Eric Essono Tsimi, De quoi la littérature africaine est-elle la littérature? Pour une critique décoloniale
Eric Essono Tsimi, De quoi la littérature africaine est-elle la littérature? Pour une critique décoloniale, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2022, 312 pp.
Testo integrale
1Le volume que nous présentons fait partie de la collection «Pluralismes» qui, sous la direction de Lomomba Emongo, se propose d’offrir aux chercheurs un espace de prise de parole multidimensionnel et interdisciplinaire, en mesure de faire face aux nouveaux défis entraînés par la disparition des frontières qui caractérise la Cité contemporaine.
2Dans l’avant-propos l’auteur déclare que la réflexion qu’il présente dans cet ouvrage est le fruit et l’aboutissement d’une trajectoire intellectuelle qui l’a conduit de la littérature à la psychologie, de la philosophie à la sociologie et que, de ce fait, il s’agit d’une contribution fortement marquée par l’interdisciplinarité. Essono Tsimi déclare vouloir prendre en considération un corpus formé des œuvres d’écrivains africains contemporains, afin d’analyser les relations – jamais neutres – entre l’Afrique et la France dans une perspective de critique décoloniale. Il prévient le lecteur que, malgré un souci d’objectivité, son attitude a aussi un côté militant et que son essai théorique peut parfois prendre l’aspect d’un manifeste.
3L’ouvrage se divise en deux sections: la première développe en cinq chapitres la réflexion autour des grandes questions qui caractérisent la littérature africaine contemporaine, à partir de sa catégorisation, de plus en plus floue, tandis que la deuxième présente – en guise d’annexes – quatre entretiens avec des auteurs majeurs tels que Mwanza Mujila, Max Lobe, Hemley Boum et Calixthe Beyala. Le but est celui d’appréhender les dynamiques identitaires des écrivains et des littératures «afrosporiques» – c’est-à-dire issus de la diaspora africaine –, dans le cadre de la critique littéraire. En partant du constat que l’identité de l’écrivain africain est difficile à cerner et à définir taxonomiquement, Essono Tsimi décide «d’esquisser, à partir de quelques exemples particuliers d’auteurs et d’œuvres aujourd’hui prééminents, les mouvements du corps noir, de son identité, tels qu’ils se manifestent dans les fictions afrosporiques, ce qu’ils révèlent de l’Afrique et des rapports de force avec l’Occident, et la critique mise en œuvre pour les dévoiler» (p. 35). L’auteur propose une nouvelle méthode – qu’il définit de «dialogique» pour développer son argumentation. Les écrivains qu’il interpelle et les romans qu’il analyse font partie de la production extrême-contemporaine africaine et le théoricien s’interroge sur le positionnement identitaire de ces écrivains, tous issus de la diaspora. Ce qui apparait clair dès le début – déclare-t-il – est le caractère multiple de ces identités, impossibles à caser de manière définitive. L’approche qui paraît alors la meilleure, selon l’auteur, pour aborder son sujet est non pas postcoloniale – car elle impliquerait l’acceptation que la colonisation est un fait définitivement passé comme l’affirmait Achille Mbembé – mais décoloniale. Les générations africaines que l’on qualifierait de «postcoloniales» ne lutteraient pas tant – selon le chercheur – «contre un passé de grandeurs imposées ou de crimes subis que contre des situations actuelles, récentes, menées, ressenties dans leur chair jusqu’à ce jour» (p. 56). Essono Tsimi constate que la littérature afrosporique côtoie la «migritude», thématique protagoniste de la plupart des romans africains contemporains et inhérente au statut d’expatriés de leurs auteurs. Cette condition aurait fait émerger, selon le chercheur, une «littérature du self» – telle par exemple celle de Black Bazar d’Alain Mabanckou – qui met en scène les auteurs migrants dans les romans. Le chercheur définit d’échonarcissisme la posture des écrivains faisant partie du corpus qu’il a choisi d’analyser mais, de son point de vue, cette prééminence du «je» qui se regarde est ambivalente, dans la mesure où l’identité africaine est toujours multiple: de personne, d’Africain, d’écrivain, de migrant. De la même manière, selon Essono Tsimi, la littérature africaine contemporaine échappe à toute définition, car c’est une littérature transnationale, hybride. Les écrivains qui la représentent peuvent, dit-il, se diviser en trois catégories distinctes: ceux qui revendiquent une rupture avec l’origine, ceux qui traînent leur origine dans un engagement qui rappelle celui de la négritude, d’autres, enfin, qui se moquent des frontières. Par l’étude des personnages et de leurs représentations, de l’intertextualité et de la narration, Éric Essono Tsimi montre que l’auteur du roman afrosporique y théorise le soi, concept qu’il nomme «autho-théorisations». Partant de l’hypothèse que «l’identité est une coconstruction de soi, par soi, en soi, mais aussi entre soi» (p. 37), il considère que les écrivains afrosporiques choisissent de se positionner à travers leurs œuvres et postures, et entrent dans un dialogue avec leurs «confrères de sang». L’auteur aborde ensuite le statut de la littérature africaine du point de vue de la publication et de la classification. Il souligne le manque de production et de réception des écrivains africains dans le domaine critique. Par conséquent, cette absence conceptuelle se reflète dans les positionnements identitaires des écrivains afrosporiques.
4La dernière partie de l’ouvrage revient sur l’analyse des entretiens, menés suivant le modèle dialogique en cinq catégories: «ajustement/intégration; dissonance; résistance/immersion; introspection; articulation/conscience africaine» (p. 39). La première étape sert d’ouverture de l’entretien et fixe l’attention sur le cadre socioprofessionnel de l’écrivain en question. Dans les deuxième et troisième étapes, l’intervieweur interroge l’écrivain sur son intégration psychologique; les étapes quatre et cinq cherchent à comprendre les positionnements de l’écrivain à travers ses souvenirs, ses mémoires et en particulier sa conscience africaine. Ce qui ressort des entretiens est le refus – de la part de ces écrivains – de tout étiquetage. L’auteur présente enfin un tableau récapitulatif du positionnement des écrivains qui met en relief à quel point ce positionnement n’est pas figé mais reste flou.
5En conclusion, Essono Tsimi se focalise sur la nécessité de plus en plus forte pour la critique littéraire contemporaine d’adopter une approche interdisciplinaire, en faisant appel aux liens entre l’histoire, les écrivains et les littératures, afin de rendre les études littéraires une science de plus en plus «humaine». Le volume présente une riche bibliographie permettant d’approfondir ou d’approcher les sujets abordés au cours de la tractation.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Elena Fermi, «Eric Essono Tsimi, De quoi la littérature africaine est-elle la littérature? Pour une critique décoloniale», Studi Francesi, 199 (LXVII | I) | 2023, 197-198.
Notizia bibliografica digitale
Elena Fermi, «Eric Essono Tsimi, De quoi la littérature africaine est-elle la littérature? Pour une critique décoloniale», Studi Francesi [Online], 199 (LXVII | I) | 2023, online dal 01 juin 2023, consultato il 09 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/53185; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.53185
Torna suDiritti d'autore
Solamente il testo è utilizzabile con licenza CC BY-NC-ND 4.0. Salvo diversa indicazione, per tutti agli altri elementi (illustrazioni, allegati importati) la copia non è autorizzata ("Tutti i diritti riservati").
Torna su