Navigation – Plan du site

AccueilNuméros100ArticlesHypothèse sur le lieu de la décou...

Articles

Hypothèse sur le lieu de la découverte de la grande Vénus de Baalbek par Achille Joyau en 1865

Jean-Sylvain Caillou
p. 183-191

Résumés

Résumé – La découverte de la grande Vénus de Baalbek est restée longtemps une énigme. S’il est établi qu’elle fut exhumée par Achille Joyau en 1865, l’endroit exact fait toujours débat. Des documents jusque-là négligés permettent cependant de préciser l’emplacement et les circonstances de sa mise au jour.

Haut de page

Notes de l’auteur

Mes remerciements les plus vifs à Julien Aliquot, Hélène Le Meaux et aux relecteurs de Syria.

Texte intégral

  • 1 Mendel 1914, p. 342-345.
  • 2 Reinach 1902, p. 23 ; Mendel 1914, p. 342, dont nous avons retenu la hauteur de 1,85 m au lieu des (...)
  • 3 Musée archéologique d’Istanbul, no 1181 ; Louvre, DAGER, don Armand 1889, MNC 1100.
  • 4 Lortet 1882, p. 388, cf. infra.
  • 5 Arndt 1893, p. 48, no 533.
  • 6 Ridder 1905, p. 98.
  • 7 Clermont-Ganneau 1903, p. 226.
  • 8 Reinach 1902, p. 29-33 ; Mendel 1914, p. 342.
  • 9 Wiegand 1921, p. 46.
  • 10 Delcor 1986, p. 1079-1080, no 15 ; Feix 2008, p. 265 ; Aliquot 2009, p. 319 ; Weber 2011, p. 471 ; (...)
  • 11 Dussaud 1904, p. 245 ; Hajjar 1977, p. 94-97 ; Delcor 1986, p. 1079-1080, no 15 ; Haider 1999, fig (...)

1Le site archéologique libanais de Baalbek a livré très peu de statues monumentales en ronde bosse de l’Antiquité. La plus connue a été décrite de manière détaillée par Gustave Mendel1. Il s’agit d’une divinité féminine acéphale qui est assise sur un trône flanqué de sphinges (fig. 1). Elle est en marbre et mesure près de 185 cm (dont 31,5 cm pour la plinthe), c’est-à-dire qu’elle est une fois et demie plus grande que nature2. Depuis la fin du xixe siècle, la statue est exposée au musée d’Istanbul tandis que la tête de l’une des sphinges est présentée au musée du Louvre3. D’abord hâtivement identifiée comme Julia Domna4, puis comme une interpretatio graeca d’une divinité syncrétique (voire d’une impératrice in forma deorum) pouvant figurer Cybèle5, Julia Soemias6 sous les traits d’une Junon orientalisante7, Isis8, Atargatis9 ou plutôt Astarté10, la statue est désormais considérée comme une représentation de la Vénus héliopolitaine, à la suite de René Dussaud11.

Figure 1.

Figure 1.

La statue colossale devant la porte du sérail de Baalbek

photo F. Bonfils, 1873

  • 12 Reinach 1902 (issu d’un mémoire lu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres le 22 novembre (...)
  • 13 Baalbek : le grand voyage au Liban, cabinet des dessins Jean Bonna, 17 octobre 2022-15 janvier 202 (...)
  • 14 Sur la datation de la photographie de Bonfils, cf. Caillou 2004, p. 110. Un tirage a rejoint la Bi (...)

2L’enquête menée par Salomon Reinach en 1901 a permis d’établir que la statue avait été exhumée en 1865 par Achille Joyau12. Ce pensionnaire de l’Académie de France à Rome séjournait alors à Baalbek pour réaliser des relevés et restitutions des ruines qui ont récemment donné lieu à une exposition à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris13. Joyau rapporta la tête de sphinge en France tandis que la statue colossale restait à Baalbek où elle fut déplacée devant la porte du sérail comme en témoigne la photographie prise en 1873 par Félix Bonfils et une courte mention de Samuel Jessup en 188114 :

  • 15 Jessup 1881, p. 476.

« The colossal headless statue now standing at the gate of the Turkish Seraï is an example of what may be expected when a thorough exploration of the ruins shall be made15. »

  • 16 Reinach 1902, p. 22-23, d’après les informations qui lui ont été fournies par Dussaud. Laugier 202 (...)
  • 17 Reinach 1902, p. 23 ; Mendel 1914, p. 342.

3La statue fut ensuite transportée à Beyrouth vers 1884, par les soins de l’administration de la route française de Beyrouth à Damas, pour être placée « avec quelques autres débris, dans la cour du sérail, derrière un grillage, appuyée au mur de la prison16 ». Quelque peu oubliée, elle fut finalement acheminée au musée impérial de Constantinople en octobre 1901, à la suite du signalement fait par Reinach à Osman Hamdy-bey, le directeur des musées impériaux ottomans17.

  • 18 Feix 2008, p. 265. Il s’agissait vraisemblablement d’une statue cultuelle, d’après sa taille.

4Achille Joyau n’a publié aucune information sur les circonstances de découverte de la statue, si bien qu’au fil du temps quatre localisations différentes ont été proposées, chacune en rapport avec un sanctuaire18. La première fut formulée par Louis Lortet en 1882 alors qu’il évoquait les souterrains de l’acropole antique, c’est-à-dire ceux qui se trouvent sous la grande cour du sanctuaire de Jupiter héliopolitain (fig. 2, no 1) :

  • 19 Lortet 1882, p. 388. Localisation relayée par Reinach 1902, p. 21.

« Ce tunnel, fortement incliné, communique à gauche avec une grande salle carrée et un autre souterrain dans lequel se trouvent plusieurs ouvertures murées. En franchissant une fenêtre, on peut arriver dans une chambre ornée de niches décorées avec goût. Il est certain que des fouilles bien dirigées dans cette partie de l’acropole donneraient les plus grands résultats. Déjà on y a trouvé une belle statue de femme, malheureusement sans tête, dont les draperies sont traitées de main de maître. Cette grande statue assise, ayant à côté d’elle un animal fantastique orné de deux mamelles pectorales, pourrait bien être celle de Julia Domna, femme d’Antonin le Pieux. Toutes ces salles souterraines paraissent avoir servi pendant longtemps d’écurie aux chevaux des garnisaires de la forteresse19. »

Figure 2.

Figure 2.

Plan de Baalbek au début du xixe s.
Lieux de découverte supposés de la statue colossale : 1 acropole, grand sanctuaire ; 2 temple circulaire, dit de Vénus ; 3 Haret Bet Sulh, sanctuaire hypothétique ; 4 Sheikh Abdallah, sanctuaire de Mercure.

DAO Syria, d’après Wiegand 1921

  • 20 Pour les problèmes d’attribution du temple à Vénus, cf. Aliquot 2009, p. 293-294, et Aliquot 2022, (...)

5La seconde proposition fut avancée en 1892 par Heinrich Frauberger, qui suggérait implicitement que la statue provenait du temple circulaire, dit temple de Vénus, situé à environ 100 m au sud-est de l’acropole (fig. 2, no 2)20 :

  • 21 Frauberger 1892, p. 4-5, fig. 4. Localisation également suggérée 120 ans plus tard par Bel 2012, p (...)

« Leider haben wir nur sehr wenige Anhaltspunkte, uns über die figurale Plastik, welche, wie an anderen Bauresten, auch an diesem Tempel in dessen Cella wie in den Nischen der Aussenwand und vielleicht auch oben Platz fand, eine Vorstellung zu verschaffen. Von dem Wenigen, was gefunden wurde, geben wir in Fig. 4 die Abbildung einer sitzenden weiblichen Gestalt21. »

Frauberger fut par ailleurs le premier à faire un rapprochement entre la tête conservée au Louvre et la statue de Baalbek :

  • 22 Frauberger 1892, p. 5. Cette publication avait échappé à Reinach qui la mentionne avec quelques au (...)

« Im Museum im Louvre befindet sich ein weiblicher Kopf, der – in Baalbek gefunden – gar leicht zu dieser Figur passen könnte22. »

6La troisième proposition apparait dans la grande monographie consacrée aux fouilles de la mission allemande à Baalbek (1898-1905) publiée sous la direction de Theodor Wiegand en 1921. S’appuyant sur plusieurs témoignages des habitants, il localise la découverte dans la cour d’une maison située à Haret Bet Sulh, à plus de 400 m à l’est de l’acropole, sur le flanc d’une colline sur laquelle devait se trouver un sanctuaire (fig. 2, no 3) :

  • 23 Wiegand 1921, p. 46. Localisation relayée par Freyberger et Raguette 1999, p. 47 ; Hitzl 2003, p.  (...)

« Von einem Heiligtum in der Haret bet sulḥ bei der Wasserleitung ist vermutlich die Kultstatue erhalten, freilich ohne daß sie mit voller Sicherheit benannt werden könnte und ohne daß zu bestimmen wäre, ob die in der gleichen Gegend gefundene Architektur zu demselben Heiligtum wie die Statue gehöre. Es ist eine sitzende Göttin etwa anderthalbfacher Lebensgröße mit schreitenden Sphinxen zu seiten des Thrones, die einzige nennenswerte Rundskulptur, die aus Baalbek bekannt geworden ist. Nach Lortet, wäre sie in den Gewölben des Heliopolitanum gefunden; aber dem stehen die bestimmten und voneinander unabhängigen Aussagen der Eingeborenen gegenüber, die die Fundstelle im Hofe eines Hauses in der Haret bet sulḥ noch zu zeigen wissen, und die Fundstelle kann nicht allzuweit vom ursprünglichen Aufstellungsort entfernt sein, denn die schwere Figur ist gewiß nicht von einer anderen Stadtgegend auf diese Höhe herauf verschleppt worden23. »

7La quatrième hypothèse de localisation a été énoncée en 2002 par Eric Gubel dans le catalogue de la sculpture de tradition phénicienne au musée du Louvre. Concernant la tête de sphinge rapportée par Joyau, l’auteur privilégie comme lieu de découverte la colline de Sheikh Abdallah, au sommet de laquelle se trouvait un temple dédié à Mercure, à quelque 600 m au sud de l’acropole (fig. 2, no 4) :

  • 24 Gubel et al. 2002, p. 150. L’hypothèse découlait certainement d’une interprétation excessive du te (...)

« Elle [la statue] se trouvait alors au sérail ottoman de Baalbek, actuellement transformé en magasin d’artisanat (en face de l’hôtel Palmyre). Cette précision pourrait suggérer que les autorités avaient confisqué cette sculpture parmi les fûts et blocs que l’archevêché orthodoxe faisait extraire jadis du tell Sheikh Abdallah, à l’endroit d’un petit sanctuaire qu’on suppose avoir été voué au culte de Mercure24. »

  • 25 Le Meaux 2022, p. 47.
  • 26 Elle ne figure pas dans les archives des musées nationaux. Mes remerciements à Gilles Poizat qui a (...)
  • 27 MS 2289-59, lettre du 1er mars 1866. La bibliothèque de l’Institut conserve d’autres lettres de Jo (...)

8Jusqu’à présent, aucune des quatre hypothèses de localisation n’a fait consensus au sein de la communauté scientifique25. Des lettres inédites de Joyau semblent toutefois pouvoir apporter un éclairage déterminant. Après avoir quitté Baalbek pour Rome, où il arriva en février 1866, Joyau écrivit à trois personnes : au surintendant des Beaux-Arts, Émilien de Nieuwerkerke, qui avait financé son expédition, à l’archéologue Félicien de Saulcy, son mentor qui l’avait soutenu, enfin à Adrien de Longpérier, conservateur des antiques au musée du Louvre. La lettre adressée à Longpérier n’a pu être localisée26. En revanche, celle envoyée à Saulcy se trouve à la bibliothèque de l’Institut de France27. Joyau y écrit ceci :

  • 28 La présence de peinture sur les lèvres est un détail intéressant qui n’a jamais été relevé par ail (...)

« J’étais sur le point de quitter définitivement mes ruines, mon bagage était déjà prêt, mes chameaux arrivés, lorsque l’on vint m’annoncer la découverte d’une statue. Je me rendis aussitôt sur les lieux, je fis activer les fouilles afin de découvrir la tête et de pouvoir dessiner cette heureuse trouvaille dont je vous envoie le croquis général et une photographie de la tête du sphinx, vous jugerez vous-même de son aspect décoratif. Comme je l’annonce à Monsieur de Neuwerkerque [sic] et à Monsieur de Longperrier [sic], la tête portait une aigrette en or, des boucles d’oreille et un collier, les lèvres étaient peintes28. Enthousiasmé de la chose et désireux de posséder la tête, je fis l’acquisition de la statue que j’ai fait recouvrir d’un peu de terre. Je possède ici la tête du sphinx que tous ces Messieurs ont trouvée superbe. »

  • 29 AN F21/2286 dossier Joyau, lettre du 27 février 1866.

9La troisième lettre, reçue par Nieuwerkerke et conservée aux Archives nationales, contient une indication complémentaire de la part de Joyau29 :

« J’étais sur le point de quitter définitivement mes ruines lorsque l’on vint m’annoncer qu’au milieu de la ville l’on venait de découvrir une statue. Je me rendis aussitôt sur place je fis faire quelques fouilles afin de pouvoir faire le croquis que j’ai l’honneur de vous transmettre ainsi que la photographie de la tête du sphinx que je possède actuellement à Rome. »

  • 30 Feix 2008, p. 268, note 2.
  • 31 Sur la datation de la photo, cf. supra, note 15.

10Bien que relativement imprécise, cette mention « au milieu de la ville » se révèle très précieuse. Elle permet d’éliminer plusieurs localisations supposées du lieu de découverte de la statue. Tout d’abord, l’acropole de Baalbek se trouve en dehors de la ville et constitue une entité indépendante, de sorte que l’hypothèse émise par Lortet en 1882 d’une découverte de la statue dans les souterrains du grand sanctuaire peut être écartée. Elle n’avait d’ailleurs été que timidement relayée car la présence d’une statue aussi importante dans les soubassements de la cour du temple était difficile à comprendre. Pour tenter d’expliquer cette difficulté, Sandra Feix avait envisagé qu’après sa découverte la statue aurait été un temps déposée à l’entrée des souterrains de l’acropole avant d’être finalement déplacée au sérail30. C’est peu probable puisque, selon toute vraisemblance, la photographie de Bonfils montrant la statue au sérail a été prise en 1873, bien avant le passage de Lortet à Baalbek qui n’a donc pas pu la voir à cet endroit31. Quitte à proposer une explication, c’est peut-être une association d’idées abusive qui pourrait être à l’origine de cette localisation fantaisiste. Il est probable que, dans la mémoire des habitants de Baalbek, la figure de l’architecte français Joyau restait associée à la découverte de la statue mais aussi aux fouilles qu’il avait menées sur l’acropole, y compris dans les souterrains. Ainsi l’historien de Baalbek Michel Alouf, né en 1869 après le séjour de Joyau, indiquait dans la première édition de son guide en 1890 :

  • 32 Alouf 1890, p. 113.

« Deux portes d’escalier conduisant à deux pylônes se trouvent au bas dans les deux côtés de la grande porte du temple. Toutes deux sont encombrées de décombres ; une d’elle cependant, fut déterrée il y a 23 ans, par Mr Joyau ; mais elle est à nouveau obstruée32. »

11Ces fouilles dans l’acropole sont évoquées par Joyau lui-même dans sa correspondance avec Nieuwerkerke et Saulcy :

  • 33 AN F21/2286 dossier Joyau, lettre du 27 février 1866.

« D’après les fouilles que j’ai entreprises sur plusieurs points j’ai découvert plusieurs choses intéressantes au point de vue architectural et archéologique : malheureusement ces fouilles que je n’ai pu pousser aussi loin que je l’avais désiré ne m’ont donné aucun résultat au point de vue des fragments de statue que j’espérais trouver33. »

  • 34 Bibliothèque de l’Institut de France, MS 2289-59, lettre du 1er mars 1866.

« Avant mon départ je fis également une découverte intéressante d’un mur troglodyte au bas des 6 colonnes et parallèle au grand qui existe sur la face nord. Malheureusement je ne pouvais poursuivre aussi loin que je l’avais désiré mes diverses découvertes vu le peu d’argent que j’avais à ma disposition34. »

12Ainsi, Lortet aurait pu recueillir différents souvenirs auprès de la population locale et faire un amalgame malencontreux entre la découverte de la statue et les fouilles de Joyau dans l’acropole, bien que les deux soient sans rapport.

13La deuxième hypothèse qui doit être abandonnée est celle selon laquelle la statue aurait été exhumée du lieu-dit Sheikh Abdallah. L’endroit était inhabité en 1865 et se trouvait en dehors de la ville, comme en témoignent le plan (fig. 2) et les descriptions de l’époque.

  • 35 D’autant que Joyau a relevé le temple rond de manière très détaillée. Cf. Aliquot 2022, p. 22.

14Une troisième localisation, celle suggérée par Frauberger, qui associait la statue au temple circulaire, semble fragilisée par l’indication « au milieu de la ville ». Même si elle ne doit pas être prise au pied de la lettre (il est inutile de chercher un emplacement précis sur l’ancien plan à l’aide d’un compas), cette indication implique que la statue a été trouvée en milieu urbain et non à la lisière de la ville. Or le temple circulaire se trouvait alors à la bordure de la Baalbek ottomane (fig. 2). En outre, l’emplacement de ce temple était parfaitement connu de tous et, si la statue avait été trouvée à proximité, Joyau l’aurait probablement mentionné comme un point de repère en écrivant « près du temple circulaire » plutôt qu’« au milieu de la ville »35.

15La dernière hypothèse de localisation, celle de Haret Bet Sulh avancée par Wiegand, paraît dès lors la plus vraisemblable. Elle correspond le mieux aux indications de Joyau puisque le flanc de la colline est occupé par la ville ottomane.

  • 36 L’article de Palmer (Palmer 1871) n’a pas été pris en compte par la communauté scientifique bien q (...)

16À vrai dire, une mention d’E. H. Palmer, parue en 1871 dans son article « Notes of a tour in the Lebanon », mais négligée jusqu’à présent, permet d’arriver aux mêmes conclusions36. Palmer indique concernant l’après-midi du samedi 23 juillet 1870 :

  • 37 Palmer 1871, p. 110-111.

« Amongst the objects of interest which we visited were, first, the old mosque, where are some fine ruined granite columns and one piece of porphyry, which (although the natives declare that it comes from Egypt) Captain Burton has discovered on the French road near Sahl el Jedeideh. Secondly, we inspected a large female figure sculptured in marble, seated in a chair, with a sphynx on her left hand – the proportions and execution of this figure are decidedly bad. Thirdly, we proceeded to the little temple called by the natives El Cadiseh Barbara, Sta. Barbara; the interior is circular in shape and the work very pretty, though debased Roman in style37. »

17Comme Palmer avait visité l’acropole la veille et la colline de Sheikh Abdallah le matin même, les deux sites ne sont donc définitivement pas les lieux de découverte de la statue qu’il voit dans l’après-midi. A priori, le texte invite plutôt à penser que la statue se trouvait sur le chemin entre la mosquée et le temple circulaire et qu’elle aurait donc été trouvée à proximité de ce dernier. Toutefois une telle déduction semble quelque peu hâtive. La distance entre le temple et la mosquée étant très faible (une centaine de mètres), il paraît superflu de distinguer aussi nettement trois étapes et d’écrire « thirdly, we proceeded to the little temple ». En outre, si la statue se trouvait à proximité du temple circulaire, elle aurait dû logiquement être décrite en même temps que ce dernier comme faisant partie de son environnement immédiat, ce qui n’est pas le cas. En outre, la dernière localisation possible, c’est-à-dire Haret Bet Sulh, ne peut pas être écartée. Au contraire, durant son séjour à Baalbek, Palmer ne fut jamais aussi proche de cet endroit que lorsqu’il visita la mosquée. De là, deux rues permettent de se rendre facilement sur la colline où la statue aurait été découverte (fig 2). Ainsi, il aurait très bien pu faire un détour pour aller à Haret Bet Sulh avant de se rendre au temple circulaire. Cette solution nous paraît devoir être privilégiée.

18Même si la localisation près du temple circulaire ne peut pas être catégoriquement exclue, celle avancée par Wiegand, qui était parvenu à identifier la cour d’une maison sur le flanc de la colline de Haret Bet Sulh, semble la plus compatible avec les précisions données à la fois par Joyau et par Palmer. L’endroit où la statue aurait été trouvée ne correspondrait vraisemblablement pas à son emplacement d’origine puisqu’aucun vestige ne l’accompagnait, mais, selon Wiegand, la hauteur du lieu et le poids de la statue ne permettaient pas de penser qu’elle avait été intentionnellement déplacée dans un second temps. Il en concluait qu’elle avait roulé sur la pente et qu’elle provenait d’un temple situé plus haut sur la colline, ce qui resterait encore à vérifier par des fouilles archéologiques.

Haut de page

Bibliographie

Aliquot 2009
J. Aliquot, La vie religieuse au Liban sous l’Empire romain (BAH 189), Beyrouth.

Aliquot 2022
J. Aliquot, « Sous le soleil de la Bekaa : Héliopolis du Liban et ses sanctuaires », dans Baalbek 2022, p. 5-24.

Alouf 1890
M. Alouf, Histoire de Baalbek par un de ses habitants, Beyrouth.

Arndt 1893
P. Arndt, Photographische Einzelaufnahmen Antiker Sculpturen, Munich.

Baalbek 2022
Baalbek : le grand voyage au Liban (Carnets d’étude 55), catalogue d’exposition, Paris.

Bel 2012
N. Bel, « Le sanctuaire de Baalbek-Héliopolis, la “ville du soleil” », dans N. Bel et al. (dir.), L’Orient romain et byzantin au Louvre, Paris, p. 214-217.

Brugerolles et Evesque 2022
E. Brugerolles et C. Evesque, « Deux architectes à Baalbek : Achille Joyau et Gaston Redon », dans Baalbek 2022, p. 25-45.

Caillou 2004
J.-S. Caillou, « Les graffiti de Baalbek : mémoire des premiers historiens et photographes établis au Levant (1839-1898) », Tempora 14-15, p. 91-121.

Clermont-Ganneau 1903
Ch. Clermont-Ganneau, « Une nouvelle dédicace du sanctuaire de Baal Marcod », RA, 4e série, t. 2, p. 225-229.

Delcor 1986
M. Delcor, « Astarte », LIMC III, Zürich, p. 1077-1085.

Dussaud 1904
R. Dussaud, « Notes de mythologie syrienne, IV, symboles et simulacres de la déesse parèdre », RA, 4e série, t. 4, p. 225-260.

Feix 2008
S. Feix, « Two seated goddesses from Baalbek and Yammoune – An iconographical approach », dans M. van Ess (éd.), Baalbek / Heliopolis: Results of archaeological and architectural research 2002-2005 (BAAL hors-série 4), p. 255-270.

Fowlkes-Childs et Seymour 2019
B. Fowlkes-Childs et M. Seymour, The World Between Empires: Art and Identity in the Ancient Middle East, New York.

Frauberger 1892
H. Frauberger, Die Akropolis von Baalbek, Francfort.

Freyberger et Ragette 1999
K. S. Freyberger et F. Ragette, « Stadt des Jupiter Heliopolitanus », dans M. van Ess et T. M. Weber (éd.), Baalbek. Im Bann römischer Monumentalarchitektur, Mayence, p. 45-67.

Gubel et al. 2002
E. Gubel, E. Fontan et A. Caubet (dir.), Art phénicien. La sculpture de tradition phénicienne (Département des Antiquités orientales du musée du Louvre, catalogue), Paris-Gand.

Haider 1999
P. W. Haider, « Götter und Glaubensvorstellungen in Heliopolis-Baalbek », dans E. M. Ruprechtsberger (éd.), Vom Steinbruch zum Jupitertempel von Heliopolis/Baalbek (Libanon), Linz, p. 101-143.

Hajjar 1977
Y. Hajjar, La triade d’Héliopolis-Baalbek : Son culte et sa diffusion à travers les textes et les documents iconographiques et épigraphiques (Études préliminaires aux religions orientales dans l’empire romain 59), Leyde.

Hitzl 2003
K. Hitzl, « Remarks on the identification of the temple of the Muses in Baalbek/Heliopolis », dans M. van Ess, « Archaeological research in Baalbek. A preliminary report on the 2001-2003 seasons », BAAL 7, p. 127-129.

Jacques et Agusta-Boularot 2002
A. Jacques et S. Agusta-Boularot, « Baalbek, les temples d’Héliopolis (A. Joyau 1865 ; F.-G. Redon, 1888) », dans Italia Antiqua : envois de Rome des architectes français en Italie et dans le monde méditerranéen aux xixe et xxe siècles, catalogue d’exposition, Paris, p. 306-344.

Jessup 1881
S. Jessup, « Baʾalbek », dans Ch. W. Wilson (dir.), Picturesque Palestine, Sinai and Egypt I, New York, div. II, p. 453-476.

Jidejian 1998
N. Jidejian, Baalbek Héliopolis, cité du soleil, Beyrouth (trad. française de Baalbek Heliopolis. City of the Sun, Beyrouth,1975).

Kropp 2010
A. Kropp, « Jupiter, Venus and Mercury of Heliopolis (Baalbek): The images of the “triad” and its alleged syncretisms », Syria 87, p. 229-264.

Laugier 2021
L. Laugier, Les sculptures grecques de l’époque impériale : la collection du Louvre, Paris.

Le Meaux 2022
H. Le Meaux, « Une tête de sphinge en marbre ayant appartenu à Achille Joyau », dans Baalbek 2022, p. 46-47.

Lortet 1882
L. Lortet, « La Syrie d’aujourd’hui », Le Tour du monde : nouveau journal des voyages 44, p. 337-416.

Mendel 1914
G. Mendel, Catalogue des sculptures grecques, romaines et byzantines, t. 2, Musées impériaux ottomans, Constantinople.

Palmer 1871
E. H. Palmer, « Notes of a tour in the Lebanon », Palestine Exploration Found, Quarterly Statement 11, April 1871, p. 107-118.

Reinach 1902
S. Reinach, « Une statue de Baalbeck divisée entre le musée du Louvre et Tchinli-Kiosk », RA, 3e série, t. 40, p. 19-33.

Reinach 1912
S. Reinach, Cultes, mythes et religions, t. 4, Paris.

Ridder 1905
A. de Ridder, « Bulletin archéologique », REG XVII, p. 77-110.

Weber 2011
Th. M. Weber, « Classical Greek sculptures in the Decapolis », ARAM 23, p. 467-488.

Wiegand 1921
Th. Wiegand (éd.), Baalbek. Ergebnisse der Ausgrabungen und Untersuchungen in den Jahren 1898 bis 1905, vol. 1, Berlin-Leipzig.

Haut de page

Notes

1 Mendel 1914, p. 342-345.

2 Reinach 1902, p. 23 ; Mendel 1914, p. 342, dont nous avons retenu la hauteur de 1,85 m au lieu des 1,75 m avancés par Reinach.

3 Musée archéologique d’Istanbul, no 1181 ; Louvre, DAGER, don Armand 1889, MNC 1100.

4 Lortet 1882, p. 388, cf. infra.

5 Arndt 1893, p. 48, no 533.

6 Ridder 1905, p. 98.

7 Clermont-Ganneau 1903, p. 226.

8 Reinach 1902, p. 29-33 ; Mendel 1914, p. 342.

9 Wiegand 1921, p. 46.

10 Delcor 1986, p. 1079-1080, no 15 ; Feix 2008, p. 265 ; Aliquot 2009, p. 319 ; Weber 2011, p. 471 ; Fowlkes-Childs et Seymour 2019, p. 130 ; Laugier 2021, p. 456.

11 Dussaud 1904, p. 245 ; Hajjar 1977, p. 94-97 ; Delcor 1986, p. 1079-1080, no 15 ; Haider 1999, fig. 12 ; Feix 2008, p. 265 ; Aliquot 2009, p. 296 ; Kropp 2010, p. 241-244 ; Bel 2012, p. 216 ; Fowlkes-Childs et Seymour 2019, p. 130 ; Weber 2011, p. 471 ; Laugier 2021, p. 456 ; Le Meaux 2022, p. 47.

12 Reinach 1902 (issu d’un mémoire lu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres le 22 novembre 1901 – cf. CRAI 1901, p. 802-803 –, l’article sera ensuite reproduit quasiment à l’identique dans Reinach 1912, p. 402-420).

13 Baalbek : le grand voyage au Liban, cabinet des dessins Jean Bonna, 17 octobre 2022-15 janvier 2023. Cf. Brugerolles et Evesque 2022. Sur le voyage de Joyau à Baalbek, voir aussi Jacques et Agusta-Boularot 2002.

14 Sur la datation de la photographie de Bonfils, cf. Caillou 2004, p. 110. Un tirage a rejoint la Bibliothèque nationale de France en 1879. La photographie fut publiée la première fois par Frauberger 1892, fig. 4, puis par Reinach 1902, pl. II, avec un autre cliché (pl. III) similaire mais postérieur, à en croire la réfection du mur derrière la statue.

15 Jessup 1881, p. 476.

16 Reinach 1902, p. 22-23, d’après les informations qui lui ont été fournies par Dussaud. Laugier 2021, p. 456 donne la date de 1888 sans avancer de nouvelle source à l’appui, il s’agit sans doute d’une erreur.

17 Reinach 1902, p. 23 ; Mendel 1914, p. 342.

18 Feix 2008, p. 265. Il s’agissait vraisemblablement d’une statue cultuelle, d’après sa taille.

19 Lortet 1882, p. 388. Localisation relayée par Reinach 1902, p. 21.

20 Pour les problèmes d’attribution du temple à Vénus, cf. Aliquot 2009, p. 293-294, et Aliquot 2022, p. 24.

21 Frauberger 1892, p. 4-5, fig. 4. Localisation également suggérée 120 ans plus tard par Bel 2012, p. 216-217, qui associe des photographies de la statue, identifiée comme Vénus, au temple circulaire dit « de Vénus ».

22 Frauberger 1892, p. 5. Cette publication avait échappé à Reinach qui la mentionne avec quelques autres lors de la réédition de son article en 1912. Cf. Reinach 1912, p. 407, note 1.

23 Wiegand 1921, p. 46. Localisation relayée par Freyberger et Raguette 1999, p. 47 ; Hitzl 2003, p. 127 ; Feix 2008, p. 255 et 266 ; Aliquot 2009, p. 296 ; Fowlkes-Childs et Seymour 2019, p. 130 ; Laugier 2021, p. 456.

24 Gubel et al. 2002, p. 150. L’hypothèse découlait certainement d’une interprétation excessive du texte de Jessup, qui mentionne la statue juste après ces quelques lignes : « Aujourd’hui l’impitoyable destruction des colonnes et des corniches de Baalbek continue en toute liberté. Tous les fragments des temples anciens sont utilisés pour construire la ville moderne et la route carrossable du Wali de Damas. L’archevêque grec-catholique Basileus bâtit maintenant une cathédrale au pied de la colline située au sud de l’hôtel Arbid ; il a acheté le site d’un petit temple et fait rouler le long de la pente les colonnes cannelées et les blocs cubiques des murs du temple afin de les utiliser pour son édifice moderne. » (Jidejian 1998, p. 1-2, traduction française, d’après Jessup 1881, p. 476).

25 Le Meaux 2022, p. 47.

26 Elle ne figure pas dans les archives des musées nationaux. Mes remerciements à Gilles Poizat qui a effectué cette recherche sans succès et à Élisabeth Fontan qui m’a indiqué qu’une partie de la correspondance d’A. de Longpérier serait encore conservée dans sa famille. La lettre recherchée pourrait donc potentiellement se trouver dans ce fonds privé.

27 MS 2289-59, lettre du 1er mars 1866. La bibliothèque de l’Institut conserve d’autres lettres de Joyau et de Nieuwerkerke relatives aux préparatifs de cette expédition (MS 2287-64/65/66 et 96).

28 La présence de peinture sur les lèvres est un détail intéressant qui n’a jamais été relevé par ailleurs. Pour le reste, cf. en dernier lieu Laugier 2021, p. 456 : « Le diadème était recouvert de feuilles d’or ou d’argent, probablement décorées au repoussé et agrémentées d’un pendentif, comme l’indiquent deux petits trous de goujon sur la raie médiane de la chevelure. Des boucles d’oreilles métalliques étaient aussi fixées par des trous de goujon. Les yeux et les sourcils étaient rapportés dans un autre matériau ».

29 AN F21/2286 dossier Joyau, lettre du 27 février 1866.

30 Feix 2008, p. 268, note 2.

31 Sur la datation de la photo, cf. supra, note 15.

32 Alouf 1890, p. 113.

33 AN F21/2286 dossier Joyau, lettre du 27 février 1866.

34 Bibliothèque de l’Institut de France, MS 2289-59, lettre du 1er mars 1866.

35 D’autant que Joyau a relevé le temple rond de manière très détaillée. Cf. Aliquot 2022, p. 22.

36 L’article de Palmer (Palmer 1871) n’a pas été pris en compte par la communauté scientifique bien qu’il figure dans la bibliographie de Mendel qui précise ne pas l’avoir lu (Mendel 1914, p. 346). Reinach le signale dans la réédition de son article en 1912 mais il ne semble pas l’avoir lu non plus, cf. supra, note 37.

37 Palmer 1871, p. 110-111.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1.
Légende La statue colossale devant la porte du sérail de Baalbek
Crédits photo F. Bonfils, 1873
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/15362/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 404k
Titre Figure 2.
Légende Plan de Baalbek au début du xixe s.Lieux de découverte supposés de la statue colossale : 1 acropole, grand sanctuaire ; 2 temple circulaire, dit de Vénus ; 3 Haret Bet Sulh, sanctuaire hypothétique ; 4 Sheikh Abdallah, sanctuaire de Mercure.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/docannexe/image/15362/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 468k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Sylvain Caillou, « Hypothèse sur le lieu de la découverte de la grande Vénus de Baalbek par Achille Joyau en 1865 »Syria, 100 | 2023, 183-191.

Référence électronique

Jean-Sylvain Caillou, « Hypothèse sur le lieu de la découverte de la grande Vénus de Baalbek par Achille Joyau en 1865 »Syria [En ligne], 100 | 2023, mis en ligne le 04 mars 2024, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/15362 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.15362

Haut de page

Auteur

Jean-Sylvain Caillou

Chercheur associé à l’Ifpo

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search