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Recensions

Lætitia Graslin-Thomé, Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Iermillénaire. Une approche économique

Brigitte Lion
p. 415-417
Référence(s) :

Lætitia Graslin-Thomé, Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Iermillénaire. Une approche économique (Orient et Méditerranée 5), De Boccard, Paris, 2009, 516 p., 13 cartes, ISBN : 978-2-7018-0268-8.

Texte intégral

1Proposer une approche économique des échanges terrestres à longue distance en Mésopotamie et en Syrie durant la première moitié du Ier millénaire av. J.-C., soit aux époques néo-assyrienne et néo-babylonienne, est le but de ce travail, rédigé par une auteure qui bénéficie d’une double compétence, d’historienne et d’économiste. La méthode en est ainsi définie : « étudier les sociétés anciennes avec un regard d’économiste revient donc à la fois à se demander comment les théories modernes peuvent apporter un éclairage nouveau sur le passé et comment la connaissance de ce même passé peut compléter la connaissance économique » (p. 96).

2L’ouvrage commence donc par une présentation des sources et des théories économiques. La documentation disponible comprend, en majorité, les textes cunéiformes néo-assyriens, qui consistent essentiellement en inscriptions royales, lettres et archives privées, et néo-babyloniens, notamment les archives administratives issues de deux temples, l’Eanna d’Uruk et l’Ebabbar de Sippar. Ces sources concernent surtout le commerce de Mésopotamie ; s’y ajoutent, pour les régions du Levant, certains passages de la Bible. L’ouvrage utilise aussi ponctuellement les inscriptions alphabétiques hébraïques, araméennes et phéniciennes. On soulignera l’intérêt du caractère synthétique d’une telle étude, car les sources de ces différentes époques et régions, de natures très diverses, sont en général traitées de façon séparée.

3Les grands modèles économiques, parfois mis à contribution de façon explicite ou non par les historiens du Proche-Orient, sont ensuite présentés au lecteur : weberien, marxiste, anthropologique (en particulier les travaux de K. Polanyi) et diverses approches modernistes ; puis les éléments de ces théories relatives au commerce international sont étudiés, depuis les modèles néo-libéraux jusqu’au modèle d’inspiration marxiste, souvent invoqué en assyriologie à propos, précisément, des grands empires du Ier millénaire, vus comme prédateurs des espaces soumis par le biais des tributs. Les concepts essentiels utilisés par les économistes sont aussi définis et discutés, notamment la notion de marché et les nuances à apporter aux interprétations de K. Polanyi : L. Graslin-Thomé conclut sur ce point à une diversité de situations dans la Mésopotamie du Ier millénaire, où une grande partie de la paysannerie reste confinée aux types d’échanges traditionnels et n’a guère les moyens de tirer des bénéfices des fluctuations de prix, alors que des entrepreneurs, issus du milieu des notables urbains, privilégient les activités spéculatrices et la recherche du profit.

4L’inventaire des produits du grand commerce comprend les textiles, bois, métaux, pierres précieuses, chevaux, produits alimentaires spécifiques… Le lecteur trouve au fil de ce chapitre des synthèses précises fort utiles, par exemple sur les teintures ou le coton, bibliographie exhaustive à l’appui. Pour chaque produit sont analysés ses lieux de provenance (qui ne recouvrent pas nécessairement ses zones de production), la forme sous laquelle il est commercialisé (produit brut ou travaillé), ses prix, les formes d’échange auxquelles il donne lieu et les acteurs du commerce (palais, temples, marchands privés). Des cartes récapitulent les lieux où, d’après les textes, ces produits sont acquis. Une étude des routes commerciales et de leur évolution, en fonction des changements politiques de la région, donne une image dynamique de ces échanges sur un demi-millénaire. Elle permet de prendre en compte les spécialisations régionales et les coûts de transport, ainsi que l’importance des villes dans différentes aires géographiques : non seulement les cités phéniciennes, mais aussi certaines villes de Syrie du Nord (Karkemiš, Hārran) ou du moyen Euphrate ; dans ces deux derniers cas, l’intégration de ces régions à l’empire néo-assyrien semble avoir eu plutôt des effets négatifs du point de vue de leur dynamisme économique.

5La dernière partie considère l’encadrement institutionnel des échanges et les divers types d’intervention de l’État : protection du commerce par les traités internationaux, mais le droit des affaires et celui des contrats demeurent mal connus ; fixation de poids et mesures, sans pourtant aboutir à un système uniforme ; prélèvement de taxes et contrôle direct de certains produits, de luxe notamment. Les opérations militaires sont aussi une forme d’intervention économique, même si le poids des butins dans l’ensemble de l’économie reste difficile à évaluer. L’auteure propose un schéma selon lequel l’Assyrie, sachant tirer profit des pays vaincus, capter le commerce à longue distance et drainer butins et tributs, aurait finalement connu un niveau de développement et d’innovation plus faible que les régions levantines, stimulées par la demande assyrienne.

6L’étude des marchands pose un problème de terminologie : les activités du tamkārum, (mot conventionnellement traduit par « marchand ») peuvent être à la fois la vente, le transport et le crédit, alors que les personnes que l’on voit acheter et vendre des biens ne sont pas toujours désignées par un vocable précis. Un lien avec l’administration royale est possible pour certains marchands à l’époque néo-assyrienne, mais apparemment pas pour tous, et ce lien n’est pas démontrable à l’époque néo-babylonienne. Une fois de plus, les sources disponibles sont peut-être en cause, dans la mesure où les textes néo-assyriens sont en grande partie d’origine palatiale et mettent donc en lumière les aspects du commerce qui concernent le roi et le palais, alors que les tablettes néo-babyloniennes renvoient à l’économie des temples. Il semble en fait exister diverses catégories de marchands ; s’il y a une spécialisation, elle ne se fait pas en fonction des produits, sauf dans le cas particulier des chevaux, mais selon le rayon d’action : commerce des produits locaux ou à longue distance. Pour protéger leurs activités et diminuer les risques, les marchands peuvent diviser leurs capitaux entre plusieurs opérations et s’associer pour une même expédition. S’il n’y a que très peu d’informations sur d’éventuelles associations de marchands, il est certain que la réputation d’une personne constitue la meilleure des garanties, dans un milieu où tous les intervenants se connaissent. Quant à la perception, par les acteurs eux-mêmes, des phénomènes économiques, elle est difficile à évaluer, dans l’état très incomplet de la documentation ; elle ne semble pas correspondre aux exigences de rationalité des économistes modernes, peut-être parce qu’il n’existe pas qu’une seule forme de rationalité et que d’autres exigences que celles du profit peuvent entrer en ligne de compte.

7La conclusion, très nuancée, insiste sur la difficulté de privilégier un modèle économique précis au détriment des autres, les échanges n’étant pas forcément perçus ni pratiqués de la même façon par les palais, les temples ou les marchands eux-mêmes. Si les approches théoriques des phénomènes économiques de l’Antiquité proche-orientale ne sont pas une nouveauté, l’une des originalités de ce travail consiste à ne pas partir d’un modèle préalablement choisi à l’exclusion des autres, et à présenter les différentes théories pour vérifier au coup par coup si elles sont applicables et pertinentes. L’aspect pragmatique de cette démarche évite l’écueil de l’utilisation des textes de façon partielle ou partiale pour les faire répondre à des impératifs théoriques préconçus. Les théories présentées dans la première partie de l’ouvrage peuvent en fait contribuer à expliquer les phénomènes du commerce à longue distance, mais certaines conviennent mieux que d’autres à des situations particulières. La connaissance directe des sources permet à l’auteure de traiter ses informations de première main et la bibliographie, abondante, prend en compte beaucoup d’études très récentes. La méthodologie est très clairement définie et la démarche expliquée à chaque étape, ce qui rend le travail compréhensible à la fois par les économistes et par les historiens — y compris, parmi ces derniers, ceux qui ne sont pas spécialistes d’économie.

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Pour citer cet article

Référence papier

Brigitte Lion, « Lætitia Graslin-Thomé, Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Iermillénaire. Une approche économique »Syria, 89 | 2012, 415-417.

Référence électronique

Brigitte Lion, « Lætitia Graslin-Thomé, Les échanges à longue distance en Mésopotamie au Iermillénaire. Une approche économique »Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1059 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1059

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