Jean Perrot (dir.), Le palais de Darius à Suse, Une résidence royale sur la route de Persépolis à Babylone
Jean Perrot (dir.), Le palais de Darius à Suse, Une résidence royale sur la route de Persépolis à Babylone, PUPS, 2010, 30 x 23, 520 p., 530 ill. en n/b et en coul. ISBN : 978-2-84050-681-2.
Texte intégral
1Voici une luxueuse publication destinée à couronner une importante enquête réalisée sur le tell de l’Apadana de Suse entre 1969 et 1979, opération qui correspond à une reprise des recherches engagées en réalité depuis la découverte de Suse au milieu du xixe s. sur le palais dit « de Darius ». Cet ouvrage se veut à la fois une relation des trouvailles de la dernière décennie de travaux en même temps qu’une large synthèse sur l’ensemble du sujet. Ambition légitime et qui a l’intérêt de présenter un état de la question, alors que les travaux de ce genre dans notre discipline ne sont plus réellement à l’honneur, puisqu’on leur préfère les petites contributions, généralement sans suivi, dans des colloques trop souvent inorganisés sur le plan de la recherche : l’approfondissement d’une question n’y trouve pas son compte et, j’ose le dire, la science non plus.
2De par ses objectifs, l’ouvrage ne peut pas être considéré comme une publication de fouille et le plan est évidemment la conséquence de cette volonté de synthèse puisque le palais lui-même n’apparaît qu’à la p. 120, au quart de l’ouvrage.
3Les trois premiers chapitres forment une sorte de large introduction générale. Le premier est consacré, par les soins de P. Briant, à une présentation historique de la position de Suse et de l’Elam dans l’empire achéménide ; le deuxième, par F. Vallat, est une évocation de la personne de Darius le grand Roi et une tentative pour mieux cerner, et en principe sans parti pris, à partir des inscriptions où il se présente lui-même, un personnage dont la renommée a varié au gré des commentateurs. Le troisième chapitre est un historique, conduit par N. Chevalier, des observations et des travaux engagés depuis les premiers voyageurs par W. K. Loftus, les Delafoy, J. de Morgan, G. Jéquier, R. de Mecquenem et par R. Ghirshman.
4Au terme de cette introduction générale, un nouveau groupe de quatre chapitres — une première partie en quelque sorte — touche à la présentation du palais. les derniers travaux — accompagnés des résultats majeurs — réalisés de 1969 à 1979 sous la responsabilité de J. Perrot, dans le cadre d’un programme franco-iranien, sont expliqués au chap. iv. Avec le chap. v, nous sommes informés par A. Hesse des principaux résultats obtenus dans une prospection électrique des fondements du palais et de la nature des données que l’on peut espérer d’une telle approche. C’est le chap. vi qui, avec 64 p., par les soins de D. Ladiray, rend compte, assez longuement et avec précision, des données archéologiques obtenues ; il les développe selon trois axes majeurs : étude des fondations qui ont permis de retrouver une grande partie du plan de l’édifice, étude des aspects constructifs — murs, sols, bases de colonne —, présentation des édifices reconnus — portes des Artisans et de Darius, Propylée, l’Apadana, la Résidence —. Enfin, J. Perrot, dans le chap. vii, intitulé « Restauration et restitutions » propose des solutions aux problèmes de la couverture, de la question des étages, de l’ornementation et des fonctions des différentes composantes du palais.
5Suit alors une série de quatre chapitres consacrés à l’ensemble des objets recueillis, le plus souvent récemment, dans l’aire palatiale. La palme revient à la statue égyptienne de Darius publiée au chap. viii par le regretté J. Yoyotte ; une malheureuse malfaçon dans la reproduction des images a nécessité un petit cahier d’errata ; c’est alors tous les confins occidentaux de l’empire et les relations de l’Égypte avec Suse qui apparaissent grâce à cette étude. Puis F. Vallat, au chap. ix, donne la traduction des inscriptions susiennes de Darius, Xerxès et Artaxerxès. Avec A. Caubet et N. Daucé, au chap. x sous le titre « Les arts du feu », est présentée une très bonne synthèse des briques ornementales et des objets en faïence. Quant à P. Amiet et C. Frank, ils offrent au chap. xi une fine analyse de « L’art mobilier à Suse à l’époque perse ».
6La dernière séquence, conclusive, commence avec le chap. xii sous la plume de R. Boucharlat : il y élargit le champ de la présence achéménide à Suse à l’ensemble des bâtiments repérés sur le site. sont ainsi présentés avec habileté, précision et esprit critique les trésors royaux de l’Acropole, le palais du Chaour dont la fonction proposée est d’avoir remplacé l’Apada de Darius endommagé et celui dit « du Donjon » qui n’a sans doute jamais existé ; la question des temples perses, et plus particulièrement des temples du feu, est évoquée. Ensuite au chap. xiii est définie la place de Suse dans l’histoire architecturale : d’abord dans la tradition iranienne par les soins de R. Boucharlat, ensuite dans ses rapports avec l’architecture palatiale babylonienne par H. Gasche qui, dans une approche tout à fait nouvelle, établit les liens entre les traits susiens, dans le fil de la tradition élamite de la salle à quatre saillants, et les salles officielles de Babylone. Quant au chap. xiv, par J. Perrot et J. Soler, il vise à replacer Darius dans son époque et à définir les principes de l’architecture susienne ; J. Soler étudie les rapports des perses avec le monothéisme juif de façon intéressante ; mais on voit mal la raison de ce développement comme conclusion générale de cet ouvrage, quels qu’aient été les liens, rapportés par la Bible, entre les Juifs et les Perses.
7En annexe, F. Vallat donne une traduction de la version élamite de la célèbre inscription de Darius à Béhistun, document évidemment de grand intérêt mais dont on ne voit pas très bien comment il éclaire de façon spécifique le palais de Suse (seules allusions à l’Elam comme puissance vaincue aux § 16 et 21-23, et sans rapport avec le palais qu’il va construire).
8Sont d’autre part intégrés à l’intérieur de l’ouvrage 23 « encarts » qui sont des doubles pages (à l’occasion moins ou plus) consacrées à un thème précis auquel est donné un développement spécifique sous la signature (initiales) de l’un des auteurs. parfois ces textes viennent juste compléter ou élargir une indication plus rapide de l’un des chapitres, cependant il s’agit aussi, souvent, de la reprise d’une question abordée ailleurs, sans que l’on sache toujours exactement où ; je pense en particulier à la statue de Darius qui apparaît ainsi en de multiples endroits ; il en va de même, par exemple, de la résidence dont il est question en encart aux p. 210-215 et 248-249, sans que l’on sache expressément s’il s’agit d’un développement dans le chapitre correspondant ou un développement autonome : il peut en résulter l’impression d’une certaine inorganisation.
9L’illustration est particulièrement abondante : 530 figures (plus d’une par page), sous forme de photographies en noir et blanc et surtout en couleurs, de plans, de restitutions des édifices, de croquis explicatifs, de documents d’archives. La qualité des reproductions est excellente et les couleurs sont le plus souvent de belle tenue. Certains plans sont particulièrement expressifs : par ex. ceux du chapitre d’H. gasche, où sont superposés avec des couleurs différentes des formules architecturales de monuments différents. Je m’interroge sur la signification de l’expression « héritage virtuel » à la fin des légendes proposant des restitutions par ordinateur et je regrette l’absence d’une table des illustrations car, sans elle, il est bien difficile de retrouver un document précis.
10La bibliographie, très abondante et très bien développée dans certaines directions (15 p.), est néanmoins — je dirais évidemment — incomplète ; en particulier, la plupart des références à des études architecturales, qui permettraient de mieux comprendre les bâtiments de Suse, ont été omises.
11On regrette aussi l’absence de tout index.
12Ainsi, en partant du palais de Darius, l’ensemble achéménide retrouvé à Suse est restitué dans une synthèse où, tour à tour, inscriptions, architecture, statuaire, mobilier, cherchent à offrir une nouvelle vision de l’histoire de Suse à l’époque achéménide et de sa place dans l’empire : voilà ce que veut être cet ouvrage. y a-t-il pleinement réussi ?
13On ne peut que louer les approches multiples qui cherchent à dresser le nouveau portrait de la période achéménide de Suse grâce à la documentation nouvelle issue des dernières fouilles et offerte ici dans de brillants développements. Tout cela est le fruit du rassemblement de spécialistes particulièrement compétents et talentueux. Sur de nombreux points la réussite est totale.
14Cependant je ne suis pas sûr que l’image architecturale du palais qui nous est offerte soit réellement conforme à la réalité ancienne et c’est sur cette question que je désire exprimer quelques réserves, encore que les limites d’un compte rendu ne permettent pas de conduire ici une démonstration détaillée.
15Notons d’abord qu’un plan ne doit jamais être publié sans échelle et sans orientation (par ex. fig. 137), que les tracés des coupes — bienvenues et d’une grande utilité —, pour être réellement compréhensibles et utilisables doivent être replacés sur un plan (par ex. les fig. 129-131, 133), que schémas et photos ont tout intérêt à être clairement repérables sur un plan (par ex. les fig. 133-136), que l’on souhaite y retrouver la désignation d’un lieu précis donné dans la description littéraire (où trouve-t-on le couloir « R4 » mentionné p. 164 ? — En fait, sur le plan de la p. 217, qui n’est pas appelé en référence et qu’il faut donc chercher plan après plan, puisqu’il n’y a aucune table).
16Les données architecturales sont livrées dans un premier temps à partir des observations archéologiques, selon une saine méthode. On a là l’exposé d’un certain nombre de faits qui peuvent servir ensuite à l’élaboration de l’interprétation. Mais entre ces deux moments — la récolte des informations et l’interprétation finale — se situe nécessairement le temps de l’analyse architecturale qui doit aboutir à une mise en ordre des informations — en fait à une hiérarchisation — finalement révélatrice de l’ordre architectural : c’est ce temps qui a été escamoté.
17On notera d’abord l’importance bien vue du système des fondations, sans lequel aucune construction d’une telle envergure n’était possible. Deux remarques cependant : il serait bien étonnant qu’un réseau de cette importance, ancré à une telle profondeur (entre 5 et 10 m) n’ait pas eu aussi pour fonction de soutenir un édifice comportant un étage ; ensuite un tel réseau n’est nullement une exception : toutes les cités syro-mésopotamiennes depuis le IIIe millénaire — et pas seulement pour les grands monuments — le mettent en œuvre (v. Cités Invisibles à paraître) : il ne s’agit pas là d’un trait spécifiquement susien ou iranien.
- 1 « Le palais de Darius à Suse : problèmes et hypothèses », Arta 2010.001, p. 1-13, part. p. 8 ; http (...)
18Compte tenu de l’aspect lacunaire de cette documentation — comme celle de toute l’architecture proche-orientale antique —, il fallait, en effet, faire jouer dans l’analyse deux caractéristiques fondamentales de l’architecture. D’abord les traits structuraux essentiels encore détectables, car l’architecture est fondamentalement une organisation structurale dont la mise en œuvre aboutit au volume architectural ; les liaisons structurales permettent donc de retrouver une partie du système et, par voie déductive, souvent de compléter le volume. La seconde caractéristique, que l’on doit avoir toujours en tête mais qui n’est que rarement perçue par les archéologues, c’est que l’organisation structurale du rez-de-chaussée — celle que la fouille remet au jour — est directement commandée par le plan de l’étage et par les descentes de charge. Je n’en prendrai ici qu’un seul exemple : les deux séquences de ces salles étroites, allongées et parallèles de part et d’autre des salles dites (sans doute à tort) « des appartements royaux », n’épousent pas cette forme parce que ce sont des magasins (contrairement à ce qui est toujours avancé), mais parce qu’elles ont à supporter le plancher de grandes salles au niveau supérieur : la fonction de magasin n’est qu’une utilisation secondaire dérivée d’une forme née de l’organisation architectonique. C’est ce que, avec raison, P. Amiet a déjà signalé (avec d’autres remarques fort judicieuses, dans sa note 1), et c’est ce que j’ai établi dans tous les cas — et ils sont nombreux — où cette formule architecturale est observée. Je pourrais multiplier les exemples de ce genre, car c’est à partir de telles données que l’on doit conduire l’analyse architecturale à laquelle il faut aussi ajouter une analyse de la diffusion de la lumière, des modalités de circulation et des caractéristiques de l’infrastructure.
19C’est toujours en ayant présent à l’esprit que l’étage commande la morphologie du rez-de-chaussée que l’on doit s’interroger sur certaines solutions architecturales qui n’ont de sens que par la présence de cet étage : par ex., c’est certainement dans cette direction qu’il faut chercher les raisons de la formule de la salle à quatre saillants. C’est aussi pour cela qu’il faut s’interroger, à nouveau, non seulement sur la morphologie de l’Apadana, mais aussi sur sa fonction réelle.
20Mais ces diverses démarches analytiques n’ont malheureusement pas été conduites. il n’existe alors pas de base, ni de contrainte logique qui permette de déduire des fonctions précises ; toutes les identifications proposées, qui ne reposent sur aucune base solide, relèvent donc plus de l’impressionnisme que de la logique. C’est aussi parce qu’il n’y a aucune analyse structurale réelle préalable au rendu artistique, que certaines restitutions graphiques, très belles par ailleurs, ne sauraient refléter la réalité antique.
21Pour conclure, il est possible, à partir de la seule documentation architecturale subsistante, de démontrer qu’un étage existe. Affirmer qu’un « habitat à l’étage apparaît comme un contresens architectonique » relève d’une simple pétition de principe non fondée.
22Malgré le souhait du maître d’œuvre, je ne suis pas sûr que l’on connaisse maintenant beaucoup mieux qu’avant (« …un palais souvent mentionné, mais jamais vu ni compris », p. 466) le palais de Darius lui-même, qui est encore à découvrir dans ses divers aspects. Mais il reste que les autres points de l’étude forment une belle synthèse en même temps qu’un état de la question ; les ouvrages de ce type sont trop rares de nos jours pour que l’on ne loue pas certaines des réussites évidentes de celui-ci.
Notes
1 « Le palais de Darius à Suse : problèmes et hypothèses », Arta 2010.001, p. 1-13, part. p. 8 ; http://www.achemenet.com/
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Jean-Claude Margueron, « Jean Perrot (dir.), Le palais de Darius à Suse, Une résidence royale sur la route de Persépolis à Babylone », Syria, 89 | 2012, 426-429.
Référence électronique
Jean-Claude Margueron, « Jean Perrot (dir.), Le palais de Darius à Suse, Une résidence royale sur la route de Persépolis à Babylone », Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juin 2016, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1105 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1105
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