Réécritures et adaptations de l’“Ovide moralisé” (xive-xviie siècle), dir. Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez
Réécritures et adaptations de l’“Ovide moralisé” (xive-xviie siècle), dir. Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez, Turnhout, Brepols, 2022, 306 pp.
Testo integrale
1Les contributions réunies dans ce beau volume se caractérisent par une grande cohérence, non seulement en raison de la thématique, mais aussi pour la complémentarité des approches adoptées pour analyser toutes les formes sous lesquelles l’influence de l’Ovide moralisé (Om) se manifeste au cours des siècles; en effet, les recherches que cet ouvrage a stimulées prouvent que la réception de l’héritage de ce texte médiéval a été plus complexe et stratifiée que l’on ne croit généralement, puisque le poème du xive siècle, qu’on sait être l’objet d’une nouvelle édition collaborative, et ses réécritures en prose, diffusées surtout par les imprimés à partir des incunables sortis des presses de Mansion et de Vérard, ont irrigué et nourri non seulement plusieurs ouvrages français, mais même des textes étrangers, ainsi que les traductions et adaptations des Métamorphoses réalisées aux xvie et xviie siècles.
2La préface de Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez (Postérités de l’“Om”, pp. 5-20) est particulièrement utile pour une mise au point de l’état de l’art et pour les nombreuses indications bibliographiques contenues dans les notes, ainsi que pour saisir la logique qui sous-tend l’organisation du volume. Les trois sections dans lesquelles celui-ci s’articule sont consacrées respectivement aux «Emprunts ponctuels et au plurilinguisme», aux «Réécritures plus étendues et réinterprétations» et aux «Mises en prose de l’Om et nouvelles traductions des Métamorphoses».
3Dans la première section, cinq articles explorent l’étendue du recours à l’Ovide moralisé dans des ouvrages dont la proximité au texte en vers est directe, bien que d’une étendue différente. Comme il est bien connu, un lien étroit unit le poème en langue vernaculaire à la version parisienne de l’Ovidius moralizatus, commentaire réalisé après 1350 par Pierre Bersuire; Marek Thue Kretschmer, qui prépare l’édition de cette rédaction du texte latin, a examiné le livre V en mettant en évidence les variations quantitatives et qualitatives des emprunts au poème vernaculaire (L’“Om” et la version parisienne de l’“Ovidius moralizatus”, pp. 23-40). Les mythes de Thélèphe et d’Actéon dans le «dittiers» de Froissart connu sous le titre de Joli Buisson de Jonece (1373) permettent à Marylène Possamaï-Pérez de montrer que l’Om est à l’origine d’emprunts concernant tant des motifs absents ailleurs, et parfois considérés comme une invention du poète, qu’un lexique spécifique susceptible d’infléchir la légende ovidienne dans un sens chrétien (Froissart et la mythologie dans le “Joli Buisson de Jonece”: l’“Om” comme traduction des “Métamorphoses”, pp. 41-50). Une lecture particulièrement approfondie des images de Zéphire et Flora dans le Dictier poëtical, petit poème attribué à Jean Molinet ou à Jean Robertet, permet à Ludmilla Evdokimova de montrer l’étendue des emprunts à l’Om, généralement minimisés par la critique, et leur importance pour l’interprétation du sens, ainsi que d’étayer l’hypothèse d’attribution à l’«indiciaire» bourguignon (Le “Dictier poëtical”: ses sources, son sens et la signification de ses allégories, pp. 87-107). Par contre, Clotilde Dauphant (L’“Om” dans la poésie morale et amoureuse d’Eustache Deschamps, pp. 69-85) montre que l’influence de la réécriture médiévale d’Ovide sur la poésie d’Eustache Deschamps reste assez limitée et qu’elle s’exerce surtout sur les ballades 13, 15 et 63 dans trois domaines en particulier: l’atmosphère courtoise dans laquelle baignent les mythes antiques cités par le poète français, la tendance à la moralisation des différents éléments mythologiques et les filiations symboliques que le poète établit avec la tradition antique. Quant au domaine anglophone, Robert F. Yeager se penche sur la Confessio Amantis (1386-1390), poème en moyen anglais, pour montrer que l’auteur, John Gower, a sans doute utilisé comme source complémentaire l’Om, bien que la Legend of Good Women de Chaucer reste le modèle principal (John Gower’s Use of the “Om”: a Reconsideration, pp. 51-67).
4La deuxième section réunit six articles, dont les trois premiers sont consacrés à Christine de Pizan; dans le premier, Prunelle Deleville examine l’Epistre Othea, la Cité des Dames et le Livre du duc des vrais amants selon une perspective philologique permettant de montrer que l’influence de la famille Z de l’Om, et particulièrement de Z1 et Z2, est bien plus étendue que l’on ne croit habituellement. Les épisodes pris en compte concernent Adraste, Pygmalion, Hermaphrodite, Actéon, Orphée et Eurydice dans l’Epistre Othea, Didon et Enée dans la Cité des Dames et Callisto dans le Livre du duc des vrais amants (Christine de Pizan, lectrice de l’“Om”, mais lequel?, pp. 111-123). Dans le même sillage, Magali Romaggi formule elle aussi l’hypothèse que les manuscrits de la famille Z auraient été utilisés pour trois épisodes de l’Epistre Othea reliés par le motif de fole amour: le récit des amours de Mars et Vénus, l’épisode de Léandre et Héro qui figure bien dans l’Om et celui de Pasiphaé amoureuse d’un taureau (Métamorphose de la ‘fole amour’ dans l’“Epistre Othea”, pp. 125-139); enfin, les réécritures christiniennes du mythe de la métamorphose inverse d’Yo sont le point d’observation qui permet à Ana Pairet d’analyser les modalités par lesquelles Christine s’est approprié la matière ovidienne à travers le De mulieribus claris de Boccace et l’Om, dont elle reprend quelques détails du vocabulaire et de la syntaxe ainsi que les thèmes pour recentrer le discours misogyne de sa source («Moult te delittes ou savoir Yo»: fable et glose dans le parcours mythographique de Christine de Pizan, pp. 141-158). Deux autres articles concernent la Bouquechardière de Jean de Courcy, qui intègre des épisodes inspirés d’Ovide dans sa chronique des origines de l’Europe; Catherine Gaullier-Bougassas se concentre sur l’histoire de Philomèle, qui occupe six chapitres du livre I et qui offre l’occasion pour une réflexion éthique sur les péchés et crimes sexuels au moyen âge: en se servant de la notion contemporaine de «culture du viol», l’A. prouve que les nombreuses modifications apportées à la matière tirée de l’Om visent à délégitimer la violence masculine à l’encontre des femmes (Adapter l’“Om” et l’histoire de Philomène: mise à distance de la «culture du viol» et dénonciation de l’inceste dans la “Bouquechardière” de Jean de Coucy, pp. 173-194). Elena Koroleva se penche sur les mythes d’Ariane et de Médée dans cette même chronique et dans le Jugement du roi de Navarre de Guillaume Machaut; si ce dernier se sert tant de l’Om que de l’original latin pour insérer la matière mythique dans un jeu de casuistique amoureuse pour condamner l’infidélité des hommes, Jean de Courcy valorise davantage le personnage de Thésée, dont le portrait reste quand même ambivalent, et entame une réflexion sur la condition féminine (Le mythe d’Ariane de l’“Om” à la “Bouquechardière”: femme abandonnée, femme heureuse?, pp. 159-172). Les Illustrations de Gaule de Lemaire de Belges et la question complexe de ses sources sont analysées par Adeline Desbois-Ientile à travers le prisme du mythe des noces de Thétis et Pélée (chap. 28-29 des Illustrations) et du jugement da Pâris, qui fait l’objet d’une version particulièrement développée dans l’Om; l’A. montre que les similitudes «apparaissent sous un fond de dissemblances» (p. 202) et que le texte transmis par la famille Z pourrait être celui que Lemaire a connu (Échos renaissants de l’“Om” dans les “Illustrations” de Lemaire de Belges: les noces de Thétis et Pélée et le jugement de Pâris, pp. 195-208).
5La troisième section s’ouvre sur l’article de Stefania Cerrito (La nymphe Aréthuse dans la “Bible des poëtes” d’Antoine Vérard (Paris, 1493), pp. 211-233), dont l’analyse très fine du mythe d’Aréthuse dans le passage du texte en vers à la mise en prose met en évidence, d’une part, la conservation des spécificités de ce mythe à travers les différentes étapes de son acclimatation en France, et d’autre part la réorganisation de la matière poétique opérée par l’auteur de l’Om, dont la glose évhémeriste se conserve dans les versions en prose tout en étant doublée par une lecture typologique. Avec les contributions suivantes, l’analyse se concentre sur les textes plus tardifs; Céline Bonhert (La figure d’Adonis dans l’“Om” (xive siècle), la “Methamorphose” (1484) et le “Grand Olympe des histoires poëtiques” (1532), pp. 235-250) montre l’enracinement dans la tradition médiévale de l’image d’Adonis comme parfait amant véhiculée par les textes du xvie siècle, redevables de la nouvelle élaboration de la matière ovidienne figurant dans le Grand Olympe des histoires poëtiques, qui relaie à son tour le texte de la Bible des poètes de Vérard dépourvu des allégories. La dette envers l’héritage médiéval est encore visible en filigrane dans la nouvelle traduction des Métamrphoses procurée par Marot et Barthélemy Aneau au cours de la première moitié du xvie siècle (Inès Hansen, Les “Trois premiers livres de la Metamorphose d’Ovide”: une traduction moderne sous l’influence de l’“Om”, pp. 251-264). Les deux derniers articles (Ugo Païs, La «triste broderie» de Philomèle: réécriture, adaptation, interprétation d’un mythe ovidien dans “Les Amours” de Christofle de Beaujeu (1589), pp. 265-282, et Maurizio Busca, ‘La noix à casser’: la place de l’allégorie dans les préfaces des traductions des “Métamorphoses” (1484-1697), pp. 283-297) concernent respectivement une nouvelle traduction d’Ovide parue à la fin du siècle et les apparats paratextuels des textes imprimés transmettant la matière ovidienne en français à partir de l’aube de la Renaissance et jusqu’à la fin du Grand Siècle.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Paola Cifarelli, «Réécritures et adaptations de l’“Ovide moralisé” (xive-xviie siècle), dir. Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez», Studi Francesi, 201 (LXVII | III) | 2023, 678-680.
Notizia bibliografica digitale
Paola Cifarelli, «Réécritures et adaptations de l’“Ovide moralisé” (xive-xviie siècle), dir. Catherine Gaullier-Bougassas et Marylène Possamaï-Pérez», Studi Francesi [Online], 201 (LXVII | III) | 2023, online dal 01 mars 2024, consultato il 26 mars 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/55344; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.55344
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