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Rassegna bibliografica
Seicento

Benedetta Papasogli, Le Sourire de Mentor

Barbara Piqué
p. 523-525
Notizia bibliografica:

Benedetta Papasogli, Le Sourire de Mentor, Paris, Champion, 2015, 269 pp.

Testo integrale

1Dans ce volume consacré à Fénelon, Benedetta Papasogli poursuit avec bonheur la traque de ces failles textuelles qui recèlent silences et non-dits, lacunes de la parole, dissonances de la pensée. Selon une approche très personnelle, qui privilégie les écrivains spirituels, les mystiques et les moralistes du xviie siècle, et qui se situe à la croisée des études sur l’imaginaire, des enquêtes thématiques et de la pragmatique du discours littéraire – rappelons ses ouvrages, publiés chez Champion: Le fond du cœur. Figures de l’espace intérieur au xviie siècle (2000) et La mémoire du cœur au xviie siècle –, l’auteure interroge ici les œuvres de Fénelon, dont la “simplicité” complexe et problématique se prête particulièrement bien à cette mise à nu des lieux du fuyant et de l’insaisissable, du paradoxe et de la discordance.

2Le volume s’organise en deux parties: la première est centrée sur la question des images dans les textes spirituels de Fénelon, la deuxième s’intéresse de près aux Aventures de Télémaque. Deux volets qui toutefois se recoupent étroitement, spiritualité et fiction narrative faisant résonner sans cesse, chez Fénelon, leurs échos. Le titre, d’ailleurs, éclaire métaphoriquement ce lien: humble et noble, humain et divin, paternel et féminin, incarnation de la sagesse païenne tout comme de la chrétienne, senex à la vigueur juvénile, Mentor, écrit Benedetta Papasogli dans l’Introduction, est «une énigme», «un mystère»: dans le «faisceau» même des «traits contradictoires» du personnage, dans le large éventail de références littéraires et d’enjeux spirituels et existentiels que son sourire, souvent cité dans le Télémaque, évoque, Fénélon inscrit son propre idéal d’unité, de «totalité harmonieuse». Mais pour les lecteurs des études réunies sous cet intitulé, le «sourire» de Mentor pourrait aussi signaler l’invite bienveillante et vaguement ironique de Benedetta Papasogli à suivre le difficile déchiffrement du secret de la spiritualité et de l’imaginaire féneloniens.

3Les quatre chapitres qui composent la première partie s’attachent à analyser quelques images auxquelles Fénelon confie la représentation de la vie spirituelle. Dans le chapitre I («La création par images»), qui se propose de cerner l’idée fénelonienne de création, où se rencontrent, non sans heurts, dimension esthétique et vision théologique, Benedetta Papasogli explore les images de «la main et de la boue», de la voix, de la lumière et du feu, en relevant les tensions contraires qui les problématisent et, par là même, en renouvellent la valeur topique. Ainsi, ces réminiscences explicitement bibliques deviennent-elles, quand on rapproche les textes féneloniens, porteuses d’ambivalences, signifiant d’un côté la distance et la supériorité du créateur par rapport à la créature (la main qui donne forme à la boue-néant; la voix appelant le néant à l’existence), de l’autre la présence du créateur dans la créature (la lumière universelle par laquelle on voit mais qui se dérobe à la vision, car cachée dans l’ailleurs de l’intériorité même; le feu, puissance destructrice et purificatrice, qui réitère pourtant la création). Le deuxième chapitre aborde un thème cher à l’auteure, celui de l’«espace intérieur»: les coordonnées spatiales – longueur, largeur, hauteur et profondeur – font surgir chez Fénelon un imaginaire de l’intériorité non exempt, lui non plus, de contradictions: celle entre sa théologie spirituelle, qui dessine un itinéraire par étapes, et sa pédagogie spirituelle, qui montre un homo viator paradoxalement immobile; entre sa métaphysique, où la raison permet l’accès intellectuel à l’infini (vastitude, abîmes…), et sa spiritualité, où le «retrécissement» intérieur ne peut s’élargir que par la voie de la «simplicité»; entre la symbolique de l’élévation et celle de la «suspension» au-dessus des abîmes du néant; et, enfin, entre un imaginaire du «fond» et un imaginaire de l’«abîme», termes tantôt synonymes, tantôt antonymes, qui ne se réconcilient que dans le «jeu antiphrastique entre la solidité du “fond” et le vertige de l’“abîme”». Le troisième chapitre, «Manuductio et meditatio», illustre d’ultérieurs décalages entre les textes féneloniens sur la doctrine de la voie intérieure et ses ouvrages spirituels et littéraires, divergences que résout ici le processus de désappropriation grâce auquel l’homme bannit de la meditatio, suivant la méthode sans méthode des mystiques (on pense à Mme Guyon), tout «acte discursif» pour se livrer en toute confiance au Manuductor. Les métaphores anatomiques d’un Dieu chirurgien (ch. IV), qui incise et retranche et détruit afin de parfaire l’opération de dépouillement intérieur, mettent en regard la violence de l’action entreprise par le Père et l’acte humain d’abandon qu’elle requiert, élevé à symbole de la suprême action humaine: antiphrase constante qui, observe Benedetta Papasogli, «est la clé d’une vision du monde» où s’exprime une «ontologie de la vie spirituelle».

4La quête de paradoxes, de renversements du pour au contre et de conciliations – souvent «imparfaites» – des contraires, constitue également le fil rouge des neufs chapitres de la deuxième partie du volume. Les Aventures de Télémaque offrent un champ particulièrement fertile à l’exploration d’un imaginaire qui joue de manière presque constante avec l’ambiguïté des figures, et que vient compliquer ici toute une série d’imbrications: des genres – poème, roman, «miroir des princes»… (ch. I) –, de la mémoire biblique et du legs de la philosophie et de la Fable païennes, de la pédagogie morale et politique et de la conduite spirituelle, du cheminement de la vie intérieure et de l’itinéraire dans le monde, du secret et de la transparence. Le chapitre II («Les maximes de la sagesse») parcourt les registres stylistiques et rhétoriques du texte, la superposition de réminiscences diverses, les prises de parole et les lieux de l’énonciation qui permettent de saisir la portée – littéraire et pédagogique – des maximes disséminées dans le Télémaque. L’ambiguïté de certains personnages – véhiculée par des figures de rhétorique qui semblent leur appartenir symboliquement – fait l’objet des chapitres III et IV, qui analysent le rôle de l’allusion et de l’allégorie à la lumière, respectivement, des apparitions-disparitions de Cléomène et d’Amphitrite. Dans l’image de Vénus (ch. V) se condense la problématique de l’amour et de ses manifestations, laissant surgir l’opposition amour-passion humain et amour divin passionné; dans la symbolique des îles (ch. VI), qui flottent nombreuses sur les mers du Télémaque et des Fables, c’est de la thématique du désir – et de l’absence, à laquelle le désir s’associe – que Benedetta Papasogli étudie les multiples diffractions et les ambivalences. La mort, le miroir et le livre occupent les trois derniers chapitres. «Mort violente» et «mort douce», mort belle et mort laide: les «leçons de la mort» (titre du ch. VII) livrent elles aussi des images apparemment contraires, dont les fines observations de ces pages détectent les points de fuite communs. La métaphore topique du miroir (ch. VIII) possède également, dans les œuvres spirituelles et dans les fictions féneloniennes, une double signification: négative lorsqu’il indique le retour sur soi, positive quand le rapport regardé-regardant s’inverse et que le visage devient miroir, surface reflétant et le visible et l’invisible. Or l’imaginaire du miroir s’affine dans le Télémaque et reflète d’autres possibles valorisations: «réfléchissement allusif entre la fable et le vrai», entre la morale et la mystique, entre la relation pédagogique Mentor-Télémaque et celle non seulement entre Fénelon et le duc de Bourgogne, mais aussi entre le narrateur et les lecteurs à venir. Sur la lecture comme instrument pédagogique se penche d’ailleurs l’auteure dans le dernier chapitre, «Les ambivalences du livre». Que la pédagogie de Mentor n’envisage pas de lectures, que les divers enseignements soient assignés dans le récit à la parole orale n’exclut pas – la fiction admettant l’anachronisme – la présence de livres. Mais le livre y apparaît comme objet au symbolisme complexe: les livres de l’hermite Philoclès, le livre d’hymnes et de poèmes du vénérable Termosiris, messager d’une harmonie qui chasse l’ennui du fils d’Ulysse dans la solitude du désert, le grand et magnifique livre des lois de Minos à Crète, qui donne les bonnes réponses aux énigmes posées aux candidats au trône, réponses déjà gravées, cependant, au fond du cœur de Télémaque, dans ce livre intérieur écrit par l’expérience… Qu’en est-il alors de la valeur pédagogique de la fable fénelonienne, tissu de références textuelles, creuset d’une intertextualité qui semble se suffire à elle-même sans renvoyer au réel? Pourquoi la spiritualité de l’archevêque, où converge la méfiance platonicienne à l’égard des «discours écrits», entre-t-elle en conflit avec «la fréquente lecture» que Mentor conseille à son élève? Ce sont les «ambivalences du livre» dont Benedetta Papasogli suggère de possibles et fascinantes interprétations.

5La conclusion du volume prend en compte quelques «métamorphoses» – travestissements et avatars divers – du personnage de Mentor au fil des siècles, jusqu’à sa mort sous un rocher – souvenir, sur un mode moins épique, de la fin de Porthos? – à laquelle le condamnera Louis Aragon.

6À l’influence du Télémaque et à ses multiples réécritures, sérieuses ou parodiques, examinées ici, nous voudrions ajouter une simple citation, qui nous ramène au «sourire de Mentor». Les noms du maître et du disciple féneloniens donnent le titre à l’un des chapitres de Hide and Seek de Wilkie Collins, ami et rival de Dickens. Le personnage ironiquement délégué à incarner Mentor est un rapin généreux, sage et naïf, et son Télémaque un insouciant et capricieux jeune gentleman. Le chapitre se termine par le sourire de contentement du peintre, convaincu que ses admonestations et ses préceptes reconduiront le volage disciple sur la bonne voie. Ce sourire toutefois, intervient le narrateur, ne manquerait pas de se teinter de mélancolie si le bon maître pouvait prévoir l’avenir. Voilà que le sourire de Mentor affleure, de manière imprévue, en pleine époque victorienne. Son mystère ne laisse de surprendre.

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Per citare questo articolo

Notizia bibliografica

Barbara Piqué, «Benedetta Papasogli, Le Sourire de Mentor»Studi Francesi, 180 (LX | III) | 2016, 523-525.

Notizia bibliografica digitale

Barbara Piqué, «Benedetta Papasogli, Le Sourire de Mentor»Studi Francesi [Online], 180 (LX | III) | 2016, online dal 01 janvier 2017, consultato il 14 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/5319; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.5319

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