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Recensions

Aurélie Carbillet, La figure hathorique à Chypre (IIe-Iermill. av.J.-C.)

Sabine Fourrier
p. 405-406
Référence(s) :

Aurélie Carbillet, La figure hathorique à Chypre (IIe-Iermill. av.J.-C.), AOAT388, Ugarit-Verlag, Münster, 2011, 24 x 16,7 cm, 370 p. + 90 pl., ISBN : 978-3-86835-059-3.

Texte intégral

1Ce gros ouvrage est la publication d’une thèse, soutenue en avril 2009 : on doit féliciter l’auteur de la rapidité avec laquelle elle a transformé un travail de recherche en un beau livre, abondamment illustré et documenté. On regrettera toutefois que cette qualité soit quelque peu gâchée par un système de subdivision en chapitres inutilement lourd (jusqu’à 6 chiffres : par ex. « I.2.2.2.9.4 », p. 172), qui rend illisible un plan pourtant très clair, et surtout par une expression souvent incorrecte : on ne compte pas les fautes d’orthographe, les phrases bancales, les glissements de niveaux de langue (par ex., « juteux commerce du cuivre », p. 236), les anglicismes (par ex. « natifs » pour parler d’autochtones, p. 61) et les emplois de termes impropres, qu’ils soient bizarrement précieux (par ex. « prolégomènes » quand il s’agit simplement de résumer le cadre historique, p. 33, etc.) ou péjoratifs (par ex. « querelle intestine » pour désigner le débat concernant la date d’apparition des royaumes chypriotes, dont je pensais, pour y avoir pris part, que les enjeux étaient autrement importants, p. 53).

2Il s’agit d’une étude d’iconographie, portant sur une image divine chypriote, celle de la déesse d’origine égyptienne Hathor. Malgré son apparente limitation, le sujet est pourtant loin d’être simple. La figure hathorique est attestée à Chypre pendant une longue période (depuis le Bronze récent I jusqu’au ive s. av. J.-C. au moins) et elle est déclinée sous de nombreuses formes et sur des supports variés. L’auteur parvient non seulement à maîtriser cette documentation dispersée et disparate, mais sa bonne connaissance des répertoires iconographiques égyptiens et levantins lui permet également de proposer des rapprochements qui éclairent les modes et les voies de transmission des modèles à l’échelle de la Méditerranée orientale. A. Carbillet adopte, par ailleurs, une approche archéologique, en prêtant attention non seulement aux supports, mais aussi aux contextes de découverte et de réception des images. Ainsi appréhendée, la documentation permet de proposer une synthèse sur l’une des images de la Grande Déesse de Chypre et, partant, sur l’importance de cette dernière dans les royaumes chypriotes de l’âge du Fer.

3Le plan de l’ouvrage est clair. Après une introduction qui pose la problématique et replace le sujet dans l’histoire des recherches, la première partie étudie les images hathoriques de Chypre en suivant un plan chronologique : l’âge du Fer, en particulier les vi-ve s. av. J.-C., regroupe la documentation la plus nombreuse et la plus variée. La deuxième partie reprend de manière systématique les observations égrenées au fil des exemples étudiés et elle en fait la synthèse, notamment en ce qui concerne les formes empruntées par l’iconographie hathorique à Chypre et les fonctions de la déesse. Enfin, la troisième partie regroupe dans une synthèse les conclusions proposées et suggère un rapprochement entre la diffusion de l’image hathorique à Chypre et celle du mythe égyptien de la « Lointaine ». Le catalogue reprend enfin tous les objets examinés précédemment selon un ordre chronologique, en les rassemblant cette fois selon leur catégorie, depuis les chapiteaux-stèles (cat. A) jusqu’aux monnaies (cat. P).

4L’ampleur chronologique et géographique du sujet explique sans doute quelques approximations historiques ou des raccourcis malheureux. Ainsi, pourquoi placer la « fin des royaumes » en 325 (p. 52) ? Pourquoi interpréter le royaume de Nûria, qui apparaît dans les listes assyriennes, comme représentant « Amathonte ou Kition ? » (p. 54). C’est à propos de Qarthadasht que ces deux villes sont concurremment citées ; pour Nûria, les seules villes proposées sont Amathonte et Marion. Quant à l’argumentation développée autrefois par C. Baurain, elle est tout de même un peu plus riche qu’un raisonnement « par élimination ». On hésitera également à suivre l’auteur dans certaines de ses démonstrations, « événementielles » ou « ethniques » : pourquoi les campagnes d’Apriès contre la Phénicie et Chypre fourniraient-elles un terminus post quem pour la création des chapiteaux hathoriques (p. 88-89) ? Pourquoi s’étonner que la dynastie phénicienne de Kition conserve, dans le palais d’Idalion, un chapiteau hathorique, symbole lié à la royauté : les rois kitiens n’étaient-ils pas « rois de Kition et d’Idalion » ?

5Il n’est guère besoin de multiplier les exemples : ces réserves ne touchent pas le cœur du sujet, qui est une étude scrupuleuse et méthodique de l’image hathorique à Chypre. L’auteur organise en séries de production une documentation très variée, elle fait ainsi surgir des cohérences, elle met en exergue des spécificités. Par ailleurs, elle propose des mises au point complètes sur certaines catégories d’objets (c’est notamment le cas des chapiteaux-stèles, p. 85-132) et elle règle définitivement certains problèmes iconographiques (par ex. à propos des têtes qui apparaissent sur certains vases et dont elle démontre qu’il s’agit de masques barbus et non pas de têtes hathoriques, comme je le supposais, p. 165-166). La relecture, à l’aide de leur grille interprétative d’origine, des motifs égyptiens empruntés, transposés, parfois même transformés, met en évidence la cohérence des emprunts et elle dessine une personnalité divine complexe, maîtresse de la fertilité, régnant sur les morts, protégeant le roi et veillant sur les activités minières et métallurgiques.

6On fait confiance à l’auteur pour avoir su rassembler toutes les images hathoriques, depuis les plus modestes (scarabées) jusqu’aux plus monumentales (chapiteaux). Mais on peut s’interroger sur les limites du corpus : quel est l’élément signifiant minimal qui fait l’image hathorique ? Si l’on considère, comme semble le faire l’auteur, qu’il s’agit de la perruque à boucles enroulées, on doit en effet intégrer dans le catalogue les plaquettes d’orfèvrerie ornées d’une tête coiffée à la fois de la perruque et d’une dépouille de lion (cat. nos K10-K11) et les appliques murales de terre cuite à figure féminine (cat. nos J1-J3). Mais pourquoi ne pas inclure également un centaure de terre cuite d’Agia Irini (Cyprus Museum inv. A.I. 1122) qui possède une perruque similaire et les cornes taurines du « parèdre » de la déesse ? De même, certaines séries ne sont pas aussi cohérentes que ce qui est suggéré. Ainsi, l’amphore cat. I18 n’appartient pas à la catégorie des vases du « style d’Amathonte » : il s’agit d’une amphore de production salaminienne, probablement datable du Chypro-Archaïque I (elle entre dans ce que M. Yon a récemment proposé de dénommer le « style fleuri »), ce qui explique au demeurant sa profonde originalité au sein du groupe I, exclusivement amathousien.

7De manière générale, si les rapprochements sont convaincants, ils sont parfois un peu forcés. Ainsi, l’auteur, reprenant une interprétation autrefois proposée par E. Lagarce et J. Leclant, écrit que les amphorisques du « style d’Amathonte » sont la « version amathousienne » des gourdes du Nouvel An égyptiennes (p. 278). C’est sans doute aller trop loin : ne serait-ce que par leur morphologie et leur répertoire iconographique (qui emprunte tout autant à la Grèce de l’Est qu’à l’Égypte), ces vases représentent une production originale et leur fonction demeure inconnue. Certes, en l’absence de sources écrites (p. 19), l’iconographie constitue l’une des seules sources exploitables pour appréhender les dieux et les cultes chypriotes. Mais est-on vraiment en mesure d’affirmer que les royaumes chypriotes « sont vraisemblablement des théocraties » (p. 229) ou qu’à Amathonte, « Hathor et Bès personnifient le couple divin qui régit (le) commerce international » (p. 277) ? Sans doute n’est-il pas téméraire ni déraisonnable de suggérer que la figure hathorique est l’une des images qui habillait la « Grande Déesse » de Chypre. Mais cette divinité revêtait d’autres images et sa personnalité était vraisemblablement déclinée en de nombreux cultes locaux : c’est, du moins, ce que suggèrent ses noms, tels qu’ils sont écrits en chypro-syllabique et qui sont des ethniques (la « Golgienne », la « Paphienne »). C’est aussi ce que montre l’étude attentive d’A. Carbillet, qui souligne l’existence de spécificités locales dans l’iconographie hathorique. Il est par exemple remarquable que l’image de la déesse soit restée égyptisante (avec notamment le maintien d’oreilles bovines) dans les ateliers de la région de Golgoi seulement (p. 201 et 209). Il est encore plus remarquable que cette image divine à connotation royale soit si prégnante dans une ville qui n’était vraisemblablement pas une capitale de royaume. Il y a là une question à approfondir. Mais c’est le mérite de cet ouvrage, qui traite d’un matériel pourtant déjà publié, que d’offrir une documentation nouvelle pour l’étude des royaumes chypriotes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sabine Fourrier, « Aurélie Carbillet, La figure hathorique à Chypre (IIe-Iermill. av.J.-C.) »Syria, 89 | 2012, 405-406.

Référence électronique

Sabine Fourrier, « Aurélie Carbillet, La figure hathorique à Chypre (IIe-Iermill. av.J.-C.) »Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1041 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1041

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