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Recensions

Greg Fisher, Between Empires: Arabes, Romans, and Sasanians in Late Antiquity (Oxford Classical Monographs)

Maurice Sartre
p. 457-459
Référence(s) :

Greg Fisher, Between Empires : Arabes, Romans, and Sasanians in Late Antiquity (Oxford Classical Monographs), Oxford University Press, Oxford, 2011, 320 p., ISBN : 978-0-1995-9927-1.

Texte intégral

1Depuis longtemps les appellations classiques « Arabes perses » et « Arabes romains » ont laissé place à des concepts moins sommaires, mais pas nécessairement plus exacts. La référence aux Ghassanides, Lakhmides et autres Kindites a certes permis un net progrès dans les études des groupes arabes situés aux confins des deux grands Empires, mais elle a fait place depuis une vingtaine d’années à des appellations plus précises : les historiens ont pris clairement conscience qu’ils ne disposaient de quelques informations que sur les dynasties qui dirigent ces regroupements de tribus auxquels on se garde désormais de donner un nom d’ensemble. C’est donc autour des Jafnides et des Nasrides, auxquels il faut adjoindre les Hujrides d’Arabie centrale, que se situe le débat sur le rôle des Arabes à la jonction des Empires. Avec ce livre, G. Fisher réussit une belle synthèse des études conduites depuis trois décennies et pose quelques questions nouvelles qui peuvent conduire à un renouvellement des problématiques, déjà fortement engagé par des travaux récents (Robin, Genequand). Les difficultés restent immenses, mais, disons-le d’emblée, l’essai de Greg Fisher paraît parfaitement réussi, sinon convaincant en tout point.

2La principale difficulté tient aux sources, peu abondantes, et qui se renouvellent peu. Quelques rares inscriptions nouvelles (celle d’Abou Karib, par exemple, qui ne vient pas de Samma’ à l’ouest de Bostra, mais de Samm‘a au nord-est de cette ville, près de Suweida) peuvent apporter des éléments importants (celle de Ma‘sal al-Jumḥ près de Riyadh), mais il faut bien reconnaître que l’on n’a guère d’autre choix que de porter un regard nouveau sur des textes connus pour la plupart depuis longtemps, comme l’inscription de Némara, les listes de Hamza al-Isfahani ou les récits de Nonnosos et de Jean d’Éphèse. Il n’empêche que G. Fisher les discute au mieux et parvient à renouveler l’approche de points essentiels.

3Par exemple, il nous semble faire preuve d’une saine méthode lorsqu’il remet en cause les analyses trop rapides de ses prédécesseurs sur la christianisation des dynasties alliées. Il a sans doute raison de tenir que le soutien des Jafnides aux monophysites ne s’accompagne pas nécessairement d’une activité édilitaire ou d’une aide financière aux monastères et aux églises, mais il montre bien que le choix de soutenir cette conception christologique plutôt que la doctrine chalcédonienne avait au moins deux avantages pour les Jafnides : d’une part cette conception était largement partagée par une partie des communautés chrétiennes de l’aire où s’exerçait leur autorité, de la Damascène au Hauran, et, d’autre part, cela leur permettait de paraître à la fois proches de Rome, puisque chrétiens, mais non complètement inféodés au pouvoir impérial, puisque hérétiques. L’éloignement géographique de la capitale facilitait cette indépendance. Il n’en allait pas de même des Nasrides, qui tardèrent aussi longtemps que possible à se convertir pour ne pas mécontenter leurs tuteurs Sassanides, mais montrèrent leur tolérance (en dépit de quelques anecdotes cruelles) envers tous les chrétiens (notamment nestoriens) par esprit d’indépendance.

4Il est plus difficile encore d’acquérir une vision claire des structures politiques et de la nature des liens qui unissent ces dynasties aux grands Empires. G. Fisher a raison de souligner qu’opposer État/Empire à tribus, ou confédération de tribus, revient à minorer la capacité des secondes à gérer de vastes espaces. Certes, il existe de profondes différences entre les Nasrides, dotés d’une capitale bien identifiée où se développe ce qu’on peut nommer une « vie de cour », et les Jafnides, sans point d’attache bien déterminé même si on leur prête quelques lieux privilégiés comme Gabitha (Jabiya). On aimerait surtout savoir comment s’est forgée la puissance des uns et des autres : G. Fisher fait l’hypothèse, réaliste, que l’existence d’un État fort à proximité oblige la nuée de groupes tribaux à se structurer, facilite leur hiérarchisation et donc l’émergence d’un groupe dirigeant qui bénéficie naturellement du soutien de l’État. En tout cas, il montre de façon claire comment, au vie s., l’espace du désert entre les Empires est dominé de façon efficace par les Jafnides et les Nasrides au nord, et comment Rome et Ctésiphon s’efforcent de gagner l’alliance des Hujrides qui dominent la péninsule arabique. Rétrospectivement, la difficile inscription de Némara paraît moins improbable dans les prétentions affichées d’Imrul-Qays qu’on ne l’a parfois cru.

5On sera beaucoup plus réservé sur le développement consacré à l’éventuelle sédentarisation des Jafnides au vie s., considéré comme un fait acquis par Shahid, mais sans preuve. Fisher semble convaincu de cette sédentarisation, mais a le mérite d’en chercher des preuves. Certes, les lieux attachés à la dynastie par les auteurs anciens (que Fisher écarte à la suite de Genequand) ou par les inscriptions (Hayat, Al-Burj, Anasartha) sont clairement situés en pays de sédentaires (mais ce n’est le cas ni de Résafa, ni du Jebel Seis), mais il paraît bien imprudent de rattacher les belles maisons de Hayat, Nawa ou Kafr Shams aux Jafnides sous prétexte qu’elles semblent différer des maisons hauranaises habituelles : elles ne possèdent pas d’étables, sont richement ornées et présentent de larges fenêtres en façade. Elles témoignent certes d’une exceptionnelle richesse des propriétaires, mais pourquoi ceux-ci seraient-ils Jafnides ? Flavius Seos, à Hayat, invoque le nom de Mundhir dans la dédicace de sa maison, mais rien n’en fait un Jafnide. Le risque de raisonnement circulaire est flagrant.

6Dans un long chapitre, Fisher examine la question difficile de l’ethnicité et de la formation de la culture arabe avant l’Islam. On sait combien il est difficile de définir ce qu’est un Arabe, mais il est encore plus ardu de saisir comment s’est créée la prise de conscience d’une culture commune, autour d’une langue commune. La question reste largement insoluble, mais Fisher rassemble un certain nombre d’observations qui conduisent toutes vers les groupes arabes dirigés par les Jafnides, les Nasrides ou les Hujrides. Qu’il s’agisse des plus anciennes inscriptions arabes (Zebed, Harran, Jebel Seis), de la poésie pré-islamique ou des récits de bataille entrés dans la mémoire collective à une date ultérieure, à chaque fois on retrouve soit l’action directe, soit un contexte culturel et politique directement lié à l’une des trois grandes dynasties qui entretiennent des rapports avec les deux Empires dominants du moment, Byzance et les Perses. À défaut de certitudes, on n’échappera pas à la conclusion que s’est élaborée dans cet espace et dans ces milieux, au cours du vie s. si ce n’est plus tôt, la matrice de la culture portée par l’Islam. Fisher avance avec prudence sur ce terrain, mais il montre avec finesse comment s’est opéré, par exemple, un renversement de l’image négative du désert et de ses habitants, ou comment la légende abrahamique s’est propagée en milieu arabe, établissant ainsi une parenté entre la descendance d’Ismaël et celle des autres fils.

7Fisher manie une documentation éparse, difficile d’analyse car soumise, pour les sources littéraires arabes, à une réécriture postérieure, à un moment où les enjeux sont autres. Il le fait avec une bonne connaissance de l’abondante littérature sur le sujet et donne au total une vue synthétique très équilibrée, qui rend néanmoins pleinement justice au rôle majeur des trois grandes dynasties arabes. Les Jafnides se taillent la part du lion, mais ce n’est que le reflet des sources, et leurs démêlés avec Byzance ont au moins l’avantage de laisser des traces dans la documentation gréco-syriaque. Mais Nasrides et Hujrides ne sont pas négligés, et Fisher sait bien établir les différences entre des groupes dont le rôle et la fonction ne sont certes pas équivalents, mais toujours essentiels dans la prise de conscience d’une identité commune. Ce n’est pas une mince conclusion que de montrer que cette prise de conscience, renforcée et sans doute accélérée après 632, plonge ses racines dans l’histoire des groupes arabes du désert syro-mésopotamien et de la péninsule bien avant la naissance du prophète.

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Pour citer cet article

Référence papier

Maurice Sartre, « Greg Fisher, Between Empires: Arabes, Romans, and Sasanians in Late Antiquity (Oxford Classical Monographs) »Syria, 89 | 2012, 457-459.

Référence électronique

Maurice Sartre, « Greg Fisher, Between Empires: Arabes, Romans, and Sasanians in Late Antiquity (Oxford Classical Monographs) »Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/2858 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.2858

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