Robert A. Carter & Graham Philip (éd.), Beyond the Ubaid: Transformation and Integration in the Late Prehistoric Societies of the Middle East
Robert A. Carter & Graham Philip (éd.), Beyond the Ubaid: Transformation and Integration in the Late Prehistoric Societies of the Middle East (SAOC 63), Chicago, 2010, ix + 396 p., 147 fig., 11 tabl., ISBN : 978‑1‑885923-66-0.
Texte intégral
1Les grands dossiers archéologiques progressent lentement et celui-ci ne fait pas exception. Dès 1930, les préhistoriens travaillant en Mésopotamie avaient identifié, lors d’un colloque réuni à Bagdad, une mystérieuse période d’Obeid (du nom d’un petit site, Tell el Ubaid, fouillé dès 1927 dans les environs d’Ur en Iraq du Sud), caractérisée par une céramique clairement reconnaissable à décor peint en brun-noir sur pâte claire. Cette culture fut bientôt reconnue sur une vaste zone du Proche-Orient sur plus de 2 000 km d’extension, en Mésopotamie, en Syrie, en Turquie du Sud et en Iran occidental et datée d’une période couvrant en gros les VIe et Ve millénaires av. J.-C. à la date de ce colloque, il y aura bientôt cent ans, il semblait que cette phase Obeid, qui apparaissait en Mésopotamie sans prédécesseur immédiat, soulevait une redoutable « question sumérienne » (selon le titre du livre célèbre de H. Frankfort, Archaeology and the Sumerian Problem, paru en 1932). Ne fallait-il pas rechercher le début de l’occupation de la plaine mésopotamienne (et l’origine de ces Sumériens révélés à Tello, au nord d’Ur, dès la fin du xixe s.) dans les régions iraniennes voisines, à l’époque faiblement connues, mais où l’on trouvait également une poterie peinte en noir sur clair, par exemple à Tall-i Bakun, à côté de Persépolis, en plein cœur du Fars ? Cette problématique simpliste datant des années trente, popularisée par V. Childe (New Light on the Most Ancient East, 1935) supposait une origine commune pour les cultures préhistoriques à céramique peinte présentes dans l’Obeid mésopotamien comme en Susiane. On en était encore là, au début des années soixante, à cause du petit nombre de fouilles en Iran, sans parler d’une préhistoire syrienne et anatolienne pratiquement inconnues (on trouvera, sur ces questions, un bon résumé sous la plume de B. Helwing et M. Seydin, p. 278-279).
2Dès ce moment se posa une question annexe : s’agissait-il, avec cet Obeid, d’un simple « style céramique » ou d’une période chronologique, ou encore d’une véritable « culture préhistorique » ? En effet, au moins en Iraq du Sud, cette céramique obéidienne était accompagnée d’objets très reconnaissables, sinon toujours « explicables » : figurines anthropomorphes particulières, « clous recourbés » en argile de fonction incertaine, labrets. Une architecture fondée sur un plan très spécial, appelé bientôt « tripartite » (une grande pièce centrale flanquée de part et d’autre de petites pièces latérales, le tout inscrit dans un plan rectangulaire) semblait également caractériser la période.
3Ces critères n’étaient pas systématiquement associés. S’ils étaient très présents en Iraq du Sud et du Centre, ils l’étaient beaucoup moins dans les régions « périphériques » (Syrie, Turquie du Sud, Iran, Golfe) où le lien était principalement, sinon exclusivement, établi par des parallèles de céramique, marqué surtout par le décor, en général abstrait ou géométrique. Fallait-il donc parler d’expressions régionales rattachées plus ou moins fortement à une « zone originelle » ? Fallait-il envisager l’existence d’une « culture » originaire d’Iraq méridional, qui se serait « étendue » ensuite à des régions périphériques ? Immigration ? Déplacements nomades ? « Influences » (selon un mot employé trop souvent sans définition précise), voire « acculturation » ? Les hypothèses fleurirent au fur et à mesure qu’on étendait parfois sans prudence la zone de l’Obeid.
4Un pas en avant fut accompli lorsque, dans un article fondateur (1960), J. Oates présenta, après l’étude du matériel de la fouille iraquienne d’Eridu, non loin d’Ur, une périodisation de l’époque d’Obeid en Iraq du Sud, désormais subdivisée en quatre phases, de l’Obeid 1 à l’Obeid 4. En 1987, nos fouilles à Oueili, non loin de Larsa, toujours en Iraq du Sud, attestèrent l’existence d’une phase plus ancienne baptisée, avec un grain d’humour (mais comment faire autrement ?) Obeid 0. On y adjoint, enfin, une phase d’Obeid 5 tardive faisant la transition avec la période suivante dite « d’Uruk », reconnue depuis longtemps et si importante puisque c’est durant cette phase qu’on voit apparaître la grande architecture monumentale, l’écriture, la glyptique sur cylindre (entre autres nouveautés de premier plan). Ainsi, de l’Obeid 0 à l’Obeid 5, la culture préhistorique de ce nom caractérisait désormais à peu près trois millénaires, de 6500 à 3800 av. J.-C. L’Obeid demeurait, en Mésopotamie, la longue période précédant l’apparition de la grande civilisation sumérienne.
5Un colloque réuni à Paris en 1984 par nos soins (Préhistoire de la Mésopotamie : la Mésopotamie préhistorique et l’exploration récente du Djebel Hamrin, J.-L. Huot éd., Paris, 1987) soulevait bientôt les questions principales. Puis, un autre se tint à Elsinore, au Danemark, en 1988. Il réunit la plupart des chercheurs intéressés par cet épineux dossier. Bientôt publié (Upon This Foundation: The ‘Ubaid Reconsidered, E. F. Henrickson & I. Thuesen éd., Copenhague, 1989), il permit de prendre nettement conscience que l’Obeid n’était pas une entité monolithique mais qu’on avait affaire à des ensembles régionaux qui précèdaient partout l’émergence des grandes civilisations de l’âge du Bronze.
6Sur ces entrefaites, la recherche archéologique dans le Proche-Orient étant soumise aux aléas de la politique, les tragiques événements de 1990-1991 et leurs suites catastrophiques jusqu’à nos jours obligèrent les chercheurs à « fermer le laboratoire » de l’Iraq du Sud au bénéfice de nouvelles recherches à la « périphérie », dans les vastes espaces de Syrie, d’Anatolie du Sud, d’Iran et des pays du Golfe, voire du Caucase. On s’aperçut alors, au gré des développements sur le terrain, de la grande diversité des « assemblages » étiquetés Obeid. L’Iraq du Sud n’apparaissait plus que comme une région particulière de l’Obeid, parallèle aux autres et non plus comme une « région-mère ». Que devenait, dans ce cas, l’explication par les déplacements de populations, si vite évoqués jadis ? Quel rôle jouaient, dans ces cultures obéidiennes, les conditions environnementales et leurs conséquences (agriculture irriguée ou non, recours au pastoralisme, voire au nomadisme, etc.) ? à quel type de société avions-nous affaire (petites communautés vivant en autarcie ou chefferies plus ou moins structurées) ? Les questions demeuraient les mêmes, mais habillées au goût du jour selon des considérations nouvelles issues des recherches modernes en anthropologie sociale ou en ethnologie comparée.
7Un siècle après la reconnaissance du style céramique obéidien, une cinquantaine d’années après la périodisation d’Eridu, une trentaine d’années après les découvertes de Oueili, ne fallait-il pas relancer le débat ? Ce fut l’objet du livre sous recension, publication d’une réunion tenue à Chicago en 2010. Après Upon, nous voici Beyond, mais nous sommes toujours, semble-t-il, au-delà ou à côté, puisqu’il s’agit, selon les termes des organisateurs, de « déconstruire plusieurs idées récurrentes », ce qui ne débouche pas forcément sur une reconstruction cohérente. L’Obeid n’apparaît plus, en effet, comme très homogène, et il faut définitivement abandonner l’idée d’un centre en Iraq du Sud se répandant progressivement en cercles périphériques sur les régions voisines, d’une manière de plus en plus difficile à déceler, au fur et à mesure qu’on s’éloignerait dudit centre.
8Vingt-trois contributions sont réparties en trois parties s’intéressant d’abord au cadre théorique, puis à la culture matérielle qui est le domaine propre de la recherche archéologique, et enfin à des tentatives de comparaisons ou de mises en perspectives régionales. çà et là sont en fait glissés, au sein de ce plan schématique, des articles de simple mise à disposition de matériaux nouveaux issus de fouilles récentes (particulièrement en Syrie et en Turquie). Les questions fondamentales évoquées au début de cette recension ne sont pas, il faut bien l’avouer, plus éclairées qu’il y a trente ou quarante ans. La nature du phénomène obéidien, tel que défini par l’archéologie, n’a toujours pas recueilli de consensus. Simplement, les hypothèses ou les cadres interprétatifs changent au gré des modes du moment. Mais, en quelques décennies, des dossiers nouveaux illustrent désormais des régions qui auparavant étaient demeurées dans l’obscurité. Le dossier s’épaissit, s’élargit, sans s’éclairer davantage. On voit bien qu’en Iraq du Sud, la phase de l’Obeid prépare et annonce l’émergence des sociétés urbaines mésopotamiennes, d’une manière qui demeure cependant mystérieuse. Les sociétés obéidiennes mésopotamiennes ne sont pas caractérisées par la présence d’objets de prestige notables. L’architecture seule établit un lien évident avec la grande architecture monumentale de l’époque d’Uruk. Dans les régions « périphériques », Golfe, Iran ou Anatolie, le passage, par l’Obeid, des sociétés néolithiques aux communautés de l’âge du Bonze, demeure très flou.
9On ne passera pas en revue vingt-trois communications, toutes intéressantes à des degrés divers, toutes riches en données ou considérations nouvelles. On voit bien que, même en Mésopotamie du Sud, le consensus est difficile à obtenir. Les chercheurs ne sont pas d’accord, ne serait-ce que sur les facteurs environnementaux et les contraintes réelles ou supposées, de l’environnement du bas-Iraq et surtout de son évolution sur trois millénaires (on songe ici aux propositions récentes de J. Pournelle sur le poids des marais). Si l’on ne sait même pas à quoi ressemblait le paysage entre 6000 et 3000 av. J.-C., il demeure difficile de caractériser les sociétés qui y sont confrontées.
10La deuxième partie de l’ouvrage, consacrée à divers aspects de la culture matérielle obéidienne, aborde des points qui avait été négligés jusqu’ici. On pense aux traitements des corps par la scarification, le tatouage, les labrets, voire les déformations crâniennes volontaires.
11La troisième partie s’attache aux régions « périphériques » (si ce terme a encore un sens), particulièrement la Syrie ou la Turquie, mais aussi la Susiane iranienne. De petites synthèses sur les résultats de fouilles récentes en Iran sont les bienvenues (Tal-i Nurabad, par exemple, ou les opérations de sauvetage dans la vallée de Darre-ye Bolanghi dans le Fars, non loin de Persépolis). Mais si, depuis les années trente, on a assisté à un renversement total de la perspective (l’Iran n’est plus « à l’origine » d’un développement visible en Mésopotamie du Sud), les modèles explicatifs auxquels on a recours pour tenter d’expliquer le phénomène obéidien (J. Oates en 1993, G. Stein en 2007, etc.) et sa vaste « diffusion » sur une grande partie du Proche-Orient demeurent toujours aussi flous. De nouvelles questions viennent obscurcir le dossier, comme le rôle réel de l’émergence d’un mode de vie de type pastoral dans les montagnes iraniennes, bien loin de celui des villages sédentaires obéidiens d’Iraq ou de Syrie. Divers auteurs, un peu découragés, rappellent le maelström des hypothèses depuis une vingtaine d’années. C’est ainsi que R. Özbal, à propos des travaux menés à Tell Kurdu dans la région d’Antioche en 2001, rappelle, avec d’autres, les arguments avancés pour rendre compte de l’apparition de la culture matérielle obéidienne en Mésopotamie du Nord (p. 301) : sans parler des « invasions » supposées en 1935 (M. Mallowan), on a parlé successivement d’adoption graduelle d’une culture supérieure (Breniquet 1996), de migrations dues à des causes climatiques supposées (Hole 1994), d’une expansion motivée par le désir d’obtenir des matières premières (Oates 2004) alors que des analyses de l’ADN soulignent, à Tell Kurdu, la continuité du peuplement avant et pendant l’Obeid. Dans la vallée syrienne du Balikh, des prospections récentes soulignent également la force de la continuité du peuplement, sans rupture notable. B. Parker, à propos de Kenan Tepe dans la vallée du haut Tigre, non loin de Diyarbekir, est confronté aux mêmes questions et souligne que les diverses théories migratoires (Hole 2000), les questions de transfert technologique (Nissen 1989) ou d’acculturation (Breniquet 1996) n’apportent que peu de lumières sur le phénomène.
12Si les questions demeurent encore bien plus nombreuses que les réponses, il n’en reste pas moins que de tels colloques permettent de faire le point de façon renouvelée sur des dossiers épineux. Ces publications méritent donc d’être lues avec attention. Elles suscitent la réflexion, ce dont les responsables doivent être, on s’en doute, vivement remerciés. On saluera enfin la possibilité de consulter ces textes en ligne comme sur papier. Les uns et les autres ont des partisans…
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Louis Huot, « Robert A. Carter & Graham Philip (éd.), Beyond the Ubaid: Transformation and Integration in the Late Prehistoric Societies of the Middle East », Syria, 89 | 2012, 397-399.
Référence électronique
Jean-Louis Huot, « Robert A. Carter & Graham Philip (éd.), Beyond the Ubaid: Transformation and Integration in the Late Prehistoric Societies of the Middle East », Syria [En ligne], 89 | 2012, mis en ligne le 01 juillet 2016, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/syria/1030 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/syria.1030
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