Ching Selao, D’une Négritude à l’autre. Aimé Césaire et le Québec
Ching Selao, D’une Négritude à l’autre. Aimé Césaire et le Québec, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2022, 328 pp.
Testo integrale
1Comme le titre du volume l’indique, Ching Selao consacre son ouvrage au mouvement de la Négritude et à son impact sur la littérature québécoise à partir des années soixante jusqu’à aujourd’hui. Bien que cette relation soit déjà connue et étudiée, l’écrivaine l’approfondit et cherche des pistes de réflexion inédites.
2Dans son introduction, l’auteure aborde le thème à partir d’une réflexion sur le mot «nègre», un terme qui suscite encore aujourd’hui de la méfiance et de l’indignation. La variante «nègre blanc» commence à être utilisée au Québec à l’époque de la Révolution Tranquille: il s’agit d’une tournure oxymorique qui indique «soit le malaise, soit la colère, soit le rire» (p. 9). Selon l’auteure, il faut faire remonter cet usage particulier du mot «nègre» à Rimbaud et à la superposition, voulue par Verlaine, avec l’adjectif blanc. Césaire avait sûrement à l’esprit cette expression quand il s’est proclamé «nègre noir», un syntagme basé sur le créole où le premier terme est utilisé comme un synonyme d’homme et la notation chromatique devient donc une donnée pertinente. À la suite de ce propos, Ching Selao retrace les liens directs entre Aimé Césaire et le Québec: en 1972 l’écrivain se rend au Canada pour des conférences et il constate directement les répercussions de ses ouvrages sur la littérature québécoise: des revendications semblables sont conduites à la même époque par ces «nègres blancs», ce que Césaire considère un aspect inattendu de la Négritude. Après cette réaction initiale, l’écrivain martiniquais affirme que la Négritude n’est pas une affaire liée à la couleur de la peau. À ce sujet, Ching Selao écrit: «Là réside tout de même l’ambivalence de la négritude césairienne qui soulève cette question: que signifie la négritude sans le ‘Nègre’?» (p. 11). Cette interrogation trouve une réponse dans le premier chapitre du volume, où l’auteure retrace les différentes versions de la Négritude et les apports de Césaire et de Senghor. Souvent nommés ensemble par la critique comme s’il s’agissait d’un «couple harmonieux partageant les mêmes idées et les mêmes positions politiques» (p. 45), Césaire et Senghor ont à vrai dire une vision divergente au sujet de la négritude et du rapport colonial. En effet, les écrits de l’intellectuel sénégalais sont sans aucun doute connus, mais sa vision de la Négritude est ambiguë car ses textes sont «loin d’être violemment anticolonialistes» (p. 46). Par conséquent, Ching Selao se propose de revenir sur une réception critique qui montre l’apport des «Négritudes», au pluriel, afin d’éviter la fusion entre les deux poètes et de redonner le statut qui revient à chacun d’eux.
3Le deuxième chapitre est consacré à la relation poétique entre Aimé Césaire et Gaston Miron, véritable référence de la littérature québécoise. L’auteur canadien a rédigé des œuvres poétiques importantes au niveau de la qualité littéraire, ainsi que du combat collectif, vu qu’il a abordé les rapports entre écriture et engagement avec son lyrisme militant. De son côté, Miron considère Césaire comme une figure incontournable et il remarque une filiation poétique saisissante. Cependant, «Plutôt que d’embrasser cette filiation, ce que fera Chamberland, Miron s’avoue vaincu» (p. 114). Un sentiment de défaite se dégage car il se sent devancé. Les deux écrivains partagent l’idée que la création est empêchée dans un contexte de domination. Cela dit, la révolte chez Miron est une lutte continuelle contre le silence et le sentiment de défaite. «Miron se targue d’être un ‘poète généraliste’ et, par conséquent, proche de la population», alors que «Césaire a tôt nourri l’orgueil de se savoir intellectuellement et culturellement supérieur» (p. 128).
4Une troisième section est consacrée à Paul Chamberland, un poète qui cherche un rôle d’élu pour son peuple, tout en se heurtant toujours à des obstacles qui l’empêchent de se libérer de son malaise. «À force de crier son malheur, son sentiment d’injustice et sa colère, c’est le hurlement de son impuissance que le poète québécois finit par faire entendre» (p. 48). La parole du poète est donc vide, impuissante et n’aboutit pas à la liberté. L’auteure souligne l’influence des deux pères de la Négritude sur sa poétique et elle met en évidence l’apport indissociable de Césaire et de Senghor, bien que les références au premier intellectuel soient évidentes et que les apports du président sénégalais passent presque inaperçues. Cependant, pour Chamberland, ces derniers forment un couple porteur des mêmes images et du même style: la revendication radicale, ainsi que le ton impératif imprègnent sa poésie. En effet, l’agressivité et la haine sont les caractéristiques principales du lyrisme de Chamberland.
5Dans le quatrième chapitre, le lecteur aborde une attitude complètement différente. C’est le cas de Dany Laferrière et de sa Négritude «‘ludique’, ‘parodique’, ‘transgressive’» (p. 49). Contrairement à Miron et à Chamberland, Laferrière n’a jamais souhaité écrire comme Césaire. La lecture du roman L’Énigme du retour se veut une réflexion sur son statut d’écrivain qui proclame son américanité, mais qui essaie de se démarquer de la littérature québécoise. Toutefois, cet auteur vedette, cet Immortel, aimé du public canadien, utilise son écriture pour se justifier et argumenter ses choix lexicaux et romanesques, tout comme les auteurs québécois, qu’il cherche à fuir. Même si la «Négritude blanche» appartient désormais au passé et que les écrits de Laferrière démontrent que les thématiques ont évolué et se sont diversifiées, l’écrivain d’origine haïtienne permet de reprendre le débat sur l’emploi du terme «nègre». D’un côté, Dany Laferrière évoque l’usage créole du terme «nègre» et la fierté haïtienne, et, de l’autre côté, minimise la portée de la Négritude car il établit une différence entre les pays qui ont subi la colonisation et l’esclavage et d’autres contextes qui n’ont pas vécu la même histoire comme les États-Unis.
6Ching Selao développe son analyse à partir des événements qui se déroulent au Québec en automne 2020 quand les intellectuels ont repris la Négritude césairienne et l’emploi du terme «nègre» pour animer le débat qui a suivi le choix de quelques intellectuels d’utiliser ce mot chargé de connotations historiques dans un contexte académique. Le nom de Césaire est donc instrumentalisé et est devenu un emblème de l’universalisme, ce que Césaire a toujours refusé au nom des singularités et des souffrances individuelles des peuples opprimés. Ce dernier aspect avait retenu l’attention des intellectuels des années soixante-dix, mais au fil du temps, cela a décelé une «querelle entre Québécois dits de souche et Québécois aux racines lointaines qui dépasse la liberté universitaire, dans un climat où la nuance est devenue ‘un signe de mollesse’» (p. 27). Cependant la reprise récente de l’expression «nègre blanc» jouit encore une fois d’une double posture: le lien avec Césaire est évident, ainsi que la prise «en compte rapide du fait noir» (p. 29), toutefois il s’agit d’une expression qui n’est pas complètement correcte car il faut faire une distinction entre le «nègre blanc» aux Antilles (c’est-à-dire un Noir qui se prend pour un Blanc) et le «nègre blanc» au Québec qui correspond à «un Blanc qui s’identifie au ‘Nègre’ parce qu’il se sent colonisé (p. 30). Dans les deux situations, en tout cas «il faut se débarrasser de sa ‘négritude’: le Noir veut être un Blanc, mais le Blanc ne veut pas être un Noir… Le drame du Québécois blanc est justement d’avoir l’impression d’être traité comme un ‘Nègre’. Ce refus de la négritude – dans sa définition la plus simpliste – dévoile d’entrée de jeu l’incompréhension face à l’héritage de Césaire, dont le mot se voulait d’abord et avant tout une affirmation identitaire positive et émancipatrice» (p. 30). En effet, au Québec, l’emploi du terme «nègre» garde un sens péjoratif. Par conséquent, la problématique se déplace de l’emploi du terme au détournement de sa signification. Selon l’auteure, cette attitude révèle un malaise de la culture québécoise face à la Négritude qui a provoqué des réactions totalement différentes: certains intellectuels ont mis en valeur sa portée littéraire plutôt que sa vision politique engagée car cela permet de se situer dans un chemin neutre où le travail créatif émerge de façon évidente, ainsi que sa recherche de l’absolu. Ching Selao met en évidence qu’il s’agit cependant d’une influence singulière: bien que reconnue par la plupart des spécialistes de la littérature québécoise, elle n’a «suscité que des articles ou des chapitres d’ouvrages» (p. 39), où «l’appropriation de cette négritude dans un Québec en mal de québécitude a donné lieu à des commentaires n’allant que rarement au-delà du constat» (p. 40).
7Ce volume est consacré à un écrivain qui a indiscutablement influencé la littérature du Québec, sans aucun doute grâce au mouvement de la Négritude. Césaire a dénoncé des situations auxquelles les écrivains québécois pouvaient s’identifier et cela s’est imprimé dans la littérature québécoise depuis les années soixante jusqu’à aujourd’hui.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Emanuela Cacchioli, «Ching Selao, D’une Négritude à l’autre. Aimé Césaire et le Québec», Studi Francesi, 201 (LXVII | III) | 2023, 735-736.
Notizia bibliografica digitale
Emanuela Cacchioli, «Ching Selao, D’une Négritude à l’autre. Aimé Césaire et le Québec», Studi Francesi [Online], 201 (LXVII | III) | 2023, online dal 01 mars 2024, consultato il 14 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/56094; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.56094
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