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Recensions

Véronique Van Der Stede, Les pratiques de stockage au Proche-Orient ancien du Natoufien à la première moitié du troisième millénaire avant notre ère

Jean-Louis Huot
p. 399-401
Référence(s) :

Véronique Van Der Stede, Les pratiques de stockage au Proche-Orient ancien du Natoufien à la première moitié du troisième millénaire avant notre ère (Orientalia Lovaniensia Analecta 190), Peeters, Louvain, 2010, 25 cm, x + 608 p., 212 pl. de dessins au trait, photogr. ISBN : 978-90-429-2226-6.

Texte intégral

1La collection des Orientalia Lovaniensia Analecta vient de publier, avec le soin qui la caractérise, la thèse (soutenue en 2003) de V. Van Der Stede sur Les pratiques de stockage au Proche-Orient ancien, du Natoufien à la première moitié du troisième millénaire avant notre ère (dont une abondante bibliographie de 40 p.). Les pratiques de stockage recouvrent un très vaste sujet. Il s’agit des greniers, silos, entrepôts ou pièces diverses dans lesquels les sociétés agricoles céréalières conservaient le grain. Les céréales ont l’avantage de se conserver assez longtemps, si l’on respecte un certain nombre de règles élémentaires. Le Proche-Orient ancien, à l’issue des temps préhistoriques, s’est consacré (en partie) à des pratiques agricoles fondées sur la récolte des céréales (blé ou orge principalement) qui ont assuré la survie des communautés d’agriculteurs sédentaires qui parsemaient la région. Encore fallait-il savoir conserver les semences et les grains destinés à la consommation. C’est pourquoi l’étude des greniers et autres dispositifs destinés à conserver ces réserves est d’une importance capitale. Il s’agit, en réalité, de la clef de la survie de ces sociétés. Durant les périodes qui vont des premiers essais de sédentarisation de certaines sociétés (à l’époque dite « natoufienne », entre 12000 et 10000 av. J.-C.) jusqu’à l’apparition des premiers essais d’écriture (à l’extrême fin du Ive millénaire en basse Mésopotamie, à la fin du EJ IIIA en Djezireh syrienne, pas avant 2400 av. J.-C.), l’archéologie est seule en mesure de fournir des renseignements.

2Sur un sujet de cette importance, on ne dispose pas d’une trop vaste bibliographie. Depuis le travail pionnier de M. Gast et F. Sigaut (éd.), Les techniques de conservation des grains à long terme. Leur rôle dans la dynamique des systèmes de cultures et des sociétés, 2 vol., Paris, 1979 et 1981, ont paru des études ponctuelles, dans la publication de telle ou telle fouille. Mais de synthèse point. Tout au plus l’auteur peut-il (p. 1, n. 1-2) faire référence aux travaux de O. Aurenche (1981) ou J.-D. Forest (1996) sur ce thème. Aussi doit-on saluer l’entreprise courageuse de V. Van Der Stede, qui n’a pas hésité à aborder un très vaste dossier.

3Peut-être, d’ailleurs, est-ce là le point faible de l’ouvrage. Elle a voulu parcourir la durée la plus longue, quand on ne peut s’appuyer que sur des données archéologiques, soit environ huit millénaires (au moins !), ce qui est énorme (est-ce même raisonnable ?). L’auteur divise son ouvrage en dix chapitres consacrés à ce qu’elle appelle curieusement (p. 5) « les grandes périodes de l’histoire (?) du Proche-Orient ». De plus, l’aire géographique envisagée, entre Taurus et golfe Persique, Méditerranée et Zagros, est elle-même assez vaste, bien que l’on puisse se demander pourquoi, à tout prendre, on n’a pas envisagé aussi le monde anatolien dans son entier, le monde méditerranéen oriental, le Caucase ou les vastes étendues de l’Asie centrale, toutes régions où aux mêmes problèmes ont répondu les mêmes solutions. Le Proche-Orient envisagé ici correspond, en réalité (mais sans qu’on le dise), à celui où, plus tard, règnera l’écriture cunéiforme. Pierre d’attente pour un ouvrage à venir, comme le laissent entendre les dernières lignes de l’ouvrage (p. 378) ? Mais ce choix fournit un cadre sans rapport strict avec le sujet.

4Cependant, huit millénaires et la zone du Proche-Orient ainsi conçue sont déjà, probablement, bien trop considérables. Les spécialistes ne manqueront pas de se chagriner de lacunes dans la documentation. Comment espérer aborder l’époque natoufienne en 4 p. et le PPNA (entre 10000 et 8800 av. J.-C., durant lequel l’apparition d’une véritable agriculture est âprement disputée) en 14 p. ? Pendant ces périodes capitales, les premières sociétés agricoles sédentaires furent confrontées aux incertitudes du stockage à long terme. La liste des sites concernés n’est donc pas exhaustive. à l’est de l’Euphrate, on remarque, pour ne prendre qu’un exemple, l’absence de sites fouillés il y a déjà un certain temps, comme Mlefa’at, Qermez Dere ou Nemrik (explorés avant 1990).

5L’essentiel de l’ouvrage est (trop) centré sur la présentation de la documentation, sous la forme d’une série de notices par site. Cette information est la base, il est vrai, mais fallait-il lui consacrer la totalité des p. 7 à 345 (sur un total de 378), ne réservant que 6 p. à la présentation du « cadre chronologique et géographique », aux « limites de la documentation » (une page) et surtout aux « questions de méthode et de présentation » (deux pages) ? La synthèse du sujet (p. 347 à 378) occupe, in fine, 31 p., dont il ne ressort, au total, qu’un tableau un peu confus.

6L’essentiel de l’ouvrage n’est cependant pas sans mérites. Il permet de disposer, pour les sites présentés, d’un dossier très utilisable, présenté clairement, accompagné des documentations graphique et bibliographique nécessaires. On pourra s’y référer avec confiance.

7Cependant, les problèmes soulevés sont abordés de façon parfois sommaire. Il eut fallu présenter pour commencer les conditions requises par la conservation des grains à long terme, dans des régions climatiques d’ailleurs différentes (moyenne montagne ou plaine, zones arrosées ou steppes semi-arides...). La lutte contre les rongeurs et les insectes, la protection contre l’humidité, l’aération des stocks, le danger de la pourriture, entre autres, auraient dû faire l’objet d’une présentation systématique. Il eut fallu, ensuite, établir les critères permettant d’attribuer aux structures dégagées la fonction de greniers ou de silos de façon fiable, ou possible, ou douteuse, ou exclue. En particulier, la question des superstructures (légères ? végétales ? refaites à chaque ouverture ?) est un point important dans l’interprétation d’une structure ruinée dégagée par une fouille qui ignore, au départ, s’il s’agit ou non d’un dispositif de stockage. On ne fouille que rarement des greniers, mais plus souvent des infrastructures permanentes de greniers temporaires. Souvent, on en est encore, selon les sites et les fouilleurs, à se demander si les espèces de « plates formes » dégagées sont des banquettes, des aires de battage, de séchage ou de couchage (ce qui n’est pas la même chose...) ou des soubassements de structures disparues dont on ignore tout. Or, si les bases factuelles sont incertaines, les interprétations sont audacieuses ! Ces questions sont abordées çà et là, à propos de tel ou tel site qui a permis à l’auteur des considérations sur ces questions, mais les problèmes de fond sont disséminés au hasard des pages et non regroupés de manière logique au seuil du travail. Il faut attendre la p. 362 pour lire dans la conclusion, à propos de la superstructure des greniers, une allusion aux questions soulevées par la ventilation et les différentes solutions apportées à ce problème, ou la p. 367 pour aborder le rôle du feu dans la purification d’un silo déjà utilisé. Les « questions d’interprétation » n’occupent, dans la conclusion, que quatre pages (p. 374-378).

8On s’attendrait par ailleurs, dans un tel domaine, à un recours massif aux données ethnographiques disponibles, qui sont nombreuses. S’il est un thème à propos duquel des comparaisons avec des pratiques actuelles (ou subactuelles, comme disent les géographes) s’imposent, c’est bien celui-là ! Les questions demeurent les mêmes, les solutions disponibles également, peu nombreuses. Avec la prudence qui s’impose, le parallélisme avec des techniques encore utilisées de nos jours aurait sans doute conduit à des considérations intéressantes. L’auteur s’est contentée, sur ce point, d’une n. 4, p. 362, qui renvoie à des études toutes tirées des deux volumes de F. Sigaut (1979-1981) et, pour le reste, de vagues allusions de type : « il y a peu (quand ?) cette technique était encore utilisée (où ?) pour protéger le grain entreposé dans les silos souterrains (références ?) » (p. 351). En revanche, certaines notices s’étendent (trop) longuement sur les interprétations des fouilleurs qui n’hésitent pas, parfois, à proposer des commentaires qu’on qualifiera d’audacieux, pour ne pas dire plus. Que de romans échafaudés à ce sujet par les archéologues ! Les commentaires proposés par certains auteurs sur le rôle joué par des greniers fouillés dans la moyenne vallée du Khabur ou dans la vallée du Djebel Hamrin ne manquent pas de charme.

9La question d’une typologie des greniers ou silos classés selon un fonctionnement social collectif ou individuel est souvent abordée, çà et là, mais finalement peu reprise de façon claire. Mais les infrastructures de greniers ou les silos qu’offre une fouille permettent-ils, à eux seuls, d’aborder un problème si compliqué ?

10Cet ouvrage réunit donc une somme d’informations clairement présentées et illustrées abondamment. Ce catalogue, classé par ordre chronologique et régional, où les différentes hypothèses des fouilleurs sont consciencieusement présentées, rendra des services. Mais ce magnifique sujet reste à traiter. Peut-être la courageuse entreprise de V. Van Der Stede incitera-t-elle quelques collègues à le reprendre. à partir de la base documentaire fournie par ce livre (à compléter) il conviendrait (après avoir fourni quelques définitions) de déterminer les critères indispensables à la désignation des structures concernées. Ils sont difficiles à établir, car on ne peut comparer que des ruines retrouvées dans des états inégalement conservés. Puis, il faudrait tenter de bâtir une typologie des dispositifs de conservation observés, classés selon les différentes techniques employées. On pourrait ensuite voir à quoi pourrait correspondre ce classement, confronté aux régions, à la chronologie, à la sociologie des sociétés agricoles concernées. La conclusion, ambitieuse, serait de rejoindre, à partir d’une documentation qui s’est considérablement amplifiée depuis l’époque de sa publication, l’ouvrage fondateur de Cl. Meillassoux (Femmes, greniers et capitaux, Paris, 1992) qui a tant inspiré les réflexions de J.-D. Forest et par conséquent les discussions passionnées entre lui et J. Margueron dans les années 80 et 90. Le livre de V. Van Der Stede est une bonne pierre d’attente. Il reste à traiter finalement un sujet qui est le fondement de l’époque concernée.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Louis Huot, « Véronique Van Der Stede, Les pratiques de stockage au Proche-Orient ancien du Natoufien à la première moitié du troisième millénaire avant notre ère »Syria, 89 | 2012, 399-401.

Référence électronique

Jean-Louis Huot, « Véronique Van Der Stede, Les pratiques de stockage au Proche-Orient ancien du Natoufien à la première moitié du troisième millénaire avant notre ère »Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1033 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1033

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