Yves Chemla, En cheminant avec Louis-Philippe Dalembert
Yves Chemla, En cheminant avec Louis-Philippe Dalembert, Port-au-Prince, C3 Éditions, 2022, 159 pp.
Testo integrale
1Yves Chemla offre dans cet ouvrage un bel hommage à Louis-Philippe Dalembert et, aux lecteurs, le condensé d’une œuvre qui compte à ce jour plus de dix romans (si l’on considère également le roman publié en créole), deux recueils de nouvelles et plusieurs recueils de poèmes. Le préambule s’attache brièvement à fournir quelques traces de l’œuvre en prose et justifie la composition du livre dont «les essais […] ont été pour la plupart écrits et publiés depuis 1993. Certains ont été écrits pour ce livre […]. L’ordre […] n’est pas chronologique: il procède de regroupements inspirés par le genre […] (p. 17)» . C’est à l’écrivain que le critique laisse d’abord la parole en insérant, suite au préambule, un entretien déjà paru dans le volume dirigé en 2011 par Nadève Ménard et publié chez Karthala, Écrits d’Haïti. Perspectives sur la littérature haïtienne contemporaine (1986-2006). Il y apporte toutefois un remaniement, élimine les questions et ce faisant, laisse libre cours aux mots de l’auteur qui aborde les sujets et les thématiques qui charpentent ses œuvres: les lieux, la langue, l’insularité, la/les spiritualité/s.
2Le choix de Chemla d’insérer en premier deux essais concernant la production poétique de Dalembert peut s’expliquer de deux façons: la première, par le fait que l’écrivain entre en littérature par le biais de ce genre si prisé en Haïti avec, en 1982, la publication à Port-au-Prince d’Évangile pour les miens aux Éditions Choucoune. La deuxième tient au fait que cette production, comme le dit lui-même Chemla, est peu investiguée par la critique, moins lue et moins connue que la production romanesque, et sa présence est très limitée dans les articles et les volumes consacrés à l’écrivain. Yves Chemla entend ainsi combler ce manque avec un premier volet intitulé «Parcours en poésie» qui se concentre sur cinq recueils de Dalembert – le premier a été cité ci-dessus; Et le soleil se souvient (1985); Ces Îles de plein sel (2000); Poème pour accompagner l’absence (2005) et Transhumances (2010) – puis un deuxième, «Mémoire et poésie: Cantique du balbutiement» qui ne s’intéresse qu’à son dernier recueil paru aux Éditions Bruno Doucey en 2020. Si les thèmes que l’on repère dans l’œuvre romanesque (l’errance, l’enfance, le voyage, le déplacement, l’altérité, l’Histoire) retiennent aussi l’attention du poète, Chemla insiste sur le fait que «c’est bien la place du sujet qui distingue les genres: si les romans jouent sur le récit à la première personne, ou bien les récits autobiographiques des personnages, déplaçant dans la fiction le vouloir-dire du scripteur, en articulant histoires personnelle et familiale, avec la mémoire collective, tout en s’inscrivant dans les codes de la fiction, les poèmes se tiennent au plus près de l’intime et participent de la production d’un sujet qui ne cesse de s’élaborer dans cette dynamique» (pp. 35-36). Chemla s’attarde sur les poèmes, en extrait leurs sucs, partage avec le lecteur ses interprétations, met en avant certaines caractéristiques qui reviennent au fil des recueils ou d’autres encore qui s’éclipsent. Le projet poétique de Dalembert s’articule de recueil en recueil, progressivement. Le critique distingue en particulier quatre éléments: la mise en contact de langues différentes, la recherche du lexique, quelques éléments de versification et surtout l’utilisation de l’épigraphe qui selon Chemla «joue le rôle d’une annonce, délivre un sens explicite dès le préliminaire. […] Sa fonction initiale est aussi sans doute à examiner comme l’ouverture d’un horizon d’attente et comme une procédure de guidage de la lecture» (p. 61). La poésie de Dalembert joue sur de nombreux registres, elle avance vers une lente maturation mais ne perd pas de vue des constantes qui en ponctuent le cheminement. Une de ces dernières a trait à l’enfance que Chemla choisit pour mener une analyse pertinente du poème intitulé «D’île enfance caraïbe» tiré du dernier recueil (Cantique du balbutiement, 2020, qui contient aussi les textes suivants: «témoignage», «je n’ai jamais dit papa», «mystères», «peurs», «qu’importe l’amour», «n’aie pas peur») de l’auteur. C’est un texte conséquent, le plus long, il est placé au cœur de l’ouvrage et contient dans son titre trois mots qui synthétisent l’ensemble. La gageure du poète semble être celle de faire tenir toute l’enfance dans un poème. Chemla souligne également la présence, dans le cadre du poème, de personnages qui ont traversé, à un moment donné, la production en prose de l’auteur comme Le Songe d’une photo d’enfance (1993) ou Le Crayon du Bon Dieu n’a pas de gomme (1996). Il est évident que la mémoire joue un rôle capital dans ce recueil, une «mémoire paradoxale» selon Chemla, qui d’un côté évoque des thématiques dysphoriques et de l’autre témoigne quand même de la confiance à venir. «[…] [S]urtout dans le regard de son propre fils, et cette plongée dans l’autre qui est aussi un peu (de) lui-même dit ce parcours paradoxal de la mémoire: le temps de l’enfance ne revient jamais pourtant il irrigue la vie et étaie la conscience et la reconnaissance de l’humanité, en particulier dans sa charge d’avenir» (pp. 89-90).
3Chemla se penche ensuite sur le genre de la nouvelle avec les deux recueils de l’écrivain, Le Songe d’une photo d’enfance où les textes qui se suivent dressent une image troublante et sombre d’Haïti, et Histoires d’amour impossibles… qui contient une dizaine de nouvelles dont chacune révèle, insiste le critique, un monde et une géographie mais aussi des personnages récurrents, des fragments d’histoires déjà parus ou à paraître.
4Il s’agit dans les cinquante-neuf pages restantes de tirer de chaque roman sa quintessence et de dispenser à ceux qui découvrent Dalembert une clé de lecture qui s’avère précieuse: du Crayon du bon Dieu n’a pas de gomme (1996), en passant par L’Autre Face de la mer (1998); L’Île du bout des rêves (2003); Rue du Faubourg Saint-Denis (2005); Les Dieux voyagent la nuit (2006); Noires Blessures (2011); Ballade d’un amour inachevé (2013); Avant que les ombres s’effacent (2017) pour arriver à Mur Méditerranée (2019) et Milwaukee Blues (2021). L’objectif d’Yves Chemla ne tient nullement à l’exhaustivité, il cherche plutôt à traquer les traces, les marques qui se font écho d’un récit à l’autre ainsi que les thématiques qui interrogent sans cesse Dalembert: le pays-temps, celui de l’enfance, l’attention accordée aux faits divers et à l’actualité où il puise parfois la matière de sa narration, le racisme, l’Histoire et ses non-dits, les catastrophes humaines et naturelles, le rôle fondamental de la mémoire. Yves Chemla nous livre des pistes, «des propositions de lecture, des interprétations, fondées sur l’analyse des conditions de la production du sens. […] Il en ressort que la littérature, telle que semble la concevoir Dalembert est ainsi radicalement en prise avec le réel. Et cette radicalité s’exprime de texte en texte de façon renouvelée, tout en s’emparant de thème divers, parfois liés à des événements connus, ce qui permet d’introduire des variations à ses propres tourments» (p. 159).
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Alba Pessini, «Yves Chemla, En cheminant avec Louis-Philippe Dalembert», Studi Francesi, 201 (LXVII | III) | 2023, 739-740.
Notizia bibliografica digitale
Alba Pessini, «Yves Chemla, En cheminant avec Louis-Philippe Dalembert», Studi Francesi [Online], 201 (LXVII | III) | 2023, online dal 01 mars 2024, consultato il 09 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/56114; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.56114
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