François Widemann, Les successeurs d’Alexandre en Asie Centrale et leur héritage culturel
François Widemann, Les successeurs d’Alexandre en Asie Centrale et leur héritage culturel. Essai, Riveneuve, Paris, 2009, 24 x 16 cm, 527 p., XVI pl., ISBN : 978-2-914214-71-1.
Texte intégral
1On sait depuis longtemps que l’Asie centrale fit partie intégrante du monde hellénistique, qu’elle fut une terre où la culture grecque s’est enracinée et a irrigué les cultures locales, et qu’elle abrita les derniers États grecs restés indépendants, seulement disparus dans le courant du ier s. de notre ère. Elle reste pourtant une région mal connue, parce que les auteurs anciens s’y intéressèrent peu, que la pratique d’enregistrer les documents officiels sur la pierre y fut sans doute moins répandue que dans d’autres régions et que les fouilles archéologiques y ont souvent été décevantes. Rares sont les auteurs qui se sont lancé le défi d’en retracer l’histoire, ce qui suppose de maîtriser la seule véritable documentation qui le permette, la documentation numismatique. Celle-ci est abondante et mouvante, car le pillage des sites et les découvertes fortuites font connaître des pièces qui rejoignent des collections privées et disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues, alors qu’elles fournissent des jalons essentiels à notre connaissance de la chronologie et des successions politiques. Fr. Widemann, directeur de recherche honoraire au CNRS, physicien rattaché au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, mais également auteur de plusieurs articles consacrés aux monnaies d’Asie centrale, s’y est néanmoins essayé. Il nous livre un ouvrage volumineux, pour l’essentiel organisé selon une trame chronologique qui embrasse la période de plusieurs siècles, des conquêtes d’Alexandre le Grand à l’établissement du royaume des Kouchans, dans le courant du ier s. de notre ère. S’il s’intéresse en priorité à l’histoire des États grecs, il n’hésite pas non plus à prendre en compte celle des États voisins indo-scythe, saka et indo-parthe, fondés par des populations originaires du monde des steppes qui mirent à profit l’affaiblissement des Parthes et des Gréco-bactriens. L’ouvrage comporte 18 chapitres dont la matière se répartit à peu près également en deux ensembles : les premiers couvrent la période allant jusqu’à la mort d’Eucratide et de Ménandre (vers 145-135 av. J.‑C.), les deux derniers rois grecs à avoir contrôlé de vastes territoires, les autres couvrent les décennies qui suivent. L’objectif est de reconstituer non seulement la chronologie des différents règnes, mais aussi l’organisation politique des royaumes, voire la politique de leurs dirigeants. On peut le juger ambitieux (trop ?) au vu de l’état de nos connaissances. Un dix-neuvième chapitre fait le bilan de l’héritage culturel des Grecs en Asie centrale et en Inde du Nord-Ouest. Il justifie en quelque sorte le titre de l’ouvrage, mais consiste en un simple résumé qui n’ajoute pas grand-chose au reste du livre. Ce dernier comporte aussi une conclusion et trois appendices ; le premier dresse la liste des homonymes des rois gréco-bactriens ; le second étudie les types monétaires du point de vue de l’histoire de l’art ; le troisième, plus intéressant, examine les quantités et la nature des métaux précieux frappés par les différents rois. La bibliographie est bien présentée, ce qui en facilite l’usage. Elle recense tous les grands classiques de l’histoire de la région, mais n’est pas toujours complètement à jour. Les travaux de B. Kritt (Seleucid Coins of Bactria, 1991 ; Dynastic Transitions in the Coinage of Bactria, 2001), de F. Holt (Thundering Zeus, 1999) ne sont par exemple pas cités, alors qu’ils ont permis de reclasser les émissions de plusieurs rois, qu’ils ont renouvelé l’histoire des premiers temps de la Bactriane grecque et suscité quelques débats sur lesquels on aurait aimé connaître l’avis de l’auteur. En revanche, le catalogue que C. Fröhlich a récemment consacré aux monnaies indo-scythes et indo-parthes conservées au Cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale y figure, mais il n’est jamais cité dans le texte lui-même. Cela peut tenir à l’ampleur du travail accompli par Fr. Widemann, qui s’est nécessairement étendu sur plusieurs années, sans que les mises à jour aient été systématiquement effectuées. La même raison peut expliquer qu’il ne tienne pas vraiment compte des évolutions qui se sont produites depuis une quinzaine d’années dans notre connaissance des royaumes hellénistiques et notre compréhension de leur mode de fonctionnement, celui des Séleucides plus particulièrement dont le royaume gréco-bactrien est issu.
2L’ouvrage est trop volumineux pour que l’on puisse en donner un aperçu systématique et détaillé. Il est d’ailleurs parfois touffu et aurait gagné à être débarrassé de quelques redites et passages superflus, de manière à donner plus de poids à quantité d’observations et de remarques intéressantes, dont profiteront certainement les spécialistes de la région. Une meilleure prise en compte de la nature et de l’origine des métaux utilisés pour la frappe monétaire s’avère ainsi fructueuse, même si l’on peut douter que la perte de certains territoires ait eu pour conséquence de fermer totalement les routes d’approvisionnement, comme le suggère l’auteur. Son choix de ne pas considérer comme posthumes des monnaies royales dont on suppose généralement qu’elles ont été frappées par des populations nomades, à l’imitation de monnaies royales, doit aussi retenir l’attention. Il est plus délicat de le recommander à des non‑spécialistes, car il livre une vision personnelle, ce qui explique d’ailleurs son sous-titre (Essai), sans toujours distinguer de manière claire les faits réellement connus des reconstitutions et des interprétations. À le lire, on pourrait s’imaginer qu’il est possible de reconstruire une histoire politique continue des États grecs de cette partie du monde hellénistique, alors qu’il n’en est rien. Quelques suggestions, qui fondent plusieurs des propositions de l’auteur, sont par ailleurs contestables. Son interprétation des qualificatifs qui accompagnaient le nom des rois, comme c’était aussi l’usage dans les autres royaumes hellénistiques, paraît au mieux insuffisamment démontrée. Elle dépend notamment du choix de considérer que Diodote Ier aurait adopté l’épiclèse de Théos, et non celle de Sôter comme on le dit souvent, Théos devenant par la suite un titre porté par des rois principaux qui auraient délégué une partie de leur pouvoir à des rois adjoints, ce que l’ont peut d’ailleurs aussi discuter. C’est son fils Diodote II qui aurait pris celui de Sôter, épithète jugée inférieure. Mais encore faudrait-il être assuré que ces épiclèses ont été portées du vivant des rois, ce qui est loin d’être certain, et non attribuées a posteriori comme ce fut peut-être le cas pour les premiers rois séleucides. Sôter convient en outre beaucoup mieux à Diodote Ier qui fit de Zeus sa divinité tutélaire, puisqu’il s’agit d’une des épiclèses principales de ce dieu.
3Au total, si l’on ne peut qu’être admiratif devant l’ambition affichée et les efforts déployés, le résultat n’emporte pas toujours la conviction.
Pour citer cet article
Référence papier
Laurianne Martinez-Sève, « François Widemann, Les successeurs d’Alexandre en Asie Centrale et leur héritage culturel », Syria, 89 | 2012, 429-430.
Référence électronique
Laurianne Martinez-Sève, « François Widemann, Les successeurs d’Alexandre en Asie Centrale et leur héritage culturel », Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1082 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1082
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