1Emmelie Prophète est une écrivaine et journaliste haïtienne née à Port-au-Prince, dont elle connaît très bien la nature et les particularités. À travers ce roman, et surtout la voix de la protagoniste, Célia, l’auteure montre au lecteur la crudité de la vie dans son île.

2Abandonnée par un père inconnu, Célia est une jeune adolescente qui a perdu sa mère quand elle était petite et elle a grandi avec sa grand-mère, Grand Ma. Malheureusement, la femme meurt au début du texte, plongeant Célia dans le désespoir. Toute son enfance disparaît avec Grand Ma. La jeune fille doit commencer à découvrir comment vivre sans l’aide d’une figure maternelle. En alternant des souvenirs du passé à des épisodes du présent, Prophète trace la vie de l’héroïne du roman. Une vie qui n’est pas tout à fait simple: au contraire, elle doit combattre pour survivre, pour trouver quelque chose à manger, pour rejoindre une source d’eau qui lui permet de boire et de se laver. L’auteure raconte ces épisodes pour dénoncer les problèmes réels des habitants d’une île abandonnée par les gouvernants, où la corruption, la violence, la prévarication dominent. Il faut noter que les lieux cités par Prophète touchent la sphère de la religion: Célia vit à Puissance Divine, mais elle parle souvent de la localité fictive de Bethléem. Il s’agit d’endroits et de noms inventés qui en tous cas symbolisent Port-au-Prince et les autres villes haïtiennes. On veut certainement créer une opposition nette entre la religion, la divinité, et une réalité crue, dure, désenchantée, comme si l’on voulait dénoncer que justement ces lieux qui portent la présence d’une force supérieure dans leurs noms, sont en réalité des villes qui, apparemment, ont été complètement abandonnées par Dieu. Dans chaque page le lecteur doit faire face à une sensation de total dépaysement. En effet la narration est une succession continuelle d’histoires de fuite, de perte, de rêves et de désirs toujours enfreints, comme dans le cas de Frédo, l’oncle de Célia qui était allé aux États-Unis à la recherche d’une vie meilleure, qu’on lui avait promise, mais qui est rentré brisé par son expérience dans ce pays doré.

3Celia doit se prostituer pour réussir à survivre, elle doit céder aux menaces de Joël, chef d’un gang très violent qui domine sur la cité. La vie haïtienne est caractérisée par cet aspect: il y a toujours un groupe d’hommes, guidé par un chef violent qui impose ses décisions sur la population. Jusqu’à ce qu’un autre homme, encore plus violent, tue le chef du groupe et prenne sa place. Dans le roman, cette cyclicité est très bien représentée: au début il y a Freddy, remplacé par Joël, tué par Cannibal 2.0, à son tour éliminé. La violence est bien rendue même à travers la cruauté des descriptions, qui sont toujours très minutieuses et qui ne veulent jamais adoucir ce qu’on est en train de décrire: «Le corps avait été décapité. Il gisait dans le corridor… Ses poignets étaient ligotés par derrière, le sang avait rendu brune sa chemise rouge… La tête qui manquait devait être jeune…Un filet de sang sortait de ce qui restait de cou, un corps chagrin qui pleurait sa tête» (p.173).

4En contraste avec ces hommes si violents, l’auteure introduit des personnages féminins qui sont très différents entre eux, mais qui font toujours preuve d’une grande force, une résistance incroyable, une dignité que nul homme, dans ce roman, ne peut égaler. Il s’agit d’un hommage important que Prophète a réservé aux Haïtiennes. Le seul homme qui a un soupçon de dignité est Carlos, un client de Célia, qui à la fin tombe amoureux d’elle et qui essaie de la sauver, de lui donner une vie meilleure, même si elle continue à le repousser et à refuser son aide.

5L’image d’Haïti que l’auteure offre est une image crue et très détaillée. Prophète a le don de savoir utiliser les mots justes, qui plongent le lecteur dans la réalité. La division en courts chapitres facilite la lecture. Les longues descriptions sont nécessaires pour fasciner le lecteur, pour l’intéresser: quand on lit ces passages, on a vraiment l’impression d’être plongés dans cette scène, on vit l’île, ses lieux, ses parfums, ses odeurs, ses horreurs et ses espoirs. Prophète a cette capacité artistique de peindre des tableaux très détaillés à travers les mots qu’elle choisit et qui peuvent le mieux possible rendre au lecteur l’image qu’elle est en train de décrire. Les expressions utilisées recréent Haïti autour du lecteur en lui donnant l’impression de la connaître en profondeur.

6Il s’agit certainement d’un livre très éloquent et poignant, puisqu’il permet de comprendre qu’il y a des lieux, des pays, où la violence, la misère, la souffrance, ne sont pas seulement momentanées, mais au contraire sont quotidiennes, endémiques et il n’y a rien à faire pour les combattre et les vaincre, à moins que la population ne change totalement de mentalité et de conduite.