Littératures périphériques, littératures mondiales, éd. Amaury Dehoux
Littératures périphériques, littératures mondiales, éd. Amaury Dehoux, Berlin, Peter Lang, 2022, 281 pp.
Testo integrale
1Ce volume est organisé avec un soin minutieux par Amaury Dehoux, docteur en Littérature comparée et professeur à l’Université catholique de Louvain. Il s’agit d’une vraie œuvre chorale polyphonique, puisqu’on y réunit les voix de plusieurs experts de littérature mondiale. L’introduction signée par Dehoux donne au lecteur une vision d’ensemble sur la littérature mondiale en mettant l’accent sur les concepts de centres et de périphéries littéraires. On dégage ainsi l’image d’une hiérarchie littéraire selon laquelle on a souvent la tendance à considérer meilleur et supérieur un certain type de littérature, en particulier celle qui naît dans les grandes villes comme Paris ou Londres, alors que les œuvres qui voient le jour dans des milieux plus éloignés de ces centres, par exemple les colonies, sont considérées comme moins intéressantes du point de vue artistique. Dehoux reprend ici les théories forgées par d’autres spécialistes comme Franco Moretti et Pascale Casanova et il les oppose à d’autres thèses, comme celle de David Damroasch, qui à priori, n’implique pas aussi directement les notions de centre et de périphérie», en définissant «la littérature mondiale comme l’ensemble des œuvres qui circulent au-delà de leur culture d’origine» (p. 11). Il conclut cette introduction en soulignant qu’il faudrait reconsidérer la littérature mondiale à partir des périphéries, en se posant trois objectifs: «porter un regard critique sur les modélisations disponibles de la littérature mondiale, […] explorer les dynamiques selon lesquelles les littératures périphériques dessinent leur mondialité, […] explorer comment certains auteurs composent leurs œuvres à travers une figuration du statut périphérique de la littérature nationale dont ils relèvent» (pp. 15-16). Ce dernier point permet au lecteur de considérer ces œuvres comme des réflexions critiques sur les conditions et les problèmes des périphéries, dans leurs rapports aux centres, au monde et à la globalisation.
2Après l’introduction, l’ouvrage est divisé en trois parties, respectivement consacrées à un aspect précis de la littérature mondiale. On a, dans chacune d’entre elles, la possibilité de lire et de connaître les idées sur ce sujet de plusieurs experts qui proviennent de pays différents. La première partie, intitulée «Modèles», présente précisément les modèles de la littérature mondiale, en particulier à travers l’analyse de leurs rapports avec le binôme du centre et de la périphérie. Les contributeurs qui donnent leur point de vue dans cette partie sont Jean Bessière, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, et Yanli He, de l’Université de Sichuan en Chine. Le premier croit qu’il faut dépasser la théorie de la dualité centre-périphérie par rapport à la littérature mondiale, parce que, d’après lui, les œuvres peuvent devenir universelles seulement à travers leur décontextualisation. Elles sont reçues en des lieux et en des temps éloignés du milieu où elles ont été produites, et donc elles sont décontextualisées. Elles apparaissent aux lecteurs simplement comme données et elles ne rencontreront jamais «le plein savoir de ses implications, de son contexte original, ni de sa propre forme» (p. 31). Dans le sillage de Bessière, l’intervention de He, entièrement en anglais, met en évidence «certaines limites des modèles usuels de la World Literature. Elle note ainsi que ces modèles n’intègrent pas suffisamment les littératures socialistes et leurs expériences dans le système mondial qu’ils dessinent. En outre ils rendent difficilement compte des zones littéraires situées entre le centre et la périphérie» (p. 52). Pour surmonter cette double limite, elle propose une lecture critique des thèses de Boris Groys, qui posent les bases pour redessiner le système littéraire soviétique et par conséquent le système mondial.
3La deuxième partie, la plus longue du texte, est intitulée «Dynamiques» et est justement consacrée aux mécanismes sociaux, littéraires et institutionnels à travers lesquels les littératures périphériques réussissent à se diffuser dans le monde entier et qui déterminent comment ces œuvres sont accueillies dans les centres et les périphéries. Dans cette partie la parole est donnée à quatre contributeurs différents, en commençant par Dima Samaha qui analyse les cas de quatre auteurs libanais – Rabih Alameddine, Yasmine Char, Rawi Hage et Wajdi Mouawad – particulièrement représentatifs de la littérature libanaise de l’émigration. L’auteure met en évidence l’importance et la valeur que les milieux littéraires européens ont reconnu aux œuvres de ces écrivains, mais aussi les facteurs qui favorisent le retour de leurs textes au Liban, plus simple lorsque l’auteur émigré a maintenu un lien fort avec son pays. Frédéric Diffo, deuxième voix du chapitre, donne une vision très intéressante de la condition d’émigré des auteurs africains qui décident d’abandonner leur pays pour continuer à écrire dans le monde occidental. Cela provoque chez ces auteurs une ambivalence profonde parce que si d’un côté ils doivent respecter les attentes d’un lectorat occidental, ils doivent également tenir compte de leur public africain. Ils doivent toujours maintenir cet équilibre constant, ce qui rend leur expérience migratoire très compliquée. Le chapitre suivant est confié à Kathleen Gyssels, de l’Université d’Anvers, qui encore une fois s’arrête sur le dualisme centre-périphérie, en analysant cette fois un cas très singulier dans la littérature francophone: elle décrit l’accusation de plagiat subie par Yambo Ouologuem, écrivain malien, lors de la publication de son roman Le Devoir de violence. Gyssels explique qu’il ne s’agissait pas de plagiat mais plutôt d’un cas d’intertextualité, d’assimilation de certains aspects de Le Dernier des justes, comme le soutenait lui-même André Schwarz-Bart, auteur, comme l’on sait, de ce dernier roman. La conclusion de cette partie est occupée par une réflexion de Dehoux qui se focalise sur le phénomène de l’interdépendance entre le centre et les périphéries dans les littératures francophones du Sud. D’après lui, ce lien se manifeste souvent puisque dans cette littérature, dans ces œuvres, on fait fréquemment mention de l’altérité, d’une réalité autre.
4La troisième et dernière partie, qui s’intitule «Poétiques», est consacrée aux différentes stratégies que les écrivains ont dû mettre en œuvre pour diffuser leurs œuvres dans le monde ou bien pour créer cette idée de la dualité centre-périphérie qui est centrale dans cet essai. Le lecteur a la possibilité de lire les interventions de six contributeurs, chacun desquels développe son analyse sur une littérature en particulier, ou mieux un art particulier. Par exemple Anne-Claudine Morel se focalise sur l’œuvre de Javier Vásconez, écrivain équatorien: la littérature équatorienne a toujours été marginalisée, mais il arrive à représenter «son pays comme un espace dans lequel peut converger la totalité du monde et des littératures» (p. 191). Au contraire Arzu Etensel Ildem s’intéresse à Fatou Diome et Léonora Miano, deux auteures francophones d’Afrique, qui donnent dans leurs textes une place paradoxale à la périphérie, parce que cette dernière devient un lieu inhabitable qui pousse les personnages à s’en éloigner. Enfin l’essai de N. André Siamundele se concentre toujours sur le rapport entre centre et périphérie, mais dans ce cas à travers l’œil de la caméra et pas à travers les pages de la littérature.
5L’œuvre supervisée par Dehoux est très bien organisée et surtout très riche. Il y a analysé en profondeur, grâce aux contributeurs qui ont participé, toutes les nuances du binôme centre-périphérie, en les conjuguant dans beaucoup de temps et de lieux de la littérature francophone. S’adressant surtout à des spécialistes, il permet toutefois à un lectorat plus vaste d’approcher cette problématique.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Roberto Ferraroni, «Littératures périphériques, littératures mondiales, éd. Amaury Dehoux», Studi Francesi, 199 (LXVII | I) | 2023, 193-194.
Notizia bibliografica digitale
Roberto Ferraroni, «Littératures périphériques, littératures mondiales, éd. Amaury Dehoux», Studi Francesi [Online], 199 (LXVII | I) | 2023, online dal 01 juin 2023, consultato il 26 mars 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/53155; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.53155
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