Traduire de l’italien pour «illustrer» le français? La préface au “Decameron” (1545) d’Antoine Le Maçon et ses enjeux
Abstract
The French version of the Decameron by Antoine Le Maçon (1545) is a milestone for the circulation of Boccaccio’s work in France. This article aims to analyze its complex preface, which is made up of some texts, written both in French and in Italian. Starting from some bibliographical elements, we may suppose that the preface has been deeply modified, seeking to create a well-structured defense of the French language by some cross references within the texts. The cultural rivalry to Italy, the key role of monarchy in the advancement of French literature, the protestation of the “précellence” of French are some of the elements deployed; this reasoning recalls recurring themes and tòpoi of the contemporary linguistic debate, yet organized in an original way.
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- 1 G. Mombello, I manoscritti delle opere di Dante, Petrarca e Boccaccio nelle principali librerie fra (...)
- 2 Pétrarque était apprécié surtout pour son De remediis utriusque fortunae et pour l’Historia Griseli (...)
- 3 La première œuvre vulgaire de Pétrarque à avoir été traduite n’est pas le Canzoniere, mais les Trio (...)
- 4 Cf. M. Scialom, Répertoire chronologique et raisonné des traductions françaises de la «Divine Coméd (...)
- 5 La première traduction de l’Enfer de Dante, conservée à Turin (ms. Biblioteca Nazionale Universitar (...)
- 6 Les Triumphes dans la version “longue” en prose sont imprimés par Barthélémy Vérard en 1514, puis p (...)
- 7 Sur l’immense fortune de Boccace durant le Cinquecento, voir l’étude fondatrice de L. Sozzi, Boccac (...)
- 8 Voir notamment à ce propos l’introduction de J. Balsamo à son Les rencontres des muses. Italianisme (...)
- 9 Les informations sur ce personnage ne sont pas nombreuses: il s’agit sans doute de l’un des fonctio (...)
1Dans une vaste étude consacrée à la présence des manuscrits de Dante, Pétrarque et Boccace dans les librairies princières du xve siècle, Gianni Mombello montrait, il y a plus de trente ans, la disparité du succès dont ces trois auteurs ont joui au cours du Moyen Âge tardif et de l’aube de la Renaissance1. Si la fortune de Dante et de son œuvre a paru être limitée, la critique a mis en évidence depuis longtemps à quel point Pétrarque et Boccace ont représenté, pour les écrivains français, des modèles à imiter. Comme on le sait, les œuvres latines de ces deux auteurs ont joui d’une vaste renommée déjà à partir de la fin du xive et tout au long du xve siècle: les lecteurs y cherchaient surtout des modèles de philosophie morale, ou des exemples d’érudition2. Leur production en langue vulgaire suscita elle aussi un intérêt, qui fut limité aux Triumphi pour Pétrarque, alors que, parmi les œuvres de Boccace, on traduisit la Teseida, le Filostrato et le Decameron3. Par contre, aucune traduction des œuvres de Dante ne semble avoir été réalisée avant la fin du xve siècle4. La naissance de l’imprimerie ne fit qu’accentuer cette disparité entre les trois protagonistes du xive siècle italien. En effet, si plusieurs traductions de la Commedia furent exécutées au xvie siècle mais restèrent à l’état manuscrit5, il faut attendre la fin du siècle pour voir l’une de celles-ci imprimée, à savoir celle réalisée par l’abbé Balthazar Grangier et publiée à Paris en 1596, alors que des traductions des œuvres vulgaires de Pétrarque furent déjà rééditées à plusieurs reprises au tournant du siècle et dans les premières décennies du xvie siècle6. En outre, bien des spécialistes ont déjà démontré que les ouvrages les plus «romanesques» de Boccace ont joui d’une fortune particulière dans les années qui précèdent la grande éclosion de la prose française, pour laquelle les écrivains étaient à la recherche d’un modèle de style auquel s’inspirer7: cependant, à l’idée d’une influence passive que les lettrés français auraient subie dans leur incapacité de résister aux charmes de la littérature italienne, la critique plus récente a substitué celle plus productive d’imitation active, grâce à laquelle le texte est «conquis» et assimilé dans la production littéraire française8. Dans cette perspective, le Decameron est sans doute l’une des œuvres de référence dans le domaine de la narration: la nouvelle traduction qu’Antoine le Maçon9 exécuta sur commande de la reine Marguerite de Navarre, publiée à Paris en 1545, constitue une étape centrale pour la définition du genre de la nouvelle à la Renaissance, ainsi qu’un exemple de la prose d’art en langue française.
- 10 Le Décaméron de Messire Iehan Bocace Florentin, nouvellement traduict d’Italien en Françoys par Mai (...)
- 11 Exemplaire, en ce sens, est la courte Excusacion que Nicole Oresme antépose à sa traduction de l’Ét (...)
- 12 Pour une analyse générale des enjeux liés aux paratextes, on renvoie à l’étude classique de G. Gene (...)
- 13 L’anthologie des pièces apologétiques rassemblées par C. Longeon, Premiers combats cit., permet de (...)
- 14 Si on veut mieux se rendre compte de l’important témoignage sur la réception de l’œuvre de Boccace (...)
2Dans cet article, je voudrais m’arrêter sur la préface de cette traduction, qui constitue l’un des témoignages susceptibles, me semble-t-il, de mettre en évidence la volonté que les traducteurs du début de la Renaissance ont manifestée de s’approprier des modèles venant de l’étranger, afin de pouvoir constituer des équivalents français et en même temps de mettre à l’épreuve leur idiome national10. À partir du Moyen Âge tardif, les paratextes sont souvent le lieu d’un métadiscours sur la traduction qu’ils accompagnent11 : ils visent à préciser le contexte de production, les motivations à la base de l’entreprise, l’identité des commanditaires éventuels, ainsi qu’à déclarer, le cas échéant, les stratégies du traducteur. Au xvie siècle, l’apparat liminaire est aussi l’occasion d’établir un débat à distance sur des questions littéraires ou linguistiques, par le biais de pièces poétiques signées par des écrivains et des intellectuels de l’époque12. Les arguments adoptés sont souvent topiques et reviennent avec des variations minimales dans de nombreux textes13; néanmoins, la préface de la traduction de Le Maçon déploie ces topoi dans un discours structuré, qui n’a pas encore été suffisamment étudié. Je chercherai donc à apporter un meilleur éclairage sur la structure argumentative des avant-textes de cette traduction, qui peuvent nous fournir des indices importants sur les enjeux de celle-ci14. Cet ensemble de pièces liminaires s’insère dans une célébration de la langue française qui connaît un apogée autour des années 1540, et qui se construit souvent en parallèle avec l’exercice de la traduction. Il s’agit en réalité d’une situation quelque peu paradoxale, car à cette époque, le mouvement d’illustration de la langue française se sert largement des traductions des langues classiques et des autres littératures vernaculaires. Dans les préfaces, les œuvres traduites sont souvent présentées comme des modèles de style, et la célébration des richesses de l’idiome national côtoie celle de l’ouvrage original. Le traducteur se trouve alors face à une situation potentiellement gênante, parce que célébrer l’ouvrage qu’on traduit équivaut en quelque sorte à exalter les potentialités expressives d’une langue étrangère, alors que le fait d’utiliser une traduction au lieu d’une œuvre originale pour illustrer le français équivaut à avouer implicitement les faiblesses de ce dernier. Le discours apologétique oscille donc entre la valorisation et le dépassement du modèle traduit, et c’est bien cette démarche contradictoire qui ressort de l’analyse des textes liminaires du Decameron français.
Deux préfaces pour la même œuvre?
- 15 BnF, Rés. G-Y2-317 et Rés. G-Y2-387.
- 16 Paris, Arsenal, FOL-BL-943; Firenze, Biblioteca Nazionale, B.r.113 et PALAT 2.3.5.15; Leiden, Bibli (...)
- 17 Paris, Arsenal, Rés. FOL- BL- 942; Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, FOL-Y-142-INV-208 Rés; Paris, ENS (...)
3Quelques indices sur la genèse de cette préface nous permettraient de formuler une hypothèse quant à la conception de ces textes, ainsi que de mieux évaluer leur importance stratégique. Il faut tout d’abord concentrer notre attention sur le deuxième cahier du volume: deux exemplaires15 conservés à la BnF font commencer ce cahier avec la lettre dédicatoire de Le Maçon à Marguerite de Navarre; au deuxième feuillet figure la traduction du prologue que Boccace avait antéposé aux nouvelles pour introduire son œuvre (Cy commence le livre nommé Decameron, et surnommé prince Galliot … f. a2) et qui marque le début du Decameron. Par contre, l’exemplaire BnF, Rés. Y2-206 ne présente pas l’épître de Le Maçon et le cahier s’inaugure avec le prologue de Boccace. Une enquête menée sur d’autres exemplaires conservés dans plusieurs bibliothèques a permis de constater qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé: six exemplaires16 ne présentent aucune lettre dédicatoire en tête du deuxième cahier, alros qu’elle est présente dans dix autres copies17.
4Si l’on passe à l’examen du premier cahier, qui contient tous les textes liminaires, on s’aperçoit que son contenu est plutôt varié et présente les éléments typiques des préfaces de ce genre d’ouvrage:
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le privilège, daté du 2 novembre 1544, imprimé sur le verso de la page de titre;
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l’épître dédicatoire du traducteur adressée à Marguerite de Navarre, commanditaire de la traduction (A treshaulte et tresillustre princesse Marguerite de France, sœur unique du Roy, Royne de Navarre […], f. a2);
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une autre épître à Marguerite, rédigée en italien par Emilio Ferretti, avocat au Parlement de Paris (A la serenissima Mad. Margarita Regina di Navarra mia signora osservandissima, ff. a3r-a4v)
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un Dizain aux lecteurs anonyme, qui insiste sur la qualité du travail accompli par le traducteur (f. a4v);
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enfin, l’adresse aux lecteurs de l’éditeur (Estienne Roffet dit le Faulcheur, aux Lecteurs, f. a5r), magnifiant l’ouvrage comme un brillant témoignage de «l’abundance de nostre vulgaire Françoys».
5Sur le verso du feuillet contenant l’adresse au lecteurs figure une liste des fautes d’impression; la Table des matières, qui occupe trois feuillets, permet de compléter un cahier de huit feuillets. Il s’agit donc d’un ensemble de textes assez riche, où plusieurs personnages prennent successivement la parole pour construire un discours cohérent. On remarquera immédiatement la présence des différents acteurs impliqués dans la préparation de cette traduction: le traducteur et l’éditeur interviennent directement, alors que la commanditaire Marguerite de Navarre et l’entourage royal au sens large s’expriment indirectement à travers le texte du privilège; Emilio Ferretti y figure au triple titre d’Italien, de juriste érudit, mais aussi d’ami du traducteur.
- 19 Par exemple, «faire mal son proffit» (A), mais «faire son mal proffit» (B); «comme plus j’estime et (...)
6Comme le montre la liste ci-dessus, l’épître du traducteur à Marguerite semble revenir deux fois à quelques pages de distance. Pourtant, il ne s’agit pas d’un doublet: la copie reliée dans le premier cahier (qu’on désignera ici avec la lettre A) et celle du deuxième (indiquée par la lettre B) se distinguent par l’utilisation des caractères typographiques. En effet, A présente l’adresse à la reine en italiques et le texte en caractères romains, avec un usage inversé par rapport à B; quelques micro-variantes du texte19 sembleraient confirmer que ces deux épîtres, pour le reste identiques, ne sont pas le résultat d’une faute d’impression ou de mégarde de la part de l’éditeur.
- 20 Ajoutons que la foliotation du deuxième cahier reste toutefois identique: là où elle est présente, (...)
- 21 Dans l’exemplaire conservé dans la Bibliotheca Thysiana de Leiden, les pages contenant ces avant-te (...)
7Ces éléments nous permettraient de formuler l’hypothèse qu’il y ait eu au moins deux états différents de l’apparat liminaire. Un premier état aurait présenté la seule épître B, placée juste avant le prologue de Boccace, avec lequel elle constituait le premier cahier, de six feuillets comme tous ceux qui suivent. Effectivement, pour des raisons que l’on essaiera de reconstruire à travers l’analyse des textes, l’éditeur semble avoir inséré un cahier, qui s’ouvre avec la page de titre et qui contient une nouvelle copie de la lettre dédicatoire (A), ainsi que toutes les pièces qu’on a citées plus haut. Il s’agirait donc d’un paratexte plus long et complexe, qui s’ajouterait à la version la plus «mince» contenue au deuxième cahier. Nous sommes confortés dans notre hypothèse par la disparition de l’épître B dans certains exemplaires20. À défaut d’un examen direct, on ne peut pas savoir quelle technique a été utilisée pour éliminer le feuillet, qui a peut-être été coupé ou relié avec l’une des pages de garde21. De même, nous ne savons pas si cette suppression doit être imputée à l’éditeur ou à l’un des relieurs (mais à quelle époque?). Ce qui est certain, c’est que cette épître B a dû apparaître comme un doublet à la plupart des lecteurs, suite à l’ajout du cahier supplémentaire de liminaires. Ce qui nous semble important dans ce contexte, c’est d’éclaircir les raisons qui ont amené l’éditeur à concevoir un nouvel ensemble d’avant-textes, parce que ce choix semble obéir à une volonté précise d’illustrer et célébrer la langue française.
Les conditions d’une commande royale: le privilège et l’épître de Le Maçon
- 22 «S’il vous souvient (ma dame) du temps que vous feistes sejour de quatre ou cinq moys à Paris, dura (...)
- 23 Lettre du 10 mai 1538, voir P. Jourda, Répertoire analytique et chronologique de la correspondance (...)
8Les premiers éléments intéressants nous viennent du privilège. Ce texte, contenant normalement des formules assez figées, devient ici une première occasion pour affirmer que cette traduction est le résultat de la volonté royale. Le Maçon vient de réclamer la protection de son travail contre les contrefacteurs et le roi prend idéalement la parole pour rappeler que le traducteur «nous a faict dire et remonstrer que puis nagueres nostre treschere et tresamee seur unicque la Royne de Navarre, Luy auroit commandé traduyre de langaige Tuscan en langage françoys le Decameron de Boccace, poete et orateur Florentin » (f. a1v). L’importance de cette commande est évidente, puisque c’est grâce à cette commanditaire que le traducteur obtiendra un privilège de la durée de six ans. De surcroît, le lien affirmé dès le privilège avec la reine de Navarre est immédiatement rappelé dans l’épître dédicatoire qui suit: la reine, nous dit Le Maçon, lui avait confié la tâche de traduire les Cent Nouvelles de Boccace, sachant qu’il venait de passer une année entière en Italie22. En effet, dans une lettre de 1538 de Marguerite à Le Maçon, la reine demandait de lui faire parvenir le plus tôt possible la traduction de la première nouvelle du Decameron, «concernant messire Chapelet du Prat»23.
- 24 R. Gorris, Traduction et illustration de la langue française. Les enjeux du “Roland furieux” lyonna (...)
9Cette précision sur les conditions de la commande met immédiatement en évidence le rôle joué par la Cour dans la promotion de cet ouvrage. Les dernières années du règne de François Ier sont d’ailleurs, tout comme le règne d’Henri iii dans les années 1580, l’âge d’or des traductions de l’italien. Cette saison particulièrement riche s’inaugure avec la version en prose du Roland Furieux publiée à Lyon en 1543, dédiée formellement au cardinal Hippolyte d’Este mais constituant en même temps une célébration de la langue royale24; elle se clôt avec la traduction de la première partie du Canzoniere par Vasquin Philieul en 1548, précédée d’une dédicace à la nouvelle reine italienne Catherine de Médicis; durant les années 1580, Gabriel Chappuys contribue avec ses traductions à une diffusion ultérieure des auteurs contemporains italiens.
- 25 Le rôle de la royauté dans la promotion des traductions est d’ailleurs mentionné et loué dans les p (...)
- 26 Jacques Peletier du Mans, L’art poetique d’Horace traduit en vers françois [1541], cité dans C. Lon (...)
10L’image de François Ier comme «père des lettres» se fonde d’ailleurs sur un intérêt réel du souverain pour la littérature; diffusée également à travers les traductions, cette idée devient l’un des lieux privilégiés du discours apologétique25: au début de sa traduction de l’Art poétique d’Horace (1541) Jacques Peletier magnifiait la politique culturelle du «très chrétien roi François, lequel par sa libéralité royale en faveur de neuf Muses s’efforce de faire renaître ce siècle très heureux auquel sous Auguste et Mécène à Rome fleurissaient Virgile, Horace, Ovide, Tibulle et autres poètes latins»26; pareillement, dans son épître adressée à Marguerite, Le Maçon reconnaît que la langue française est devenue «si riche et copieuse, depuis l’advenement à la couronne du Roy […], qu’on n’a jamais escript aucune chose en autres langues qui ne se puisse bien dire en ceste cy» (f. a2r).
- 27 J. Balsamo, Le Décaméron à la cour de François Ier, «Revue de littérature française et comparée» 7, (...)
- 28 Une transcription du sonnet a été fournie par H. Hauvette, Les plus anciennes traductions cit., p. (...)
11Le succès de l’entreprise de Le Maçon dans le milieu princier est confirmé par un sonnet à la louange du traducteur composé par le poète Gian Girolamo de’ Rossi, et qui circulait manuscrit à la Cour27. Le Maçon y est présenté comme un nouvel Homère et un nouveau Virgile, prisé pour avoir illustré l’une et l’autre langue par la traduction d’un ouvrage qui est beaucoup plus qu’un simple recueil de nouvelles: c’est une véritable «histoire», avec une unité substantielle qui lui est donnée par la cornice, et qui met en scène une fresque des diverses activités humaines28. Un témoignage important de l’accueil favorable réservé par la Cour à l’œuvre de Boccace est contenu dans le prologue de l’Heptaméron, où Parlamente se réfère explicitement à la traduction de Le Maçon:
- 29 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, édition présentée et annotée par N. Cazauran, texte établi par (...)
Entre autres, je crois qu’il n’y a nulle de vous qui n’ait lu les cent Nouvelles de Boccace, nouvellement traduites d’italien en français, que le roi François, premier de son nom, monseigneur le Dauphin, madame la Dauphine, madame Marguerite, font tant de cas que si Boccace, du lieu où il était, les eût pu ouïr, il devait ressusciter à la louange de telles personnes29.
- 30 Voir à ce propos les articles de M. Huchon (“Caméron” et “Décaméron”: de l’influence de Boccace tra (...)
- 31 Voir n. 9.
12Du reste, l’importance de cette traduction pour l’élaboration du projet de l’Heptaméron a été largement démontrée30. Ajoutons encore que dans le titre et dans le privilège, tout comme dans l’en-tête de l’épître liminaire de la version française du Decameron, le nom d’Antoine Le Maçon est accompagné de sa fonction de « tresorier de l’extraordinaire des guerres » ; s’il est certes usuel qu’une telle charge soit mentionnée, ce rappel met en évidence le fait que l’auteur n’est pas un traducteur professionnel, ni un lettré31. Il est par contre un fonctionnaire de l’administration du roi, dont il connaît les goûts et les intérêts, auxquels il croit répondre avec son entreprise.
- 32 Voir n. 9.
13Dans un premier moment, Le Maçon craint de ne pouvoir entreprendre cette traduction, le « bon françoys » n’étant pas sa langue maternelle32:
Après cela ma principalle, ce me semble, et plus raisonnable excuse estoit la congnoissance que j’avoye de moymesmes qui suis natif du pays de Daulphiné, où le langage maternel est trop éloigné du bon françoys. (f. a2r)
- 33 L’aveu, de la part d’un lettré d’origine périphérique, d’une maîtrise insuffisante du bon français (...)
- 34 Voir D. Trudeau, Les inventeurs du bon usage (1529-1647), Paris, Les Éditions de Minuit, 1992, pp. (...)
- 35 C’est l’opinion de M. Huchon, “Caméron” et “Décaméron” cit., pp. 76-81. L’épître de Ferretti semble (...)
- 36 Ce qui est évident, c’est qu’il ne s’agit dans ce contexte que d’une déclaration de principe: une a (...)
14Bien que topique33, cette référence à l’origine périphérique du traducteur nous permet d’identifier le « bon françoys » avec la langue parlée à Paris, qui est la langue de l’administration centrale et du pouvoir royal, et par conséquent langue de prestige34. Que la langue visée ici soit celle de la Cour est confirmé par les mots de l’éditeur Roffet dans son avis Aux Lecteurs, qui se réjouit de pouvoir présenter un livre « en françoys si bon, si courtisan et si bien representé » (f. a5r). On serait aussi tenté de reconduire cette référence à une langue courtisane aux positions représentées en Italie par Baldassar Castiglione au sein de la « questione della lingua », qui occupait le devant de la scène dans les milieux intellectuels italiens au cours des mêmes années35. Quoi qu’il en soit, bien avant Vaugelas la Cour de France est identifiée comme le lieu du «bien parler», affiné grâce aux choix culturels éclairés de son roi36.
- 37 «Nostre treschere et tresamee seur unicque la Royne de Navarre […] suyvant le commandement de nostr (...)
15Ce Decameron français est donc une œuvre élaborée dans le contexte de la Cour par un fonctionnaire de cet entourage, appréciée par ses membres, et surtout exécutée sur commande directe et explicite d’une dame de la famille royale qui, dans le privilège, est mentionnée trois fois à l’intérieur de quelques lignes37.
Répondre aux prétentions italiennes: la traduction comme rivalité
- 38 Selon Hauvette (Les plus anciennes traductions cit., p. 230), ce long séjour n’a pu avoir lieu aprè (...)
- 39 Estienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, à Lyon, chez Estienne Dolet, 15 (...)
16Selon ce qu’affirme Le Maçon dans son épître, il avait reçu de Marguerite la prière de traduire le Decameron lors d’un séjour à Paris, auprès de la Cour. La reine de Navarre avait demandé à ce fonctionnaire, récemment revenu de l’une de ses missions diplomatiques en Italie38 («me voyant venu nouvellement de Florence, où j’avoye sejourné ung an entier»), de lire quelques nouvelles, et ensuite de traduire le recueil en entier. La référence initiale à la période passée dans la Péninsule n’est pas sans intérêt: elle met immédiatement sur table la compétence linguistique du traducteur. À la même époque Étienne Dolet, dans son opuscule sur La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre (1540), avait énoncé la nécessité que le traducteur «ait parfaite congnoissance de la langue de l’autheur qu’il traduict»39. Cette remarque sur la maîtrise de l’italien que possède le traducteur sert aussi à préparer un autre argument. En effet, la difficulté principale à laquelle Le Maçon a dû faire face ne semblerait pas avoir été d’ordre strictement linguistique; ce qui le fait hésiter est plutôt la grande considération dans laquelle l’auteur est tenu dans la Péninsule:
Boccace avoit esté (comme j’ay tousjours ouy dire aux plus sçavans), l’homme de toute l’Italie qui a par adventure le mieulx escript en sa langue que nul autre feit oncques, voyre jusques à soustenir que Ciceron ne Demosthene n’avoient point mieulx, ne plus proprement, et aysement parlé, l’ung en latin et l’autre en grec, que Bocace avoit faict en Tuscan. (f.a2r)
- 40 N. Labère, op. cit., p. 305; cet élément est dû à la critique de la Renaissance, et à son travail s (...)
- 41 V. Branca, Linee di una storia della critica al “Decameron”, Roma, Società Anonima Editrice Dante A (...)
- 42 La langue du Decameron est étudiée par les intellectuels de la nouvelle génération, qui préparent d (...)
- 43 V. Branca, Linee di una storia della critica cit., p. 9.
- 44 «Per che recando le molte parole in una, quando si sarà per noi a dar giudicio di due scrittori, qu (...)
- 45 V. Branca, Linee di una storia della critica cit., p. 11.
17En effet, la critique a déjà remarqué que, parallèlement à la lecture moralisée des nouvelles qui conditionne toute la fortune du Decameron en France, en Italie la réception de Boccace est caractérisée aussi par la tendance à reconnaître dans cet auteur une «auctoritas» linguistique, et dans son ouvrage un modèle au niveau stylistique et morphosyntaxique, et non seulement un réservoir d’exempla40. Les origines italiennes de cette conception sont à rechercher dans la seconde vague d’humanistes du xvie siècle: en effet, le premier Humanisme italien ne semble pas avoir montré beaucoup d’enthousiasme pour le Decameron, privilégiant plutôt la production latine de Boccace, que des humanistes comme Coluccio Salutati, Leonardo Bruni, et même Pétrarque prisaient particulièrement41; ensuite, la critique italienne du Rinascimento avait modifié ce jugement, en reconnaissant que grâce à la variété des situations représentées dans le recueil, autant de styles différents étaient utilisés, qu’il fallait s’efforcer d’étudier et d’imiter le plus possible42; les œuvres contemporaines sont donc jugées à l’aune de la langue de l’écrivain de Certalde. De plus, la prose du recueil, et particulièrement celle de la cornice, est reconnue comme un exemple d’intégration entre les sonorités et la naturalité du vernaculaire et l’ordre réglé de la syntaxe latine, dont Boccace avait souvent repris la tournure des phrases, avec le verbe en position finale43. Pietro Bembo, dans ses Prose della volgar lingua, considère l’œuvre de Boccace comme l’exemple parfait d’une nouvelle prose vernaculaire, dont il loue notamment le respect des nombres oratoires44. Ainsi, l’enjeu qui sous-tend cette traduction ne semble pas être le simple passage d’une matière narrative délectable d’une langue à une autre, mais la confrontation avec un texte qui est considéré une sorte de biblia grammaticale en Italie, et un exemple de la prosa numerosa recommandée par les théoriciens de l’ars oratoria45, qui l’apparentent aux grands chefs-d’œuvre de la latinité. On ne s’étonnera donc pas si le parallèle évoqué par les Italiens, et mentionné par Le Maçon dans son épître, est établi avec les deux maîtres de l’éloquence ancienne, Cicéron et Démosthène, selon un topos qui aura une fortune importante tout au long du siècle; ces trois auteurs représentaient les meilleurs exemples de style, chacun pour sa nation. Dans ce cas particulier, ce rapprochement sert à idéaliser l’œuvre de Boccace, et en même temps à tracer un parcours invisible, suivant lequel Le Maçon et sa traduction française peuvent s’insérer dans cette lignée illustre, constituant ainsi une preuve tangible de la translatio studii, de l’Antiquité à la France du xvie siècle.
18De plus, lors de son séjour en Italie, Le Maçon avait entendu dire à plusieurs reprises que le Decameron ne pouvait être traduit sans perdre de sa grâce; selon lui, les Italiens étaient confortés dans leur opinion par une traduction qui circulait depuis longtemps, et qui témoignait pour eux des faiblesses évidentes de la langue française:
Et eulx pensans que ceste traduction feust le mieulx qu’on eust sceu escrire en Françoys ont voulu aussi inferer, qu’on ne l’eust sceu mieulx rendre en nostre langue qu’il estoit en la dicte traduction. (f. a2r)
- 46 Cf. P. Salwa, L’art de vivre et la leçon de vie, «Studi Francesi» 73, 1981, pp. 73-82; Id., La prim (...)
- 47 Par exemple à Paris, chez Denis Janot en 1537, et encore chez François Regnault en 1541.
- 48 Mireille Huchon a déjà remarqué combien cette structure est proche de celle des premières nouvelles (...)
19Le traducteur reconnaîtra la véridicité de cette affirmation en admettant que la version précédente n’avait certainement pas atteint la qualité de la prose boccacienne. Mais de quelle traduction s’agit-il? Ces reproches ne s’adressent pas, comme on serait tenté de le croire, à la version exécutée par Laurent de Premierfait en 1414. Comme on le sait, ce travail ne fut pas mené sur le texte original, mais par l’intermédiaire d’une première version latine préparée dans ce but par le cordelier Antonio d’Arezzo. Néanmoins, le texte de la version Premierfait ne présente pas d’inexactitudes pouvant justifier les attaques dont il est l’objet à partir du xvie siècle. En réalité, les lecteurs de la Renaissance avaient sous les yeux des exemplaires de l’édition imprimée sortie en 1485 des presses d’Antoine Vérard, dans laquelle le texte de Premierfait avait été modifié sensiblement: elle fournissait une lecture didactique des nouvelles réduisant la valeur centrale de l’histoire-cadre, et même estropiait le titre du recueil qui, dans certaines rééditions, figure sous la forme Le livre du Cameron46; de plus, à partir de 1534 le titre contient la formule «Les cent nouuelles Composees en langue Latine par Jehan Bocace & mises en Francoys par Laurens de premier faict» (je souligne). La mémoire de l’intermédiaire constitué par la version d’Antonio d’Arezzo a disparu, et l’on rattache les nouvelles vulgaires au reste de la production latine de Boccace. Ce remaniement, publié encore au seuil de la décennie 154047, réduisait sensiblement le dialogue des devisants et présentait une structure tripartite des nouvelles48, avec un titre, une moralité et le texte: la traduction qui circulait avant celle de Le Maçon présentait donc une adaptation très éloignée de l’original italien, visant à mettre la dimension éthique et didactique au premier plan. Pour l’essentiel, la langue de cette traduction était encore celle du premier quart du xve siècle, perçue comme vieillie par les contemporains de Le Maçon, et cible de critiques potentielles de la part des Italiens. Pour cette raison, dans sa lettre le traducteur souligne le nouveau prestige acquis par la langue française vers le milieu du xvie siècle, en mettant l’accent sur le fait que, si par le passé, elle n’avait pas été aussi riche que l’italien, la situation sous le règne de François Ier était bien différente. La nouvelle traduction devient alors l’occasion idéale pour prendre une revanche intellectuelle et mettre en évidence le lien étroit qui lie la puissance de la langue française à celle des souverains; ou mieux, telle est la volonté explicite de la reine Marguerite:
[Vous] ma dame, me remonstrastes qu’il ne faloit point que les Tuscans fussent en telle erreur de croire que leur Bocace ne peut estre representé en nostre langue aussi bien qu’il est en la leur. (f. a2r)
20Pour riposter à l’attitude nationaliste des lecteurs italiens et à leurs critiques à propos de la vieille traduction, le traducteur se fixe donc un but double: non seulement il doit restituer le texte de Boccace à sa pureté originale sans les inexactitudes et les interventions macrotextuelles qui en avaient conditionné la réception française, mais il doit aussi démontrer que le français de son temps est désormais à même d’égaler un modèle littéraire reconnu et prisé par les plus grands humanistes de son temps.
Traduire un classique «littéraire»
- 49 On fera référence à l’édition critique établie par Giuseppe Di Stefano citée plus haut.
- 50 «[…] Car illec sont tous vices morsillez et reprins et les vertus et bonne meurs y sont admonestees (...)
- 51 Ibidem, p. 3.
- 52 Cf. N. Labère, op. cit., pp. 416-422 et pp. 431-445.
21Cette double visée influence le choix des argumentations adoptées dans l’épître: tout d’abord, il est nécessaire de neutraliser la lecture moralisée prédominante dans l’approche au Decameron. En effet, si l’on compare cette épître liminaire avec la préface à la traduction réalisée un siècle et demi plus tôt par Laurent de Premierfait, on peut apercevoir plusieurs éléments de discontinuité. En s’adressant à son protecteur Jean, duc de Berry, dans son Prologue du translateur49, Laurent cherche à contrecarrer à l’opinion que les Cent Nouvelles ne sont qu’une œuvre de délectation; bien au contraire, les nouvelles constituent un réservoir important de cas de morale50, ainsi qu’une vaste fresque de la vie sociale mettant en scène «hommes et femmes de tous estatz»51. Donc, le recueil de Boccace répond à une volonté de divertissement, grâce à la variété des thèmes et des situations représentées, mais aussi à une exigence pédagogique, à travers les messages moraux véhiculés par la fiction narrative52.
22Dans la lettre de Le Maçon, l’absence de justifications de ce type montre en creux que les modalités de réception sont différentes. Dans la première partie de l’épître il n’avance aucune légitimation de son entreprise sur le plan moral. L’argument n’est introduit que vers la conclusion, à travers les mots des détracteurs éventuels qui pourraient critiquer le traducteur pour avoir employé son temps (qu’il aurait dû dédier aux affaires d’État) à une activité somme toute secondaire comme la traduction, et qui plus est à la traduction d’une œuvre futile. La réponse aux critiques est empruntée à Boccace lui-même:
Et quant aux autres qui vouldront dire que je devoye despendre le temps à traduire quelque autre livre de plus grand fruict, j’employeray pour moy en cest endroit ce que Bocace dict au proësme de sa quatriesme journee et à la conclusion de son livre où je les remectz. Les asseurant bien qu’ilz ne veirent par adventure de leur vie œuvre de plaisir d’où l’on peust plus cueillir de fruict qu’on fera de ceste cy, s’il y veullent bien chercher: aussi, qui en vouldra faire mal son proffit, le livre ne les gardera point. (f. a2 r°)
- 53 Boccaccio, Decameron, a cura di V. Branca, Milano, Mondadori, 1985, pp. 329-336.
- 54 Ibid., p. 911.
- 55 «[Le Maçon] bailla sa traduction ès mains de Estienne Roffet dict le Faulcheur, pour icelle imprime (...)
- 56 Il est vrai pourtant qu’à la phrase suivante le privilège affirme que l’ouvrage a été traduit «pour (...)
- 57 Sergio Cappello (Le prime traduzioni francesi del “Decameron” cit., pp. 203-219) parle d’une notion (...)
- 58 Il faut néanmoins remarquer que l’édition parue à Lyon chez Guillaume Rouillé en 1551 antépose déjà (...)
23En effet, dans l’introduction à la quatrième journée, Boccace avait revendiqué son droit d’employer sa veine créatrice pour complaire le public féminin53; dans la conclusion, il rappelle que la responsabilité d’un mauvais usage de ces écrits devait être imputée exclusivement aux lecteurs: «Niuna corrotta mente intese mai sanamente parola […] Ciascuna cosa in sé medesima è buona a alcuna cosa, e male adoperata può essere nociva di molte; e così dico delle mie novelle»54. Dans le texte de Le Maçon, la jonction du plaisir esthétique et du profit moral est évoquée, mais elle n’est pas centrale; il suggère au contraire qu’il ne faut pas juger la valeur de cette œuvre en fonction de son utilité. Au contraire, l’éventuel profit ou le dommage que l’on peut tirer d’un ouvrage dépend surtout du lecteur. Le privilège même, normalement si avare en considérations, n’hésite pas à subordonner la «bonne ediffication» qu’on pourrait tirer du livre à la «bonne volunté» des lecteurs55, et ne cède pas à la tentation d’une lecture moralisée, omniprésente dans la tradition contemporaine de la nouvelle française56. Il s’agit d’une considération importante pour la légitimité de l’œuvre littéraire indépendamment des jugements éthiques; cette considération est d’autant plus significative qu’elle est placée au seuil d’un ouvrage de fiction qui a été apprécié du public français surtout pour les enseignements moraux qu’elle véhiculait. La nouveauté de cette approche au recueil a été mise en relief par Sergio Cappello, qui a parlé à ce propos de «neutralizzazione assiologica del testo»57. Selon moi, cette absence de justifications morales devrait être lue comme une valorisation des qualités purement littéraires du recueil. Celui-ci devient alors bien plus qu’un ensemble de facéties: c’est un classique moderne, qui puise la justification à son existence dans sa propre valeur esthétique58.
- 59 En 1541, le médecin lyonnais Jean Canappe affirme: «Qui donc penserait que Cicéron connut mal le gr (...)
24Si cette mise en valeur rejoint la haute opinion que les Italiens ont de leur chef-d’œuvre, elle pose aussi la base pour une entreprise d’illustration de la langue française, car la traduction ne vise pas tellement (ou non seulement) à traduire un recueil de nouvelles, mais plutôt à répondre aux prétentions de supériorité des Italiens, et à montrer que la langue française est à même de se confronter avec un modèle d’éloquence qui avait été assimilé, comme on l’a dit, aux exemples antiques de Cicéron et Démosthène. Ajoutons encore que les défenseurs de la traduction évoquent souvent l’exemple de Cicéron, qui n’avait pas dédaigné de traduire du grec en latin pour enrichir sa propre langue59: l’apologie de la langue française qui ressort de cette épître désigne donc la traduction comme le lieu où l’idiome national peut prouver sa valeur.
- 60 «Quoy voyant, et desirant toute ma vie faire plus, si je pouvoye, que le possible pour vous obeïr, (...)
- 61 L’importance de ces deux termes pour comprendre les enjeux de l’entreprise de Le Maçon a été remarq (...)
- 62 Les histoires universelles de Trogue Pompee, abbregees par Iustin Historien, translatees de Latin e (...)
25Pour ce faire, le traducteur doit suivre scrupuleusement son modèle, afin d’en reproduire le style, et fournir ainsi aux habitants de la Péninsule la démonstration que le français est capable de tout dire, et de reproduire les subtilités du style boccacien. Cette fidélité au texte source est confirmée par les jugements de ceux à qui le traducteur montra ses premiers essais: ce premier jury était constitué tant d’Italiens («ceulx de la nation Tuscane»), que de Français, afin de fournir une première démonstration à la fois de la fidélité de la traduction («tous me feirent à croire qu’elles estoient (sinon bien) au moins tresfidelement traduictes») et de la qualité du texte français60. D’ailleurs, dans le privilège, on dit que le traducteur a travaillé avec «la plus grande curiosité et immitation qu’il luy a esté possible»: le terme d’«immitation» sous-tend la recherche d’un équilibre entre une traduction mot à mot, servile, et l’adaptation libre. La «curiosité» renvoie au soin mis à l’entreprise, à la méticulosité du travail61, et c’est dans ce sens que ce terme est attesté dans une autre importante préface de l’époque, celle de la traduction des Histoires Universelles de Trogue Pompée de Justin, traduites par Claude de Seyssel au début du siècle: la politique culturelle de Louis xii est louée pour avoir permis de «communiquer la langue Latine avec la Françoise. Ce qui se fait aujourd’huy en vostre royaume très diligemment et curieusement»62. Cette même fidélité au texte-source est revendiquée par Le Maçon dans son épître dédicatoire, où le traducteur déclare avoir voulu «ne dire en nostre langue plus ne moins que Bocace a faict en la sienne»: d’un côté il veut donc éviter l’insertion de rubriques moralisantes ou de gloses érudites à l’intérieur du texte, de l’autre, il cherche à préserver toute la richesse stylistique de l’original, sans esquiver les difficultés et en acceptant les défis posés par la syntaxe parfois complexe de Boccace.
Les autres textes de la préface: un discours à plusieurs voix
26Cette dédicace s’est donc révélée riche en suggestions. On pourrait se demander alors les raisons qui ont amené l’éditeur ou l’auteur de la traduction à amplifier l’apparat liminaire originaire. Si l’on examine de plus près les textes qui côtoient l’épître du traducteur, on peut repérer les mêmes arguments utilisés par Le Maçon, qui sont eux-mêmes, comme on l’a dit, autant de topoï du discours apologétique sur la langue française; en outre, ils sont insérés dans des argumentations qui conservent leur identité propre et leur autonomie par rapport aux autres éléments de la préface, et qui remplissent chacune une fonction spécifique.
- 63 Un portrait essentiel de ce personnage est tracé dans le Dizionario Biografico degli Italiani (http (...)
- 64 G. P. Norton, The Emilio Ferretti Letter cit., p. 287.
- 65 J. Balsamo, Le “Décaméron” à la cour cit., p. 236.
- 66 H. Hauvette (Les plus anciennes traductions cit., p. 230) date la présence de Le Maçon à Florence e (...)
27L’épître en italien qui suit celle de Le Maçon est signée «Di Vostra Maestà humilissimo et obedientissimo servitore Emilio Ferretti». Cet intellectuel, qui avait changé son prénom originaire (Domenico) après ses études de droit à Pise et à Sienne, avait affiné sa sensibilité politique au service de Léon x et du marquis de Montferrat. Avant d’être nommé avocat au parlement de Paris en 1534, il s’était fait apprécier pour sa participation dans la politique italianisante de François ier. Ses données biographiques restent lacunaires63, mais il est probable que Ferretti participa à l’expédition de Lautrec en Italie en 1528, et qu’il collabora avec le marquis Michelantonio de Saluces; en 1529, il fut chargé d’une mission diplomatique à Florence64. Ce ne sont pourtant ni ses talents politiques, ni sa compétence juridique à compter ici. Son épître liminaire joue le rôle d’une «double caution, italienne et érudite»65: en tant qu’italien, et ami du traducteur66 («quantunche dal principio dell’amicitia nostra […] io habbia conosciuto il Massone attento, diligente, ingegnoso, bello e ragionatore e scrittore non solo nella sua ma anco ne la mia lingua», f. a4v), il est autorisé à comparer la traduction avec son original. De prime abord, il serait porté à partager les mêmes doutes que ses compatriotes à l’égard de la possibilité de traduire le Decameron, compte tenu de la spécificité des langues:
io pensavo che fussi impossibile di transferire in altra lingua le cento novelle, senza molta disgratia, et molto perdimento di quella venustà, de la quale son ripiene […] perché havendo ogni lingua certe sue particolari dote inimitabili a le altre quantunche più ricche e più artificiose, mi imaginavo che la gran moltitudine di tali doni onde il Boccaccio havea ripiena tutta l’opera sua, si dovessi translatando perdere, al manco in parte. (f. a4v)
- 67 Au sens de l’introduire dans un milieu étranger, cf. S. Battaglia, Grande dizionario della lingua i (...)
28Bien sûr, cette opinion se lie avec la conception du recueil en tant que grand modèle littéraire, stylistique et linguistique, selon la même ligne d’argumentation avancée par Le Maçon. Ferretti ne peut donc pas se passer de louer la parfaite maîtrise des trois styles («o alto, o mezzano, o basso, i quali tutti io vegho in questo divino libro, o tentati, o espressi», f. a4v) de la part de Boccace, en insistant sur l’image du Decameron comme modèle de langue et de pluralité de styles. Dans la même perspective déjà énoncée par Le Maçon, Ferretti attribue le mérite d’avoir diffusé la connaissance de Boccace au roi, qui est présenté comme le truchement entre l’écrivain Boccace et la culture française de son temps: «poi che piacque al Re fratello di V. M. di promuoverlo, et indrizzarlo67 a tutte le arti buone, e in particolare a l’eloquentia». Cette politique culturelle fait que les Français, autrefois connus pour leur force militaire, puissent être nommés «forti e dotti» («la già forte, et hoggi forte et dotta gente Franzese»). Cette phrase, prononcée par un Italien, acquiert la valeur d’une revanche prise contre la condamnation de Pétrarque («oratores et poetae extra Italiam non querantur», Seniles, IX, 11), qui n’avait cessé de se perpétuer; mais surtout, elle établit explicitement une relation étroite entre une translatio imperii (sinon avérée, du moins désirée) et une translatio studii beaucoup plus solide, dont la traduction de Le Maçon, accomplie sous la supervision du pouvoir royal, constitue un nouveau jalon.
- 68 Cf. Dizionario Biografico degli Italiani, ad vocem.
- 69 G. P. Norton, The Emilio Ferretti Letter, cit, pp. 295-296, et Id., Laurent de Premierfait and the (...)
- 70 «Confesso bene che vi siano raccontate de le cose, onde chi abbia voglia di mal fare possa dar forz (...)
29L’opinion de Ferretti a son importance non seulement du fait de la nationalité du personnage, mais aussi pour sa réputation d’érudit: auteur de commentaires sur Cicéron et sur Tacite68, il soutenait la nécessité d’allier études juridiques et philologiques. G. P. Norton a souligné l’importance de cette lettre pour la genèse de l’Heptaméron: l’interprétation que Ferretti propose de la cornice représente une contribution critique fondamentale sur la valeur de celle-ci. Cet élément, négligé par la tradition précédente, retrouve sa place dans la traduction de Le Maçon, comme le démontrent aussi les gravures en tête des deux premières journées qui figurent la «onesta brigata» et leurs divertissements dans le jardin. Ce jardin a, selon Ferretti, la fonction de conduire les devisants à reconnaître dans la nature l’œuvre créatrice de Dieu, à travers une sorte de pèlerinage qui doit porter à une réconciliation avec la divinité. Dans ce contexte, les nouvelles constituent autant d’occasions pour réfléchir sur la diversité des cas humains, dans une visée didactique et moralisante qui devrait relier le Boccace du Decameron à celui du De casibus69. Cette interprétation est en opposition avec celle amorcée par Le Maçon. Les deux épîtres obéissent d’ailleurs à des objectifs différents: Le Maçon veut surtout présenter l’original comme un grand exemple littéraire, alors que Ferretti veut mettre en valeur sa dimension éthique, plus proche de sa sensibilité religieuse et surtout de celle de Marguerite. Cependant, ce dernier ne peut qu’être en accord sur un point avec l’opinion de Le Maçon: l’utilité ou l’inutilité du texte dépendent de l’attitude des lecteurs. En effet, s’il est vrai que quelques-unes des nouvelles pourraient fournir des exemples d’immoralité, la responsabilité des lectures aberrantes revient en dernier ressort aux lecteurs: en fin de compte, les malveillants pourraient trouver des vices même dans les écrits des Pères de l’Église70.
30Ceci dit, le jugement de Ferretti sur la valeur artistique de cette traduction ne peut qu’être enthousiaste. Après avoir lu la version française, Ferretti doit reconsidérer son opinion: la traduction de Le Maçon n’a pas seulement «transformé» le texte italien (c’est-à-dire l’a «translaté» au sens étymologique, en le transportant d’une langue à l’autre), mais il lui a donné une «nouvelle vie» («Dunque io mi sono sgannato, poi che ho letto questo Boccaccio trasformato, o, per dir meglio, raddoppiato di vita»). Cette appréciation est d’autant plus significative qu’elle vient d’un Italien. Dans le plan d’ensemble de cette préface, la lettre de Ferretti joue un rôle spécifique: quoi de mieux que l’avis favorable d’un compatriote de Boccace pour répondre aux prétentions venant d’Outre-monts et pour affirmer la pleine maturité artistique de la langue royale? Ce résultat est le fruit du procédé d’«immitation» évoqué dans le privilège: la fidélité au texte a été indispensable pour s’approprier le modèle. On ne veut pas inférer avec cela que la transposition ait été servile: le traducteur a su sélectionner dans la langue d’arrivée les ressources les plus aptes à transmettre la verve expressive de l’original, sans trahir les spécificités de l’une et de l’autre langue,
il Massone quello che ha potuto con equal gratia, quanto patisce l’uno et l’altro idioma, ha ridotto in franzese: non si partendo in parte alcuna dal toscano: et quello che harebbe perduto di venustà ha trapiantato in altri motti, o parole, che hanno nella lingua sua la medesima forza che le tradotte nella loro. (f. a4v)
31L’entreprise a donc été possible grâce à l’excellente connaissance de l’italien dont Le Maçon a fait preuve à plusieurs occasions, et à l’élégance de son expression dans sa langue maternelle: l’appropriation du modèle boccacien est considérée complète. Son jugement est à mettre en relation avec les vers du dizain anonyme Aux Lecteurs qui suit la lettre:
Voyez Lecteurs ceste belle leczon
Plus à priser que nul riche ediffice
Que pour vous a basty nostre maçon
Maçon accreu du roy pour son service:
Si congnoistrez que moins n’est son office
(Si bien faisant) de livres translater,
Que manier finances et compter:
Car Bocace est icy mieulx recongneu,
Que si luy mesme à se faire escouter
Fust de Florence en France revenu. (f. a4 v°)
- 71 Par exemple, un dizain latin en tête de la traduction de l’oraison Pro Marcello de Cicéron, composé (...)
32Le poète joue sur la métaphore de la maçonnerie suggérée par le nom du traducteur et insiste sur l’assimilation pleine de Boccace. Il ne s’agit donc pas d’un simple processus de traduction: en effet, grâce à Le Maçon l’éloquence du Florentin est devenue une nouvelle «éloquence française», presque comme si Boccace avait commencé à parler français. Ces vers semblent suggérer que, une fois la leçon apprise, la langue française sera à même de rivaliser avec les autres langues vulgaires et même de les dépasser. L’image d’un auteur «rendu français» par le biais de la traduction est, il faut le dire encore une fois, un des éléments récurrents dans le vaste ensemble de textes apologétiques du siècle71. Sa valeur est bien celle d’annuler toute distance culturelle et idéologique avec le modèle, et de cautionner sa complète assimilation.
- 72 Les guillemets permettent de prendre une certaine distance entre le personnage qui parle dans ce te (...)
33La conscience d’offrir un produit éditorial de grande qualité et l’une des pièces maîtresses pour l’illustration de la langue et de la littérature française est centrale dans le dernier texte de cette préface, qui se veut dû à la plume de l’éditeur Estienne Roffet. L’on retrouve encore les mêmes dispositifs argumentatifs présentés jusqu’ici: la louange de Boccace et de son œuvre, la confiance dans les potentialités littéraires de la langue natale, la rivalité linguistique avec l’Italie, le rôle promoteur de la royauté. ‘Roffet’72 est conscient de mettre à la disposition des lecteurs «le plus beau et le plus estimé livre Toscan […] qui jamais ait esté faict en Italie par Bocace, ne autres quelconques de sa nation» (f. a5r); l’importance de cet ouvrage est témoignée aussi par le soin matériel apporté à l’impression: le volume est un in-folio, le format généralement adopté pour les éditions des textes classiques, il est imprimé en caractères romains, avec une mise en page soignée, embellie par des gravures conçues pour cette édition. La dissemblance avec la traduction antérieure, définie ici «sacrilège» ou «impiété», est évoquée par une image tirée de l’orfèvrerie:
et en conferant ceste traduction à la leur […] je me persuade et asseure, que chascun de vous y trouvera telle difference, comme d’ung fin or à xxiiij karatz, à une cendrée d’argent, qui ne tient que huit ou neuf deniers. (f. a5r)
34L’entreprise menée par Le Maçon montre que «les cachées richesses et incongeuz ornemens de nostre bien parler se peuvent non conferer seulement, ains aussi preferer à toutes les autres estrangers», et pour le résultat obtenu elle mérite d’être considérée «une tresgrande preuve et tesmoignage certain, de la richesse et abundance de nostre vulgaire Françoys» (f. a5r).
- 73 C.-G. Dubois, Celtes et Gaulois au xvie siècle: le développement littéraire d’un mythe nationaliste (...)
- 74 «O bien fortunee nation Françoyse, qui recognoistras desormais en ta langue les dictions innumerabl (...)
- 75 Cité dans C. Longeon, Premiers combats cit., p. 118.
- 76 J. Lemaire de Belges, Les illustrations de Gaule et Singularitez de Troye, dans Œuvres, publiées pa (...)
- 77 M.-L. Demonet, Les Voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris- (...)
35L’aspect le plus intéressant de cette lettre, qui la différencie en partie des textes précédents, concerne une question de linguistique diacronique: ‘Roffet’ souligne l’écart existant entre la langue française et les autres langues, notamment l’italienne, en faisant recours à l’argument de la filiation grecque du français73; la preuve en est que le «cothidien langaige» rencontre moins de difficultés dans la traduction des ouvrages grecs, à cause des affinités syntaxiques, lexicales, prosodiques et phonétiques qui lient les deux langues, «tant pour la maniere de parler, comme pour la proximité de plusieurs motz, accents et prononciations» (f. a5r). Dans l’utilisation qu’en fait ‘Roffet’, le celthéllenisme vise à différencier l’italien, dérivé directement du latin, et le français, qui partage avec la langue grecque un grand nombre de traits: étant donné l’écart qui sépare les deux langues, il s’ensuit nécessairement «que le Toscan filz aisné du Latin, n’est moins difficile à tourner en nostre commun parler, que le Latin mesmes ou le Grec» (f. a5r). En prétendant que l’italien et le français sont deux langues sans parenté entre elles, ‘Roffet’ affirme vouloir souligner la grande difficulté rencontrée par le traducteur; en réalité, il veut plutôt répondre sur un autre plan aux prétentions italiennes, en rappelant que les origines du français se veulent bien plus anciennes et prestigieuses que celles de l’italien, selon des modalités qui sont présentes dans d’autres textes de la même période. Dans la préface à sa traduction de L’oraison que feit Crispe Saluste contre Mar. Tul. Ciceron (à Paris, 1537), Pierre Saliat s’appuie sur le témoignage de Jules César, «qui dit ou 5’ livre de ses commentaires, que les Françoys en tous leurs negoces tant privez que publicz, usoient de la langue Grecque», au point que la langue française en retient encore plusieurs traits74; Martin Mathée, en traduisant l’Histoire ecclésiastique de Théodoret de Cyr en 1544, affirme que «quant à la proximité de la langue grecque et française, en sont juges ceux qui ont plénière connaissance des deux langues»75. Jean Lemaire de Belges avait diffusé le mythe des ancêtres troyens des Gaulois, enracinant les origines de ce peuple et de sa langue dans un passé ancien76; Marie-Luce Demonet a montré la fonction nationaliste de ce mythe, qui vise à surpasser sur le plan historico-culturel la filiation latin-italien, à une époque où l’hégémonie politique et militaire se justifie par l’ancienneté de civilisation77. C’est aussi une manière de rattacher directement non seulement la langue, mais aussi la littérature française à un passé mythique, en dissimulant la dette que la culture française de son temps a contractée envers les Humanistes italiens pour leur restauration de la littérature ancienne et leur création d’une littérature moderne en langue vernaculaire. La réussite de ce passage direct entre Antiquité et Modernité est imputée encore une fois à la clairvoyance de François ier, et notamment à la promotion des traductions des œuvres classiques comme moyen d’enrichissement de la langue: «il a esté, durant ce regne, traduict et mis en nostre langue plus grant nombres des hystoires Grecques et des livres latins, que non pas des Italiens et Toscans» (f. a5r).
Conclusion
36Cette analyse fait apparaître, me semble-t-il, que tous les textes composant cet apparat liminaire articulé se tiennent: les arguments utilisés reviennent d’un texte à l’autre, et chacune des voix qui prennent successivement la parole contribue de manière complémentaire à la construction d’une argumentation complexe. Certes, les lignes essentielles sont, comme on l’a vu, déjà présentes dans l’épître du traducteur à Marguerite: l’importance de la commande royale et de la politique culturelle de François ier; la nécessité de présenter le Decameron comme un livre de haute valeur littéraire et de le dégager des lectures moralisées; l’urgence de riposter aux prétentions italiennes et à l’idée d’une «impossible traduction» de l’ouvrage; la critique aux remaniements de l’édition de Vérard; l’affirmation des possibilités expressives du français.
37L’analyse a mis en évidence ce que les argumentations utilisées dans les textes doivent à la défense et l’illustration de la langue française qui sévissait dans le débat culturel de l’époque. Les quelques exemples fournis en guise de comparaison montrent la petite place que l’on peut faire à des argumentations vraiment originales. Par delà la répétitivité des topoï adoptés, l’intérêt de cette préface réside dans sa cohérence interne. Chacun des textes donne en effet sa contribution à la construction d’une apologie de la langue française, en suivant deux axes principaux: la valorisation de l’ouvrage traduit (pour son contenu, comme le fait Ferretti, mais surtout pour son style), et l’affirmation des potentialités littéraires du français, qui permettent de dépasser le modèle original.
- 78 J. Balsamo, Les rencontres des muses cit., p. 94.
- 79 Ibidem, p. 142.
38Cette démarche implique l’émergence d’une rivalité entre les deux langues, compte tenu du fait que l’enjeu de la traduction doit être l’appropriation linguistique de l’œuvre originale. Il s’agit justement, comme le remarque Jean Balsamo, d’une véritable «conquête»78, dont le but n’est pas la transmission neutre d’un ouvrage réputé intéressant ou important, mais plutôt la démonstration de la perfection du français, mesurée à l’aune d’un texte-modèle79.
39Dans cet apparat liminaire, les textes semblent se distribuer entre un côté italianisant et un côté nationaliste: la mise en valeur de Boccace et de l’original italien sont essentiellement l’objet des épîtres de Le Maçon et Ferretti; il revient alors à l’auteur du dizain et à Estienne Roffet d’attester le dépassement du modèle, et donc l’existence d’une éloquence française autonome, qui aurait une origine plus ancienne que l’éloquence italienne. Le pouvoir royal, qui s’exprime dans le privilège, semble veiller d’en haut sur toute l’opération, dont il est d’ailleurs le mobile. On peut enfin souligner un autre aspect intéressant, qui démontre encore une fois le lien profond unissant ces textes. En effet Le Maçon avait fondé son argumentation sur une défense des possibilités expressives de sa propre langue, qui était pour lui à même de suivre le modèle; d’ailleurs, il en reconnaissait implicitement la supériorité, en affirmant ne pas vouloir s’écarter de l’original et de rechercher au contraire une traduction «tresfidele». Pour sa part, Ferretti reconnaît que Boccace semble vivre une «nouvelle vie» dans cette version, alors que pour l’auteur du Dizain le traducteur a porté la voix du Florentin en France: tous les deux semblent donc affirmer une équivalence entre l’original et la version française, voire une supériorité de celle-ci. Si dans ces deux textes cette supériorité concerne le niveau contingent du débat littéraire, elle est déplacée par ‘Roffet’ sur le plan plus vaste de la rivalité entre langues différentes, rivalité où le français l’emporte sur l’italien par son ancienneté et ses qualités. Il serait alors possible de reconnaître une sorte de progression, où chaque texte renchérit sur le précédent, en suivant des connexions qui lieraient les différents éléments entre eux. C’est un indice ultérieur de la cohérence interne de cette préface, déterminée non seulement par une unité thématique substantielle, mais aussi par la présence d’une construction argumentative progressive, visant une pointe finale qui proclame la «précellence» de la langue française.
40La multiplication des textes liminaires que l’observation des différents exemplaires de la traduction nous a fait supposer a donc sa raison d’être. La lettre du traducteur à Marguerite de Navarre, qui faisait sans doute partie du premier modèle de préface, est réfractée à travers les autres textes comme dans un prisme, dans un effet d’amplification qui insiste sur les lignes de force du discours apologétique, en rendant l’argumentation plus efficace. La progression des argumentations permet en outre de passer de l’éloge de l’original italien à l’exaltation de la version française, de la célébration du modèle traduit à la célébration de la traduction elle-même et de la langue qu’elle contribue à illustrer. L’auteur du privilège, le traducteur Le Maçon, l’Italien Ferretti, l’auteur anonyme du Dizain et l’éditeur Roffet affirment tous ensemble la nouvelle autorité culturelle de la nation des Valois, et ils le font selon des modalités qui rendent cette préface une vraie «apologie polyphonique» de l’idiome national.
Note
1 G. Mombello, I manoscritti delle opere di Dante, Petrarca e Boccaccio nelle principali librerie francesi del secolo xv, dans Il Boccaccio nella cultura francese, Atti del Convegno di studi di Certaldo (2-6 settembre 1968), a cura di C. Pellegrini, Firenze, Olschki, 1971, pp. 81-209.
2 Pétrarque était apprécié surtout pour son De remediis utriusque fortunae et pour l’Historia Griselidis, adaptation latine de la dernière nouvelle du Décaméron de Boccace, qui contribua largement à la diffusion du recueil de nouvelles (cf. N. Labère, Défricher le jeune plant. Étude du genre de la nouvelle au Moyen Âge, Paris, Champion, 2006, pp. 310-313); Boccace avait gagné une réputation de philosophe morale grâce au De casibus virorum illustrium, et de savant pour son De genealogia deorum, bien connues Outre-monts. Selon le répertoire Translations Médiévales. Cinq siècles de traductions en français au Moyen Âge (xie-xve siècles), éd. C. Galderisi, Turnhout, Brepols, 2011, 3 vols, t. II, ad vocem, on compte six versions médiévales différentes de l’histoire de Griseldis, deux traductions du De viris illustribus, trois versions de la Genealogia, une du De remediis, toutes réalisées avant 1500.
3 La première œuvre vulgaire de Pétrarque à avoir été traduite n’est pas le Canzoniere, mais les Trionfi, sur les motifs desquels Jean Molinet réalisa une série de sixains; une traduction en prose, attribuée à Georges de la Forge, remonte à la fin du xve siècle, tandis qu’une version «longue» de cette traduction en prose est conservée sous forme tant manuscrite qu’imprimée; trois manuscrits exécutés dans les mêmes années préservent deux traductions anonymes du commentaire au Trionfi par Bernardo Illicino (cf. E. Suomela-Härmä, Note sulla prima traduzione francese dei “Trionfi”, «Studi Francesi» 129, 2000, pp. 545-553). Le Boccace vulgaire du Decameron est mis en français par Laurent de Premierfait vers 1414, dans une traduction intégrale conçue pour le milieu bourguignon, préparée à partir d’un intermédiaire latin (cf. Décaméron: traduction de Laurent de Premierfait, éd. G. Di Stefano, Montréal, CERES, 1998). Dans le milieu italianisant de René d’Anjou, un anonyme traduit le Teseida (cinq mss., voir A.-M. Bianchi, “La Théséide”, traduction du “Teseida” de Boccace: édition partielle et commentaire, thèse de l’Université de Grenoble, 1973; Id., Le “Livre de Thezeo” de Jean Boccace édité d’après le manuscrit Wien Nationalbibliothek 2617 [transcription du premier livre d’après W1], «Filigrana» 2, 1994, pp. 261-294); entre 1453 et 1455, le sénéchal d’Anjou Louis de Beauvau prépare pour le roi René le Roman de Troyle (quatorze mss.), traduction du Filostrato (voir Le Roman de Troyle, éd. G. Bianciotto, 2 vols, Rouen, Université de Rouen, 1994; G. Bianciotto, La Cour de René d’Anjou et les premières traductions d’œuvres italiennes en France, dans Traduction et adaptation en France au Moyen Âge, Paris, Champion, 1997, pp. 187-203; M. Gozzi, “Filostrato” et “Roman de Troyle”, «Studi Boccacciani» 29 (2001), pp. 145-185).
4 Cf. M. Scialom, Répertoire chronologique et raisonné des traductions françaises de la «Divine Comédie» (xve -xxe siècle), “Lingua e letteratura” 7, 1986, pp. 121-164; C. Galderisi, Silence et fantômes de la ‘translatio studii’. La traduction empêchée, dans Translations médiévales cit., t. I: De la ‘translatio studii’ à l’étude de la ‘translatio’, 2011, pp. 433-457, spéc. 444-445; A. Farinelli, Dante e la Francia, dall’età media al secolo di Voltaire, Milano, Hoepli, 1908; F. Simone, Di nuovo su Dante e la cultura francese del Rinascimento, «Studi Francesi», 20 (1963), pp. 201-217.
5 La première traduction de l’Enfer de Dante, conservée à Turin (ms. Biblioteca Nazionale Universitaria, L. III. 17), a été probablement exécutée au tout début du siècle (cf. A. Bertolino, À propos de la première traduction française de l’“Enfer” de Dante (Turin, Biblioteca Nazionale Universitaria, L. III. 17): quelques questions préliminaires, «Le Moyen Français» 71, 2012, pp. 3-32, et S. Vignali, De quelle source peut-on parler pour la première traduction de l’Enfer de Dante?, dans Nature et définition de la source, éd. M. Maulu, Chemins de tr@verse, collection “Chemins It@liques”, dir. S. Trousselard, 2014, à paraître) et on peut faire remonter à la même époque la traduction du Paradis (Paris, BnF, n. acq. fr. 4119 et 4530) que François Bergaigne a entreprise pour la reine Claude; une traduction de la Divine Comédie dans son intégralité, anonyme et datée du xvie siècle, est aujourd’hui conservée à Vienne (ms. Österreichische Nationalbibliothek, 10201); voir D. Cecchetti, Dante e il Rinascimento francese, «Letture Classensi» XIX, 1990, pp. 35-63.
6 Les Triumphes dans la version “longue” en prose sont imprimés par Barthélémy Vérard en 1514, puis par Romain Morin à Lyon en 1531 et par Denis Janot à Paris en 1538; en 1539 les Angelier publient la version de Jean Maynier d’Oppède (voir P. Cifarelli, Jean Maynier d’Oppède et Pétrarque, dans Les poètes français de la Renaissance et Pétrarque, éd. J. Balsamo, Genève, Droz, 2004, pp. 85-104); la même année, Gilles Corrozet publie six sonnets du Canzoniere traduits par Marot. Un témoignage ultérieur de l’engouement pour Pétrarque est la nouvelle version des Trionfi préparée au début du siècle par Simon Bourgouin, restée manuscrite, et récemment éditée (cf. Pétrarque, Les Triomphes. Traduction française de Simon de Bourgouin, édition critique, introduction et notes par G. Parussa et E. Suomela-Härmä, Genève, Droz, 2012). Pour un cadre plus détaillé sur les traductions des Triumphi au xvie siècle, voir P. Cifarelli, «Quelques-uns de nostre temps ont entrepris de le faire parler françois»: i “Triumphi” di Petrarca nel primo Cinquecento francese, in Filologia e Linguistica. Studi in onore di Anna Cornagliotti, a cura di L. Bellone et alii, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2012, pp. 123-136; sur la première réception de Pétrarque, voir aussi D. Cecchetti, Petrarca in Francia prima del petrarchismo: un mito polemico, «Franco-Italica» 11, 1997, pp. 7-31, et J. Balsamo, Le «Petrarque François». La constitution d’un mythe littéraire et son rôle pour les poètes français du xvie siècle, dans La littérature et ses avatars: discrédits, déformations et réhabilitations dans l’histoire de la littérature, sous la direction d’Y. Bellenger, Paris, Aux Amateurs des Livres, 1991, pp. 89-97.
7 Sur l’immense fortune de Boccace durant le Cinquecento, voir l’étude fondatrice de L. Sozzi, Boccaccio in Francia nel Cinquecento, Genève, Slatkine Reprints, 1999 (1re éd. 1971). En particulier, son Elegia di Madonna Fiammetta fut traduite et publiée à partir de 1531 (voir W. Kemp, Les éditions parisiennes et lyonnaises de la “Complainte de Flamette” de Boccace, «Studi Francesi» 98, 1989, pp. 247-261), tandis que le Filocolo fut l’objet d’une traduction partielle reprenant l’épisode des «questions d’amours» contenu au quatrième livre, et qui circule à partir de 1530 avec le titre Treize elegantes demandes d’amours ; en 1542, l’éditeur parisien Denis Janot en publie une traduction intégrale due à Adrien Sevin, et accompagnée d’une série de vignettes déjà utilisées deux ans avant pour l’Amadis de Gaule.
8 Voir notamment à ce propos l’introduction de J. Balsamo à son Les rencontres des muses. Italianisme et anti-italianisme dans les lettres françaises de la fin du xvie siècle, Genève, Slatkine, 1992.
9 Les informations sur ce personnage ne sont pas nombreuses: il s’agit sans doute de l’un des fonctionnaires les plus en vue de l’administration royale, mais dont l’activité littéraire est inconnue, et l’on serait porté à croire que le Decameron ait été sa seule incursion dans le domaine des lettres. La Croix du Maine (Bibliothèques françaises, p. 17) lui attribue aussi un roman en vers (Les amours de Phydie et Gelasine, Lyon, sl.s.d.) dont il ne reste aucun exemplaire conservé; pour H. Hauvette (Les plus anciennes traductions françaises de Boccace, «Bulletin italien» VII-IX, 1907-1909, désormais dans Id., Études sur Boccace, Torino, Bottega d’Erasmo, 1968, pp. 151-294, je cite d’après cette édition), il s’agirait d’une fausse attribution: l’auteur de ce roman serait Philibert Bugnon. Les quelques données biographiques disponibles ont été recueillies par Hauvette. Originaire du Dauphiné (plus précisément de Buis, aujourd’hui Buis-les-Baronnies, dans le département de la Drôme), Le Maçon serait né autour de 1500. Hauvette suppose qu’il ait séjourné à Florence entre 1527 et 1530; en 1531 il fut nommé receveur général de Bourgogne. Il fut confirmé dans son office en 1535 et en 1539, lors d’une nouvelle guerre en Italie, François ier le nomma trésorier de l’extraordinaire des guerres. En 1543, il fut admis au nombre des conseillers du roi et il mena dès lors une existence plutôt aisée, ce qui lui permit de travailler avec profit à la traduction du Decameron. Il conserva ses titres jusqu’à la mort, en 1559.
10 Le Décaméron de Messire Iehan Bocace Florentin, nouvellement traduict d’Italien en Françoys par Maistre Anthoine le Maçon conseiller du Roy & tresorier de l’extraordinaire de ses guerres, à Paris, pour Estienne Roffet dict le Faulcheur, 1545. Cette traduction a été récemment éditée par Rose Bidler (Boccace, Décaméron, traduction d’Antoine Le Maçon (1545), éd. R. Bidler, Montréal, CERES, 2008).
11 Exemplaire, en ce sens, est la courte Excusacion que Nicole Oresme antépose à sa traduction de l’Éthique et de la Politique d’Aristote, où le traducteur formule d’importantes considérations sur la perfectibilité de la langue française et sur la possibilité d’en faire une langue savante; cf. S. Lusignan, Parler vulgairement: les intellectuels et la langue française aux xiiie et xive siècles, Paris, Vrin, 1986, pp. 154-171.
12 Pour une analyse générale des enjeux liés aux paratextes, on renvoie à l’étude classique de G. Genette, Seuils, Paris, Gallimard, 1987; un ensemble de préfaces de la Renaissance affichant des réflexions critiques sur la langue et la définition des genres littéraires a été rassemblé par B. Weinberg, Critical Prefaces of the French Renaissance, Evanston (IL), Northwestern University Press, 1950, et par C. Longeon, Premiers combats pour la langue française, Paris, Librairie Générale Française, 1989. Voir aussi L. Guillerm, L’auteur, les modèles, et le pouvoir ou la topique de la traduction au xvie siècle en France, «Revue des Sciences Humaines» 180, 1980, pp. 5-31 et Id., Sujet de l’écriture et traduction autour du 1540, Lille, Atelier national de Reproduction des Thèses, 1988, pp. 345-552. Plus récemment, le projet BABEL (Université de Lyon-3) cordonné par Sabine Lardon, a entrepris la rédaction de fiches analytiques sur des préfaces en langue vernaculaire, qui présentent des argumentations intéressantes à propos de questions liées à la dignité de la langue vulgaire (cf. http://eve.revues.org).
13 L’anthologie des pièces apologétiques rassemblées par C. Longeon, Premiers combats cit., permet de dégager les grandes lignes de ce discours: la nécessité d’adopter la langue «domestique» au lieu des langues «pérégrines» (comme le latin ou le grec); l’importance des traductions pour l’enrichissement de la langue; les appels pour la constitution d’une grammaire; le rôle de promoteur culturel joué par le pouvoir royal.
14 Si on veut mieux se rendre compte de l’important témoignage sur la réception de l’œuvre de Boccace porté par cette typologie de textes, on peut retrouver d’autres textes préfaciels aux traductions de Boccace transcrits par L. Sozzi, Per la fortuna di Boccaccio in Francia: i testi introduttivi alle edizioni e traduzioni cinquecentesche, «Studi sul Boccaccio» VI, 1976, pp. 11-80; sur la récéption de Boccace en France, cf. en plus de l’étude de L. Sozzi déjà citée, H. Hauvette, Les plus anciennes traductions cit.
15 BnF, Rés. G-Y2-317 et Rés. G-Y2-387.
16 Paris, Arsenal, FOL-BL-943; Firenze, Biblioteca Nazionale, B.r.113 et PALAT 2.3.5.15; Leiden, Bibliotheca Thysiana, 1670; Lyon, BM, 108558; Stockholm, Kungliga biblioteket, RAR: 137 G a Fol.
17 Paris, Arsenal, Rés. FOL- BL- 942; Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, FOL-Y-142-INV-208 Rés; Paris, ENS Beaux-Arts, Masson 167; Chantilly, Bibl. du Musée Condé, IV H 38; Narbonne, Médiathèque d’Agglomération, R 109; Harvard, Houghton Library, IC. B6308D. Eh545; London, British Library, C 57 g 35; Manchester, John Rylands University Library, 16097; Stuttgart, Württembergische Staatsbibliothek, HBFa 1293; München, Bayerische Staatsbibliothek, Rés. 2o.Po.it.6. i. Je tiens à remercier le personnel de ces bibliothèques pour la collaboration précieuse. Cette collation est forcément incomplète: il resteraient à examiner aussi les exemplaires faisant partie des collections privés.
18 LE DECAMERON / de Messire Iehan Bocace / Florentin, / NOVVELLEMENT TRADVICT / d’Italien en Françoys par Maistre Anthoine le Maçon conseiller / du Roy et tresorier de l’extraordinaire de ses guerres. / Auec priuilege du Roy / Pour six ans. / Imprime à Paris pour Estienne Roffet dict le Faulcheur Libraire / demeurant sur le pont saint Michel à l’enseigne de la Roze / blanche. / 1545
19 Par exemple, «faire mal son proffit» (A), mais «faire son mal proffit» (B); «comme plus j’estime et hault loue vostre bon jugement, accompaigné de l’auctorité et grandeur de vostre tant favorable protection, soustien, et adveu» (A), mais «comme plus j’estime et hault loue l’auctorité & grandeur de vostre tant favorable protection, soustien et adveu» (B).
20 Ajoutons que la foliotation du deuxième cahier reste toutefois identique: là où elle est présente, la lettre du traducteur a une double numérotation, sur le coin supérieur droit, où figure la mention «Feuil. I», et en bas de page la signature «a»; le prologue de Boccace est imprimé sur un feuillet numéroté «a2» dans tous les exemplaires. Ce fait nous permet de supposer que cette épître était initialement présente dans tous les exemplaires, et qu’elle a été supprimée par la suite.
21 Dans l’exemplaire conservé dans la Bibliotheca Thysiana de Leiden, les pages contenant ces avant-textes ont été coupées, et des pages nouvellement imprimées ont été collées sur les bandes de papier restantes. Ajoutons encore un élément problématique: dans l’un des exemplaires de la Bibliothèque Nationale (Rés. G-Y2-317) la page de titre semble avoir été modifiée. Le titre de l’ouvrage a été découpé et inséré à l’intérieur d’un feuillet plus épais. Cette première page est suivie d’une gravure sur cuivre représentant François Ier. Nous avons initialement supposé qu’il s’agissait d’un bifeuillet: toutefois, la reliure de cet exemplaire peut être datée du premier tiers du xviiie siècle, d’après les décorations des plats et les papiers décorés utilisés pour les gardes et les contre-gardes (cf. C. Kopylov, Papiers dorés d’Allemagne au siècle des Lumières, Paris, Éditions des cendres, 2012). Le bricolage fait sur la page de titre, suivant un procédé de restauration usuel au xviiie siècle, remonte probablement à la même époque: lors de la reliure, une section abîmée de la page de titre originale a été substituée, à l’aide probablement d’un autre exemplaire de l’édition originale.
22 «S’il vous souvient (ma dame) du temps que vous feistes sejour de quatre ou cinq moys à Paris, durant lequel vous me commandastes (me voyant venu nouvellement de Florence, où j’avoye sejourné ung an entier) vous faire lecture d’aucunes nouvelles du Decameron de Bocace; aprés laquelle il vous pleut me commander de traduire tout le livre en nostre langue françoise, m’asseurant qu’il seroit trouvé beau, et plaisant», f. a2r.
23 Lettre du 10 mai 1538, voir P. Jourda, Répertoire analytique et chronologique de la correspondance de Marguerite d’Angoulême, Paris, Champion, 1930, n. 772.
24 R. Gorris, Traduction et illustration de la langue française. Les enjeux du “Roland furieux” lyonnais de 1543, dans Lyon et l’illustration de la langue française à la Renaissance, sous la direction de G. Defaux, Lyon, ENS Éditions, 2003, pp. 231-260.
25 Le rôle de la royauté dans la promotion des traductions est d’ailleurs mentionné et loué dans les préfaces des traductions dès le règne de Charles v (voir S. Lusignan, Parler vulgairement cit.); en 1509, Claude de Seyssel fait l’éloge de la politique culturelle de Louis xii: «les livres et traitez, qui ont esté faitz et couchez en langage Grec ou Latin, vous mettez peine de les faire translater en François: ce que plusieurs de voz predecesseurs et autre Princes du sang et de la langue de France ont commencé de faire, ausquels sans doute, la nation Françoise est moult tenue», Les histoires universelles de Trogue Pompee, abbregees par Iustin Historien, translatees de Latin en François, par Messire Claude de Seyssel, à Paris, de l’imprimerie de Michel de Vascosan, 1559, f. a2v. Antoine Macault dans sa traduction du Pro Marcello (1534) rappelle le rôle joué par François Ier sur ce front: le monarque encourage les traducteurs à illustrer la langue française, «au moyen des dons, bienfaits, faveurs et pensions que leur donne et ordonne ordinairement le Roi, mon souverain seigneur et maître» (cité dans C. Longeon, Premiers combats cit., p. 63.) Sur la construction de la mythographie à propos de ce souverain, voir A.-M. Lecoq, François Ier imaginaire. Symbolique et politique à l’aube de la Renaissance française, Paris, Macula, 1987; l’exposition récente sur François Ier, organisée à la BnF, illustre bien cette question, cf. François Ier, pouvoir et image, s. dir. de B. Petey-Girard et M. Vène, Paris, BnF, 2015.
26 Jacques Peletier du Mans, L’art poetique d’Horace traduit en vers françois [1541], cité dans C. Longeon, Premiers combats cit., p. 98.
27 J. Balsamo, Le Décaméron à la cour de François Ier, «Revue de littérature française et comparée» 7, 1996, pp. 231-239, ici p. 232.
28 Une transcription du sonnet a été fournie par H. Hauvette, Les plus anciennes traductions cit., p. 230: «A voi che traduceste in puro inchiostro | A Franchi le novelle, anzi l’istoria | Del famoso Toscan, l’alta cui gloria | Sempre più chiara empie ’l paese nostro, | S’inchina Italia, e ’l vago terren vostro | Di cosi degn’oprar con voi si gloria, | Poi ch’avete con nobile memoria | L’uno e l’altro idioma insieme mostro. | Deh! perché a me non è dal ciel concesso | Conforme al desir mio stil dolce e chiaro, | Per darvi a sì gran merto uguale onore? | O felici fatiche, o ingegno raro, | E degne sol di que’ ch’ebbero espresso | Del gran Greco e Trojan l’alto valore?» (je souligne).
29 Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, édition présentée et annotée par N. Cazauran, texte établi par S. Lefèvre, Paris, Gallimard, 2000, p. 90.
30 Voir à ce propos les articles de M. Huchon (“Caméron” et “Décaméron”: de l’influence de Boccace travesti à la française, dans Boccaccio e le letterature romanze tra Medioevo e Rinascimento, Atti del Convegno internazionale «Boccaccio e la Francia», a cura di S. Mazzoni Peruzzi, Firenze, Alinea Editrice, 2006, pp. 57-82; Définition et description: le projet de l’”Heptaméron” entre le “Caméron” et le “Décaméron”, dans Les visages et les voix de Marguerite de Navarre, actes du Colloque international sur Marguerite de Navarre, Duke University, 10-11 avril 1992, textes réunis et présentés par M. Tetel, Paris, Klincksieck, 1992, pp. 52-65) et de G. Mathieu-Castellani, Le “Décaméron” et la littérature française. Le modèle et ses variations: du “Décaméron” à l’“Heptaméron”, dans Il “Decameron” nella letteratura europea, a cura di C. Allasia, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura, 2006, pp. 141-166; sur l’importance de l’épître de Ferretti pour la conception de l’histoire-cadre, cf. G. P. Norton, The Emilio Ferretti Letter: a Critical Preface for Marguerite de Navarre, «The Journal of Medieval and Renaissance Studies» 4, 1974, pp. 287-300.
31 Voir n. 9.
32 Voir n. 9.
33 L’aveu, de la part d’un lettré d’origine périphérique, d’une maîtrise insuffisante du bon français témoigne efficacement du processus de centralisation du pouvoir dans la France du xvie siècle; ce topos est déjà présent au début du siècle chez le savoyard Claude de Seyssel: «Et considerez que je ne suis pas natif de France […] par quoy n’est pas à merveiller si je n’ay le langage françois bien familier», Xénophon, La retraite des dix mille, BnF, ms. fr. 701, f. 17r-v; Marot raconte de son voyage de son Quercy natal vers la Cour pour rejoindre son père: «N’ayant dix ans en France fuz mené […] j’oubliay ma langue maternelle, / Et grossement appris la paternelle / Langue Françoyse ès grads Courts estimée» (Clément Marot, Œuvres poétiques, édition critique par G. Defaux, 2 vols, t. II, Paris, Garnier, 1993, p. 31). Sur la perception de cette distance linguistique, surtout pour les écrivains d’origine méridionale, voir M. Jourde, Diglossie et auctorialité au xvie siècle en France méridionale. Sur la figure du transfuge, dans Langue de l’autre, langue de l’auteur. Affirmation d’une identité linguistique et littéraire aux xive et xvie siècles, études réunies par M.-S. Masse et A.-P. Pouey-Mounou, Genève, Droz, 2012, pp. 107-124.
34 Voir D. Trudeau, Les inventeurs du bon usage (1529-1647), Paris, Les Éditions de Minuit, 1992, pp. 45-68.
35 C’est l’opinion de M. Huchon, “Caméron” et “Décaméron” cit., pp. 76-81. L’épître de Ferretti semble en effet reprendre les opinions sur le Boccace vulgaire que Castiglione présente dans son Courtisan. Ferretti reproche à Boccace d’avoir utilisé une langue trop éloignée de la langue d’usage («né mi offendono in lui quelle clausule che finiscono quasi sempre in verbi, contro a la legge de la natura, et a le purgate penne di oggi», f. a3v), et parfois trop vulgaire («il qual [Boccaccio] sendo hoggi in vita, per avventura si darebbe con più pesato stile», f. a3v). La dernière remarque, en particulier, semble reprendre presque littéralement les mots que Castiglione, dans le premier livre de son Cortigiano, fait prononcer à Lorenzo il Magnifico: «È ben vero che molte parole si ritrovano nel Petrarca e nel Boccaccio, che ora sono interlasciate dalla consuetudine d’oggidì; e queste io, per me, non usarei mai né parlando né scrivendo; e credo che essi ancora, se insino a qui vivuti fossero, non le usarebbero più», Baldassar Castiglione, Il Cortigiano, a cura di A. Quondam, Milano, Mondadori, 2002, 2 vols, t. I, p. 57.
36 Ce qui est évident, c’est qu’il ne s’agit dans ce contexte que d’une déclaration de principe: une analyse linguistique plus ponctuelle de la traduction dans sa totalité pourrait permettre de vérifier la praxis réelle adoptée par le traducteur, et constituer un sujet intéressant pour d’autres recherches.
37 «Nostre treschere et tresamee seur unicque la Royne de Navarre […] suyvant le commandement de nostre dicte seur […] en faveur de nostre seur qui a commandé la dicte traduction» (f. a1v).
38 Selon Hauvette (Les plus anciennes traductions cit., p. 230), ce long séjour n’a pu avoir lieu après 1531, en considération des charges attribués à Le Maçon à partir de cette date; c’est peut-être alors entre 1527 et 1530 qu’on doit placer ce voyage, c’est-à-dire durant la période où la nouvelle république de Florence entretient le plus de rapports avec la France, avant de revenir sous le contrôle des Médicis; voir n. 9.
39 Estienne Dolet, La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre, à Lyon, chez Estienne Dolet, 1540, f. b2v.
40 N. Labère, op. cit., p. 305; cet élément est dû à la critique de la Renaissance, et à son travail sur la langue vulgaire comme expression possible du littéraire. Cette lecture du Decameron comme une sorte de biblia grammaticale est d’ailleurs en syntonie avec l’initiative portée par Bembo dans les Prose della volgar lingua (1525) de construire un canon d’auteurs classiques qui soit une référence pour la langue italienne; à cet égard la position de Castiglione est différente: il tend à refuser la langue de Boccace (notamment celle adoptée dans la cornice), qu’il considère trop éloignée du «commun parler».
41 V. Branca, Linee di una storia della critica al “Decameron”, Roma, Società Anonima Editrice Dante Alighieri, 1939, pp. 1-7.
42 La langue du Decameron est étudiée par les intellectuels de la nouvelle génération, qui préparent de nombreux vocabulaires en puisant à cette source: Francesco Luna compile le Vocabulario di cinquemila vocabuli toschi non men oscuri che utili e necessarij del Furioso, Bocaccio, Petrarcha e Dante (Naples, G. Sulzbach, 1536), Alberto Accarisi prépare un Vocabolario, grammatica, et orthographia de la lingua volgare […] con ispositioni di molti luoghi di Dante, del Petrarca, et del Boccaccio (Cento, 1543), Antonio Brucioli accompagne sa révision du recueil de Boccace avec une dichiaratione di tutti i vocaboli, detti, prouerbij, figure, et modi di dire incogniti et difficili (Venise, Giovanni Giolito il vecchio, 1538).
43 V. Branca, Linee di una storia della critica cit., p. 9.
44 «Per che recando le molte parole in una, quando si sarà per noi a dar giudicio di due scrittori, quale di loro più vaglia, et quale meno; […] con le parti, che ci raccolse M. Carlo dello sciegliere et del disporre prima da noi medesimamente considerate ponendole; potremo sicuramente conoscere et trarne la differenza. Et percioché tutte queste parti sono più abondevoli nel Boccaccio et nel Petrarcha, che in alcuno degli altri scrittori di questa lingua […] conchiudere vi può M. Carlo da capo, che niuno altro così buono o prosatore o rimatore è M. Hercole; come sono essi», P. Bembo, Prose della volgar lingua, edizione critica a cura di C. Vela, Bologna, Clueb, 2001, p. 100 (je souligne).
45 V. Branca, Linee di una storia della critica cit., p. 11.
46 Cf. P. Salwa, L’art de vivre et la leçon de vie, «Studi Francesi» 73, 1981, pp. 73-82; Id., La prima novella del “Decameron” nell’edizione di Antoine Verard del 1485, dans La nouvelle française à la Renaissance, a cura di L. Sozzi, Genève, Slatkine, 1981, pp. 121-128; Id., Le tre fortune del “Decameron” nella Francia del Cinquecento, dans Politica litteraria. Festschrift für Horst Heintze, herausgegeben von E. Hofner, Berlin-Cambridge (Mass.), Galda-Wilch Verlag, 1998, pp. 181-197; S. Cappello, Le prime traduzioni francesi del Decameron: Laurent de Premierfait (1414), Antoine Vérard (1485) e Antoine Le Maçon (1545), in Premio “Città di Monselice” per la traduzione letteraria e scientifica, 36-37, a cura di G. Peron, Padova, Il Poligrafo, 2008, pp. 203-219. Nous n’avons pu consulter la thèse de Nora Viet (Du “Decameron” de Boccace au “Cameron” d’Antoine Vérard: les mutations de la nouvelle au début de la Renaissance française, Lille, Atelier national de Reproduction des Thèses, 2009).
47 Par exemple à Paris, chez Denis Janot en 1537, et encore chez François Regnault en 1541.
48 Mireille Huchon a déjà remarqué combien cette structure est proche de celle des premières nouvelles écrites par Marguerite pour l’Heptaméron, et transmises par le manuscrit Paris, BnF, fr. 1513; elle a ainsi pu supposer une dette d’inspiration de la reine envers la version publiée par Vérard (voir M. Huchon, “Caméron” et “Décaméron” cit., et Ead., Définition et description cit.).
49 On fera référence à l’édition critique établie par Giuseppe Di Stefano citée plus haut.
50 «[…] Car illec sont tous vices morsillez et reprins et les vertus et bonne meurs y sont admonestees et loees en autant et plus de manieres comme est le nombre des nouvelles», Boccace, Décaméron, cit., p. 2.
51 Ibidem, p. 3.
52 Cf. N. Labère, op. cit., pp. 416-422 et pp. 431-445.
53 Boccaccio, Decameron, a cura di V. Branca, Milano, Mondadori, 1985, pp. 329-336.
54 Ibid., p. 911.
55 «[Le Maçon] bailla sa traduction ès mains de Estienne Roffet dict le Faulcheur, pour icelle imprimer, Affin que par la communication et la lecture dudict livre les lecteurs d’icelluy de bonne volunté puissent y acquerir quelque fruict de bonne ediffication», f. a1v.
56 Il est vrai pourtant qu’à la phrase suivante le privilège affirme que l’ouvrage a été traduit «pour congnoistre les moyens de fuir à vices et de suyvre ceulx qui induisent à honneur et vertu» (f. a1v), ce qui montre une résistance de la tendance à la lecture moralisée.
57 Sergio Cappello (Le prime traduzioni francesi del “Decameron” cit., pp. 203-219) parle d’une notion d’« ambivalence » de la poésie, qui trouverait sa source dans la pensée de Plutarque : lire les poètes peut avoir un effet bénéfique ou nocif, selon les dispositions et les intentions du lecteur.
58 Il faut néanmoins remarquer que l’édition parue à Lyon chez Guillaume Rouillé en 1551 antépose déjà aux nouvelles des moralités, reprises de l’édition italienne (Venezia, 1546) de Giolito de’ Ferrari, qui reportent à une lecture didactique du recueil; cf. S. Cappello, Le prime traduzioni cit., pp. 216-217 et M. Huchon, “Caméron et Décaméron” cit., p. 68.
59 En 1541, le médecin lyonnais Jean Canappe affirme: «Qui donc penserait que Cicéron connut mal le grec? Cependant il écrivit exclusivement en latin et il s’employa l’un des premiers à illustrer dans la langue française les études philosophiques» (Galien, Du mouvement des muscles, trad. Jean Canappe, à Lyon, chez G. Rouillé, 1541, cité dans C. Longeon, Premiers combats cit., p. 91); dans la préface à sa traduction de l’Ars poetica d’Horace (1540), Jacques Peletier du Mans rappelle les efforts faits par Cicéron pour créer une philosophie en latin: «Ciceron, prince de l’eloquence rommaine, se vente que la philosophie qu’ilz avoint empruntée des Grecz est plus ornement et copieusement ecritte en Latin qu’en Grec» (cité dans B. Weinberg, Critical prefaces cit., p. 113).
60 «Quoy voyant, et desirant toute ma vie faire plus, si je pouvoye, que le possible pour vous obeïr, je commençay de là à quelque temps à traduire une desdictes nouvelles, puis deux, puis trois et finablement jusques au nombre de dix, ou douze, des plus belles que je sceu choisir: lesquelles je laissay veoir aprés tant à ceulx de la nation Tuscane que de la nostre, qui tous me feirent à croire qu’elles estoient (sinon bien) au moins tresfidelement traduictes», ff. a2r-v.
61 L’importance de ces deux termes pour comprendre les enjeux de l’entreprise de Le Maçon a été remarquée récemment par une savante américaine, M. Rothstein (Translation and the Triumph of French: the Case of the “Decameron”, dans Translations in French and Francophone Literature and Film, Amstedam - New York, Rodopi, 2009, pp. 17-33): cette étude ne tient toutefois aucun compte ni de l’épître d’Emilio Ferretti, ni du Dizain au lecteur, qui sont selon nous à mettre en rapport avec les autres textes liminaires.
62 Les histoires universelles de Trogue Pompee, abbregees par Iustin Historien, translatees de Latin en François, par Messire Claude de Seyssel […] Dediées à tres Chrestien et tres victorieux | Roy Loys xii de ce nom, Paris, Michel de Vascosan, 1559, f. a3v. Ce sens est également attesté chez Guillaume Tardif et, avec une nuance dépréciative, chez Christine de Pizan et Denis Foulechat, cf. le Dictionnaire de Moyen Français (1330-1500), http://www.atilf.fr/dmf/,ad vocem.
63 Un portrait essentiel de ce personnage est tracé dans le Dizionario Biografico degli Italiani (http://www.treccani.it/biografie) ad vocem. Né en 1489, après les études de droit civil et droit ecclésiastique, il arriva en France où il enseigna le droit à Valence; il fut nommé conseiller juridique au Parlement de Paris en 1534. D’après le Union Short Title Catalogue, Sébastien Gryphe publia ses gloses In Corneli Taciti Annalium libros (1541); ses ouvrages juridiques furent publiés à Lyon chez Macé Bonhomme entre 1551 et 1553. G. P. Norton, dans l’article cité plus haut, a fourni quelques détails supplémentaires sur sa biographie, en s’appuyant notamment sur des actes de François ier.
64 G. P. Norton, The Emilio Ferretti Letter cit., p. 287.
65 J. Balsamo, Le “Décaméron” à la cour cit., p. 236.
66 H. Hauvette (Les plus anciennes traductions cit., p. 230) date la présence de Le Maçon à Florence entre 1527 et 1530; peut-être se sont-ils connus dans cette ville en 1529, lors de la mission diplomatique de Ferretti? Cf. G. P. Norton, The Emilio Ferretti Letter cit., p. 289, n. 11.
67 Au sens de l’introduire dans un milieu étranger, cf. S. Battaglia, Grande dizionario della lingua italiana, Torino, Utet, 1972, ad vocem.
68 Cf. Dizionario Biografico degli Italiani, ad vocem.
69 G. P. Norton, The Emilio Ferretti Letter, cit, pp. 295-296, et Id., Laurent de Premierfait and the Fifteenth-Century French Assimilation of the Decameron: A Study in Tonal Transformation, «Comparative Literature Studies» vol. IX, n. 4, 1972, pp. 376-391.
70 «Confesso bene che vi siano raccontate de le cose, onde chi abbia voglia di mal fare possa dar forza a’ suoi cattivi disegni, ma […] non dubito punto, se una di queste corrotte menti si desse a leggere le epistole di san Ieronimo (per non parlar degli altri sacri e venerandi libri) ch’ella non fussi per fare (come suol dirsi), mal suo profitto di Paolo e di Eustochio», f. a3r.
71 Par exemple, un dizain latin en tête de la traduction de l’oraison Pro Marcello de Cicéron, composé par Antoine Macault en 1534, s’exprime ainsi à propos du traducteur: «Macautius: unus / Qui docuit Marcum gallica verba loqui» («Petri le Gay Lugdunei, ipsius Macautii amatissimi», L’oraison que feit Ciceron à Cesar, pour le rappel de M. Marcellus senateur romain. Translatee de Latin en Françoys par l’esleu Macault, secretaire et vallet de chambre du Roy, à Paris, par Antoine Augereau, 1534, f. a5r. Dans une pièce mise en tête de la traduction des Discorsi de Machiavel, Herberay des Essars se réjouit avec le traducteur Jacques Gohory, pour avoir appris à Tite-Live à «parler français»: «Et si le ciel te permet de tant vivre / Passe plus oultre, escriptz soir et matin / Et faictz en toy Tite Live revivre, / Autant Françoys comme il est bon Latin», Le premier liure des discours de l’estat de paix et de guerre, de messire Nicolas Macchiavegli, à Paris, par Denis Janot, 1544, f. a3v.
72 Les guillemets permettent de prendre une certaine distance entre le personnage qui parle dans ce texte et son auteur réel, qui pourrait avoir été un collaborateur de l’éditeur.
73 C.-G. Dubois, Celtes et Gaulois au xvie siècle: le développement littéraire d’un mythe nationaliste, Paris, Vrin, 1972, et M. Huchon, Le français de la Renaissance, Paris, PUF, 1988, pp. 16-20. Sur cette ligne s’insère la figure de l’«Hercule Gaulois», récupérée par Geoffroy Tory dans son Champfleury (1529), voir M.-R. Jung, Hercule dans la littérature du xvie siècle, de l’Hercule Gaulois à l’Hercule baroque, Genève, Droz, 1966.
74 «O bien fortunee nation Françoyse, qui recognoistras desormais en ta langue les dictions innumerables, et les phrases et manieres de parler tant frequentes qu’elle retient du Grec», cité dans L. Guillerm, Sujet de l’écriture et traduction cit., p. 567.
75 Cité dans C. Longeon, Premiers combats cit., p. 118.
76 J. Lemaire de Belges, Les illustrations de Gaule et Singularitez de Troye, dans Œuvres, publiées par J. Streicher, Genève, Slatkine, 1969, 2 vols, t. I, p. 13.
77 M.-L. Demonet, Les Voix du signe. Nature et origine du langage à la Renaissance (1480-1580), Paris-Genève, Champion-Slatkine, 1992, p. 86.
78 J. Balsamo, Les rencontres des muses cit., p. 94.
79 Ibidem, p. 142.
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Notizia bibliografica
Alessandro Bertolino, «Traduire de l’italien pour «illustrer» le français? La préface au “Decameron” (1545) d’Antoine Le Maçon et ses enjeux», Studi Francesi, 176 (LIX | II) | 2015, 270-289.
Notizia bibliografica digitale
Alessandro Bertolino, «Traduire de l’italien pour «illustrer» le français? La préface au “Decameron” (1545) d’Antoine Le Maçon et ses enjeux», Studi Francesi [Online], 176 (LIX | II) | 2015, online dal 01 août 2016, consultato il 06 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/699; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.699
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