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Notes d’archéologie et d’architecture orientales 16

De la strate à la « couche architecturale » : réexamen de la stratigraphie de Tuttub/Khafajé
I - L’architecture civile
Jean-Claude Margueron
p. 59-84

Résumés

Le principal objectif de cette NAAO est de mettre en évidence que l’application stricte des règles de la stratigraphie archéologique — règles qu’il ne s’agit en aucun cas de récuser, mais seulement de compléter —, sans induire d’erreurs évidentes au premier degré, peut modifier la réalité ancienne au point de donner naissance à une situation qui n’a jamais existé. L’analyse s’appuie sur un réexamen de la stratigraphie de Khafajé.

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Notes de l’auteur

Ce sujet et l’étude de Khafajé ont fait l’objet à plusieurs reprises de cours développés à l’EPHE IVe Section depuis 1992.

Texte intégral

  • 1 Valeurs mutualistes : le magazine des adhérents de la MGEN no 138, août-sept. 1991, p. 22-23.

«Nous apprenons à séparer et non pas à voir ce qui relie. Pour résoudre un problème selon Descartes, il faut séparer en autant de petites parties qu’on le peut et les résoudre les unes après les autres. Mais ce n’est valable que quand il y a addition de problèmes. Dès qu’il y a un tout, on ne peut le comprendre en additionnant ce qu’on sait des parties séparées. De par son organisation et son fonctionnement, un tout est plus que la somme de ses parties. Ainsi, notre mode de pensée formé dès le primaire, consolidé dans le secondaire et aggravé irrémédiablement à l’Université, nous amène à être lucides pour séparer, mais myopes pour relier » 1 Edgar Morin

  • 2 Mission de l’Institut Oriental de Chicago dans la vallée de la Diyala.
  • 3 Un seul exemple : Ehrich 1992, qui reprend deux versions antérieures, la plus ancienne de 1954 tout (...)
  • 4 En particulier Pollock 1999.

1Pour montrer l’importance de la démarche qui doit conduire à une nouvelle compréhension des dépôts archéologiques sur les tells orientaux et en architecture de terre, je me propose ici de l’appliquer à un cas bien connu, celui de Khafajé (fig. 1), dont la séquence stratigraphique, établie avec la plus grande minutie peu avant la Seconde Guerre mondiale 2, sert de base depuis un demi-siècle pour l’établissement de la chronologie de la Mésopotamie centrale au cours des deux premiers tiers du IIIe millénaire 3 et de modèle référent de la civilisation de cette époque 4.

Figure 1.

Figure 1.

Tuttub : secteur concerné par la présente étude et tracé schématique du passage de la coupe

D’apr. Delougaz 1940, pl. 1

2Mais j’aurais aussi bien pu l’appliquer à un autre site, Mari ou Nippur par exemple.

Notions liminaires et nécessaires

3Avant d’engager l’étude sur la stratigraphie de Tuttub, il faut préciser quelques questions qui conditionnent la suite du développement, en particulier deux questions qui sont tellement du ressort de « l’évidence première » (apparente !) dans la pratique quotidienne de l’archéologue que, à ce jour, on ne s’est guère attaché à cerner certains aspects, peut-être moins évidents que ce que l’on croyait.

  • 5 Margueron s.p., Cités invisibles.

4Mais avant d’aborder ces deux questions, il faut que j’évoque l’emploi de deux expressions qui vont revenir plusieurs fois. L’une — « la couche architecturale » — est l’objet même de cet article et je ne veux pas m’y attarder maintenant, invitant le lecteur à me suivre dans ma démonstration. L’autre — « l’infrastructure compartimentée » — est une composante de l’urbanisme que j’ai observée dans les fouilles que j’ai dirigées à Ugarit, Emar, Faq’ous, Larsa et Mari. Je l’explique en détail dans un ouvrage sous presse 5. Ici, je me contente d’indiquer qu’il s’agit de l’aménagement, sur la totalité de la ville, d’une couche haute de 1 à 2 m, dans lequel est construit le réseau des fondations de tout le futur habitat.

La stratigraphie

5On sait que la stratigraphie qui sert de base à l’archéologie scientifique trouve ses justificatifs dans la géologie et que les premières observations préhistoriques, puis historiques, ont conduit M. Wheeler à élaborer à la fois une doctrine et une méthode de fouille, laquelle s’est plus ou moins rapidement imposée comme la pratique de terrain la plus rationnelle. Depuis, d’autres approches méthodologiques ont été proposées — la fouille en aire ouverte par exemple — mais le principe stratigraphique n’est en aucun cas récusé, tant il est évident que l’évolution introduit un processus de superposition : fondamentalement, l’idée qui prévaut à partir des leçons de la géologie, c’est que les dépôts se font par strate dans un empilement vertical progressif qui, dans une certaine mesure, traduit le temps et que ces dépôts se font naturellement ; l’hypothèse d’une intervention extérieure n’est simplement pas prise en considération.

6L’opération de fouille se faisant le plus souvent dans des carrés de 4 x 4 m, 5 x 5 m, 10 x 10 m, au fur et à mesure de la descente, le fouilleur va à la rencontre de surfaces horizontales qui vont généralement être définies comme des sols ; ceux-ci sont parfois, mais pas toujours, mis en relation avec des murs.

7La date des sols est donnée à partir des artefacts qui gisent dessus ou à proximité : tessons, vases, et autres.

Les fondations

8Que l’architecture soit naturellement édifiée sur des fondations est un fait bien admis. On parle cependant encore, lorsque celles-ci paraissent absentes et que le mur semble reposer directement sur une masse de terre, de « murs à cru ». Le fait est rarement observé et, en réalité, peu mentionné dans les rapports.

  • 6 Un seul ex. (mais on pourrait les multiplier) : Harris 1979, fig. 9.

9Dans la pratique archéologique, le terme « fondation » est associé à l’idée de tranchée, un quasi-dogme étant qu’un mur de fondation est élevé dans une tranchée qu’il a fallu creuser. Dans les manuels de fouille, quand on explique les effets des fondations sur la stratigraphie, c’est toujours en partant d’un exemple de tranchée 6. Je n’ai, à ce jour, rencontré dans aucun manuel consulté un quelconque exemple de mur de fondation qui ait explicitement été donné comme élevé hors d’une tranchée.

  • 7 Capet & Farah-Fougères 2007 ; étude réalisée à ma demande par des membres de la Mission Archéologiq (...)

10De même, je ne connais qu’une seule étude consacrée à un examen de fondations 7, encore n’est-elle appliquée qu’à un exemple précis et non à une problématique générale .

11Il faut maintenant établir un rapide inventaire des principaux types de fondations. Mes expériences archéologiques me conduisent à les regrouper en trois catégories dont il faut définir certaines caractéristiques (fig. 2).

Figure 2.

Figure 2.

Les principaux types de fondation, schémas simplifiés. a. Tranchée ; élévation de la fondation à égale distance des parois ; semelle à la base. b. Tranchée ; élévation de la paroi contre l’une des parois ; semelle. c. Tranchée ; remplissage de la tranchée avec des brique ou avec de l’argile. d. construction des fondations dans une fosse artificielle, puis remplissage

J.-Cl. M.

Fondations dans une tranchée préalablement creusée à l’emplacement où s’élèvera le mur qui y prendra appui

12C’est le cas le plus simple, parfaitement compris par tous de façon théorique et parfois reconnu sur le terrain par les fouilleurs quand ils s’intéressent à cette question, ce qui n’est pas si fréquent. Dans ce mode, la tranchée de fondation est généralement très visible dans une paroi comme Emar en fournit un exemple (fig. 3).

Figure 3.

Figure 3.

Tranchée de fondation à Emar (chantier A)

J.-Cl. M.

Fondations élevées au fond d’une vaste fouille — d’une superficie supérieure à celle du futur bâtiment — volontairement creusée pour dresser l’ensemble du réseau

  • 8 Mais, dans ces deux exemples, il n’a pas été élevé de fondations : la fosse a été remplie d’un maté (...)

13Remarquons que c’est la technique actuellement utilisée pour la construction de grands immeubles. La fouille, réalisée préalablement à la constructions des fondations, élimine les couches et dépôts antérieurs ; c’est le cas du temple ovale de Khafajé (fig. 4) ou du Petit Palais oriental de Mari 8.

Figure 4.

Figure 4.

Exemple de fosse : temple ovale de Khafajé

D’apr. Delougaz 1940, pl. VI-A et -B

Fondations élevées sur un niveau urbain préalablement nivelé

  • 9 V. Margueron s.p., Cités invisibles.
  • 10 On pourrait prendre aussi comme référence le chantier D d’Emar du fait de la superficie dégagée, Be (...)

14Il n’y a plus de fosse, donc plus de délimitation, le réseau des fondations se développe îlot par îlot sur toute la superficie de la ville. Cette pratique n’a pas été reconnue à ce jour, semble-t-il, hors des fouilles que j’ai conduites à Larsa, Mari, Emar, Tell Faq’ous et Ugarit. Je l’ai observée sur ces terrains et en ai retrouvé de nombreuses attestations sur d’autres sites 9. Mais aucun n’a été assez fouillé pour donner un exemple à grande échelle. Ugarit peut fournir ici un exemple ponctuel (fig. 510.

Figure 5.

Figure 5.

Exemples schématiques d’infrastructures compartimentées : un petit quartier d’Ugarit (volume restitué) et le chantier D d’Emar

D’apr. Callot 1994, fig. 255 ; d’apr. Beyer 1982, fig. 11

Les modalités de construction dans les trois catégories

15Dans les tranchées :

  • la tranchée peut être parfaitement creusée selon une largeur et une profondeur uniformes, avec des parois bien verticales ou au contraire plus ou moins évasées ;

  • le mur de fondation peut être réalisé comme un mur normal avec des assises de briques régulièrement posées et des parois correctement dressées ;

  • l’une des parois du mur peut avoir été appliquée contre l’une des faces de la tranchée, l’autre servant d’espace de travail et de déplacement pour le maçon ;

  • on peut aussi empiler les briques en remplissant la cavité creusée jusqu’au niveau où le mur commencera ;

  • une terre homogène, généralement argileuse, bien tassée, peut former la fondation dans une tranchée qui a été parfaitement calibrée, ce qui rend parfois la fondation très difficile à définir ; Mari en a donné plusieurs exemples.

16Malgré ces variantes, le principe reste le même.

17Dans les fouilles ou à la surface d’un site :

  • la pose du mur n’étant pas guidée par les rebords de la tranchée, les constructeurs doivent placer des repères et suivre des lignes directrices et doivent avoir aussi des repères altimétriques ;

  • l’ampleur de la tâche implique des contraintes d’organisation du travail ;

  • il faut prévoir des phases d’arrêt dans l’élévation des murs, puisque ces fondations peuvent atteindre à l’occasion 2 m de hauteur (voire plus) et qu’aucun maçon ne peut lever les bras aussi haut ; donc, à un certain moment, variable selon les endroits et selon les sites, l’élévation du mur était arrêtée et l’on remplissait l’espace entre les murs (inachevés) ; sur cette base, les ouvriers continuaient ensuite à élever le mur, créant une surface qu’ils tassaient tout au long de leur travail, sorte de sol provisoire ; une nouvelle phase pouvait suivre jusqu’à ce que le niveau d’usage ait été atteint ;

  • dans ces conditions, on ne peut s’attendre à avoir dans tous les cas des murs de fondations très bien dressés. Même si l’on observe parfois un réel soin dans la pose des assises et dans la verticalité des parois, en particulier pour de beaux monuments, il arrive souvent que la hâte et les multiples interruptions donne naissance à un mur très mal monté, avec des manques, des ruptures horizontales et verticales, des surplombs, de briques d’origines diverses, voire des briques cassées.

Apparence des fondations (fig. 6)

Figure 6a.

Figure 6a.

Exemples de fondations où la qualité de la mise en œuvre ne conduit pas à imaginer des phases et des reprises : Palais de Larsa

J.-Cl. M.

Figure 6b.

Figure 6b.

J.-Cl. M.

18Exemple de fondations où la qualité de la mise en œuvre ne conduit pas à imaginer des phases et des reprises : Emar

Figure 6c.

Figure 6c.

Exemple de fondations où la qualité de la mise en œuvre ne conduit pas à imaginer des phases et des reprises : Ugarit

J.-Cl. M.

Figure 6d.

Figure 6d.

Exemple de fondations où la qualité de la mise en œuvre ne conduit pas à imaginer des phases et des reprises : Palais de mari

J.-Cl. M.

19Ainsi, toutes les fondations n’ont pas une apparence identique :

  • certes il n’y a jamais d’enduit en fondation et ce simple constat est un critère d’identification et donc de reconnaissance tout à fait essentiel pour savoir à quel niveau on se trouve par rapport au système construit ;

  • parfois une seule paroi extérieure est bien dressée ;

  • parfois une seule paroi extérieure est mal dressée : des briques saillantes, des trous, des surplomb ;

  • parfois les deux parois du mur de fondation peuvent avoir la même apparence, parfois elles sont tellement différentes que l’on hésite à y reconnaître un seul mur ;

  • différences d’épaisseur des fondations, normalement plus large que celle de leurs superstructure, d’où des séquences d’alternance de murs plus larges et de murs moins larges.

20La question de l’apparence de ces murs est très importante, car les modalités de construction des murs de fondation, qui introduisent des irrégularités dans la masse, avec des décrochement et des quasi-reprises, donnent une image de la maçonnerie qui n’est plus conforme à la qualité — celle d’un parallélépipède parfait — que l’on en attend. Dès lors, les nombreuses irrégularités de constructions paraissent répondre à de multiples reprises et l’on ne perçoit plus l’organisation fonctionnelle de l’ensemble.

21Lorsque l’on retrouve en fouille un (ou des) mur(s) mal ordonné(s), il n’est pas toujours facile de définir la situation. Il ne faut pas s’étonner, dans ces conditions, si de nombreuses interprétations ne sont pas toujours conformes avec la réalité archéologique.

Les confusions possibles (fig. 7)

Figure 7a.

Figure 7a.

Exemple de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Maison Rouge

J.-Cl. M.

Figure 7b

Figure 7b

Exemples de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Chantier F

J.-Cl. M.

Figure 7c

Figure 7c

Exemples de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Chantier F

J.-Cl. M.

Figure 7d

Figure 7d

Exemple de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Chantier N

J.-Cl. M.

  • 11 C’est un processus d’identification que j’ai souvent entendu proposer à tort par certains archéolog (...)

22Elles trouvent leurs sources dans deux des caractéristiques signalées ci-dessus. D’une part on confond des surface de terre, un peu tassée par les passages répétés des maçons et manœuvres et par le dépôt provisoire de matériaux de construction entassés, alors qu’il faudrait apprendre à bien distinguer les véritables sols des surfaces provisoires. Dautre part, toutes les irrégularités et les décrochements signalés dans nombre des murs de fondations, construits parfois trop rapidement et sans grand soin, deviennent généralement, comme nous venons de le voir, l’indice de reprises architecturales 11 ; il suffit dès lors de mettre ces pseudo-reprises en relation avec les pseudo-sols (surface de travail) pour déterminer des niveaux d’habitation (fig. 7). Et l’on a créé un niveau qui n’a jamais existé.

Questions à se poser pour définir des sols et des reprises

23Ces remarques conduisent à porter l’attention sur l’approche critique qui doit être celle de l’archéologue lorsqu’il est en présence de surfaces ou de murs. en présence d’une surface horizontale, on ne devrait y voir un sol d’usage ayant servi pour une activité régulière et d’une durée certaine que si on y trouve :

  • un rapport précis et matérialisé entre le sol et la maçonnerie, impliquant un état différent du mur « au-dessus » du sol (présence d’enduit) et « en dessous » (absence d’enduit) ;

  • des installations permanentes ;

  • un revêtement matérialisé net : carrelage, plâtre, terre réellement durcie ;

  • du matériel différencié de la vie courante.

  • 12 Bien entendu, mélangés à de la terre déplacée, les tessons ne prennent pas nécessairement une posit (...)

24Contrairement à ce qui apparaît comme un dogme de la pratique archéologique, des « tessons à plat » ne sont nullement la preuve d’un sol, car les tessons ne restent jamais sur la tranche quant ils ont été déplacés pour une raison ou pour une autre et qu’ils reprennent place sur une surface horizontale, quelle que soit la nature ou la fonction de celle-ci. Des tessons « à plat » indiquent tout au plus la présence d’une surface horizontale quand ils se sont déposés 12.

25en présence d’un mur il faut définir tout d’abord la présence ou l’absence d’enduit, c’est-à-dire l’indice d’un mur de superstructure ou d’infrastructure. Ensuite la qualité de la construction : nature des lits de pose, des parois, des anomalies. Enfin, il faut déterminer la nature des imperfections et, pour chacune d’elle, s’interroger sur la possibilité qu’il s’agisse d’un signe de reprise, en sachant qu’il ne peut y en avoir partout, et que, si reprise il y a eu, il faut retrouver les schémas constructifs cohérents qui y répondent.

26Toute utilisation d’une stratigraphie tirée d’une fouille (ancienne) doit faire l’objet d’une analyse tenant compte de ces critères, sinon on risque, puisque ces données n’ont généralement pas été reconnues, d’induire des résultats sans base réelle. L’exemple retenu, Khafajé/Tuttub, est significatif des dérives que peut entraîner la non-observation de ces principes.

Tuttub : données archéologiques et documentaires

27Pour mettre en évidence les points sensibles de la démonstration, il est nécessaire de bien préciser les principes et les modalités de l’expression graphique utilisée par les fouilleurs. On n’a pas toujours porté assez attention à la signification possible des procédés graphiques mis en œuvre et à leurs limites : ceux-ci ne sont cependant pas interchangeables, ni sans importance sur la perception ou l’intelligence que l’on peut avoir des résultats de la fouille.

La fouille

  • 13 Détail des campagnes et noms des responsables dans Parrot 1946, p. 377 sqq.

28Les recherches conduites à Khafajé par la mission américaine de l’Oriental Institute de Chicago de la vallée de la Diyala durèrent neuf campagnes (1930-37) 13. Elles ont porté sur les différents tells qui composent le site, mais il ne sera question ici que de la fouille sur le tell A, entre le temple Ovale et le temple de sin, sous la forme d’une tranchée de 60 m de long sur env. 20 m de large, où une exploration stratigraphique a été menée jusqu’au sol d’origine, sur une profondeur d’une dizaine de mètres. J’aurais pu y adjoindre l’étude du temple de Sin, mais, pour des raisons de longueur, je reporte cette étude à une date ultérieure.

Base de l’étude

  • 14 Delougaz, Hill & Lloyd 1967.

29L’essentiel de la documentation provient de la publication portant sur l’habitat et les tombes 14. Il s’agit principalement de la coupe de la pl. 15 (fig. 11a), de la description littéraire des niveaux 12 à 3 (p. 3-15) et des plans des phases architecturales 12 à 3 (pl. 2 à 12 [fig. 8]).

Conventions adoptées pour la mise en œuvre des plans (fig. 8) 15

  • 15 Présentation sans commentaire ni modification dans l’ordre stratigraphique proposé par les fouilleu (...)

Figure 8.

Figure 8.

table des plans d’architecture du quartier d’habitations de Tuttub

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 2 à 12

30Le parti adopté est celui de la schématisation : aucun réalisme n’est recherché. Le graphisme exprime tous les murs en poché noir avec des limites tracées à la règle, adopte les pointillés pour les restitutions de murs ou de faces de mur et rend certains sols en gris avec des valeurs un peu différenciées sans que la raison en soit donnée.

31Aucune cote d’altitude n’est reportée sur les plans : il est donc impossible de savoir si le sol est au même niveau (donc horizontal) dans la totalité de chaque plan. Le seul recours est la coupe avec son échelle verticale, ce qui est notoirement insuffisant, en particulier pour différencier une horizontalité réelle d’une horizontalité reconstruite par le schématisme du dessin. Ne sont notés ni seuils de porte, ni crapaudines, ce qui rend difficile toute analyse des circulations et du niveau d’usage réel.

  • 16 Un seul cliché rend compte d’une maison (pl. 52-A) qui se trouve hors de la séquence étudiée ici, p (...)

32On constate une quasi-absence de photographies 16 illustrant les plans et la stratigraphie, l’attention des fouilleurs s’étant portée sur les tombes, les squelettes et quelques détails d’aménagement.

33Une incertitude concerne le rendu graphique de certains aménagements, par exemple des cercles simples ou doubles de diamètre différent, dont la signification n’est pas donnée (sans doute des tannour pour les simples cercles et des puisards pour les cercles dédoublés ?) ; quant aux portes, représentées comme si elles étaient obstruées (deux lignes blanches marquant les montants à l’intérieur d’un mur en poché noir), ont-elles été observées comme telles ou s’agit-il d’une proposition de restitution pour permettre le fonctionnement de l’édifice représenté ?

Conventions adoptées pour la mise en œuvre des coupes (fig. 11a)

34le même principe de la schématisation des données est appliqué au montage de la coupe qui, dans sa totalité, est évidemment une reconstitution au terme de plusieurs campagnes de fouille et non le fruit d’une analyse directe sur le terrain. Ce sont les murs et les sols qui assurent la structure de la coupe.

35Les murs sont tous tranchés de façon perpendiculaire à leurs faces, le tracé de la coupe n’étant pas rectiligne, mais suivant des décrochement orthogonaux, ce qui fait que les murs coupés ne le sont pas sur le même alignement. ils apparaissent sous forme carrée ou rectangulaire avec des angles parfaits ; ont-ils d’ailleurs été réellement coupés en fouille selon la section proposée ? C’est peu probable.

36Chaque phase « stratigraphique » d’un mur (telle qu’elle a été définie par les fouilleurs) a été différenciée par un hachurage spécifique et une ligne de contact entre ces phases montrant souvent très exactement la section du mur lui appartenant ; cette ligne de contact passant au travers du mur est identique aux lignes de sols. Ce procédé de représentation implique une reconstruction du mur à chaque phase, mais est-ce réel ?

37Les sols sont très nombreux et la coupe leur confère une horizontalité quasi absolue ; certains sont en limite d’arasement des murs, d’autres à des niveaux divers ; aucune altitude précise n’est donnée pour les différents sols, mais on peut se reporter à l’échelle verticale, procédé qui laisse planer une certaine imprécision. Aucune installation retrouvée sur les sols n’est représentée sur la coupe, seules les tombes qui se trouvent sur son passage sont reportées.

Conclusion

38Le choix s’est donc porté sur une schématisation extrême qui a pour objet d’exprimer de façon didactique la vision des archéologues et non une représentation, même approchée ou maladroite, de la réalité à l’issue de la fouille. Par la schématisation, on aboutit à une simplification générale et on gomme tout ce qui n’entre pas dans le schéma interprétatif. Ajoutons que la quasi-absence de références photographiques, donc d’informations croisées, confère une crédibilité limitée à l’ensemble du dossier. Enfin cette même schématisation de la représentation architecturale apparaît comme une autre grande faiblesse de cette documentation.

Analyse de la coupe stratigraphique de l’espace urbain

Longueur et profondeur (fig. 11a)

39La section est comprise entre la limite extérieure NE du temple ovale et la limite extérieure SO du temple de Sin, soit une longueur de 56 m environ ; au fond du sondage, le point le plus bas atteint 31 m, pratiquement le niveau de la nappe phréatique, alors que le sommet du tell à l’emplacement de la coupe se trouve à 42,50 m, soit un dénivelé total de 11,50 m.

  • 17 C’est le « walled quarter », phase particulièrement intéressante, mais hors de notre propos : v. Ma (...)

40mais la hauteur sur laquelle le raisonnement va se développer pour l’essentiel est bien moindre : il faut lui ôter dans la partie supérieure plus de 1,50 m, occupés par une couche architecturale bien repérée et définie, mais qui présente des traits morphologiques différents de toute la séquence antérieure 17 et, à la base, 3 m où l’on n’a pas recueilli de réels indices stratigraphiques ; ces 3 m ne sont connus en réalité que par quatre étroits sondages qui ont été conduits au-delà de la cote 34,5/35 m ; c’est sans doute en raison de la pauvreté des indices recueillis dans ces mini-sondages que les fouilleurs n’ont pas poursuivi la descente sur l’ensemble du secteur de fouille. Au total, c’est une dénivellation de quelque 6 m qui va retenir notre attention, entre les cotes 34,50 m et 41 m.

Description d’ensemble

41à côté de murs que l’on pourrait qualifier de « flottants » dans la stratigraphie générale et plus ou moins isolés, c’est la continuité de certaines superpositions qui apparaît comme un trait remarquable : on observe une douzaine de ces séquences plus ou moins longues. La coupe suggère donc une vérification de la thèse habituelle selon laquelle les anciens reconstruisaient une nouvelle maison à l’emplacement des murs antérieurs qui servent alors de fondation. Sans être totalement faux, ce principe ne répond pas exactement à la pratique ancienne et ne doit pas être énoncé de cette façon, comme nous le verrons. Mais il y a une permanence du bâti qu’il faut souligner d’emblée.

42Les fouilleurs ont désigné ces portions de murs, selon les niveaux horizontaux de leur dégagement, par des chiffres de 1 à 12 du haut vers la base de la coupe ; dans la suite de cette étude, je désignerai ces niveaux d’architecture par le terme « mur/série » associé au numéro donné par les fouilleurs, puisque tous les fragments d’architecture à une même altitude sont désignés par le même chiffre ; mais, contrairement à la réalité, dans l’esprit des fouilleurs, il s’agit d’un niveau architectural précis (ex. : mur/série).

43Des lignes horizontales (i.e. sols pour les fouilleurs) joignent des murs : elles définissent les niveaux ou phases avec de très légers décrochements horizontaux : 11 niveaux sont ainsi définis, 9 numérotés de la base vers le haut I à IX ; en outre on constate la présence d’une masse de terre avant le no I et d’une autre au-dessus du no IX. Ces lignes séparent nettement les niveaux architecturaux, mais rien n’apparaît dans la documentation pour y reconnaître de façon sûre des sols comme le font les fouilleurs. De façon à ne pas induire faussement la réalité d’un sol — rien moins que sûr —, je les désignerai dans la suite de cette étude sous le terme « surface » accompagné du chiffre romain choisi par les fouilleurs (ex. : surf. I).

44Une couche de cendres dont le tracé part du temple ovale et rejoint le temple de sin évolue entre 39,60 m et 41 m en recouvrant un niveau non égalisé au-dessus de la strate IX et des murs/série 3. la dernière installation urbaine repérée — walled quarter — a été aménagée au-dessus.

45Des tombes sont inscrites dans la stratigraphie.

Analyse détaillée des deux séquences verticales de murs situées au milieu de la coupe (fig. 9)

Figure 9.

Figure 9.

Analyse de la partie centrale de la coupe (ci-dessous fig. 11-a) : à gauche reproduction de la section concernée ; à droite regroupement des ensemble de type A (en noir) et de type B (en grisé sous les hachurage d’origine) qui conduisent à modifier l’interprétation d’origine

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 15

46La confrontation avec la série des plans montre que les deux séquences de murs situées au milieu de la coupe dans le carré O 43 appartiennent aux faces O et E du Petit Temple et que, au milieu de la séquence, existe à l’ouest une rue de direction NO/SE. Tous les murs sont toujours arasés à la même hauteur.

47L’analyse montre, même si on ne peut généraliser complètement, une corrélation morphologique remarquable entre certains murs définis de chaque côté du Petit temple :

  • aux surf. VIII et IX, on retrouve exactement les mêmes murs/séries 3 et 4 qui se répondent symétriquement ;

  • aux surf. VI et VII, deux murs/séries 5 et 6 pratiquement identiques mais de largeur différente sont en superposition ;

  • à la surf. V, on observe une différence d’épaisseur et un léger décalage par rapport aux murs inférieurs ;

  • aux surf. III et IV, les murs/séries 8 et 9 sont identiques et en continuité.

48En approfondissant l’analyse, on observe que, dans ces séquences verticales, des séries identiques, ou presque, se répètent.

49Ainsi deux ou trois murs/séries, appartenant à des phases successives, de même largeur (et plus étroits que la séquence suivante B), « paraissent » ne former qu’un même mur, d’autant plus que les fouilleurs n’ont pas marqué de séparation entre les phases à l’intérieur du mur.

50En fait, ce n’est chaque fois qu’un même mur et c’est le graphisme adopté pour différencier les niveaux qui donne le sentiment que ce sont des murs successifs : autrement dit, les murs/séries 4 et 3 ne forment qu’un seul mur de largeur constante conservé sur 1,50 m et non deux murs successifs conservés l’un sur 60 cm et l’autre sur 90. Ce ne sont donc plus des murs qui se succèdent, mais un seul mur. C’est ce que je désigne ici comme la séquence de type A.

51d’autres séries montrent une succession de deux murs, généralement de largeur légèrement différente, et plus larges que les petites séquences de type A et qui s’intercalent entre elles sur toute la hauteur de la coupe. C’est le cas, par exemple, des murs/séries 5 et 6 aux surf. VI et VII. Or la partie la plus large se trouve généralement en bas de cette association ; les fouilleurs en ont, par le graphisme, fait clairement deux murs indépendants (chaque section cernée), appartenant à deux niveaux distincts (hachurages différents). C’est ce que l’on peut être amené à faire si on veut distinguer les différentes composantes de certaines fondations : l’empattement de la base et le reste de la maçonnerie qui se décompose aussi parfois en plusieurs tronçons différents.

52Mais on ne peut considérer qu’il y ait là 2 ou 3 murs successifs : il ne s’agit que d’une seule et même fondation avec quelques particularités morphologiques — les décrochements que j’ai signalés plus haut — qui ont donné, à tort, l’impression de reprises, conséquence d’une analyse poussée à l’extrême. C’est la séquence de type B.

53Les hauteurs de tous ces murs, correspondant aux strates définies par les lignes horizontales, tournent autour du mètre, mais elles ne sont pas toutes exactement de même valeur.

Rapprochement des formes verticales sur les mêmes plans horizontaux (fig. 10)

Figure 10.

Figure 10.

Concordance sur les plans horizontaux des types A et B définis sur l’axe vertical dans la partie centrale (ci-dessus fig. 9)

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 15

54Le plus remarquable est peut-être la répétition de certains groupements : aux surf. VIII et IX, de part et d’autre de la rue et du Petit Temple, on observe une superposition de deux murs de même largeur : or dans le reste du niveau, aussi bien vers le SO que vers le NE, on observe que tous les murs ont exactement la même caractéristique et que, sous tous ces murs, on trouve un mur un peu plus large qui dépasse l’aplomb de chaque paroi verticale.

  • 18 Renforcement de la fondation sous les murs longitudinaux de Petit Temple lors de la reconstruction (...)

55La même caractéristique se retrouve aux surf. III, IV et V (avec une petite exception qui s’explique par ailleurs 18) pour les murs/séries 9, 8 et 7.

56De plus, la ligne d’arrêt des murs de type A se fait sur toute la coupe à la même hauteur, aussi bien pour les séquences des murs/séries 4 et 3 que 9, 8 et 7 ; on observe, pour les séquences de type B, la même caractéristique.

57Ainsi les mêmes types de groupement (A et B) définissent de façon homogène et régulière chaque fois une série de strates qui s’étendent sur toute la longueur de la coupe.

conclusion : la « couche architecturale » (fig. 11)

Figure 11.

Figure 11.

Mise en parallèle de la coupe stratigraphique (a. en haut) et de l’interprétation (b. au-dessous) mettant en évidence graphique la stratigraphie des cinq « couches architecturales » du secteur urbain de Tuttub (de A à E). Comparer la fig. 10 avec cette interprétation

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 15

58On voudrait être bien sûr que les lignes horizontales (ici surf.) soient la traduction de véritables surfaces retrouvées en fouille, mais il semble que nombre d’entre elles sont plutôt nées de la volonté d’établir une coordination entre les ressauts et décrochements des murs retrouvés en fouille et chaque fois interprétés par l’équipe de Chicago comme des fragments résiduels d’une phase ; par une schématisation des dessins, on a établi des correspondances qui donnent naissance à une stratigraphie qui paraissait satisfaisante sur le plan intellectuel. Malheureusement, rien dans la documentation jointe dans la publication ne vient conforter la proposition.

59Partant de ce constat et de la conclusion tirée de l’étude des murs, à savoir l’existence de deux types de séquences de murs qui se retrouvent de façon identique entre les mêmes cotes d’altitude, en mettant mieux en évidence les points communs de toutes ces séries, on observe un regroupement par ensemble cohérent qui souligne la superposition de deux séries pratiquement identiques formées chaque fois d’une série de deux murs superposés de largeur variable (association de type B), suivi d’une séquence sur 2 ou 3 niveaux en continuité de murs de même largeur (association de type A).

60L’interprétation de chacun des ensembles est simple : on est en présence d’une infrastructure en fondation suivi de murs de superstructure ; or c’est exactement la même séquence que l’on retrouve de part et d’autre de la séquence centrale qui a servi d’axe d’analyse pour cette étude. Cela revient à constater que l’on est en présence d’un même ensemble architectural composé, sur toute la longueur de la coupe, de fondations, d’un sol d’usage (éventuellement de plusieurs réfections) et de murs de superstructure.

61C’est la séquence que, dans une stratigraphie, je propose d’appeler « couche architecturale ». De la surf. I à la surf. IX ou X, nous avons ainsi deux « couches architecturales » superposées qui forment de facto deux niveaux urbains successifs.

La séquence stratigraphique réelle

62En partant de ces différentes observations, reconstitutions et identifications, on obtient une toute nouvelle stratigraphie pour la section urbaine de Khafajé.

Stratigraphie (fig. 11b)

63Depuis la base, un peu au-dessus de la nappe phréatique (env. 31 m), on peut y reconnaître :

  • Couche A (de préparation), 31 à 33,50 env. : niveau de préparation pour l’aménagement de la nouvelle ville avec accumulation de terre pour éloigner de la nappe phréatique le niveau d’usage ;

  • Couche (architecturale ?) B, 33,50 env. à 35,30 env. : résidus architecturaux d’un niveau sévèrement arasé sans doute jusque sous le niveau d’usage ; couche connue de façon parcellaire dans des sondages étroits qui ne permettent pas de connaître le réseau de l’infrastructure ;

  • Couche architecturale C, 35,30 env. à 38 env. ;

  • Couche architecturale D, 38 env. à 40,50 env. ;

    • 19 Margueron 2007.

    Couche architecturale E, 40,50 env. à 42,30 env. : le « walled quarter » 19.

64Ainsi, la dizaine de surfaces augmentée des 6 m d’épaisseur des parties inférieures et supérieures non stratifiées ne forme en réalité que la somme d’une couche de préparation et de 4 « couches architecturales », c’est-à-dire 4 niveaux urbains réels ; dans chacun de ces cas, il s’agit d’une ville entièrement construite de façon artificielle et en une seule opération.

Histoire de cette partie de la cité

65La « couche de fondation A » est suivie de « la couche architecturale B » qui marque la première phase de la vie de la cité.

66Il y a apparemment eu une rupture entre les « couches architecturales B et C » : « la couche B » a été nivelée assez bas et a servi de base pour la reconstruction suivante.

67La « couche architecturale C » a été aménagée sur la base d’une « infrastructure compartimentée » ; c’est le deuxième niveau urbain, mais le premier entièrement conservé.

68La ville C a été détruite (mais comment ?) et le champ de ruines nivelé.

69Une nouvelle « infrastructure compartimentée », a été installée sur ce nivellement : elle a donné naissance à la « couche architecturale D » (le troisième niveau urbain ou Ville D), caractérisée par une refonte de la structure urbaine avec transformation du réseau viaire (adjonction d’une rue de direction NO-SE le long de la face ouest de Petit temple) et transformation totale de l’habitat. Les maisons diminuent en nombre, mais s’agrandissent considérablement et sont beaucoup plus structurées (v. ci-dessous).

  • 20 Delougaz, Hill & Lloyd 1967, p. 15.

70Une couche de cendres, de 10 à 35 cm d’épaisseur 20, scelle complètement la couche D ; on regrette de ne connaître ni la nature ni la provenance de ces cendres ; car, compte tenu de la forme du dépôt et de la surface irrégulière du tell sur laquelle elles se sont déposées, elles ne peuvent provenir d’un incendie de la couche D : alors d’où viennent-elles ? La surface irrégulière du sommet de la « couche architecturale D » recouvert par ces cendres indique une phase d’abandon avant l’installation du « walled quarter ».

71La « couche architecturale E » est moins bien connue car la coupe a été trop simplifiée à son emplacement. Malgré l’absence de nivellement, il se pourrait qu’il y ait eu une infrastructure compartimentée pour installer le « walled quarter ».

Datation

  • 21 Ce que je n’ai pas fait par manque de temps, mais reste indispensable si on veut replacer correctem (...)

72La datation de cette séquence urbaine sera à revoir : pour cela, il faudra réintroduire dans chacune des couches architecturales le matériel qui y a été trouvé lors de la fouille en situant exactement dans la nouvelle stratigraphie 21 l’emplacement de la trouvaille :

  • soit dans le remplissage de l’infrastructure et dans ce cas il s’agit d’objets de date plus ancienne, qui proviennent d’ailleurs et qui ne sont là que de façon accidentelle, parce qu’ils étaient dans la terre déplacée ;

  • soit directement sur les sols, ils sont alors raisonnablement signifiants de la période d’occupation et d’usage de cette maison ;

  • soit dans le comblement des superstructures : ils peuvent alors provenir de l’étage et dans ce cas être signifiants, comme les objets sur les sols, de la période d’usage de la maison, mais il se peut aussi qu’ils viennent de la destruction des briques du murs (ils sont alors antérieurs à la date de construction de la maison) ou qu’ils aient été introduits accidentellement lors de la phase de la destruction de cette maison qui a pu s’étendre sur une certaine durée. L’imprécision est donc à nouveau de mise.

  • 22 Ceux des tombes aussi, à condition que l’on puisse attribuer en toute certitude une tombe à un nive (...)

73Finalement, seuls les objets retrouvés sur les sols peuvent être considérés comme sûrs en vue d’une datation 22.

74Les données recueillies à ce jour semblent mettre en évidence entre les couches B/C et les couches C/D des ruptures chronologiques d’une réelle durée, même s’il est impossible de préciser plus. Une comparaison avec Mari pourrait permettre une approche de la question (v. ci-dessous).

Analyse des niveaux architecturaux de l’espace urbain

75La coupe stratigraphique est accompagnée, dans la publication, des plans d’architecture qui ont été définis comme attachés à chacune des strates. Comment peut-on les mettre en rapport avec la nouvelle division stratigraphique ?

Correspondances entre couches architecturales et plans

76Regroupement selon les niveaux définis dans la coupe et le commentaire (fig. 8) :

  • 23 Numéros des plans de Delougaz, Hill & Lloyd 1967.

Couche architecturale B

= maisons de surf. 12

plan 2 23

Couche architecturale C

– infrastructure

= série 11

= maisons I, II, III, IV et V

plan 3

= série 10

= maisons VI, VII, VIII et IX

plan 4

– sol : contact 10/9

= sol III

– superstructure

= série 9

= maisons X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII

plan 5

= série 8

= maisons XVIII, XIX, XX, XXI, XXII, XXIII, XXIV, XXV

plan 6

= série 7

= maisons XXVI, XXVII, XXVIII, XXIX, XXX, XXXI

plan 7

Couche architecturale D

– infrastructure

= série 6

= maisons XXXII, XXXIII, XXXIV

plan 8

=

= série 5

= maisons XXXV, XXXVI, XXXVII

plan 9

– sol : contact 5/4

= sol VII

– superstructure

= série 4

= maisons XXXVIII, XXXIX, XL

plan 10

= série 3

= maisons XLI, XLII, XLIII

plan 12

Couche architecturale E

77Mais la notion de « couche architecturale » contraint à modifier la teneur de ce tableau en mettant bien en évidence les faits suivants. Seules les « couches architecturales C et D » de la coupe présentent des niveaux d’usage qui sont les deux seuls niveaux urbains présents, respectivement sol III/niveau des maisons/série 9 et sol VII/niveau des maisons/série 4.

78la « couche architecturale C » est composée d’une infrastructure (une seule et non deux — 11 et 10 —), d’un sol d’usage (III) et d’un seul niveau pour les superstructures (et non de trois : 9, 8 et 7) : il faut donc fondre en un seul ensemble les maisons/séries 11 et 10 de la publication ; il faut aussi annuler les maisons considérées comme telles dans la publication qui portent les numéros I à IX parce qu’elles ne sont que des parties de fondations, et fondre ensemble X avec XVIII parce que ce ne sont que deux parties d’une même superstructure.

79La « couche architecturale D » est composée d’une infrastructure (une seule et non deux : 6 et 5), d’un sol d’usage (VII) et d’un seul niveau pour les superstructures (et non de deux : 4 et 3) : il faut donc fondre en un seul ensemble les maisons/séries 6 et 5 de la publication et annuler toutes les maisons considérées comme telles dans la publication qui portent les numéros XXXII à XXXVII parce qu’elles ne sont que des parties de fondation, et fondre ensemble les numéros de XXXVIII à XLIII parce que ce ne sont que deux parties d’une même superstructure.

Les cinq maisons réelles de la séquence stratigraphique

80Le Petit Temple sera étudié avec les autres temples dans la prochaine NAAO, il suffit pour le moment d’indiquer qu’il présente les mêmes caractéristiques que les maisons de la séquence. D’autre part, je laisse aussi de côté les édifices par trop fragmentaires de chacun des deux niveaux d’usage, concentrant l’attention sur les maisons complètes ou presque, car ce sont elles qui sont représentatives d’une situation sociale et économique d’un moment précis de l’histoire de la ville.

81Quand on ne tient compte que des deux sols d’usages des « couches architecturales » C et D et qu’on ne prend en considération que les édifices au plan complet ou presque, le nombre des maisons chute de façon vertigineuse : il passe de 43 à 5 : 3 pour la couche C, 2 pour la couche D. Une étude architecturale ne pourrait donner les mêmes résultats que si on ne se basait, comme il a parfois été fait, que sur les données de la publication !

82Une étude complète de ces maisons devrait être conduite à partir du texte de la publication en s’appuyant sur la coupe pour montrer toutes les impossibilités. Il m’a semblé qu’une telle démarche serait inutilement longue et fastidieuse puisque la réinterprétation de la coupe est une justification suffisante de la validité de la démarche qui a montré que les fouilleurs avaient surdivisé les strates. Aussi me semble-t-il préférable de présenter chacune des maisons dans un tableau rassemblant les différents plans des infrastructures et des superstructures accompagné du plan réel de la maison, parfois légèrement réaménagé à partir du plan dominant, c’est-à-dire de celui du niveau d’usage.

83C’est volontairement que je rebaptise les maisons : garder les anciennes dénominations serait courir le risque d’entraîner de perpétuelles confusions puisque aucune dénomination des fouilleurs ne correspondait à une maison réelle. Du fait qu’il ne reste que cinq édifices, j’ai pensé qu’une désignation topographique était suffisamment précise.

« couche architecturale C »

La maison centre ouest (fig. 12) 24

  • 24 Les tabl. des fig. 12 à 16 rassemblent chaque fois les documents suivants : en haut et à droite, en (...)

Figure 12.

Figure 12.

La « maison centre ouest » de la couche architecturale C (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 3 à 7

84Située dans le carré O, la maison/série 9 donne le plan au sol de cette maison qui porte le no XIII.

85Deux strates d’infrastructure forment le réseau de fondation (appartenant à une infrastructure compartimentée) : la maison IV dans la maison/série 11 et la suivante non numérotée dans la maison/série 10.

86Trois strates forment les superstructures : outre la maison XIII, du plan au sol, les maisons XXI et XXVIII des maisons/séries 9, 8 et 7.

87De petites dimensions (superficie d’env. une centaine de m2), elle est composée de 5 espaces : les 4 méridionaux (2 par 2) accessibles à partir d’un premier espace (sorte d’avant-cour ?) situé au fond d’une petite ruelle. Dans la maison XIII il faut rétablir une porte absente (sans doute non vue à cause de la proximité de la fondation) mais nécessaire comme le prouvent les pseudo-maisons XXI et XXVIII.

La maison centre est (fig. 13)

Figure 13.

Figure 13.

La « maison centre est » de la couche architecturale C (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 3 à 7

88à cheval sur les carrés O et P 43, la maison/série 9 donne le plan au sol de cette maison qui porte le no XII.

89Deux strates d’infrastructure forment le réseau de fondation (appartenant à une infrastructure compartimentée) : la maison III dans la maison/série 11 et la suivante no VIII dans la maison/série 10.

90Trois strates de superstructures : outre la maison XII du plan au sol, les maisons XX et XXVII des maisons/séries 9, 8 et 7.

91plus grande que la maison centre ouest (env. 150 m2), elle comporte 7 ou 8 espaces disposés sans plan concerté ; la distribution se fait de pièce en pièce sans logique apparente ; l’accès se fait par la même petite ruelle que pour la maison centre ouest. Aucune installation particulière n’est à signaler.

La maison est (fig. 14)

Figure 14.

Figure 14.

La « maison est » de la couche architecturale C (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 3 à 7

92à cheval sur les carrés P 42 et 43, la maison/série 9 donne le plan au sol de deux maisons qui portent les no XI et X ; c’est une mauvaise interprétation de l’infrastructure qui a conduit à cette proposition erronée des fouilleurs : les superstructures montrent clairement qu’il y a une seule maison.

93Deux strates d’infrastructure forment le réseau de fondation (appartenant à une infrastructure compartimentée) : les maisons II dans la maison/série 11 et les maisons VII et VI dans la maison/série 10. c’est là aussi une mauvaise analyse qui a donné naissance à une dualité de maisons (alors qu’on est en fondation !) pour la maison/série 10 qui ont été réunies en une seule dans la maison/série 11.

94Des trois strates des superstructures, la première, comme nous l’avons vu, perpétue l’erreur de la seconde strate de l’infrastructure (maison/série 9), la situation véritable étant rétablie avec la maison/série 8 et confirmée avec la maison/série 7.

95Avec son plan trapézoïdal, c’est la plus grande des trois maisons de cette couche C : 180/190 m2, presque le double de la première ; elle est formée de 7 espaces dont certains d’assez belles dimensions (5 à 6 m de côté). La circulation intérieure se fait sur le mode de la distribution progressive. L’accès donne sur la rue qui longe à l’ouest le Temple de Sin.

96Aucune installation particulière n’est à signaler.

« couche architecturale D »

La maison orientale (fig. 15)

Figure 15.

Figure 15.

La « maison orientale » de la couche architecturale D (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967 pl. 8 à 12

97à cheval sur les carrés P 42/43, la maison/série 4 donne son plan au sol ; elle porte le no XXXVIII.

98Deux strates d’infrastructure forment le réseau de fondation (appartenant à une infrastructure compartimentée) : les maisons XXXII dans la maison/série 6 et XXXV dans la maison/série 5. On remarque que ces pseudo-maisons sont toutes les deux équipées de portes « bouchées » (ce qui est impossible puisque l’on est en fondation). Cela gênait manifestement les fouilleurs de ne pas en avoir assez pour assurer les circulations.

99Des deux strates des superstructures, la première, comme nous l’avons, assure le plan au sol (maison/série 4), la seconde est très incomplète (maison/série 3) et ne confirme que la partie occidentale du plan, avec très curieusement, des murs en pointillé à l’est qui délimitent les pièces alors que des « sols » sont teintés de gris !

100Avec son plan centré, elle est caractéristique de l’architecture mésopotamienne. Elle comporte plus d’une dizaine de pièces organisées autour de l’espace central et couvre quelque 325 m2, ce qui en fait une très belle maison. L’accès se fait par une rue située sur le flanc nord ; une petite pièce, à l’angle nord, était indépendante avec sa propre entrée.

La maison occidentale (fig. 16)

Figure 16.

Figure 16.

La « maison occidentale » de la couche architecturale D (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)

D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 8 à 12

101à cheval sur les carrés N 43/44 et O 43, la maison/série 4 donne son plan au sol et son organisation en deux unités distinctes XXXIX et XL de taille très différente puisque XXXIX, qui ne comporte que deux pièces, occupe l’angle E.

102Comme pour la maison orientale de la couche architecturale D (cf. p. 78), le réseau de fondation (l’infrastructure compartimentée) est formée de deux strates : les maisons XXXIV et XXXV dans la maison/série 5 ainsi que XXXIII et XXXVII dans la maison/série 6. On retrouve des portes bouchées dans ces pseudo-maisons, ajoutées à tort par les fouilleurs pour leur assurer « un apparent fonctionnement ». De plus, il n’y a pas lieu d’établir une différence dans les maisons/séries 5 et 6 entre des unités différentes car, si le plan au sol maison/série 4 indique bien une porte donnant sur la rue orientale et desservant deux pièces, aucune porte ne se retrouve dans les fondations, évidemment. L’infrastructure compartimentée ne concerne cette fois qu’une seule unité structurale.

103Des deux strates des superstructures, la première, comme nous l’avons, assure le plan au sol (maison/série 4), la seconde (maison/série 3) confirme, à quelques lacunes et petits détails près, le plan de la série 4.

104Avec un plan approximativement rectangulaire (env. 19 x 14 m), cette maison couvre une superficie de quelque 280 m2 et est composée d’une dizaine de pièces ; elle n’est pas organisée selon le principe du plan centré classique, mais un espace carré — non centré — s’impose peut-être pour jouer le rôle d’un espace central (distribution des circulations et de la lumière — claire-voie — et ventilation).

Caractéristiques des maisons de la « couche architecturale C »

105La hauteur totale de la couche architecturale (2,80 m) se divise en 1,30 m pour l’infrastructure compartimentée et 1,50 m pour le niveau des superstructures. Aucune des maisons n’est structurée selon un principe organisateur. La circulation se fait par progression de pièce en pièce depuis la porte d’entrée, ce qui donne une organisation en profondeur. L’étage n’est pas assuré mais, compte tenu de l’importance de l’infrastructure, il est très probable.

106Aucune indication n’est donnée dans la publication sur le système d’élimination des eaux.

Caractéristiques des maisons de la « couche architecturale D »

107La hauteur totale de la couche architecturale (2,80 m) se divise en 1,25 m pour l’infrastructure compartimentée et 1,50 m pour le niveau des superstructures : on constate donc une même importance et une même répartition que pour la couche architecturale C.

108Chacune des deux maisons possède qui une, qui deux pièces indépendantes dans un angle avec accès direct dans la rue. Les superficies sont doublées ou triplées par rapport aux maisons de la couche C et une organisation structure les pièces les unes par rapport aux autres. Un espace central coordonne les circulations et la ventilation. Un étage cette fois est certain.

109Aucune indication n’est donnée dans la publication sur le système d’élimination des eaux.

Conclusion

110Ces deux niveaux urbains, qui font appel à des principes urbanistiques spécifiques et très différents des dénominations traditionnelles, sont aussi, architecturalement parlant, d’une autre nature. Les maisons ne font pas appel aux mêmes principes structurants et n’ont pas la même importance d’une couche à l’autre, et elles ne sont pas reliées de la même façon au réseau viaire, lui-même modifié d’un niveau à l’autre.

  • 25 Margueron 2004, p. 91, fig. 57 et 58.

111Sans être identiques, les modalités de la « couche architecturale C » font assez penser à ce qui a été retrouvé dans la Ville I de Mari à l’emplacement du Temple d’Ishtar de la Ville II 25. En revanche, les maisons de la « Couche architecturale D » s’apparentent tout à fait à celles de la Ville II de Mari. Aurions-nous là un premier point d’ancrage chronologique ? Ce qui conduirait à fixer, en se fondant sur la chronologie de Mari, la « Couche architecturale C » de Khafajé à la fin du xxviiie s. et la « Couche architecturale D » à la fin du xxviie ou au début du xxvie s. Ce n’est encore qu’une hypothèse, mais ne la rejetons pas avant d’avoir élargi le champ des comparaisons.

Conclusions

112Elles sont importantes par leur portée générale. Elles concernent évidemment d’abord les enseignements à tirer du réexamen de la stratigraphie urbaine de Tuttub et de ses maisons. Mais, au-delà, elles touchent à la constitution même des tells et au mode de formation de ceux-ci.

  • 26 C’est ici que la citation d’E. Morin, placée en exergue, prend sa pleine valeur.

113Concernant Tuttub, elles se résument en quelques mots : dans la section urbaine, il n’y a pas 9 ou 10 strates successives, en plus des mètres de dépôts plus ou moins expliqués, mais seulement une couche de préparation (A) et « 4 couches architecturales », donc 4 phases urbaines, dont une très tronquée (couche architecturale B) et trois complètes (C et D restituées ici) et E déjà connue sous le nom de « walled quarter » ; de même le nombre de maisons repérées par la fouille passe de 43 à 5 26 !

  • 27 Margueron s.p., Cités invisibles.

114Une remarque s’impose : si je n’ai analysé ici que la section urbaine de Tuttub, remettant à d’autres NAAO le soin de rétablir, selon les mêmes méthodes, la séquence des différents temples de Sin et du Petit temple, le mode d’élaboration de cette stratigraphie se retrouve dans bon nombre d’autres villes du domaine syro-mésopotamien : c’est en particulier à Emar, à Ugarit et à Mari que je l’ai observé sur le terrain, mais l’analyse permet de les retrouver ailleurs, à Nippur par exemple 27. Il conviendrait dans ces conditions d’engager une révision générale de toutes les stratigraphies élaborées jusqu’à présent, car c’est l’histoire elle-même dans sa version chronologique, quand elle s’appuie sur l’archéologie, qui en sortira modifiée et plus proche de la vérité.

115La notion de « couche architecturale » devrait désormais devenir la base de toute stratigraphie des sites urbains du Proche-Orient, car c’est elle qui, dans les régions où domine l’architecture de terre, traduit l’évolution d’un site et de la vie de chaque phase urbaine ; c’est elle qui représente la réalité de la cité et qui en donne les étapes. La durée de ces « couches architecturales » est évidemment, sauf rupture accidentelle, beaucoup plus longue que celle des strates définies à partir des pseudo « sols » : il faut se souvenir que l’un des avantages du système de « l’infrastructure compartimentée », le plus souvent fondement de l’installation urbaine, est de permettre la reconstruction des maisons sur le réseau des fondations aussi souvent que nécessaire, sans avoir à procéder à une nouvelle installation et en gardant la morphologie urbaine choisie pour éliminer les eaux.

116Un dernier mot concernant les travaux de l’équipe de Chicago. L’approche critique qui a été la mienne (non à partir d’une position théorique, mais d’une expérience de fouille sur cinq chantiers) conduit à invalider « l’interprétation » de la stratigraphie proposée il y a 70 ans et considérée comme une valeur sûre jusqu’à ce jour. Mais je ne rejette pas « les observations » qui ont alors été réalisées sur le terrain — surfaces durcies, décrochements divers dans des murs — qui ont été bien enregistrées par l’équipe et retranscrites dans les documents graphiques ; ces observations, je les ai prises en considération, tout en tenant compte des effets déformants de la schématisation. Mais ce sont les fonctions de base des murs, et donc la compréhension exacte de leurs caractéristiques, ainsi que l’origine de certaines surfaces durcies, et donc la notion même de sol, qui n’étaient pas définies à cette époque, pas plus dans l’école de Chicago que dans les équipes françaises, anglaises ou allemandes et qui ont entraîné partout des erreurs d’interprétation. Aussi bien doit-on féliciter cette équipe de Chicago pour les modalités d’une recherche et des informations qui, dans un certain contexte scientifique, pouvaient (devaient ?) être mal comprises, mais dont il est possible, à partir d’une connaissance élargie, de redresser la signification en raison de la qualité des publications.

117Revenir sur ce qui a été donné il y a trois quarts de siècle comme une vérité c’est, à partir d’une logique archéologique renouvelée dans ses fondements à la suite de nouvelles observations de terrain et dans une démarche scientifique approfondie, une meilleure compréhension de la situation ancienne.

Je remercie A. Horrenberger pour la mise au point de l’illustration de cet article. Résumé arabe par R. Bertaux.

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Bibliographie

Beyer (D.) éd. 1982, Meskéné-Emar 10 ans de travaux 1971-1982, Paris.

Callot (O.) 1994, La tranchée « Ville Sud » (RSO X), Paris.

Capet (E.) & B. Farah-Fougères 2007, « Etude des fondations d’une résidence mariote du XVIIIe siècle av. J.-C. à l’ouest du palais », J.-Cl. Margueron, O. Rouault & P. Lombard (dir.), Akh Purattim I, Lyon, p. 115-128.

Delougaz (P.) 1940, The Temple Oval at Khafajah (OIP LIII), Chicago.

Delougaz (P.), H. Hill & S. Lloyd 1967, Private Houses and Graves in the Diyala Region (OIP LXXXVIII), Chicago.

Ehrich (R. W.) 1992, Chronologies in Old World Archaeology, Chicago/Londres.

Harris (E. C.) 1979, Principles of Archaeological Stratigraphy, Londres.

Margueron (j.-Cl.) 2004, Mari, métropole de l’Euphrate, au IIIe et au début du IIe millénaire av. J.-C., Paris.

Margueron (j.-Cl.) 2007, « Un centre administratif religieux dans l’espace urbain à Mari et à Khafadjé (fin D.A. et Agadé) », J.-Cl. Margueron, O. Rouault & P. Lombard, Akh Purattim 2, Lyon, p. 245-280.

Margueron (j.-Cl.) sous presse, Cités invisibles, à paraître chez P. Geuthner.

Parrot (A.) 1946, Archéologie mésopotamienne, les étapes, Paris.

Pollock (S.) 1999, Ancient Mesopotamia. The Eden that never was, Cambridge.

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Notes

1 Valeurs mutualistes : le magazine des adhérents de la MGEN no 138, août-sept. 1991, p. 22-23.

2 Mission de l’Institut Oriental de Chicago dans la vallée de la Diyala.

3 Un seul exemple : Ehrich 1992, qui reprend deux versions antérieures, la plus ancienne de 1954 tout en introduisant de très nombreuse nouvelles données et en particulier le C14, redonne le même schéma de la stratigraphie de Khafajé dans ses liens avec les autres sites, vol. II, fig. 4., p. 98.

4 En particulier Pollock 1999.

5 Margueron s.p., Cités invisibles.

6 Un seul ex. (mais on pourrait les multiplier) : Harris 1979, fig. 9.

7 Capet & Farah-Fougères 2007 ; étude réalisée à ma demande par des membres de la Mission Archéologique de Mari responsables de ce secteur de fouille.

8 Mais, dans ces deux exemples, il n’a pas été élevé de fondations : la fosse a été remplie d’un matériau stabilisant (sable par ex.) qui absorbait les charges ; cependant, à Mari, les deux grandes résidences de la Ville III ont été construites à l’aide de fondations élevées dans une fosse (Margueron 2004, p. 453-454 et Capet & Farah-Fougères 2007).

9 V. Margueron s.p., Cités invisibles.

10 On pourrait prendre aussi comme référence le chantier D d’Emar du fait de la superficie dégagée, Beyer 1982, fig. 11.

11 C’est un processus d’identification que j’ai souvent entendu proposer à tort par certains archéologues à Mari.

12 Bien entendu, mélangés à de la terre déplacée, les tessons ne prennent pas nécessairement une position horizontale et peuvent se présenter sous tous les angles.

13 Détail des campagnes et noms des responsables dans Parrot 1946, p. 377 sqq.

14 Delougaz, Hill & Lloyd 1967.

15 Présentation sans commentaire ni modification dans l’ordre stratigraphique proposé par les fouilleurs ; en bas de la colonne de gauche le niveau architectural 12, le plus ancien selon les fouilleurs, puis en remontant successivement les niv. 11, 10, 9 et 8. Après ce niv. 8, on repasse en bas à droite avec le niv. 7 et on remonte (niv. 6, 5 et 4) jusqu’au niv. 3 le plus récent de la séquence. Dans mon texte je désigne ces niveaux d’architecture par le terme « mur/série ».

16 Un seul cliché rend compte d’une maison (pl. 52-A) qui se trouve hors de la séquence étudiée ici, puisqu’elle appartient sans doute au walled quarter, même si sa situation stratigraphique n’est pas très claire et prête à discussion. Aucun cliché ne permet d’analyser la nature de la stratigraphie.

17 C’est le « walled quarter », phase particulièrement intéressante, mais hors de notre propos : v. Margueron 2007.

18 Renforcement de la fondation sous les murs longitudinaux de Petit Temple lors de la reconstruction générale de la « couche architecturale D ».

19 Margueron 2007.

20 Delougaz, Hill & Lloyd 1967, p. 15.

21 Ce que je n’ai pas fait par manque de temps, mais reste indispensable si on veut replacer correctement cette stratigraphie dans l’histoire.

22 Ceux des tombes aussi, à condition que l’on puisse attribuer en toute certitude une tombe à un niveau précis.

23 Numéros des plans de Delougaz, Hill & Lloyd 1967.

24 Les tabl. des fig. 12 à 16 rassemblent chaque fois les documents suivants : en haut et à droite, en grisé, le plan de la maison au niveau du sol d’usage tel qu’on peut le restituer à partir de l’ensemble de la documentation ; le cas échéant les points de passage de la coupe au travers de cette maison. En bas et sur toute la moitié gauche du tableau, en poché noir, les différentes maisons définies par les fouilleurs [dont le no est ici cerclé] qui comportent une partie des fondations (en bas) ou des superstructures (en haut) qui font intrinsèquement partie de la maison telle qu’elle est reconstituée et ne sont pas des éléments d’une autre maison.

25 Margueron 2004, p. 91, fig. 57 et 58.

26 C’est ici que la citation d’E. Morin, placée en exergue, prend sa pleine valeur.

27 Margueron s.p., Cités invisibles.

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Table des illustrations

Titre Figure 1.
Légende Tuttub : secteur concerné par la présente étude et tracé schématique du passage de la coupe
Crédits D’apr. Delougaz 1940, pl. 1
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-1.png
Fichier image/png, 64k
Titre Figure 2.
Légende Les principaux types de fondation, schémas simplifiés. a. Tranchée ; élévation de la fondation à égale distance des parois ; semelle à la base. b. Tranchée ; élévation de la paroi contre l’une des parois ; semelle. c. Tranchée ; remplissage de la tranchée avec des brique ou avec de l’argile. d. construction des fondations dans une fosse artificielle, puis remplissage
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-2.png
Fichier image/png, 6,8k
Titre Figure 3.
Légende Tranchée de fondation à Emar (chantier A)
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 240k
Titre Figure 4.
Légende Exemple de fosse : temple ovale de Khafajé
Crédits D’apr. Delougaz 1940, pl. VI-A et -B
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-4.png
Fichier image/png, 44k
Titre Figure 5.
Légende Exemples schématiques d’infrastructures compartimentées : un petit quartier d’Ugarit (volume restitué) et le chantier D d’Emar
Crédits D’apr. Callot 1994, fig. 255 ; d’apr. Beyer 1982, fig. 11
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-5.png
Fichier image/png, 42k
Titre Figure 6a.
Légende Exemples de fondations où la qualité de la mise en œuvre ne conduit pas à imaginer des phases et des reprises : Palais de Larsa
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 296k
Titre Figure 6b.
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 236k
Titre Figure 6c.
Légende Exemple de fondations où la qualité de la mise en œuvre ne conduit pas à imaginer des phases et des reprises : Ugarit
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 300k
Titre Figure 6d.
Légende Exemple de fondations où la qualité de la mise en œuvre ne conduit pas à imaginer des phases et des reprises : Palais de mari
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 340k
Titre Figure 7a.
Légende Exemple de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Maison Rouge
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 280k
Titre Figure 7b
Légende Exemples de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Chantier F
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-11.jpg
Fichier image/jpeg, 84k
Titre Figure 7c
Légende Exemples de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Chantier F
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-12.jpg
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Titre Figure 7d
Légende Exemple de fondations où l’absence de qualité de la mise en œuvre et l’irrégularité des faces peuvent laisser croire à de multiples reprises qui n’ont jamais existé (Mari) : Chantier N
Crédits J.-Cl. M.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-13.jpg
Fichier image/jpeg, 212k
Titre Figure 8.
Légende table des plans d’architecture du quartier d’habitations de Tuttub
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 2 à 12
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-14.png
Fichier image/png, 127k
Titre Figure 9.
Légende Analyse de la partie centrale de la coupe (ci-dessous fig. 11-a) : à gauche reproduction de la section concernée ; à droite regroupement des ensemble de type A (en noir) et de type B (en grisé sous les hachurage d’origine) qui conduisent à modifier l’interprétation d’origine
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 15
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-15.png
Fichier image/png, 41k
Titre Figure 10.
Légende Concordance sur les plans horizontaux des types A et B définis sur l’axe vertical dans la partie centrale (ci-dessus fig. 9)
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 15
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-16.png
Fichier image/png, 112k
Titre Figure 11.
Légende Mise en parallèle de la coupe stratigraphique (a. en haut) et de l’interprétation (b. au-dessous) mettant en évidence graphique la stratigraphie des cinq « couches architecturales » du secteur urbain de Tuttub (de A à E). Comparer la fig. 10 avec cette interprétation
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 15
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-17.png
Fichier image/png, 104k
Titre Figure 12.
Légende La « maison centre ouest » de la couche architecturale C (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 3 à 7
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-18.png
Fichier image/png, 67k
Titre Figure 13.
Légende La « maison centre est » de la couche architecturale C (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 3 à 7
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-19.png
Fichier image/png, 112k
Titre Figure 14.
Légende La « maison est » de la couche architecturale C (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 3 à 7
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-20.png
Fichier image/png, 143k
Titre Figure 15.
Légende La « maison orientale » de la couche architecturale D (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967 pl. 8 à 12
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-21.png
Fichier image/png, 177k
Titre Figure 16.
Légende La « maison occidentale » de la couche architecturale D (reconstitution à partir des séries fragmentaires — fondations et superstructures — de la publication)
Crédits D’apr. Delougaz, Hill & Lloyd 1967, pl. 8 à 12
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/1538/img-22.png
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Claude Margueron, « Notes d’archéologie et d’architecture orientales 16 »Syria, 89 | 2012, 59-84.

Référence électronique

Jean-Claude Margueron, « Notes d’archéologie et d’architecture orientales 16 »Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1538 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1538

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Droits d’auteur

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