Frédéric Alpi, La Route royale - Sévère d’Antioche et les Églises d’Orient (512-518)
Frédéric Alpi, La Route royale - Sévère d’Antioche et les Églises d’Orient (512-518), BAH 188, Ifpo, Beyrouth, 2010. T. I : texte, 362 p., T. II : sources et documents, 178 p., ISBN : 978-2-35159-154-3.
Texte intégral
1Avec une grande érudition, Frédéric Alpi a entrepris l’étude minutieuse des sept années pendant lesquelles Sévère, père fondateur de l’Église jacobite, a été le patriarche de l’Église d’Antioche, acteur parfaitement intégré dans l’Église impériale en Orient, sous le règne d’Anastase. L’entreprise est courageuse, tant notre connaissance de Sévère est marquée par les polémiques auxquelles il a été mêlé en tant que chef de file du combat contre Chalcédoine. Pour atteindre ce but, l’auteur a mené l’examen systématique et rigoureux sur tous les documents disponibles, à commencer par les textes de Sévère lui-même, en particulier les homélies cathédrales qui n’avaient jamais fait l’objet d’un tel traitement.
2L’exposé lui-même occupe le premier volume, de 360 p. divisées en cinq parties inégales. En un long liminaire est présentée une biographie de Sévère d’Antioche conduite aussi près que possible de la méthode prosopographique. Elle suit ainsi, dans un ordre rigoureusement chronologique, de la naissance à la mort, les méandres de la vie du jeune homme doué, de bonne naissance, devenu moine après son baptême, se mêlant des grandes controverses christologiques de son temps, avant de devenir évêque d’une des plus grandes Églises de l’Orient, pour basculer dans la dissidence avec l’avénement de Justin en 518, fuir en Égypte et y conduire un tumultueux combat contre Chalcédoine jusqu’à sa mort en 538. Les quatre parties suivantes conservent la même sècheresse de présentation. Une première est consacrée aux « Institutions du patriarcat sévérien », dont l’A. montre que Sévère a cherché, avec efficacité, à les développer et à les renforcer ; une deuzième parle de « L’évêque en sa ville », présentant tous les aspects du métier d’évêque : encadrement liturgique, activité édilitaire, gestion des ressources ecclésiastiques et pastorales. Le dernier chapitre propose un aperçu des réalités sociales de la ville. La troisième partie présente l’action de Sévère au-delà des limites d’Antioche, dans l’ensemble du patriarcat. La quatrième enfin, la plus brève, est consacrée aux « oppositions et dissidences » contre lesquelles a combattu Sévère : les Juifs, les Manichéens et autres chrétiens déviants. Le volume est complété d’une brève conclusion, de quatorze plans et cartes de très grande qualité, et de dix illustrations auxquelles renvoie le texte.
3Ce premier volume est complété d’un second, fort de 176 p., qui réunit une série d’outils de travail qui rendront sans doute de grands services. L’ensemble des sources est présenté sous la forme d’un « catalogue raisonné » associé à une « bibliographie des sources anciennes et médiévales sur le patriarcat de Sévère d’Antioche » ; l’A. prend en compte, à côté des sources grecques, latines et syriaques, les textes arabes, éthiopiens et coptes. Deux douzaines d’inscriptions plus ou moins étroitement liées à l’épiscopat de Sévère semblent moins à leur place ici : certaines servent d’illustration et ont été mentionnées dans le texte, d’autres apparaissent comme le fruit d’un choix un peu aléatoire, sur lequel l’auteur ne s’explique pas. On retrouve la rigueur qui marque tout l’ouvrage dans la présentation des « Regestes du patriarcat sévérien (512-518) » qui recensent 66 documents ; ce précieux inventaire est suivi d’un tableau des lettres de Sévère datées entre 513 et 518 qui n’ont pas de caractère officiel (bien que la définition de la catégorie paraisse un peu vague). Enfin, un répertoire prosopographique présente tous les personnages recensés dans les sources qui ont été concernés directement par l’action de Sévère pendant son patriarcat.
4Tout cet ensemble présente une matière riche, qui souligne à quel point ces années « ordinaires » de la vie de Sévère méritent l’attention. Pourtant, c’est essentiellement une impression de frustration qui ressort de la lecture de ce livre. Est-ce parce qu’on sent trop, sous l’ouvrage édité, la thèse de doctorat dont il est issu ? Il est vrai que tous les échafaudages de la recherche sont encore présents, et que la plupart des chapitres ressemblent plus à des successions de notices qu’à un développement suivi. On pourrait se faire à cette construction austère, on pourrait se résigner aux inévitables répétitions qu’elle entraîne, si elles étaient mises au servie de la démonstration, ou si elles nous éclairaient sur la vie religieuse à Antioche au début du vie s. Mais si démonstration il y a, elle n’est guère stimulante, dans la mesure où la thèse principale de l’auteur semble être que Sévère a été un patriarche comme les autres. C’est du moins ce qui semble ressortir de l’accumulation d’examens de détails sur (en vrac) l’année liturgique à Antioche, le processus d’élection de Sévère, les modalités de l’administration de l’Église urbaine ou du patriarcat. Tout ce qui pourrait être intéressant est ramené à une normalité sortie tout droit des manuels d’histoire ecclésiastique du siècle précédent. Chaque fois qu’une question intéressante et difficile est abordée, elle est aussitôt applatie par le positivisme de l’auteur, comme une fleur entre les pages d’un herbier. C’est une des raisons pour lesquelles cette somme d’érudition reste d’une trop grande platitude ; une autre est l’absence de mise en perspective historique. L’auteur s’est comme laissé enfermer dans la méthode prosopographique, qui interdit toute comparaison. à titre d’exemple, on est surpris de voir les références à Jean Chrysostome si rares et si superficielles, alors que l’analyse que propose l’A. des homélies cathédrales de Sévère inspire au lecteur des rapprochements multiples avec la pastorale de Jean, comme l’A. ne le note que trop rarement, et sans jamais pousser plus avant la réflexion. Mais on peut en dire autant du contexte historique ; ni Antioche avant Sévère, ni les provinces orientales dans leur ensemble, ni la situation de l’Empire ne sont éclairées par la présente étude ; au contraire, elles sont réduites à des formules péremptoires qui répètent l’opinion commune (« Avec la place éminence reconnue aux pauvres, l’évêque doit assumer désormais, comme leur premier protecteur, les principales responsabilités dans la ville, tandis que semblent décliner les institutions civiques traditionnelles », p. 157). Inévitablement, ces formules sont contredites par les sources mêmes présentées par l’A., mais les liens ne sont pas établis. Ainsi, un chapitre s’ouvre avec : « Sous Anastase, l’Empire romain d’Orient se comprend comme adéquat à la chrétienté orthodoxe et l’on ne peut concevoir d’Église dissidente qu’en dehors de ses frontières géographiques », p. 117), alors que, quelques chapitres plus loin, le complexe dossier du manichéisme à Antioche à la même époque est présenté. La méthode mise en œuvre semble être l’énoncé d’un axiome, suivi de son illustration par les sources. Ainsi, des questions aussi riches que les relations entre l’évêque et le prince, la gestion économique de l’Église — pourtant exceptionnellement bien documentée —, la diversité religieuse résiduelle en Syrie, le discours sur la religion païenne etc., sont abordés et implacablement réduits à l’état de notices « informatives », largemement déconnectées les unes des autres.
5Ce morcellement des données et ce manque de relief nuisent à la qualité de l’ouvrage. Certes, Sévère est soustrait à la polémique qui obscurcit son personnage historique, mais si c’est pour le réduire à une sorte de portrait robot de métropolitain, est-ce que l’entreprise en valait la peine ? La réponse est d’autant plus négative que, de toute évidence, les sources existent pour appréhender non seulement la figure de Sévère dans sa richesse, mais aussi la complexité de la vie religieuse à Antioche. On peut espérer que Fr. Alpi, qui connaît ces sources mieux que personne, aura l’occasion de les exploiter, maintenant qu’il est libéré du devoir de la publication de sa thèse. D’ores et déjà, on doit le remercier de mettre à la disposition des historiens un ensemble de sources méconnues à cause de leur dispersion, dont la collection apparaît fort riche.
Pour citer cet article
Référence papier
Claire Sotinel, « Frédéric Alpi, La Route royale - Sévère d’Antioche et les Églises d’Orient (512-518) », Syria, 89 | 2012, 456-457.
Référence électronique
Claire Sotinel, « Frédéric Alpi, La Route royale - Sévère d’Antioche et les Églises d’Orient (512-518) », Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1067 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1067
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