l’extrémité des chapiteaux (les longueurs additionnées de la moitié des cadres à bustes et des cadres à inscriptions correspondant à la valeur des entraxes soit ca 2,20 m). Ce dispositif inhabituel dans l’architecture romaine est bien attesté dans l’architecture nabatéenne : on connaît divers exemples de bustes dans des cadres carrés ou rectangulaires situés sur l’entablement à l’aplomb des colonnes sur les façades rupestres de Pétra ainsi que sur la façade du temple de Dharih 56. Ce type de dispositif avec des reliefs figurés dans des cadres à l’aplomb des colonnes peut soit s’intégrer à un entablement classique de type architrave/frise/corniche, comme sur le tombeau à l’Urne de Pétra 57, la niche de la pièce 468 58, le triclinium au Lion à Pétra 59, la façade du temple de Dharih 60, soit être directement couronné par la corniche, comme on le voit sur les stucs des parois extérieures du Qasr al-Bint 61.
36La restitution en élévation de l’abside ne peut être abordée dans le détail dans le cadre de cet article. Il est probable qu’elle était couverte par une coupole en cul-de-four avec un arc en façade mais les éléments de preuve sont très peu nombreux : le plus déterminant paraît être un bloc de corniche clavé dont la hauteur et le profil sont comparables à ceux des blocs de la corniche horizontale (fig. 7.18). Même si les mesures sur un bloc unique et usé sont sujettes à caution, la courbe de l’arc restitué semble indiquer que la couverture de l’abside était un arc surbaissé, suivant un usage architectural courant dans le domaine nabatéen. Dans ce cas, la courbe de l’arc pouvait correspondre à la courbe du plan de l’abside, également inférieure au demi-cercle. Il n’est pas impossible que l’un des blocs à buste, malheureusement incomplet, soit également clavé, ce qui impliquerait la présence d’un arc clavé complet orné d’au moins un buste en position de clef au niveau de l’archivolte.
Figure 7.18.
Le monument impérial à abside : claveau provenant probablement du couvrement de l’abside
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 62 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 137, pl. 3.
- 63 McKenzie 1990, p. 112.
37Les parties latérales de l’élévation de ce monument peuvent être restituées de la façon suivante : de part et d’autre des piédestaux appliqués en façade s’ouvraient deux portes, au nord et au sud. Alors que la porte nord, plus ou moins arasée et très endommagée, était déjà dégagée, la fouille effectuée devant la porte sud a livré en chute les éléments de son élévation dont certains blocs étaient restés en place. Sur les piédroits, les pilastres du chambranle de la porte étaient ornés, comme les pilastres d’ante du Qasr al-Bint voisin, de panneaux octogonaux superposés en relief (L. restituée : 0,445 m) 62. Nous ne savons pas si ce décor prenait naissance au bas des piédroits pour se poursuivre sur toute leur hauteur, ou s’il commençait seulement au tiers environ de leur hauteur, à l’exemple du décor de la niche de la pièce 468 de Pétra 63. Les chapiteaux ou couronnements de pilastres de ces piédroits n’ont pas été retrouvés, pas plus que le linteau. Par comparaison avec le décor de niche de la pièce BD 468, il est tentant d’attribuer au couvrement de cette baie deux reliefs figurés particulièrement bien conservés : d’une part, la figure d’une Tychè avec une corne d’abondance dans un cadre de 0,445 m prolongé à droite par un parement lisse (fig. 7.19), d’autre part, une figure de dieu barbu avec une corne d’abondance, dans le même grès rose (fig. 7.20). Ces bustes encadrés peuvent avoir surmonté les pilastres des piédroits de la porte, comme sur la niche de la pièce BD 468, où l’on reconnaît un couple divin identique tenant chacun une corne d’abondance. Si cette hypothèse est correcte, une corniche horizontale devait surmonter ce linteau à bustes. Le fronton décoré d’acrotères, intégrant un grand bloc de tympan portant un buste de Dionysos flanqué de rinceaux qui couronnait cette porte sud a été mis au jour (fig. 7.21). Cette baie, comme probablement la baie symétrique au nord, était flanquée de deux niches.
Figure 7.19.
Le monument impérial à abside : bloc avec un buste féminin dans un cadre de 44,50 cm provenant peut-être de l’élévation de la porte sud
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.20.
Le monument impérial à abside : tête masculine de mêmes proportions que celles de la tête du bloc de la fig. 7.19, provenant peut-être de l’élévation de la porte sud
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.21.
Le monument impérial à abside : tympan sculpté provenant peut-être de l’élévation de la porte sud
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38Bien que l’exploration archéologique ait été limitée à proximité de la niche sud du mur de façade de l’abside, il est apparu évident, d’après les blocs en chute et les massifs encore en place, que des ordres de même type que ceux qui flanquent l’abside (piédestaux continus, colonnes et entablement) se déroulaient à nouveau symétriquement au nord et au sud des baies latérales. Leur présence nous indique qu’un tronçon important de ce mur ouest a fait l’objet d’un remaniement complet à l’époque romaine. Elle résout une énigme architecturale : nous avons de nombreux fragments de chapiteaux de colonnes corinthiens (fig. 7.22) de mêmes dimensions et de même facture que les chapiteaux de colonnes ioniques flanquant l’abside. Il est donc probable que des ordres à colonnes corinthiennes occupaient les portions de murs au sud et au nord des baies latérales, mais la forme précise et l’extension de ces ordres ne nous sont pas connues. Il est également probable que l’entablement était de même type mais nous ne pouvons pas encore identifier ses éléments. Tout au plus peut-on se demander si les blocs de frise moins nombreux avec des Amours et des guirlandes (fig. 7.23) ne proviennent pas de ces entablements latéraux. Différents groupes de blocs et de très nombreux fragments moulurés ne peuvent encore être attribués à une élévation. En effet, nous ne sommes pas en mesure de restituer sûrement les parties hautes de la façade à abside, auxquelles ils pourraient appartenir. De même, nous n’avons pas d’informations suffisantes pour restituer les structures situées au sud de la façade et dans son prolongement. Par ailleurs, il faut tenir compte des aménagements architecturaux érigés à proximité de la façade, comme les marches devant l’abside, ses murs d’échiffre et parapets divers, qui comportaient aussi des moulurations de base et de couronnement. Enfin, il faut mentionner aussi les socles de statues, également moulurés.
Figure 7.22.
Le monument impérial à abside : chapiteau corinthien provenant peut-être des ordres sur piédestaux au sud de la porte sud et au nord de la porte nord
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
Figure 7.23.
Le monument impérial à abside : frise sculptée d’Amours et de guirlandes provenant peut-être des ordres sur piédestaux au sud de la porte sud et au nord de la porte nord
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), A. Pelle
- 64 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003, p. 77.
39D’après les mesures prises sur des blocs isolés et les éléments en place de la baie sud et des niches, il semble que l’unité de mesure utilisée sur cet ensemble soit le pied romain de 0,296 m. Les mesures de 0,29/0,30 m (1 pied), 0,44/0,445 m (1 pied 1/2), 0,59/0,60 m (2 pieds), et leurs multiples s’y retrouvent de manière récurrente, mais cette hypothèse doit encore être vérifiée. Rappelons que l’unité de mesure utilisée pour la construction du Qasr al-Bint est la grande coudée égypto-palestinienne de 0,525 m 64.
- 65 Zayadine 2002, p. 209-211.
- 66 Zayadine 2002, p. 211.
40Cinq inscriptions ou fragments d’inscriptions en grec, trouvés dans l’amas de blocs provenant de l’effondrement du bâtiment à abside, livrent des renseignements précis et concordants sur la fonction honorifique et la date d’achèvement de cet édifice. Il s’agit 1) de deux blocs complets, mis au jour en 1999 et publiés par F. Zayadine 65, et d’un fragment inédit d’un troisième, découvert en 2003, qui supportent une dédicace monumentale du bâtiment à abside aux empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus, dont les titulatures datent le texte entre 165/6 et 169 apr. J.-C. (fig. 7.10-7.12) ; 2) d’une inscription gravée sur un bloc qui faisait sans doute partie du piédestal d’une statue, celle de Quintus Antistius Adventus, légat en Arabie entre 167 et 169 apr. J.-C. 66 ; 3) d’une inscription découverte en 2004, fragment de dédicace de la métropole à Publius Julius Geminius Marcianus, légat d’Arabie, honoré comme bâtisseur, entre 162 et 164 apr. J.-C., à Bostra, Gerasa et Philadelphia — voir infra Annexe 1 ; 4) de deux autres petits fragments d’inscriptions trouvées par la mission qui ne donnent, en l’état actuel des recherches, aucune indication utile sur l’histoire du sanctuaire.
41Cet ensemble épigraphique, lié au monument à abside, est cohérent : il signale deux légats, gouverneurs de la province d’Arabie, dans les années qui précèdent la date de dédicace du monument pour le premier, et dans les mêmes années pour le second. On peut donc raisonnablement supposer que c’est durant leurs mandats que le monument a été construit et achevé. Le lieu de trouvaille de ces deux blocs inscrits, près des piédestaux flanquant l’abside, permet de supposer que leurs statues se dressaient devant le monument.
- 67 Zayadine 2002, p. 207-208.
- 68 Weber & Kreikenbom 2002.
42Ces indices déjà déterminants ont été complétés de façon spectaculaire en 2003 par la découverte, à quelques mètres au sud-est de l’abside, d’une tête en marbre de plus de 0,50 m de haut, facilement identifiable comme le portrait de l’empereur Marc Aurèle (fig. 7.24-7.25). À cette tête, on doit certainement associer de nombreux fragments de marbre appartenant à une statue colossale masculine, parmi lesquels une main tenant un objet rectangulaire, un pied chaussé et plusieurs grands fragments de vêtement drapé (fig. 7.26-7.27). Par ailleurs, une autre tête impériale également en marbre, de même taille et couronnée de lauriers, mais dont la surface est très usée, avait été trouvée en 1996 lors de travaux d’assainissement du Wadi al-Siyyagh 67. À l’issue d’une étude préliminaire, T. M. Weber et D. Kreikenbom avaient proposé d’y reconnaître un portrait de Lucius Aelius Caesar 68. Comme le suggère la note ajoutée à leur publication immédiatement après la découverte de la tête de l’empereur Marc Aurèle, il convient désormais d’y reconnaître le portrait de son fils Lucius Verus, co-empereur honoré explicitement dans le même monument (fig. 7.28).
Figure 7.24.
Le monument impérial à abside : tête de Marc Aurèle en marbre sur son lieu de découverte au sud-est de l’abside
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Figure 7.25.
Le monument impérial à abside : tête de Marc Aurèle
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Figure 7.26.
Le monument impérial à abside : main en marbre
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Figure 7.27.
Le monument impérial à abside : fragment de drapé en marbre
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Figure 7.28
Le monument impérial à abside : portrait présumé de Lucius Verus
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- 69 Graf, Bedal & Schmid 2005, p. 431-432 ; Tholbecq & Delcros 2015.
43D’un point de vue stylistique, l’intérêt du monument à abside est de dater son programme décoratif et figuré des années 160 apr. J.-C., en établissant un ancrage chronologique assuré qui fait si souvent défaut à Pétra. Cependant, nous avions noté dès les premiers dégagements un certain manque d’homogénéité stylistique entre les reliefs figurés en grès blanc friable, qui appartenaient aux ordres appliqués et sans doute au tympan de la porte sud, et ceux, de tailles différentes, en grès d’un rose soutenu, et que nous attribuons actuellement aux élévations des baies latérales. Il est difficile d’établir si nous avons sous les yeux les vestiges d’états différents ou de factures différentes sur un même édifice. Les observations archéologiques nous ont en tout cas permis d’assurer que l’ensemble de l’élévation du monument à abside et de ses baies latérales est bien postérieur à 106 apr. J.-C., même s’il comporte quelques remplois antérieurs dans sa maçonnerie. Les blocs appartenant au programme sculpté ne sauraient être en remploi en raison de la fragilité de la pierre. Il reviendra à l’étude architecturale de préciser s’il y eut deux états dans le courant du iie s. apr. J.-C., qu’il s’agisse d’étapes de construction interrompues pour des raisons inconnues ou de remaniements. La compréhension de ces phases doit nous permettre de proposer avec plus de sûreté une analyse stylistique globale des vestiges. Elle nous permettra aussi d’éclairer les phases stylistiques correspondant à la construction de la porte monumentale du téménos, qui est bien d’époque provinciale 69, et de rattacher à la phase de construction de l’époque de Marc Aurèle un certain nombre de blocs errants dans le centre-ville de Pétra. Par ailleurs, et bien qu’il s’agisse de sculptures plus provinciales, les études stylistiques de la façade à abside enrichiront celles du temple de Dharih, qui date également du iie s. apr. J.-C.
- 70 Bachmann, Watzinger & Wiegand 1921, p. 34-35 ; McKenzie 1990, p. 132.
- 71 À ce stade de l’étude, rien ne permet cependant de déterminer si cette composition astucieuse a eng (...)
44L’architecture de l’édifice ressemble fort à celle d’un monument des eaux du centre-ville de Pétra couramment qualifié de « nymphée » : il présente de la même manière un mur semi-circulaire, percé de trois ouvertures verticales et il est construit dans un appareil comparable 70 (fig. 7.29-7.30). La forme en plan du bassin rectangulaire situé devant la façade de ce monument rappelle celle de l’escalier en place devant l’abside de notre édifice. On pourrait par conséquent être tenté d’en conclure que ses degrés ont été aménagés sur les vestiges arasés d’un bassin similaire. A priori, l’hypothèse paraît cependant devoir être écartée, aucun système d’adduction ou d’évacuation de l’eau en connexion directe avec le bâtiment et aucune trace d’enduit hydraulique n’ayant été découvert contre les parois des structures de l’abside. Ceci étant, ces parois ont pu être démontées ou totalement dissimulées par les aménagements postérieurs. Ainsi, au sommet du massif de remplissage du petit « nymphée » de Pétra, ce mortier recouvre, non pas la paroi interne du mur semi-circulaire de l’édifice, mais les parois internes d’une structure construite en avant de celle-ci. De plan également semi-circulaire, elle constitue sur sa face externe un canal annulaire et sur sa face interne les parois d’un bassin. Rien n’interdit donc de penser que, de la même manière, ce type de structure a pu être construit à l’intérieur de l’abside de notre monument et démonté par la suite. Ces observations permettent donc de poser l’hypothèse selon laquelle l’installation de l’abside centrale de notre monument témoignerait de la construction programmée d’un monument des eaux, mais rien ne permet de déterminer avec certitude si ce programme a jamais existé et, le cas échéant, s’il fut jamais terminé. Dans cette perspective, la construction de ce monument pourrait également avoir été abandonnée ou son programme initial modifié en cours de route. Quoi qu’il en soit, il est évident qu’un soin particulier fut apporté à la composition de sa façade pour qu’il soit bien visible depuis la porte monumentale d’accès au sanctuaire à l’est : si aucun obstacle (mur d’échiffre de l’escalier du temple, plateforme intermédiaire du grand autel) ne gêne la vision de la porte latérale sud et de la baie centrale, le podium du grand autel limite cependant celle de la porte latérale nord dans sa partie inférieure 71.
Figure 7.29.
Le nymphée de Pétra (restitution Browning 1982, fig. 81)
Figure 7.30.
Le nymphée de Pétra
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
- 72 Dentzer-Feydy sous presse.
45En tout état de cause, l’existence d’un édifice de propagande impériale est attestée par la dédicace à Marc Aurèle et Lucius Verus (gravée a posteriori sur les blocs longs d’architrave) et les fragments de la statue colossale de Marc Aurèle qui ont été trouvés parmi les blocs en chute et les éboulis. À ce stade de l’étude, nous pouvons en restituer l’architecture dans ses grandes lignes, mais nous ignorons si celle-ci résulte de l’aménagement d’un monument en place ou si sa construction se fit sur les assises d’un monument inachevé. Nous avons noté plus haut le rehaussement du massif de remplissage de l’abside. Il était sans doute destiné à constituer une plateforme pour l’installation des statues des co-empereurs au centre de l’abside (fig. 7.31). La monumentalité de l’espace, sa situation au centre de la dédicace et la solidité du massif de remplissage rendent en effet cette hypothèse vraisemblable. Ajoutons que le niveau supérieur de la seconde couche du massif de remplissage de l’abside se situe à la même hauteur que la plateforme supérieure de l’autel monumental du Qasr. Dans cette hypothèse, les statues, déjà visibles dès les propylées d’accès à la cour du téménos, l’étaient aussi en tout autre point de l’espace sacré, mises en scène par un effet de perspective au-dessus du grand autel du Qasr al-Bint. Quant aux baies ou portes latérales, nous supposons qu’elles pouvaient constituer l’ouverture de pièces destinées à la mise en scène d’éléments de statuaire en marbre. Les fouilles menées à l’arrière de la baie nord permettent d’identifier des structures qui ont pu clôturer cet espace. Ces portes permettaient-elles d’accéder à d’autres espaces, à l’ouest ou en élévation ? Il est difficile de le déterminer en l’état des vestiges. La présence sur les tableaux d’embrasure de la baie sud de mortaises carrées prouvant l’installation du dormant d’un système de fermeture pourrait le suggérer. Par ailleurs, l’existence d’un escalier sur le seuil de cette même baie permet de penser qu’un passage s’y effectuait. En revanche, la présence devant la baie nord d’un autel maçonné préexistant comme celle d’une barrière aménagée entre les piédestaux appliqués condamnent le passage vers l’ouest de ce côté de la façade. Il n’est pas impossible que la symétrie apparente des baies dans la façade soit plus décorative que fonctionnelle : la porte sud seule a pu servir de baie de circulation et pas la porte nord. En tout état de cause, si c’est le cas, la porte sud n’a pu constituer qu’un accès secondaire. Les inscriptions et la présence des statues monumentales de Marc Aurèle et de Lucius Verus indiquent que l’édifice relève de la mise en scène de l’idéologie impériale, avec une lourde insistance sur sa dimension religieuse, dans le sanctuaire sans doute le plus important de Pétra. On comprend que l’installation de cet édifice, écrasant par son étendue et sa hauteur probable, au cœur de la ville et visible de tous côtés, constitue un message double et ambigu : une reconnaissance du dieu principal de Pétra en même temps qu’une mainmise symbolique sur son espace sacré. Bien que Pétra n’ait pas été choisie comme capitale de la province d’Arabie, il est permis de supposer que cet édifice et cet espace cultuel furent transformés en lieu de culte impérial 72.
Figure 7.31.
Le monument impérial à abside : coupe axiale est-ouest des relevés assemblés (échelle : 1/150)
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP), DAO : C. March
- 73 Moretti 2009.
- 74 Richard 2012.
- 75 Cavalier, Descat & Courtils 2012.
- 76 Dentzer, Fournet & Mukdad 2005.
- 77 Amer & Gawlikowski 1985 ; Segal 2013, p. 189-190.
- 78 Waheeb & Zuʾbi 1995 ; Sartre 2001, p. 479, n. 61 ; Segal 2013, p. 265-266, fig. 320-324.
- 79 Braun 1998 ; March & Salles 2011.
46Le monument renvoie de toute évidence au modèle de la scaenae frons du théâtre romain : même axialité accentuant la partie centrale, même symétrie des massifs, même organisation en saillie et en retrait des ordres, même conception du rythme général, avec des baies latérales. Les images impériales monumentales étaient ainsi amplement mises en valeur dans une façade dont les exemples sont légion. Ces développements architecturaux, qui ouvrent sur de vastes perspectives, sont caractéristiques de l’urbanisme romain impérial, des iie s. et iiie s. apr. J.-C. en particulier ; ils sont utilisés pour des murs de scène des théâtres 73, des façades de nymphée 74, de monuments publics, marchés, agoras et forums 75 ou des édifices ostentatoires, offerts à la communauté locale (comme par exemple la bibliothèque de Celsius à Ephèse). De manière plus spécifique, la fonction principale du mur-façade à abside fouillé dans le téménos du Qasr al-Bint de Pétra semble bien relever de la mise en scène du pouvoir impérial. Typologiquement, l’édifice s’inscrit dans une série de bâtiments à abside bien attestée au Proche-Orient. Pour nous limiter à quelques exemples orientaux qui s’inscrivent dans un mouvement bien plus général, on citera un monument à exèdre monumentale qui orne, comme à Scythopolis, un carrefour majeur de Bosra, la capitale de la province d’Arabie 76. Longtemps interprété comme nymphée, il apparaît désormais constituer un monument d’époque antonine dépourvu d’installations hydrauliques, dédié à une divinité tutélaire comme la Tychè ou à la mise en scène du pouvoir impérial. De même, la pseudo-Kalybé de Philippopolis/Shahba, dont la vaste abside flanquée d’ailes s’ouvre largement sur la place principale de la ville, est désormais interprétée comme un monument du culte impérial de Philippe l’Arabe (244-249) 77. De son côté, le « nymphée » d’Amman Philadelphia/Amman, avec ses trois absides et son développement en fer à cheval à trois (ou cinq ?) pans obliques, paraît avoir présenté une double fonction. En dépit de la médiocrité des données disponibles, il semble avoir servi de fontaine monumentale mais également de bâtiment d’exaltation de l’image impériale, si l’on en juge par les nombreuses statues impériales découvertes sur le site 78. On remarquera du reste que les blocs d’entablement de ce vaste édifice sont d’une facture parfaitement identique, dans un moindre module, à ceux du temple haut de Zeus à Jerash-Gerasa, daté de 163 apr. J.-C. 79, contemporain de notre monument. Les constructions monumentales se multiplient en effet à l’époque antonine à Philadelphia/Amman, ce dont témoigne l’épigraphie de la ville qui signale en outre la (re-?)construction du théâtre et de bains sous Antonin le Pieux et la dédicace du temple poliade sous Marc Aurèle et Lucius Verus (IGLS XXI/2, 16-22).
- 80 Sartre 1982a, p. 120-122, no 9049 et 9050.
- 81 Sartre 1982a, p. 137-139, no 9064 et 9065.
- 82 Gatier 1986, p. 44-45, no 18 ; Sartre 1982b, p. 83-84.
- 83 Sartre 1982b, p. 27-29.
47Sous ces deux empereurs (161-169 apr. J.-C.), la province d’Arabie paraît effectivement marquée par une impressionnante campagne de constructions liée à la figure impériale : de Bosra, où ont été trouvées deux inscriptions en l’honneur des empereurs 80 et deux autres en l’honneur de P. Julius Geminius Marcianus et de Quintus Antistius Adventus, gouverneurs d’Arabie pendant leur règne conjoint 81, à Gerasa, marquée par la construction à cette date du temple haut du sanctuaire de Zeus, de Philadelphia/Amman, où le même Geminius Marcianus a fait construire le temple poliade 82 à Ruwwāfa, au sud-ouest de Tabūk (Hejaz), où un temple est construit à la même époque en l’honneur des empereurs 83. Le monument à absides fouillé dans le téménos du Qasr al-Bint de Pétra paraît donc s’inscrire dans un mouvement général qui voit les constructions religieuses ou à caractère idéologique se multiplier sous Marc Aurèle et Lucius Verus dans la province d’Arabie.
48Au stade actuel de nos recherches, nous pouvons proposer, pour l’ensemble de ce secteur central de Pétra, le schéma de périodisation résumé ci-dessous. La différenciation des phases et sous-phases, ainsi que leur datation, restent à affiner sur certains points.
- 84 Mouton, Renel & Kropp 2008 ; Renel, Mouton, Augé et al. 2012.
49Au pied des falaises limitant à l’ouest la cuvette de la future Pétra, le lit du Wadi Musa tourne vers le nord avant de reprendre la direction est-ouest (Wadi Siyyagh). Ce coude forme un creux profond et large vers lequel convergent plusieurs cheminements praticables. Les pentes de la colline sud, contre la falaise d’Al-Habis, offrent des emplacements abrités des vents d’ouest et protégés des crues 84. Dans ce secteur, l’épaisseur des sédiments, les remblaiements et les constructions dus à l’occupation humaine ont profondément modifié le relief. Quelques trouvailles sporadiques dans des niveaux profonds, au contact du lit ancien du wadi — silex taillés, fragments de céramique de l’âge du Fer — pourraient constituer des indices de fréquentation humaine, mais leur faible nombre ne permet pas d’en déterminer la durée ou la nature. Les premières traces avérées d’occupation dans ce secteur remontent à l’époque hellénistique.
50Des sondages profonds pratiqués à l’est et à l’ouest du monument impérial à abside (secteurs C9 et C4) ont révélé en plusieurs points, à la surface d’une couche de sable éolien rougeâtre, des vestiges d’aménagements en terrasses réalisés en blocs de pierre liés à l’argile. À cette phase appartiennent des traces de piquets de tente, un silo (FR C4250) et un foyer associés à des restes de niveaux de circulation matérialisés par de fines couches de terre damée mêlée de cendres (FR C4030). Ces aménagements, jusqu’ici reconnus isolément, ne peuvent être attribués à une occupation précise. Aucune trace de crue du wadi n’a été décelée au sein de ces niveaux, confirmant l’existence d’une moyenne terrasse à cet endroit.
- 85 Mouton, Renel & Kropp 2008.
- 86 Ce mobilier datant associé comprend des importations de vernis noirs, des monnaies ptolémaïques et (...)
- 87 Graf 2013.
51Reconnus sur plus de 30 m de long sous le téménos et à l’ouest du monument impérial, ces bâtiments se distinguent par leur orientation distincte du complexe religieux de la phase suivante. Leurs murs, arasés lors de cette phase, sont conservés sur une ou deux assises avec les sols associés. Ils reposent sur des fondations profondes, faites de blocs non taillés et de galets liés à l’argile. La faible surface des sondages ne permet pas de restituer un plan d’ensemble de ces constructions ni d’en déterminer la fonction. Une utilisation domestique paraît la plus probable, mais il est encore difficile de préciser le mode d’implantation de l’habitat : juxtaposition de petites unités séparées autour d’un espace central ou formation progressive d’une grande maison par extensions et partitions successives. Trois phases architecturales y ont été reconnues 85. Le matériel associé et les datations radiocarbone disponibles permettent d’en assurer la chronologie 86. Ces premières constructions sont à mettre en parallèle avec les découvertes faites par le « Hellenistic Petra Project » 87 et sur celles d’Al-Katuteh.
- 88 Mouton, Renel & Kropp 2008.
- 89 Parr 1968.
523a – Vestiges d’une première construction présentant un axe N/S sous l’état nabatéen classique. L’ensemble des « constructions obliques » est arasé, apparemment de manière planifiée 88. On suppose que des installations cultuelles existent déjà à l’emplacement du grand autel, du petit autel, et peut-être du Qasr al-Bint lui-même 89. Un premier état du complexe est (Bâtiment B) pourrait aussi se rapporter à cette phase (entre env. 50 av. J.-C. et env. 10 av. J.-C.).
533b – Remaniements et essor de la demeure.
- 90 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy2003.
544a – Un grand programme mis en œuvre pour la réalisation d’un sanctuaire monumental d’orientation générale nord-sud est implanté suivant une grille métrologique en grandes coudées égyptiennes de 0,525 m ; il entraîne l’arasement définitif des vestiges hellénistiques. Il comprend l’édification du temple dit « Qasr al-Bint » 90, ainsi que des remaniements de ses abords dont sa limite ouest marquée par un mur nord-sud qui tronque la façade de la demeure nabatéenne (Bâtiment C) induisant le remblaiement de ses pièces méridionales pour se connecter à un nouvel accès plus haut, au sud par le biais d’un bâtiment échelonné en terrasses. Lors de cette phase (vers 10 av. J.-C. - vers 40 apr. J.-C.), le bâtiment est (Bâtiment B) est édifié, en relation directe ou partie prenante du sanctuaire [à reformuler]. Cette organisation monumentale correspondrait au règne d’Arétas IV, auquel on attribue des aménagements majeurs dans les grands édifices du centre-ville de Pétra (phase II du pseudo-« Great Temple » et construction du « temple au Lions ailés ».
554b – Le sanctuaire et les édifices voisins sont fréquentés et utilisés. On décèle pendant cette période quelques remaniements dans les bâtiments est et ouest (vers 40 apr. J.-C. - vers 106 apr. J.-C. ou peu après).
- 91 Pour expliquer ce phénomène constaté ailleurs sur le site, S. T. Parker conclut à la concomitance p (...)
565a – Le Bâtiment C à l’ouest et le Bâtiment B à l’est sont abandonnés au début du iie s. apr. J.-C. 91
575b – Début de la construction du monument à abside. Sa fonction est peut-être modifiée en cours de réalisation : il se peut qu’il ait été prévu à l’origine comme un monument des eaux, mais il ne semble pas avoir été utilisé comme tel (première moitié du iie s. apr. J.-C. - années 165-169). La face occidentale du grand autel est probablement dotée à cette période d’un aménagement hydraulique particulier.
585c – Réoccupation, après un hiatus chronologique difficile à estimer, du Bâtiment C à l’Ouest. On peut penser qu’il s’agit d’un chantier en relation avec la mise en œuvre du monument à abside à la limite ouest de l’esplanade.
595d – Le monument à abside est inauguré à la gloire des empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus pendant leur règne commun, plus précisément entre 165 et 169 apr. J.-C. Tout le complexe cultuel, sanctuaire et constructions adjacentes, est fréquenté et utilisé jusque dans la première moitié du iiie s.
- 92 Cette phase d’incendie a été identifiée lors de sondages réalisés à l’intérieur du temple : Zayadin (...)
60On observe sur la partie occidentale du téménos une couche sableuse qui pourrait correspondre à une phase d’abandon ou de désaffection. Puis un incendie détruit la charpente du temple, provoquant l’effondrement du toit 92, le fronton et les colonnes de la façade sont sans doute tombés plus tard. Une grande partie du sanctuaire est hors d’usage. On y observe une probable phase de récupération de matériaux (débris de la statue de Marc Aurèle). Dans le même temps, l’habitat qui s’est développé au contact du monument à abside est aussi abandonné.
617a – À la suite à l’abandon du secteur un second « squat » est observé dans l’abside et les structures adjacentes, accompagné d’indices d’une réoccupation partielle du Bâtiment B.
627b – Le monument à abside s’écroule lors du séisme de 363 apr. J.-C., qui détruit vraisemblablement aussi le fronton et les colonnes du Qasr.
637c – Une réoccupation du complexe d’habitat occidental (Bâtiment C) à des fins domestiques est observée dans les secteurs C1, C2 et C4. Cette réutilisation de l’espace est aussi attestée de façon localisée dans le complexe oriental (Bâtiment B).
- 93 Russel 1980 [à développer dans la bibliographie].
- 94 Renel, Mouton & Augé 2012.
647d – Ces maisons sont abandonnées et détruites à la suite soit d’un séisme, comme celui de 419 apr. J.-C. attesté au Proche-Orient 93, soit d’un événement guerrier ou violent. On pourrait éventuellement le rapprocher de l’épisode de Barsauma et au récit de la christianisation forcée de Pétra vers 420-423 apr. J.-C. 94, pour autant que ce texte reflète une réalité historique et non, comme il est permis de le penser, un récit hagiographique.
65Des murs de terrasses agricoles sont construits dans le secteur occidental (Bâtiment C) aux ve-vie s. apr. J.-C., remployant les blocs de parement du mur nord de l’abside. De même, il est possible que des éléments provenant du sanctuaire soient réutilisés pour la construction d’églises à Pétra, par exemple dans le secteur de la « Ridge Church ».
669a – Installation d’une nécropole isolée au début de l’Islam. Deux groupes de sépultures ont été localisés, le premier dans l’effondrement de l’élévation du monument à abside, le second, au nord, au pied des murs de terrasses byzantins le long du lit du wadi. Une datation radiocarbone permet de les attribuer aux périodes omeyyade ou abbasside (viie-ixe s. apr. J.-C.).
- 95 Zayadine, Larché & Dentzer-Feydy 2003.
- 96 Voir la description reprise par Numeiri du voyage du sultan Baïbars en 1276 : Zayadine 1985.
679b – création d’un habitat ayyubide-mamluk lié à la construction de la forteresse d’Al-Habis. Les ruines et une partie de l’espace sont réutilisées à une époque mal définie, peut-être au xiie s. apr. J.-C. par les Francs pour la construction du fort d’Al-Habis vers 1115 ou par les Ayyubides qui le prennent en 1187/8. Un habitat léger de cette période associé à une rampe de carrière ont été découverts sur l’escalier du temple 95. On note au cours de cette phase la réutilisation du puits du complexe oriental (Bâtiment B). Comme en d’autres lieux de Pétra ont aussi été retrouvées quelques traces de fréquentation ou d’occupation remontant à l’époque mamelouke 96.
68C’est dans ce secteur que s’implantent les premières installations touristiques au cours du xxe s. Le voyagiste Cook y organise un campement dès 1934, le « Nazzal Camp » est construit en 1943 en nivelant et en aménageant en terrasses la zone à l’ouest du monument à abside. Le reste du versant sud du Wadi Musa reste cultivé en terrasses jusqu’aux dégagements et aux fouilles archéologiques menés dans tout le centre-ville dans les années 1960-1970. Pour favoriser le développement du tourisme, des aménagements de grande ampleur sont réalisés dans les années 1980-1990 : construction de murs pour canaliser le wadi, d’un pont et de plusieurs bâtiments.
69Cette rapide présentation des travaux réalisés dans ce secteur de la ville par la mission française de Pétra permet d’apprécier les progrès accomplis : les fouilles ont contribué à l’établissement d’une première séquence chronologique complète de l’occupation du noyau urbain de Pétra, de l’époque hellénistique à l’époque moderne, et d’en préciser certaines articulations ; parallèlement, elles permettent d’appréhender dans sa complexité l’histoire d’un des pôles religieux majeurs de la cité ; si la définition spatiale des états nabatéens du sanctuaire pose encore difficulté, la découverte et l’étude d’un monument à abside, dévoué à l’époque antonine au culte impérial, au cœur du sanctuaire le plus emblématique de la religion nabatéenne constituent des jalons marquants dans la connaissance des cultes dans la ville à l’époque romaine.
70Bloc de grès quadrangulaire, inv. C 1237, trouvé par la mission française en 2003 près du monument à abside dans l’espace sacré du Qasr al-Bint, et conservé dans les réserves du musée de Pétra. Inscription inédite. Dimensions maximales conservées du bloc : L. 55 cm (face inscrite 52 cm), H. 23,5 cm, profondeur 32 cm. H. moy. des lettres 5 cm (fig. A).
Figure A.
Bloc en grès conservant la dédicace à Geminius Marcianus
© Mission archéologique française de Pétra (MAFP)
Figure B.
« À Geminius Marcianus, légat d’Auguste (ou des Augustes ?), propréteur, la métropole. »
71Le bloc, effrité sur toutes ses faces, est incomplet dans sa partie supérieure, sur le côté gauche et à l’arrière. Le texte ne comporte que trois lignes, de longueur décroissante, qui peuvent avoir été centrées sur le milieu de la face aplanie et symétriquement disposées. Il est incomplet à gauche, le bloc étant brisé et la surface en partie érodée (l. 2 et 3). On ignore donc le nombre de lettres qui peuvent être restituées, vraisemblablement entre trois et six. La disposition du texte est du reste assez peu soignée : alignement défectueux, hauteur et largeur des lettres inégales, ainsi que les espacements entre les lignes. Les mots sont séparés par des points. Sigma et oméga cursifs.
L. 1 : le nom Geminius est aisément restitué d’après plusieurs parallèles mais on ne peut dire si l’initiale du prénom, Publius, et éventuellement celle du nom Iulius étaient inscrites. Il n’est pas rare que l’initiale du prénom manque dans les inscriptions de la seconde moitié du iie s.
L. 2 : pour l’abréviation du titre de « légat », la restitution πρεσβ est plus vraisemblable que le simple πρ, si la ligne était bien centrée. Le point de séparation qui suit est visible sur la pierre. On lit bien ensuite, non pas σεββ, mais σεβ, qui désigne normalement un seul empereur.
- 98 Gatier 1986, p. 44-45, no 18, pl. IX, b et c ; Kanellopoulos 1994, p. 48-49, fig. 81-90.
- 99 Welles 1938, p. 380, no 11 ; Gatier 1986. La date se place entre 161 et 163, peut-être en 162/3.
- 100 Sartre 1982b, chap. ii, notice no 10 ; Sartre 1982a, p. 137, no 9064.
- 101 Welles 1938no 12 (inscription datée de 162), no 64 et 65 (où il est consul désigné).
- 102 Sartre 1982a, p. 137, no 9064, d’après W. H. Waddington I, Syrie, no 1945, et CIL III, no 96 et p. (...)
- 103 CIL III, no 14 149 23, 32, 41, 14 173, 14 175, 14 177 ; J. Germer-Durand, BCTHS 1904, p. 14, no 19, (...)
- 104 Inscriptions latines d’Algérie 2, no 634 à 637.
72Cette inscription est, à notre connaissance, la première mention relevée à Pétra du légat Publius Iulius Geminius Marcianus, qui gouverna la province d’Arabie entre 161 et 166 apr. J.-C., en tous cas de 161 à 163. Geminius Marcianus est bien connu par son activité de constructeur : on lui doit notamment le grand temple de la citadelle d’Amman-Philadelphia 98 et le temple haut de Zeus à Jérash-Gerasa 99, comme en témoignent leurs deux dédicaces monumentales reconstituées. D’autres inscriptions grecques et latines le mentionnent 100, à Jérash 101, à Bosra 102, sur des milliaires d’Arabie 103, ainsi qu’à Cirta en Numidie 104. Plusieurs de ces textes le donnent comme consul désigné.
- 105 Zayadine 2002, p. 207-215.
73On ne sait ce que la « métropole », c’est-à-dire la cité de Pétra, dédie à ce personnage. À la différence de l’autre bloc inscrit en l’honneur de Quintus Antistius Adventus, découvert près du monument à abside et publié par F. Zayadine 105, il ne s’agit vraisemblablement pas d’une statue : la syntaxe du texte ne correspond pas à celle d’une base de statue (le nom est au datif et non à l’accusatif), et même si les trois lignes peuvent avoir été correctement centrées, la gravure est assez négligée, très différente de la disposition rigoureuse de l’autre inscription.
- 106 Sartre 1993, p. 56-57, no 24, pl. XVIII, et p. 76-77, no 48, pl. XXVI.
74Ces différences de graphie, de style, et le fait que l’abréviation σεβ (l. 2) s’applique normalement à un seul empereur, pourraient faire penser que le texte est tardif, daté du règne de Marc Aurèle, seul après la mort de Lucius Verus en 169 et avant l’attribution de l’augustat à Commode en 177. Mais le mandat de Geminius Marcianus ne peut avoir dépassé la date de 166, et le texte ne le mentionne pas comme « consul désigné ». Il est donc plus vraisemblable de voir dans cette abréviation σεβ une erreur du lapicide analogue à celle de l’inscription latine de Bostra (IGLS XIII, 1, no 9064), où l’on a leg(ato) Aug(usti). La dédicante est la cité de Pétra, qui porte le titre de « métropole » dès 114 et jusqu’à son élévation au rang de colonie sous Élagabal — elle le combine parfois dès lors avec celui de « métrocolonie » 106. Bien que ce titre ne soit pas nécessairement lié à l’organisation d’un « culte » impérial, cette nouvelle dédicace atteste que des honneurs civiques étaient rendus au gouverneur de la province dans le sanctuaire majeur de Pétra dès les premières années du règne commun de Marc Aurèle et Lucius Verus, peut-être avant même la construction du monument à abside qui servit à glorifier les deux co-empereurs — à moins que ces honneurs n’aient été rendus a posteriori, précisément parce que Geminius Marcianus avait joué un rôle déterminant dans l’édification du monument.