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Recensions

Jean-François Salles & Alexandre Sedov (éd.), Qāni’. Le port antique du Ḥaḍramawt entre la Méditerranée, l’Afrique et l’Inde. Fouilles russes 1972, 1985-89, 1991, 1993-94 (Indicopleustoi. Archaeologies of the Indian Ocean, 6 ; Preliminary Reports of the Russian Archaeological Mission to the Republic of Yemen, IV)

Serge A. Frantsouzoff
p. 462-464
Référence(s) :

Jean-François Salles & Alexandre Sedov (éd.), Qāni’. Le port antique du Ḥaḍramawt entre la Méditerranée, l’Afrique et l’Inde. Fouilles russes 1972, 1985-89, 1991, 1993-94 (Indicopleustoi. Archaeologies of the Indian Ocean, 6 ; Preliminary Reports of the Russian Archaeological Mission to the Republic of Yemen, IV), Brepols, Turnhout, 2010, 21 x 29,7 cm, xvi + 553 p. ISBN : 978-2-503-99105-4.

Texte intégral

1La parution de ce volume dont la préparation à la publication a été achevée il y a une dizaine d’années est un événement marquant pour les études du Yémen antique, puisqu’il met à la disposition des spécialistes de l’archéologie et l’épigraphie sudarabiques de riches matériaux recueillis par l’Expédition pluridisciplinaire soviéto-yéménite (EPSY) et la Mission archéologique russe dans la République du Yémen (MARRY) dans le site de Bi’r ‘Alī, situé sur le littoral de l’océan Indien, à la distance d’une centaine de kilomètres à l’ouest d’al-Mukalla’, centre administratif de la province moderne du Ḥaḍramawt.

2Même le titre de cet ouvrage est digne d’attention. Pourquoi Qāni’ ? La transcription généralement admise de ce nom du port antique attesté dans la documentation épigraphique sudarabique sous la forme purement consonantique Qn’ est Qana’, mais l’un des auteurs de notre recueil, Chr. J. Robin, en se fondant sur son orthographe grecque Kanè (Κανὴ), a proposé pour ce toponyme une autre vocalisation d’après le modèle du participe actif en arabe classique fā‘il (p. 403-404). Cependant, on a réussi à l’attester récemment sur une carte dans une source arabe yéménite du début du xive s. (Muhammad ‘Abd al-Rahîm Jâzim [éd.], Le Livre des Revenus du sultan rasûlide al-Malik al-Mu’ayyad Dâwûd b. Yûsuf [m. 721/1321] [La Bibliothèque yéménite – Al-Maktaba al-yamanīya – Die jemenitische Bibliothek 2], Sanaa, 2008, p. 132, 395). Bien que ses caractères soient privés de points diacritiques, ils sont facilement identifiés au qāf, au nūn et au alif maqṣūra. Donc la lecture qui s’impose est Qani’ (ou probablement Qanī’, si on admet l’omission du hamza final). En tout cas l’a long dans ce toponyme doit être remplacé par l’a court.

3Le volume s’ouvre par l’Avertissement de son co-éditeur J.-Fr. Salles (p. vii) où il informe le lecteur du projet de l’ouvrage et présente ses excuses pour un grand retard dans sa publication. L’Introduction rédigée par les deux co-éditeurs donne un aperçu général sur l’histoire du site et de son exploration (p. 1-4). Elle est suivie de la Description du site (I : p. 5-10) dans laquelle A. Sedov propose de distinguer à Bi’r ‘Alī « les secteurs suivants : la “cité basse” et les constructions isolée en dehors de celle-ci ; la “citadelle” au sommet de la colline un al-Ġurāb, citée par les inscriptions CIH 621 et CIH 728 (forteresse ‘Urr Māwiyat) ; la nécropole » (p. 5) et les caractérise dans les grandes lignes.

4Le reste du volume est divisé en deux parties inégales : « Fouilles et matériel » qui comprend 12 articles au contenu archéologique (II-XIII : p. 11-380) et « Épigraphie et histoire » dont 10 articles reposent principalement sur l’examen des sources écrites (XIV-XXIII : p. 381-466).

5Deux contributions, préparées par Yu. A. Vinogradov sont consacrées aux fouilles des secteurs 1 et 5 du site menées respectivement en 1985-1987 (II. Les fouilles dans la partie sud-ouest du site. Le secteur 1 : p. 11-64) et en 1988 (VI. Les fouilles dans la partie nord-est du site. Le secteur 5 : p. 149-182). Le trésor découvert dans le secteur 5, composé de deux colliers dont l’un est en grains d’agate, de corail et d’or, de quatre récipients et d’une cuiller en ivoire et d’autres objets, est décrit en détail par D. Pickworth (X. The hoard from the area 5 : p. 293-306). Les bilans des dégagements de deux bâtiments localisés au nord-nord-est du site (III. Les fouilles du secteur 2 : p. 65-86) et à l’ouest du pied de un al-Ġurāb (V. Les fouilles du secteur 4 : p. 123-148) sont dressés par A. M. Akopian. Le chef de la MARRY, A. Sedov, analyse d’une manière minutieuse les résultats de cinq campagnes de fouilles effectuées dans les années 1988-1989, 1991 et 1993-1994 dans les ruines des constructions situées autour de un al-Ġurāb pour protéger le chemin qui montait au sommet de cette colline (VII. Les fouilles du secteur 6 : p. 183-281). Quant à la nécropole de Qani’, dont l’existence a été établie par les archéologues russes en 1991 (p. 9), une seule tombe qui y fut dégagée aussi bien que les offrandes funéraires découvertes malgré son pillage sont examinées par A. Sedov dans son court article (VIII. Les fouilles de la nécropole : p. 283-286).

6L’un des acquis les plus considérables des fouilles russes à Bi’r ‘Alī est un dégagement d’un édifice de culte à l’extérieur de la « cité basse », à peu près à 50 m au nord-ouest, en 1986-88. A. Sedov a réussi à isoler les ruines de la « bâtisse antérieure » et celles de la « bâtisse postérieure » qui datent respectivement de la 2nde moitié du iiie-ive s. et de la fin du ive-déb. viie s. de l’è. chr. et les a interprétées comme des synagogues (IV. Les fouilles du secteur 3. La synagogue : p. 87-122). Pourtant, il n’y a aucun argument archéologique incontestable en faveur de cette identification. Par exemple, A. Sedov a reconnu que sa tentative de retrouver dans la « bâtisse antérieure » le saint des saints avait échoué. Quant au type basilical de la « bâtisse postérieure », il ne faut pas oublier que ce plan d’édifices fut emprunté aux chrétiens (p. 121). L’appartenance des plaques en bois calcinées au coffret qui renfermait les rouleaux de la Torah, ainsi que des fragments en bronze trouvés dans la pièce 3 au chandelier à sept branches, ou menorah, demeure hypothétique (p. 122). Il semble que cet édifice de culte a été identifié à la synagogue principalement grâce au commentaire que G. W. Bowersock avait donné d’une inscription fragmentaire grecque découverte dans la pièce 1a de la « bâtisse antérieure » (XVII. The new Greek inscription from South Yemen : p. 393-396). Son auteur, un certain Kosmas y mentionne « Dieu unique » ([ες] Θες) et « la place sacrée » ( γιος τόπος). D’après le chercheur américain, ces expressions étaient d’usage plus fréquent chez les juifs que chez les chrétiens et la seconde était « la désignation courante de la synagogue » (p. 394-395). D’autre part, le patronyme Kosmas est manifestement chrétien. Bien que G. W. Bowersock ait reconnu cette circonstance (p. 395), il l’a pratiquement ignorée dans son analyse. Donc la conclusion de Yu. G. Vinogradov, le premier éditeur de cette inscription (XVI. Une inscription grecque sur le site de Bir ‘Alī (Qāni’) : p. 389-392 — originellement publié en russe dans Vestnik drevnej istorii, t. 189 [1989, no 2], p. 162-167), qui l’a attribuée à un chrétien mais n’a pas complètement exclu la confession juive de son auteur paraît plus réfléchie. Dans ce cas, l’identification de l’édifice du secteur 3 avec une église ou plutôt avec un oratoire deviendrait préférable.

7Il faut signaler une faute bizarre et déplorable, commise lors de la reproduction de l’article de G. W. Bowersock (publié pour la première fois dans J. S. Langdon et al. (éd.), To Hellēnikon. Studies in Honor of Speros Vryonis Jr. I: Hellenic Antiquity and Byzantium, New Rochelle (N.Y.), 1993, p. 3-8) : dans le nom du roi imyarite Abkarib As‘ad, sa deuxième partie (la soi-disant « épithète ») s’est transformée en « Asfiad » (p. 395, 396) !

8L’article de S. Chirinsky, sur la reconnaissance archéologique qu’il a effectuée au sommet de la colline en 1972 (IX. Les fouilles du Ḥuṣn al-Ġurāb : p. 287-292) a plutôt une importance historiographique. Dans son court supplément (p. 290), A. Sedov rejette l’identification du bâtiment situé sur le point le plus élevé avec un temple, que S. Chirinsky avait proposée, et suppose qu’il s’agissait plutôt d’un phare.

9A. von den Driesch et K. Vagedes présentent une analyse détaillée des restes d’animaux domestiques et sauvages, y compris une douzaine d’espèces de mollusques, trouvés sur le site (XI. Archaeozoological investigations at Qāni’ : p. 307-325).

10Le catalogue complet des monnaies du aramawt, de Saba’, de imyar et d’Aksum découvertes à Bi’r ‘Alī ainsi que leur étude scrupuleuse ont été rédigés par A. Sedov grâce à une riche expérience qu’il a acquise dans la numismatique sudarabique (XII. Coins from Bir ‘Alī settlement (ancient Qāni’) : p. 327-369). Le chef de la Mission russe conclut la partie archéologique du volume par une sorte de synthèse sur la stratigraphie du site attachée à la chronologie absolue (XIII. Stratigraphy and development of the site. Preliminary remarks : p. 371-380) où il a divisé son histoire en trois périodes : « antérieure » (2nde moitié du ier s. av. è. chr. - fin du ier s. de l’è. chr.), « moyenne » (iie-ve s.) et « postérieure » (vie-déb. du viie s.).

11L’ancienne Qani’ s’est avérée très pauvre en matériaux épigraphiques. Néanmoins, leur diversité est considérable. Hormis l’inscription fragmentaire grecque examinée ci-dessus, il s’agit d’un dipinto sur lequel un nom grec inconnu jusqu’ici, Néaprothos, est écrit (XVIII. F. Chelov-Kovedjaev, Un document de “petite” épigraphie des fouilles du site de Bir ‘Alī (Qāni’) : p. 397-398), de treize graffites sudarabiques (Qāni’ 6-18) qui comprennent un à dix caractères et ne donnent aucune lecture assurée de nom propre ou commun (XIV. A. G. Lundin, Les inscriptions et les graffiti sud-arabiques des fouilles du site de Bir ‘Alī (Qāni’) : p. 381-385), de deux tessons céramiques qui portent respectivement un mot en caractères palmyréniens et un autre en caractères syriaques (XV. F. Briquel-Chatonnet, Les graffiti en langues nord-sémitiques de Bir ‘Alī (Qāni’) : p. 387) et encore un tesson avec des traces de quatre symboles d’une écriture indienne (XIX. M. Bukharin, First Indian inscription from South Arabia : p. 399-401).

12Les occurrences de Qani’ dans les sources épigraphiques de l’Arabie méridionale pré-islamique sont recueillies et soigneusement examinées par Chr. Robin (XX. Qāni’ et le Ḥaḍramawt à la lumière des inscriptions sud-arabiques : p. 403-418) qui inclut dans son essai la réédition des cinq textes rupestres de un al-Ġurāb (p. 408-411) et reconstruit finalement les étapes principales de l’histoire de ce port antique. L’ensemble des données sur Qani’ dans le Périple de la mer Érythrée, l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien et la Géographie de Ptolémée est analysé par H. Cuvigny (XXI. Qāni’ chez les auteurs grecs et latins : p. 419-436). Les références des ouvrages dans lesquels ce toponyme est attesté sont données en appendice (p. 430-435).

13Parmi les marchandises qui passaient par Qani’ le vin occupait une place importante, surtout le vin d’Arabie qu’on exportait en Inde. Ainsi, le chercheur palestinien M. Maraqten consacre son article à la viticulture du Yémen antique d’après la documenation épigraphique (XXII. Wine and vineyards in ancient Yemen : p. 436-451). Bien que ce sujet soit élucidé dans une monographie fondamentale sur la faune, la flore et les ressources minérales attestées dans les inscriptions sudarabiques (A. Sima, Tiere, Pflanzen, Steine und Metalle in den altsüdarabischen Inschriften. Eine lexicalische und realienkundliche Untersuchung (Veröffentlichungen der Orientalischen Kommission der Akademie der Wissenschaften und der Literatur in Mainz, 46), Wiesbaden, 2000, p. 188-196, 210-211, 250-262), plusieurs remarques faites par M. Maraqten avant sa parution n’ont pas perdu de leur portée.

14Le rôle que Qani’ jouait dans le commerce à longues distances dans le bassin de l’océan Indien est démontré et solidement argumenté par les co-éditeurs du volume sur la base des sources archéologiques, épigraphiques et narratives (XXIII. Place of Qāni’ in the Rome-Indian sea-trade of the 1st-6th centuries A.D. : p. 453-466).

15L’Appendice comprend un essai de H. A. Amirkhanov sur la préhistoire du site (Appendix. Sounding at the Area 2. Prehistoric Qāni’ : p. 467-474). Le volume offre en outre un grand nombre de photographies et dessins, mais l’absence d’index des toponymes et des noms de personne est déplorable et peut compliquer son usage.

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Pour citer cet article

Référence papier

Serge A. Frantsouzoff, « Jean-François Salles & Alexandre Sedov (éd.), Qāni’. Le port antique du Ḥaḍramawt entre la Méditerranée, l’Afrique et l’Inde. Fouilles russes 1972, 1985-89, 1991, 1993-94 (Indicopleustoi. Archaeologies of the Indian Ocean, 6 ; Preliminary Reports of the Russian Archaeological Mission to the Republic of Yemen, IV) »Syria, 89 | 2012, 462-464.

Référence électronique

Serge A. Frantsouzoff, « Jean-François Salles & Alexandre Sedov (éd.), Qāni’. Le port antique du Ḥaḍramawt entre la Méditerranée, l’Afrique et l’Inde. Fouilles russes 1972, 1985-89, 1991, 1993-94 (Indicopleustoi. Archaeologies of the Indian Ocean, 6 ; Preliminary Reports of the Russian Archaeological Mission to the Republic of Yemen, IV) »Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/2905 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.2905

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