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Testi inediti e documenti rari

“Les Jardins de Tauride”. Une nouvelle inachevée d’Irène Némirovsky

Elena Quaglia
p. 454-487

Abstract

This article includes the transcription of an unfinished short story written by Irène Némirovsky, entitled Les Jardins de Tauride. The manuscript containing the short story is conserved at the IMEC archives, in Caen. The present introduction provides the context for the text, which was written in 1934, the same period that saw the author drafting the autobiographical novel Le Vin de solitude. The short story is thus an intriguing window on how Némirovsky transposed her life into her writing and the manner in which she developed her texts.

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Testo integrale

1. Genèse d’une nouvelle délaissée par son auteur

  • 1 IMEC ALM 2998.8, “Le Vin de solitude”: Projets et brouillons.
  • 2 IMEC ALM 2998. 8 – 2998.10; I. Némirovsky, Le Vin de solitude, dans Œuvres complètes, Introduction, (...)

1«On ne pardonne pas son enfance. Une enfance malheureuse, c’est comme si votre âme était morte sans sépulture, elle gémit éternellement»1. Ce leitmotiv, qu’Irène Némirovsky reprend plusieurs fois dans le journal de travail du roman Le Vin de solitude2, pourrait constituer à bien des égards l’enseigne de toute l’œuvre de l’auteur. Enfants qui se suicident, enfants pauvres, enfants malheureux, qui souffrent de l’abandon ou du manque d’amour de leurs parents: ces figures ne cessent de ressurgir dans les romans et les nouvelles d’Irène Némirovsky. Hantée par le regret d’une enfance qui ne fut jamais insouciante, elle explore constamment, par le biais de ses propres souvenirs, les mystères de la perte de l’innocence.

  • 3 I. Némirovsky, Dimanche, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 973-989. Le prénom de la jeune pro (...)
  • 4 I. Némirovsky, Écho, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 991-994.

2La pureté du regard enfantin, vouée à la disparition, est justement le sujet central de la nouvelle Les Jardins de Tauride, que nous avons eu le bonheur de retrouver lors de nos recherches à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, au cours d’un séjour aux archives en avril 2014. Elle se trouvait dans la chemise répertoriée actuellement sous la cote ALM 3000.6 et sous le titre «Mensonges. Brouillons», contenant treize feuillets écrits recto-verso. Au recto du premier feuillet, il y a l’esquisse de la nouvelle Mensonges, qui sera publiée sous le titre Dimanche dans «La Revue de Paris» le 1er juin 19343. Les derniers feuillets de la chemise contiennent par ailleurs les brouillons de la nouvelle Écho, publiée dans sa version définitive dans «Noir et Blanc», le 22 juillet 19344.

3La nouvelle Les Jardins de Tauride ne débute qu’en haut du f. 1 v° et se termine à la fin du f. 12 r°. À partir du verso du premier feuillet, tout le manuscrit, y compris le brouillon d’Écho, est parcouru par une biffure verticale au crayon bleu: celle-ci indique très clairement le choix de l’auteur de rejeter la nouvelle qu’elle venait de rédiger. Ce choix va à contre-courant de la tendance de l’auteur à publier, à partir de 1934, suite à la mort de son père, beaucoup de nouvelles “alimentaires”: parmi celles-ci il y a aussi Écho, que Némirovsky voulait justement garder «pour un jour de disette» (f. 1 r°), et dont elle finit par retravailler le brouillon qu’elle avait entièrement raturé (ff. 12 v°-13 v°).

  • 5 Cf. la date en haut du premier feuillet des brouillons du roman Le Vin de solitude, IMEC ALM 2998.8 (...)
  • 6 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 247.
  • 7 La dernière date que nous avons pu trouver dans les brouillons du Vin de solitude est le 4 septembr (...)
  • 8 I. Némirovsky, Nativité, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 817-832, paru dans «Gringoire» le (...)
  • 9 I. Némirovsky, Les Fumées du vin, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 1023-1052. Le texte a été (...)

4Ces premières nouvelles s’esquissent principalement au cours de la rédaction du Vin de solitude: l’écriture des Jardins de Tauride devrait donc s’insérer dans ce contexte, comme le démontre aussi la seule date présente dans tout le manuscrit: «18 avril 1934» (f. 2 r°). En effet, c’est à partir de l’été 1933, à Urrugne, que le projet d’un roman autobiographique, inspiré des souvenirs d’enfance de l’auteur, commence à prendre forme: ce processus de remémoration engendre, autour du texte principal, beaucoup d’autres œuvres5. «De janvier à juillet 1934», selon ses biographes6, Irène Némirovsky reprend en main son brouillon, émaillé de dates qui témoignent de l’évolution du travail7. Le Vin de solitude en est l’aboutissement, mais entre 1933 et 1935, dans le même brouillon, quatre nouvelles sont esquissées et, ensuite, publiées: Nativité8 et Les Fumées du vin9 en plus de Dimanche et Écho.

  • 10 Ce procédé est assez fréquent chez Némirovsky. Par exemple, la longue nouvelle Le Bal a été écrite (...)

5Nous pourrions donc replacer l’écriture des Jardins de Tauride plus au moins en même temps que celle de Dimanche (Mensonges de son premier titre) et celle d’Écho, pendant le printemps 1934: toutes ces nouvelles seraient donc rédigées au cours de l’élaboration du Vin de solitude10. Les brouillons du roman en témoignent: l’auteur y mentionne un texte intitulé Soouk-sou, probablement le premier titre auquel Némirovsky avait pensé pour Les Jardins de Tauride. C’est en effet le nom du lieu, en Crimée, où les enfants protagonistes de la nouvelle arrivent à la fin de leur promenade (f. 9 r°). Le choix de l’auteur tombera enfin sur un titre polysémique qui pourrait indiquer un jardin de Saint Pétersbourg, aussi bien que le jardin enchanté où se déroule une grande partie du récit, du nom ancien de la Crimée, la Tauride justement.

6La structure du récit, présente dans les notes manuscrites de mars 1934 du journal de travail du Vin de solitude, est déjà définie assez clairement. Il s’agit justement du schéma narratif qui caractérisera Les Jardins de Tauride:

  • 11 IMEC ALM 2998.9, f. n. n.

Soouk-Sou

1) la confusion, les parents

2) le jardin magique

3) le retour11

  • 12 Fonds Gaston Chérau, Correspondance, Arsenal MS15621, lettre d’Irène Némirovsky à Gaston Chérau, 11 (...)
  • 13 IMEC ALM 2998.9, f. 61.

7L’élaboration des Jardins de Tauride s’insère donc dans le laboratoire du Vin de solitude, qu’Irène Némirovsky définit «le roman presque autobiographique que l’on écrit toujours, fatalement, tôt ou tard»12. La nouvelle surgit ainsi d’un long travail de remémoration de souvenirs d’enfance, qui aboutira à leur transposition romanesque, mais qui est avant tout une collecte, une recensio envoûtante et passionnée: «Je ne puis m’arracher à ces souvenirs, et tant mieux, d’ailleurs. Plus riches ils seront, plus la pêche sera miraculeuse, plus le choix sera bon»13. Les Jardins de Tauride est issu de cette plongée dans la mémoire: même si la nouvelle n’a pas été retenue pour la publication, elle nous offre un point de vue unique sur l’enfance de l’auteur et sur son travail d’écriture.

2. Un récit autobiographique

8Les Jardins de Tauride raconte l’histoire d’une famille russe, les Doorn, qui, en 1920, fuient Saint-Pétersbourg vers la Crimée, où ils doivent s’embarquer pour la France. L’analogie avec la vie d’Irène Némirovsky est évidente: elle a dû partir de la Russie en 1918, suite à la Révolution, quand elle avait quinze ans. Les deux parents, dans la nouvelle, ne font que compter leur argent et essayer de cacher des pierres précieuses; de la même façon, le père de l’auteur avait essayé de sauver, par sa fuite, son patrimoine de banquier.

  • 14 Au f. 7 r° Elisabeth a huit ans, alors que dans les autres passages du texte elle a toujours six an (...)
  • 15 IMEC ALM 2998.8, f. n.n.

9Le récit est présenté du point de vue de la petite Elisabeth, une enfant de six ans14. La nouvelle se relie ainsi de manière évidente au roman autobiographique Le Vin de solitude, dans lequel la focalisation porte presque exclusivement sur la jeune protagoniste Hélène. En plus, Irène Némirovsky avait, en un premier temps, pensé attribuer à son personnage romanesque le prénom d’Elisabeth, mais elle a fini par choisir Hélène, à cause de son assonance avec son vrai prénom, comme en témoigne le journal de travail du roman: «Elisabeth ou Daisy. Non, pas Elisabeth. […] Non, c’est plutôt dans le genre Irène qu’il faudrait chercher. Hélène serait “dans le ton”»15.

  • 16 Cf. I. Némirovsky, Les Mouches d’automne, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 552-598, p. 574: (...)
  • 17 Ibid., p. 574, cf. les matelas jetés à terre évoqués au f. 1 v° de la nouvelle.

10Ce n’est pas la première fois qu’Irène Némirovsky met en scène une histoire d’exil, un récit de migration. C’était par exemple le cas des Mouches d’automne, court roman paru chez Grasset en 1931. La famille Karine fuit la Russie en 1920, sur un bateau qui part d’Odessa: le destin des Doorn dans Les Jardins de Tauride est très semblable, alors que les Némirovsky sont arrivés en France en passant par la Finlande et la Suède. Nous retrouvons dans Les Mouches d’automne des images proches de celles utilisées dans la nouvelle inachevée de 1934: les bijoux et l’argent sont cousus par les fugitifs dans l’ourlet d’une jupe ou dans des ceintures16, la mère est couchée «sur un vieux matelas jeté à terre»17. Il semblerait s’agir de formules lexicales et stylistiques que Némirovsky reprend d’un récit à l’autre de manière intra-textuelle.

11Les Jardins de Tauride met en scène aussi quelques images de la guerre et de la Révolution russe, en particulier en ce qui concerne Saint-Pétersbourg. La ville est évoquée par le titre de la nouvelle, qui mentionne l’un de ses jardins les plus célèbres, même si, tout au long du texte, nous retrouverons plutôt des références au “Jardin d’Été”. Saint-Pétersbourg fait l’objet de deux descriptions assez sombres entre les feuillets 3 r° et 3 v° et entre le 7 r° et le 7 v°. Les premiers souvenirs d’Elisabeth ne remontent pas avant la guerre, au point que, pour elle, le chaos des coups de feu coïncide avec un quotidien rassurant: «Ce qui lui manquait c’était ces coups de feu […]. C’était extraordinairement amical et depuis qu’Elisabeth avait une mémoire, ils avaient toujours accompagné son sommeil» (ff. 3 r°, 3 v°).

  • 18 I. Némirovsky, Naissance d’une révolution. Scènes vue par une petite fille, dans Œuvres complètes c (...)

12Ces images ressurgissent dans un récit écrit en 1938, Naissance d’une révolution. Scènes vue par une petite fille, dont l’auteur ne cache pas l’inspiration autobiographique. Nous y retrouvons les mitrailleuses du f. 7 r°, qui «se mirent à tirer sur la foule» lors de la révolution bolchevique18. Dans Les Jardins de Tauride, nous voyons aussi, à peine évoquée, la figure du «concierge de la maison à Pétersbourg» (f. 5 v°), dont Elisabeth se souvient très bien: le dvornik est la victime de la fusillade racontée dans Naissance d’une révolution, épisode inoubliable pour Irène.

  • 19 M. Stemberger, “…Vous appelez ça du “nietchevo”, n’est-ce pas?” Mises en scène de la langue “étrang (...)

13Le lien de l’auteur avec ses origines est rendu encore plus sensible par les traces linguistiques russes présentes dans le manuscrit, au f. 9 v°. Tout le journal de travail du Vin de solitude, mais aussi celui du Maître des âmes, est parsemé par des mots russes et d’autres langues étrangères. L’emploi du russe dans les brouillons témoigne d’un usage naturel et instinctif de cette langue, bien différent de celui un peu construit des romans achevés, où, selon Martina Stemberger, l’auteur «trouve […] une possibilité de manifester sa double compétence culturelle, tout en sacrifiant à la “mode russe” de son temps»19. Dans Les Jardins de Tauride, des mots russes apparaissent dans un commentaire de l’auteur, quand elle veut terminer la description du cimetière au bord de la mer et lui vient à l’esprit une formule pour couper court: «…. и все прелести…» (…et toutes ces charmantes choses…). Nous retrouvons dans la nouvelle aussi des mots anglais, prononcés par la gouvernante, ce qui témoigne d’un effort de réalisme («How awful!», f. 1 v°); la formule «“no man’s land”» (f. 8 r°) est au contraire présente dans la narration, mais entre guillemets, ce qui signale un usage plus conscient de ses compétences linguistiques de la part de Némirovsky.

  • 20 Cf. sur le concept de transposition Y. Baudelle, Du vécu dans le roman: esquisse d’une poétique de (...)

14La réflexion de l’auteur sur la transposition de ses souvenirs autobiographiques prend forme surtout dans le processus de création du personnage d’Elisabeth20. Elle semblerait chercher le ton le plus juste pour représenter une enfant et ses pensées. Dans Les Jardins de Tauride, nous voyons une petite fille naïve qui commence à s’apercevoir des difficultés de la vie et du manque d’amour de sa mère. Cependant, Némirovsky semble encore hésiter sur la façon de traiter ce rapport mère-fille et elle ne fait que l’esquisser dans cette nouvelle, alors qu’il sera au centre de son roman autobiographique. Nous assistons, dans les commentaires en marge de la nouvelle, à une prise de conscience de la part de l’écrivaine de la nécessité de représenter une mère plus semblable à la sienne, une mauvaise mère. Voici ce que Némirovsky écrit à la moitié du récit: «NB Lorsque j’ai trouvé une mère odieuse, aigre, détestable, cela va tout de suite mieux!» (f. 7 r°).

15Par conséquent, le portrait d’une enfant si innocente semble se nuancer au cours de la narration, mais sans qu’il soit complètement satisfaisant pour l’auteur. Elle voudrait reprendre le portrait autobiographique que Katherine Mansfield, écrivaine très admirée par Némirovsky, fait de Kezia, l’héroïne de Prélude et de Sur la baie, mais elle se rend compte que c’est dans la direction de sa propre autobiographie qu’elle doit aller, comme elle le souligne dans cette réflexion: «Et ici, une chose est claire. Si je fais d’Elisabeth une petite fille, comme Kezia, je n’arrive à rien. Ce n’est pas mon genre, les petites filles innocentes. Il vaut mieux, d’autant plus que je m’occupe de mon enfance, chercher à faire une enfant plus amère, plus vraie» (ff. 10 v°-11 r°). Cette enfant plus amère et plus vraie sera Hélène dans Le Vin de solitude.

  • 21 IMEC ALM 2998.9, f. n.n.

16La nouvelle Les Jardins de Tauride ne marquerait donc qu’une étape dans le travail de transposition littéraire du matériau autobiographique, qui a donné naissance au Vin de solitude. En 1934, Némirovsky ne se résout pas encore à mettre en scène son enfance véritable et son rapport avec sa mère. En effet, elle hésite longtemps quant au degré d’autobiographisme du roman, comme en attestent les brouillons: «Dire seulement la vérité (autant que c’est possible dans la fiction naturellement) ou romancer? Et si oui, dans quelle proportion? […] voilà le hic de ce roman-ci, voilà la difficulté»21.

  • 22 C. Viollet, “Le Vin de solitude” d’Irène Némirovsky: journal de genèse, dans «Génesis» 39, 2014, pp (...)
  • 23 I. Némirovsky, Le Vin de solitude, dans Œuvres complètes cit., tome I, p. 1237.

17Le personnage d’Elisabeth constitue donc l’une de multiples esquisses d’un autoportrait de la part d’Irène Némirovsky: il fait partie du processus de construction d’un alter-ego autobiographique, un processus plein de doutes et retournements. Prenons par exemple le portrait de la petite fille: elle a «des boucles noires, rondes, bien serrées», «le teint d’un enfant de Petrograd – c’est-à-dire, farineux, verdâtre» (f. 6 v°). Ce sont les mêmes détails que ceux de la description d’Hélène dans Le Vin de solitude, «qui est en même temps un troublant autoportrait de l’auteur»22, comme en attestent les photographies: «ses cheveux noirs étaient coiffés en boucles épaisses autour du visage, qui commençait à prendre le teint verdâtre, cadavérique des enfants de Pétersbourg, élevés sans air ni lumière»23.

18Le personnage d’Elisabeth n’est pas assez abouti, mais il y a un côté de «vérité» dans son portrait, c’est-à-dire cette perception enfantine de la vie semblable à une sorte de rêve éveillé permanent, comme l’affirme Némirovsky dans un commentaire en marge du dernier feuillet de la nouvelle:

Si je fais d’Elisabeth une enfant, comme je l’ai été, j’affaiblis le trait final. D’autre part, je ne veux pas décrire une complète innocence. […] Il faudrait trouver en moi, en mes souvenirs, en mes images, le moment exact, où j’ai commencé à entrevoir la vie amère. Je crois que la vérité c’est la vie ressentie par éclairs et pour le reste l’engourdissement délicieux de la première enfance, le moment où l’on est encore à demi-plongé dans des douces ténèbres intérieures (f. 12 r°).

19Cet engourdissement de la première enfance, ce mélange de rêve et de réalité renvoient, sur le plan de la narration, au mélange de fiction et de vérité du roman autobiographique, dans lequel les souvenirs de l’auteur sont nimbés d’une atmosphère de rêverie.

20L’écriture des Jardins de Tauride permet donc à Némirovsky d’observer une halte dans la réalisation de son roman et de s’essayer à la représentation de l’enfant qu’elle était, d’en saisir les nuances les plus authentiques. Elle finit par refuser la vision d’une enfance insouciante pour insister sur ses aspects plus tourmentés, qui dans Les Jardins de Tauride ne sont que légèrement perceptibles: le conflit avec la mère, dont le portrait doit être plus impitoyable, la solitude, l’amertume de la prise de conscience des hypocrisies familiales. La recherche d’une écriture qui se rapproche de l’intime se conjugue ainsi à la recherche d’un ton plus sombre.

  • 24 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 235.

21La redécouverte de cette nouvelle permet de mieux étudier les procès qui soutiennent l’écriture de Némirovsky dans ses évolutions stylistiques et ses choix esthétiques. Son état partiellement inachevé, qui ne gêne pas une lecture linéaire du récit, amène à comprendre les hésitations stylistiques et thématiques de l’auteur, mais aussi à saisir certains traits dominants qui sont présents d’un texte à l’autre, comme s’ils étaient tous nourris de la même «sève autobiographique»24.

3. Un texte partiellement inachevé

  • 25 Nous retrouvons le même prénom pour la bonne dans Le Vin de solitude (cf. cit., p. 1177). Dans la n (...)

22Le récit des Jardins de Tauride est assez linéaire: Elisabeth et sa famille se trouvent dans une petite auberge en Crimée. Pendant la nuit, la petite fille observe ses parents, en faisant semblant de dormir. Dans cette partie initiale on peut observer les portraits des différents personnages, qui sont ainsi présentés: le père Arnold, obsédé par l’argent, la mère Stella, ennuyée par la vie familiale, la sœur coquette Dolly, le frère Richard, un peu cruel envers la petite sœur, la gouvernante Macha25, qui disparaît très vite de la scène, et l’amant de la mère, Bon Ami ou Serge, figure à peine esquissée, qui renvoie à celle bien plus centrale de Max dans Le Vin de solitude.

23Dans une deuxième partie du récit, les enfants obtiennent la permission de partir une journée pour explorer les alentours de l’auberge. Ils arrivent dans un cimetière tartare, proche de la mer: l’atmosphère de ces lieux est décrite de manière très suggestive. Les grands-frères d’Elisabeth jouent entre eux en excluant la petite fille. Elisabeth, se sentant délaissée, décide de rester dans le cimetière, même si Dolly et Richard partent, et d’explorer une maison abandonnée. Les traits ultimes de la nouvelle ne sont qu’amorcés. Elisabeth a peur et rentre chez ses parents, juste à temps pour s’embarquer vers la France. Personne ne s’était inquiété de sa disparition et elle commence à prendre conscience de sa propre solitude et du manque d’amour dans sa famille.

24La première moitié de la nouvelle est plus raturée et fait l’objet de quelques réécritures: certains passages sont repris de façon très similaire à distance de quelques lignes, ce qui rend la lecture de la nouvelle moins linéaire. La narration avance de façon plus claire à partir de la seconde partie, même si la conclusion coupe le récit de manière assez abrupte, peut-être parce que Némirovsky avait déjà décidé de ne plus le retravailler pour une publication.

  • 26 I. Némirovsky, Le Vin de solitude cit., p. 1778.

25Le cadre initial, dans lequel la pleine lune illumine le ciel, est par exemple réécrit à plusieurs reprises. Némirovsky, au début de la nouvelle (f. 1 v°), écrit les mots «Variantes de début» et «variantes»: elle s’essaie de cette façon à différents incipit. Dans le premier de ces incipit on lit: «La lune était levée éclatante et ronde dans un ciel solennel, pur, illuminé d’une sourde clarté bleue». Le rythme ternaire de la phrase est très évident. La deuxième version de ce syntagme a une structure linguistique plus épurée: «La lune brillait au ciel, éclatante et ronde, répandait une sourde clarté bleue». L’auteur a éliminé les trois adjectifs concernant le ciel et a introduit un changement dans la syntaxe, par l’insertion d’une proposition juxtaposée à la principale: le rythme de la phrase devient ainsi plutôt binaire, tant pour les verbes que pour les adjectifs. La lune ne quitte pas l’imaginaire de Némirovsky, qui reprend et réélabore ces incipit au f. 2 v°: «La terre, le ciel, les cimes des montagnes et des arbres étaient illuminés d’une clarté tranquille, d’abord bleue et qui devenait argent à mesure que la lune se levait». Ce passage est beaucoup plus articulé de ceux qui précèdent, mais les rythmes binaires et ternaires qui y sont présents sont moins évidents, à cause de leur alternance. Enfin, l’auteur insère un passage similaire à ceux des Jardins de Tauride dans le premier chapitre du Vin de solitude: «La lune versait sa tranquille clarté sur la cime des tilleuls»26. Le style de la phrase est beaucoup plus sec et essentiel et, par rapport aux variantes de la nouvelle, il ne reste que le leitmotiv de la clarté de la lune. Cela montre encore une fois comment, même au niveau stylistique, Les Jardins de Tauride a été pour Némirovsky le chantier du grand roman autobiographique.

26D’autres passages, comme par exemple les descriptions du père et de la mère, sont repris d’un feuillet à l’autre tout au long de la première partie du récit. Il y a là une tentative de la part de l’auteur de montrer la perspective du personnage maternel, ce qui laisse entrevoir au lecteur son manque d’envie de s’occuper des enfants. Cependant, ce choix narratif est très vite refusé: «Non, évidemment, c’est trop vrai, et grossier et appuyé… Il vaut mieux, je pense, voir ceci uniquement des yeux de la petite Elisabeth, mêlé au rire, au souvenir, à une songerie vague, imprécise» (f. 5 v°). L’auteur insiste sur le point de vue enfantin d’Elisabeth, qui nuance le caractère des autres personnages. Dans Le Vin de solitude, la focalisation porte de temps en temps sur les autres membres de la famille d’Hélène et la protagoniste grandit tout au long du récit: la dimension romanesque permet ainsi à l’auteur de mieux montrer l’évolution des rapports familiaux.

27Les répétitions, d’un passage à l’autre du texte, ne sont pas cependant qu’une conséquence de l’état d’inachèvement de la nouvelle et des indécisions de l’auteur. Souvent, elles produisent un effet stylistique recherché. Par exemple, l’auteur insiste plusieurs fois sur la sonorité des feuilles sèches. Elisabeth est couchée tour à tour, selon les variantes, sur une «vieille paillasse bruissante, pleine de feuilles sèches» (f. 1 v°), sur une «vieille paillasse pleine de bruissantes feuilles sèches» (f. 1 v°), sur «la paillasse, pleine de feuilles craquantes» (f. 2 r°). De plus, au f. 1 v° il y a l’image des feuilles sèches dans la cour de l’auberge, «parcourues d’un frémissement rapide et léger, […] comme un bruit de soie froissée». En premier lieu, il faut remarquer encore une fois la tendance de l’auteur à rendre le rythme de ses syntagmes moins redondant, en passant d’une fréquence ternaire (variantes au f. 1 v°) à une fréquence binaire (f. 2 r°). Ensuite, l’adjectif attribué aux feuilles change: elles ne sont plus «bruissantes», mais «craquantes»; ce même adjectif connote, peu de lignes après, les liasses de bank-notes cousues dans une ceinture: «les liasses sortaient, craquantes et fraiches, avec un bruit de papier froissé». Le syntagme sur le bruit du papier froissé reprend celui sur les feuilles et leur bruit de soie froissée au f. 1 v°. Cette association entre les feuilles et l’argent est reprise une dernière fois, quand le récit présente le point de vue de Monsieur Doorn sur la naïveté de sa fille: «Cette petite ne sait pas la différence qu’il y a entre un rouble et une feuille sèche» (f. 3 r°). L’évocation sensorielle répétée du bruit des feuilles anticipait donc la comparaison. Aux yeux de l’enfant, l’argent, qui obsède son père, ne se caractérise que par son bruit, très semblable à celui de la paillasse sur laquelle elle dort: l’auteur, par cette insistance sur la comparaison, remet ainsi en perspective l’importance des valeurs matérielles.

28À partir du f. 6 v°, avec la disparition de la gouvernante, la narration devient plus linéaire, même si quelques incohérences demeurent présentes dans sa structure. Par exemple, entre la fin du f. 8 r° et le début du 8 v°, on assiste, en plein milieu de la scène du cimetière, au réveil de la petite Elisabeth, comme si elle était encore en train de rêver, et on retrouve l’image du balcon de la petite auberge, déjà présente aux ff. 2 v° et 4 r°. Cependant, après un souvenir du passé, le récit revient au présent et Elisabeth est à nouveau avec ses frères au bord de la mer.

29Vers la fin de la nouvelle il y a une ellipse de la narration, signalée par un long trait qui relie les ff. 11 v° et 12 r°. Elisabeth explore la maison abandonnée et a peur, elle songe à son père et à sa mère qui, dans ces circonstances, lui semblent des figures aimantes et protectrices. L’intention d’abréger la conclusion est évidente, car Némirovsky ne développe pas la description de la maison, elle ne fait qu’une sorte de plan de travail, comme le démontre cette phrase: «Décrire la maison, les petits salons mauresques, les fontaines, les incrustations de nacre» (f. 11 r°).

30Souvent, dans le manuscrit des Jardins de Tauride, les transitions entre les parties narratives et les parties métadiscursives sont très nettes: l’auteur sépare graphiquement ses réflexions de l’écriture du texte par des espaces blancs (par exemple au f. 1 v°), des lignes (f. 5 r°), des points de suspension (f. 4 r°) ou même en inscrivant ses commentaires à l’horizontale des feuillets (f. 5 r°). Cependant, par moments, l’écriture semble basculer de manière plus subtile du récit au métadiscours et il est plus difficile de trancher entre les deux. C’est souvent le cas de la description des personnages, dont l’auteur paraît esquisser les traits tantôt pour le lecteur tantôt pour elle-même, comme si elle s’interrogeait sur son élaboration du récit.

  • 27 Cf. A. Herschberg-Pierrot, Le Style en mouvement. Littérature et art, Paris, Belin, 2005, passim.

31Par exemple, au f. 2 r°, Némirovsky s’en prend à sa propre graphie, reprend le titre de la nouvelle et se pose la question de quels personnages mettre en scène. Le premier qui apparaît est le père, dont elle ébauche le profil: «Personnages? Le père, le banquier, le sucrier le Doorn des sucres genre R. Dr. gras, fort, roux, rose, les joues en forme de *sacs, mais tavelées, tachetées, comme des fruits, très mûrs et rongés par les de nombreux hivers». Cette description, avec ses hésitations et la référence à quelqu’un que l’auteur aurait à l’esprit, ce mystérieux R. Dr., se situe dans un entre-deux entre texte (en romain dans la transcription) et métatexte (en italiques), un espace intermédiaire difficile à cerner, que les manuscrits de Némirovsky donnent souvent à voir, selon un «style de genèse» qui leur est propre27. C’est justement l’intérêt de presque tous les brouillons de l’auteur, car ils mettent en scène l’écriture en train de se faire, alors que les réflexions métadiscursives ne trouvent jamais place dans les textes publiés de Némirovsky, qui obéissent à une esthétique classique.

32À la fin du récit, Elisabeth est revenue chez ses parents: l’ellipse narrative ne permet pas de mesurer combien de temps s’est écoulé entre le présent du récit et la scène du jardin. Avant le départ en bateau, Elisabeth semble se rendre compte de l’indifférence maternelle et se sent «lasse et vieille» (f. 12 r°). Même si ces traits conclusifs sont à peine ébauchés et la graphie elle-même, difficilement lisible, signale la hâte de l’écrivaine, le brusque vieillissement de la protagoniste marque très bien la fin de l’innocence de la première enfance, dont l’auteur représentera les conséquences dans Le Vin de solitude.

33Le vieillissement subit de l’héroïne qui construit son identité en opposition à une mère qui se veut éternellement jeune est un leitmotiv qui parcourt beaucoup de textes de Némirovsky:

  • 28 M. Giordano, Entre espoir et nostalgie: récits de départs et de nouvelles vies chez Irène Némirovsk (...)

le manque d’amour détermine sa maturation brutale et scélérate. L’indifférence des parents ne lui permet pas de parcourir graduellement toutes les phases du développement: en sautant de l’enfance à l’âge adulte sa personnalité reste incomplète, elle possède une haine d’adulte et en même temps une sensibilité d’enfant28.

  • 29 I. Némirovsky, Le Vin de solitude cit., p. 1235.

34Le manuscrit des Jardins de Tauride témoigne des racines autobiographiques de ces sensations, que Némirovsky essaie de retracer par son travail d’écriture. C’est ainsi qu’elle fera dire à Hélène, dans Le Vin de solitude: «J’ai grandi, j’ai vieilli… Ce qu’on peut être vieux à douze ans…»29.

4. Une œuvre en réseau

35Nous avons déjà montré comment Les Jardins de Tauride se relie à d’autres œuvres de l’auteur, en particulier au Vin de solitude, surtout par son caractère autobiographique. Le vécu de Némirovsky constitue donc une source d’inspiration constante, qui crée une sorte de substrat commun à toute sa production littéraire.

  • 30 I. Némirovsky, David Golder, Paris, Grasset, 1929.
  • 31 I. Némirovsky, Le Maître des âmes, Paris, Denoël, 2005 [première parution dans la revue «Gringoire» (...)

36Les Jardins de Tauride fait preuve de son originalité surtout dans la représentation de la région de Crimée, souvent évoquée dans l’œuvre de Némirovsky, en particulier par l’image des ports sur la Mer Noire d’où partent les émigrants, comme c’est le cas dans David Golder30 ou dans Le Maître des âmes31. Cependant, dans la nouvelle inachevée, la description de la Crimée est beaucoup plus riche et suggestive que dans tous les autres textes de l’écrivaine.

  • 32 F. Lefèvre, Une révélation. Une heure avec Irène Némirovsky, «Les Nouvelles Littéraires», 11 janvie (...)
  • 33 IMEC ALM 2998.9, f. 29.

37La famille Némirovsky se rendait de temps en temps en Crimée pour des périodes de villégiature, comme en témoigne cette déclaration de l’auteur: «Pendant mon enfance, nous allions quelquefois au bord de la mer en Crimée et, en ce temps-là, il n’y avait pas de chemin de fer pour relier Simferopol et Jalta, notre Nice. Il y avait douze heures de voiture à chevaux et on couchait à Simferopol»32. Ce détail est repris fidèlement dans Les Jardins de Tauride: «Elle se souviendrait seulement de ce chemin dans la montagne, en voiture. Ils allaient très lentement, les bagages, la bonne, chargés sur d’antiques fiacres au[x] ressort[s] cassés. Pas d’autre véhicule de Simferopol à Yalta» (f. 3 v°). C’est comme si le travail de remémoration pour le roman autobiographique faisait ressurgir chez Némirovsky un «flot lent et limpide de souvenirs»33, qui vont nourrir son écriture. Les souvenirs de Crimée ne font pas partie du projet romanesque et trouvent leur place dans l’épisode détaché constitué par la nouvelle.

  • 34 I. Némirovsky, Les Chiens et les Loups, Paris, Albin Michel, 1940.
  • 35 Sigle souvent utilisé par Némirovsky au lieu de quelque/quelques.
  • 36 IMEC ALM 2999.1, Enfants de la nuit (ou Le Charlatan): brouillon et journal d’écriture 1/2, f. n. n
  • 37 Ibid., f. n.n.

38Une autre source atteste le caractère autobiographique de la description de la Crimée: il s’agit du journal de travail tenu par l’auteur en 1938, dont sortiront deux romans: Le Maître des âmes et Les Chiens et les Loups34. L’auteur y évoque un petit village dont elle se souvient, et dont elle veut se servir pour le personnage de Dario dans Le Maître des âmes: «Je me souviens si bien d’Alouchta? Une petite ville de tatars, de grecs et de qq.35 officiers et fonctionnaires russes. Une plage de galets; des épluchures de pastèques (et des rats) parmi la pierraille»36. Cette «plage de galets» (f. 8 r°) était déjà présente dans la nouvelle inachevée de 1934: les enfants sont près de Gourzouf, qui n’est pas loin d’Alouchta. Dans ce même journal de travail surgissent, de manière encore plus précise, les souvenirs du cimetière tartare situé entre Gourzouf et Soouk-sou, dont il était déjà question dans Les Jardins de Tauride: «Voici que je revois le cimetière tartare entre Gourzouf et Soouk-Sou. Il y avait un endroit où le vallonnement incessant de terre brune et de cailloux cessait, et l’herbe commençait à pousser moins jaune»37.

  • 38 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 58.

39Ces souvenirs vont inspirer, comme le rappellent aussi les biographes de Némirovsky38, La Vie de Tchekhov, écrite par Némirovsky pendant la guerre et publiée par Albin Michel après sa mort, en 1946:

  • 39 I. Némirovsky, La Vie de Tchekhov, dans Œuvres complètes cit., tome II, pp. 701-855, p. 836.

C’était le mois d’août, une belle saison en Crimée. Le pays est admirable et sauvage. C’est un mélange de Riviera et d’Asie. Des villas blanches, toutes neuves, sont bâties entre des champs de roses, des cyprès, des cimetières musulmans abandonnés. On voit des villages tartares aux toits plats au bord de la mer, puis de grands hôtels modernes, surgis dans la solitude, entre une porte tartare et une mosquée; les fruits sont magnifiques, l’air pur et léger. Sur l’eau brillent, le soir, les feux des navires. La Crimée est inoubliable39.

40La Crimée est inoubliable, affirme Némirovsky à travers les lignes de la biographie du grand écrivain russe. En lisant Les Jardins de Tauride, il est possible de voir comment la description de cette région s’était cristallisée, dans la mémoire de l’auteur, en quelques images qui reviennent justement dans l’évocation plus tardive concernant Tchekhov: il y a en effet une maison blanche (f. 9 r° sq.), des cyprès (f. 2 v°), un cimetière tartare abandonné (f. 8 r° sq.), un village aux toits plats avec une mosquée (f. 7 v°), des fruits et des légumes magnifiques au marché (f. 4 v°), un air pur (f. 8 r° et f. 10 v°).

41Dans Les Jardins de Tauride, les renvois intratextuels à d’autres ouvrages d’Irène Némirovsky sont nombreux même au niveau macro-structurel. Pensons par exemple au personnage de l’adolescente coquette: Dolly est très semblable à Joyce dans David Golder, à Loulou, dans Les Mouches d’automne, et à Lilla, dans Les Chiens et les Loups. Dans ce dernier roman il y a aussi une petite fille, qui ressemble de près à l’auteur, en premier lieu par le fait qu’elle devient une artiste. Dans Les Jardins de Tauride, aussi bien que dans Les Chiens et les Loups il y a donc une double image féminine (si l’on exclut les figures maternelles): la petite fille solitaire et naïve et la jeune fille séductrice.

  • 40 I. Némirovsky, Les Chiens et les Loups, dans Œuvres complètes cit., tome II, pp. 509-700, p. 532: « (...)

42Dans Les Jardins de Tauride, dans la scène du cimetière, les frères adolescents jouent entre eux, sans se soucier d’Elisabeth, parce que, comme le suggère Némirovsky dans un commentaire écrit en marge du texte, «les jardins éveillent […] un sentiment érotique en Dolly et Richard». De façon similaire, dans Les Chiens et les Loups, Ada accompagne Lilla et son amoureux au jardin botanique: ils se cachent et, comme Elisabeth, Ada s’ennuie et elle est piquée par des insectes sur ses bras nus40.

  • 41 Ibid., p. 522.
  • 42 Ibid., p. 526, cf. f. 8 v° dans la nouvelle.
  • 43 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 36.

43Ada est très semblable à Elisabeth: par exemple elle a des boucles noires41, ou elle chérit des jouets cassés42. Les deux gamines incarnent, de façon différente, une image d’Irène Némirovsky enfant. Les personnages de la sœur ou de la cousine adolescente pourraient correspondre toujours à l’auteur, mais à un autre âge: elle aussi a été une adolescente coquette, imitant d’une certaine façon sa mère. C’est une sorte d’atavisme de l’héritage, qui est évoqué dans la nouvelle par le mot «sang», mot-clé qui revient dans toute l’œuvre de Némirovsky: «Elle avait treize ans, et en elle brûlait, dans son sang brûlait le feu maternel» (f. 8 v°). L’auteur, comme Dolly, avait plus ou moins treize ans quand elle a dû quitter la Russie. Cependant, la figure de la grande sœur pourrait aussi évoquer la tante d’Irène, Victoria: «cette grande tante fut pour ainsi dire la grande sœur d’Irina», affirment les biographes de Némirovsky43. Dans la nouvelle inachevée sont donc présents de nombreux biographèmes qui ne cessent de réapparaître dans l’œuvre de l’auteur.

44Cependant, les souvenirs autobiographiques, en particulier en ce qui concerne les lieux représentés dans le texte, ne suffisent pas à nourrir la nouvelle de son atmosphère magique. La Crimée est un endroit fascinant, qui a sollicité l’imaginaire de nombreux écrivains. Ce lien entre l’écriture némirovskienne et la tradition littéraire, russe en particulier, est suggéré par l’autobiographie fictive d’Irène Némirovsky, écrite par sa fille Elisabeth Gille, qui essaie de reconstruire un épisode de la vie de sa mère en y mêlant des considérations sur Pouchkine et Tchékhov:

  • 44 E. Gille, Le Mirador. Mémoires rêvés, Paris, Stock, 2000, pp. 403-404.

En 1917 – j’avais quatorze ans – mon père m’amena avec lui à Yalta où l’appelaient ses affaires. Quand il en eut terminé, nous passâmes deux jours seuls dans un hôtel à Gourzouf. C’est de l’autre côté du cap Martian, une vaste baie toute fleurie de roses, adossée aux montagnes dont les pentes en gradins sont couvertes de vignes. On dit que jadis trois ours effrayants vivaient dans ce massif du Babougana, dont un mont, l’Aïou-Dagh, leur ressemble. […] C’est le fameux Aïou-Dagh devant lequel Pouchkine aimait à rêver. Nous nous promenâmes longtemps, mon père et moi, sur ce rivage. Il me raconta qu’Anton Tchekhov, s’étant découvert les symptômes de la tuberculose qui avait emporté son frère bien-aimé, Nicolas, courut le monde, puis, après une terrible crise d’hémoptysie, alla s’établir en Crimée44.

  • 45 Cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 279.
  • 46 I. Némirovsky, La Vie de Tchekhov cit., p. 849.

45Némirovsky, qui écrira une biographie de Tchékhov et souhaitera pendant quelque temps d’en écrire une sur Pouchkine45, est influencée par leurs images de la Crimée. Dans Les Jardins de Tauride la description de la maison blanche, au milieu d’un jardin, à côté d’un cimetière tartare ne peut que renvoyer à la datcha blanche de Tchékhov, comme en témoigne la description que l’écrivaine en fait dans sa biographie du grand auteur russe: «Il avait fait bâtir à Yalta une petite maison blanche dans une avenue poussiéreuse. […] Quand il se sentait mieux il descendait au jardin et regardait le cimetière tartare, non loin de là, éclairé par le soleil»46.

46Enfin, un mot marqué en bas du f. 8 r° signale l’une des références littéraires que Némirovsky avait à l’esprit en écrivant la nouvelle: Aziyadé, roman de l’écrivain Pierre Loti, se déroulant en Turquie et publié en 1879. Pierre Loti y raconte une histoire autobiographique: il faisait partie d’une expédition navale et il a vécu un amour avec une jeune fille turque. Ce roman peut avoir inspiré Némirovsky pour la référence aux officiers de l’escadre convoités par Dolly, mais plus en général elle veut probablement situer son travail d’écriture dans la lignée du roman exotique et orientaliste de la fin du xixe, dont Pierre Loti est l’un des représentants majeurs. C’est ainsi que la Crimée, avec sa surabondance de fruits en vente au marché, alors que le Nord du pays est affamé (cf. f. 4 v°), ses arbres pleins de pommes d’or (f. 9 v° et f. 10 v°), tels ceux du Jardin des Hespérides, est représentée comme un lieu utopique, préservé des ravages de l’Histoire.

  • 47 Pour une lecture sociologique de l’œuvre de Némirovsky voir surtout A. Kershaw, Before Auschwitz, I (...)
  • 48 IMEC ALM 2998.9 f. 29 (feuillets numérotés par page par l’auteur).

47Tout en voulant retracer ses souvenirs personnels, Némirovsky accomplit un travail littéraire sur son texte, surtout en ce qui concerne la représentation des lieux, teintée d’une atmosphère magique tant par les songeries enfantines, que par la réélaboration qui en est faite à la lumière de ses lectures. Dans sa description de la Crimée, l’écrivaine emprunte, d’un côté, à la littérature de son pays d’origine et, de l’autre, à une tradition de l’exotisme «à la française», dont elle reprend, de manière consciente, certains clichés, tout au long de son œuvre. Voici une phrase dans le journal de travail du Vin de solitude qui témoigne d’une stratégie de positionnement dans le champ littéraire de la part de l’auteur47: «Évidemment, se laisser aller au courant de la plume pour écrire l’histoire d’une famille, d’une enfant, avec des types bien marqués, une atmosphère étrangère et lointaine, ce serait bien si je n’avais pas à gagner ma vie. Mais j’écris en français, j’ai donc besoin de lecteurs français»48. Voilà donc la nécessité, d’un côté, d’évoquer des souvenirs réels, venant d’un autre monde, mais, de l’autre, celle de rendre ce récit compréhensible par le public français, par exemple grâce à l’usage de clichés exotiques facilement reconnaissables.

5. Une judéité qui demeure dans l’ombre

  • 49 Cf. N. Gourfinkel, L’expérience juive d’Irène Némirovsky. Une interview de l’auteur de “David Golde (...)
  • 50 Cf. sur ces questions S. Rubin Suleiman, Famille, langue, identité: la venue à l’écriture dans “Le (...)
  • 51 Le Vin de solitude paraît en août 1935, cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsk (...)
  • 52 J. Auscher, Nos interviews: Irène Némirovsky, «L’Univers israélite», 5 juillet 1935, pp. 669-670, p (...)

48Dans Les Jardins de Tauride les allusions à l’identité juive des personnages semblent presque absentes. Dans Le Vin de solitude le discours sur la judéité n’a pas la centralité qu’il avait eue dans David Golder, roman publié en 1929 et pour lequel Irène Némirovsky avait dû faire face à des accusations d’antisémitisme, surtout de la part de la presse communautaire juive49. Dans son roman autobiographique, le souci de l’auteur est plutôt celui de mettre en lumière son étrangeté irréductible à sa mère et, d’une certaine façon, à ses origines50: par conséquent, elle choisit de nuancer le portrait du milieu d’affaires dont son père faisait partie. C’est peut-être aussi la prise de pouvoir d’Hitler qui influence son changement de vision, comme elle l’affirme dans un entretien en juillet 1935, un mois avant la parution en volume du Vin de solitude51: «Il est tout à fait certain que s’il y avait eu Hitler, j’eusse grandement adouci “David Golder”, et je ne l’aurais pas écrit dans le même sens»52.

  • 53 I. Némirovsky, David Golder, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 401-549, p. 465.

49Cependant, quand elle écrit Les Jardins de Tauride, comme nous l’avons montré, l’écrivaine doit encore faire face à beaucoup d’indécisions, qui concernent aussi la dimension de la judéité, toujours problématique dans son œuvre. Un indice textuel pourrait indiquer les origines juives des Doorn, même s’il relève du domaine de la stéréotypie: le «nez crochu» de Richard (f. 6 v°). On n’est pas très loin des portraits de David Golder, dont la femme remarque «le nez […] énorme, crochu, comme celui d’un vieil usurier juif…»53. Cependant, si l’usage des stéréotypes est très complexe dans David Golder et véhiculé par différents points de vue, dans Les Jardins de Tauride il ne s’agit que d’une remarque synthétique, d’une formule allusive. Le détail du «nez crochu» résume en soi les connotations du Juif, selon des lieux communs enracinés dans l’imaginaire collectif. Le stéréotype remplirait ainsi d’une certaine façon une fonction cognitive, qui permettrait au lecteur de reconnaître le contexte du récit: il constituerait, dans ce cas, une sorte de repère, concernant l’identité des personnages, alors que la question de la judéité n’est pas approfondie. Némirovsky semblerait d’un côté se situer dans la lignée de David Golder et de ses ambiguïtés, comme en témoigne aussi l’amour pour l’argent et les bijoux qui caractérise les deux familles du roman et de la nouvelle; de l’autre côté, l’auteur semble plus concentrée sur l’évocation de certains biographèmes et les allusions à la judéité des personnages se font plus voilées.

  • 54 I. Némirovsky, Le Bal, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 353-399, p. 366: «le comte et la com (...)

50La dimension juive perce ensuite surtout dans des passages concernant le personnage maternel, en particulier dans des passages de nature méta-textuelle. Par exemple, dans une phrase entre parenthèses, on apprend que le vrai prénom de Madame Doorn n’est pas Stella, mais Sara: «(elle s’appelait Sara, en réalité; mais ainsi son mari avait commencé à la nommer avec son premier million)» (f. 3 r°). La phrase n’est pas très claire, à cause de l’état d’inachèvement de la nouvelle, mais il est possible de comprendre que le changement de prénom a eu lieu dès que la famille s’est enrichie, comme c’est le cas chez beaucoup de parvenus juifs, qui changent souvent aussi leur nom de famille et comme le montre ironiquement Némirovsky dans Le Bal54. Le prénom Sara peut faire penser que la mère d’Elisabeth a des origines juives: cela pourrait être confirmé par deux autres commentaires en marge de la nouvelle.

51Par exemple, Némirovsky s’essaie une fois de plus à la description de la figure maternelle, dont elle montre le calme malgré la fuite de Saint-Pétersbourg, mais elle se ravise, en voulant montrer une femme plus troublée. Avant de réécrire un passage de son texte, elle affirme: «Oui, c’est assez difficile de montrer cette femme si tranquille et si sûre d’elle. Si on le fait, elle devient immédiatement sympathique. En réalité, une grosse Juive, comme cela, se lamente, dès qu’une chose ne va pas» (f. 5 r°). La femme serait donc une grosse Juive, dont la peur dans une situation dangereuse serait plus évidente.

  • 55 IMEC ALM 2998.9, f. n. n.
  • 56 Ibid.

52Ensuite, il y a un autre commentaire: «Ma première idée était différente en ce qui concerne la mère. C’était une Mme Rubinstein, grosse, épaisse, importante, avec de grosses joues, couvertes de poudre blanche et suant de peur» (f. 6 r°). Le nom de famille «Rubinstein» indique les origines juives de la femme; on retrouve aussi l’association entre l’idée d’une judéité de la mère et celle de sa peur. Ce nom de famille avait été choisi à la place de «Doorn» dans la première ébauche de la nouvelle, dans le journal de travail du Vin de solitude, dont le titre devait être, comme nous l’avons montré, Soouk-sou: «Dans Soouk-Sou Sylvie pour la fille, excellent […] Pour moi les parents de Sylvie ce sont les Rubinstein»55. Cependant, Némirovsky se ravise bientôt quant à l’opportunité d’employer un nom de famille juif: «Pour Soouk-sou vraiment tâcher d’éviter des noms juifs»56.

53Ces hésitations concernant la représentation de la figure maternelle sont renforcées par le fait que Némirovsky semble avoir raturé ses mêmes réflexions, comme celle sur le prénom Sara, ou encore une autre suivante: «Je voudrais en faire une vraie Orientale» (f. 5 r°). Il semblerait moins s’agir d’une difficulté à cerner le portrait de la mère, que des doutes profonds quant à la connotation identitaire des protagonistes de la nouvelle. Est-ce que leur judéité devrait être évoquée? Est-ce que cela ne compliquerait pas le procès de transposition des souvenirs?

54Finalement, c’est comme si la judéité était restée dans l’ombre, mais perçait de temps en temps, telle une donnée ineffaçable. Ce n’est pas un hasard si, dans l’imaginaire de Némirovsky, elle se lie ici surtout à la figure maternelle: c’est la mère qui transmet à ses enfants, de manière inéluctable, l’identité juive. La problématique du rapport mère-fille se rapproche ainsi de l’ambigüité dans la vision de la judéité qui parcourt l’œuvre de Némirovsky, comme s’il s’agissait de deux approches d’une même question identitaire, qui tourmente l’auteur et qu’elle essaie de mettre en scène dans ses textes.

55Irène Némirovsky a délaissé Les Jardins de Tauride parce qu’elle n’y avait pas trouvé le ton juste pour représenter ses souvenirs, ses questionnements centraux. Cependant, cette nouvelle témoigne de la complexité de la recherche littéraire de l’auteur, de ses hésitations, de ses retournements: c’est le laboratoire d’une écriture en train de se faire.

6. Remarques sur le manuscrit

56Le manuscrit des Jardins de Tauride est conservé aux archives IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine) de Caen, dans une chemise du fonds Albin Michel. Le fonds de l’écrivaine Irène Némirovsky est constitué «de deux versements distincts: d’une part des archives conservées par Elizabeth Gille et Denise Epstein, filles d’Irène Némirovsky et d’autre part d’un ensemble issu des archives des Éditions Albin Michel»57. La première partie a été déposée en 1995 et la seconde en 2005, lors de l’acquisition des fonds de l’éditeur Albin Michel par l’IMEC, peu de temps après la publication de Suite française58, le chef d’œuvre posthume de l’écrivaine morte à Auschwitz en 1942. Les Jardins de Tauride fait partie des fonds déposés en 2005 et se trouve dans la chemise répertoriée actuellement sous la cote ALM 3000.6 et sous le titre «Mensonges. Brouillons».

  • 59 L’auteur n’a pas marqué de numéros sur les pages comme elle le fait parfois, mais par commodité nou (...)

57Il s’agit de treize feuillets manuscrits écrits à l’encre bleue recto verso non numérotés59. Ce sont des feuilles pour classeur: Némirovsky a en effet recueilli tous ses manuscrits à partir de 1930 dans un épais classeur de maroquin. Leur format est 21, 2 x 26 cm. Le papier est assez épais, de couleur ivoire, un peu jauni. L’écriture est petite et serrée, souvent difficile à lire.

  • 60 I. Némirovsky, Dimanche cit.

58Au début du manuscrit (f. 1 r°) on trouve le titre Mensonges et l’esquisse d’un dialogue entre une mère et une fille qui semblerait renvoyer à la nouvelle Dimanche60. Le mot «Fin» clôt cette ébauche à la moitié de la page.

  • 61 I. Némirovsky, Écho cit.

59Ensuite, sur le côté droit, au bas de la page, il y a cette remarque de l’auteur: «À garder pour un jour de disette, le conte suivant: un écrivain, avec toute sa merveilleuse sensibilité, bien à vif, raconte comment il était un petit garçon malheureux, et rudoie – oh, sans mauvaise volonté, son propre fils». Il s’agit du résumé de la nouvelle Écho61, dont le brouillon est placé à la fin des feuillets contenus dans la chemise, du 12 v° au 13 v°.

  • 62 Cf. P. Cornut-Gentille, Un scandale d’État. L’Affaire Prince, Paris, Perrin, 2010. L’Affaire Prince (...)

60Sur le côté gauche du f. 1 r° il y a enfin une réflexion d’Irène Némirovsky sur ses projets: une pièce sur «les Histoires entre parents et enfants» et, peut-être, un récit inspiré de l’Affaire Prince62.

  • 63 Deux et trois lignes respectivement dans les ff. 11 v° et 12 r°.

61La nouvelle Les Jardins de Tauride débute en haut du f. 1 v°: le titre, au centre de la page, est souligné, ce qui indique qu’il faut le transcrire en italiques, comme c’est souvent le cas dans les manuscrits de Némirovsky. Le récit se termine avec le mot «Fin» au bas du f. 12 r°. Tout le manuscrit, à partir du f. 1 v° est biffé par une ligne épaisse de crayon bleu63. Némirovsky utilise souvent des crayons colorés pour revoir ses manuscrits: elle souligne des passages à retenir ou à effacer, elle inscrit des remarques dans les marges des pages ou directement sur le texte, en superposant les écritures.

62La nouvelle est donc complètement raturée: notre transcription vise à l’offrir à la lecture en tant qu’exemple de la méthode de travail de l’auteur, de ses hésitations thématiques et stylistiques et de ses choix esthétiques. La méthode de travail de Némirovsky consiste à entrecroiser les chantiers de différentes œuvres littéraires: c’est ainsi que, comme nous l’avons montré, Les Jardins de Tauride apparaît dans les brouillons, entre Dimanche et Écho, au cours de l’élaboration du Vin de solitude. L’auteur mêle aussi constamment à l’écriture ses réflexions métadiscursives, comme nous l’avons montré. Ce sont ces réflexions, écrites dans les marges des feuillets, qui donnent à voir les hésitations de l’auteur, les doutes quant au ton de son texte et expliquent finalement son choix de le laisser à l’état de brouillon. Nous avons essayé de fournir une transcription le plus possible fidèle au texte manuscrit, pour montrer au lecteur, même au niveau graphique, le laboratoire de l’écriture némirovskienne.

7. Critères adoptés dans la transcription du manuscrit

63Dans la transcription du manuscrit nous avons adopté des signes typographiques conventionnels dont nous donnons ici une liste exhaustive:

  • les ratures faites par l’auteur sur un ou plusieurs mots par une ligne horizontale tracée sur le mot lui-même ont été reproduites en format word de la façon suivante: «Elle ne se souvenait pas comment on l’avait couchée»;

  • les ratures faites par l’auteur sur une phrase par une ou plusieurs lignes verticales ont été signalées par des chevrons au début et à la fin de la phrase, comme dans cet exemple: «< Stella Doorn cousait les diamants en soupirant tranquillement, exactement comme elle >»;

  • les insertions de l’auteur ont été signalées entre accolades, avec un H qui les précède si les insertions se trouvent en haut de la ligne du texte principal, un B si elles se trouvent en bas, un M si elles se trouvent dans les marges, comme dans ces exemples: «{H brusquement}»; «{B inoubliable}»; «{M la}»;

  • les réflexions méta-textuelles de l’auteur et tous les mots relevant de sa réflexion autour de l’élaboration de la nouvelle ont été transcrits en italiques, pour les distinguer du texte relevant de la narration, comme dans ce cas: «Mais bien sûr, pas ainsi, mais il faut préciser la date et le lieu»;

  • nous avons également transcrit en italiques les titres des œuvres littéraires, dont l’auteur marque la différence typographique en les soulignant, comme c’est le cas du titre de la nouvelle lui-même au début du f. 1 v°: «Les jardins de Tauride»; quand un titre s’insère dans un commentaire d’auteur (en italiques), nous l’avons transcrit en romain, comme dans cet exemple: «Je sens qu’il y a là quelque chose de précieux que je n’arrive pas à exprimer. (comme dans Dimanche d’ailleurs…)»;

  • nous avons reproduit en format word les mots soulignés par l’auteur qui ne sont pas des titres d’ouvrages et nous les avons signalés dans les notes de bas de page;

  • nous avons mis entre crochets la ponctuation que nous avons ajoutée pour rendre le récit plus lisible, comme dans cet exemple: «La mère se retourna, vit Elisabeth, les yeux grands ouverts[,] et la menaça du doigt»;

  • nous avons signalé les mots illisibles dans le manuscrit par l’abréviation [1 mot illis.], comme dans cet exemple: «Dans la cour de l’auberge, un peuplier était planté dans la poussière et chaque fois que soufflait le vent, les feuilles sèches et dorées étaient parcourues d’un frémissement rapide et léger, comme un élégant [1 mot. illis.], comme un bruit de soie froissée»;

  • nous avons signalé les mots transcrits selon une lecture conjecturale par un astérisque qui les précède, comme dans ce cas: «*le *front *bouclé»;

  • nous avons mis entre parenthèses certaines parties du texte encerclées par l’auteur, comme dans ce cas: «(à cause de la fumée son rire était gras et roulait longtemps dans sa gorge)»; dans d’autres cas, les mots encerclés constituent une insertion de l’auteur, que nous signalons entre accolades, comme nous l’avons déjà montré; nous avons enfin signalé dans les notes les parenthèses déjà présentes dans le manuscrit;

  • les lignes horizontales tracées par l’auteur pour séparer les différentes parties de son texte et surtout pour séparer le texte de ses commentaires ont été reproduites par des lignes continues, dans le cas des lignes droites, ou par des lignes discontinues dans le cas des lignes ondulées; elles s’étendent sur tout l’espace du feuillet ou sur une partie: nous avons essayé de reproduire cette dimension spatiale.

64Nous avons essayé de respecter le plus possible les détails graphiques du manuscrit, en ce qui concerne ces aspects:

  • la graphie des mots (par exemple banknotes n’a pas été transcrit bank-notes);

  • la division entre les paragraphes du texte, que nous avons soulignés par des alinéas simples, sans retrait de la première ligne, absent dans le manuscrit;

  • la position des mots ou des phrases sur les feuillets, par exemple dans le cas du commentaire encerclé «ici à voir» (f. 4 r°), que nous avons situé sur le côté droit du feuillet, comme dans le manuscrit;

  • les guillemets qui introduisent les discours directs des personnages, qui ne sont reproduits que quand ils sont présents dans le manuscrit.

65Nous avons cependant intégré les quelques accents absents sans les signaler: leur absence ne nous semble pas un phénomène qui caractériserait de manière spécifique la langue de l’auteur, mais plutôt le fruit d’une écriture hâtive dans certains passages. Par exemple, les mots «léger»/«légers» sont écrits tour à tour sans accent ( f. 1 v°, 3 r°, 4 r°) ou avec accent (f. 3 r°, 8 v°, 10 v°): l’accent n’est pas présent justement dans les passages ou la graphie est moins claire, moins soignée. Il faut aussi remarquer que les accents aigus, graves et circonflexes sont souvent écrits de manière semblable les uns aux autres.

66Je remercie l’IMEC, les ayant-droits et M. Olivier Philipponnat pour la consultation et l’étude des manuscrits. Je remercie M. Olivier Philipponnat pour ses précieuses suggestions pour la transcription et la révision du texte et Mme Olga Anockhina pour l’aide avec les passages en russe. Je sais gré à Mme Liana Nissim et M. Jacques Neefs de leur relecture et de leurs conseils. Je remercie enfin surtout mes directeurs de thèse, Mme Rosanna Gorris Camos et M. Dominique Viart, pour leur soutien constant dans toutes les phases de mon travail, de la recherche à la publication.

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Allegato

f. 1 v° Les Jardins de Tauride variantes de début

<Elisabeth ouvrit {H brusquement} les yeux. La lune était levée. Elle ne se souvenait pas comment on l’avait couchée {…} éclatante et ronde dans un ciel solennel, pur, illuminé d’une sourde clarté bleue. Serge et Tonia dormaient, sur un matelas jeté à terre, dans un coin de la pièce. Pour elle, la plus petite, on avait dressé un lit, une vieille paillasse bruissante, pleine de feuilles sèches. La lune éclairait le parquet poudreux……………….

 

Variantes:

Au milieu de la nuit, la petite Elisabeth ouvrit les yeux. On l’avait couchée à terre, dans une vieille paillasse pleine de bruissantes feuilles sèches, etc…>

………………..

Au milieu de la nuit, les Doorn se réveillèrent. {H Les *Doorn64 étaient} réveillés et comptaient leur argent, à la lueur d’une chandelle allumée. La petite Elisabeth les regardait, les yeux grands ouverts. Tout était pareil à un songe. La lune brillait au ciel, éclatante et ronde, répandait une sourde clarté bleue. Dans la cour de l’auberge, un peuplier était planté dans la poussière et chaque fois que soufflait le vent, les feuilles sèches et dorées étaient parcourues d’un frémissement rapide et léger, comme un élégant [1 mot. illis.], comme un bruit de soie froissée. Les Doorn comptaient les banknotes. Le père les sortait de ses vêtements. «Il ressemblait à un prestidigitateur», pensait la petite Elisabeth.

Ils étaient assis sur le lit {H matelas jeté à terre} et une chandelle allumée, posée dans le goulot d’une bouteille éclairait leurs visages. Il était rond, roux, avec de grosses joues tombantes, roses et tavelées, comme un fruit, un peu mûr, rongé par les mulots et les guêpes, elle, blanche, grosse, le double menton, les cheveux noirs, les yeux doux et endormis, un rire {H généreux} et las qui fait trembler la gorge débordante, la taille grasse, ses seins. (Ceci se passait en 19 Ceci se passait en 1920, dans un petit village de Crimée)

 

Mais bien sûr, pas ainsi, mais il faut préciser la date et le lieu

 

<Elisabeth se tourna sur le côté, regardant de ses grands yeux cette chambre que {H d’auberge} {B inoubliable}.> À Yalta

La chambre, l’unique chambre, les hôtels, les

maisons La chambre était blanchie à la chaux, le plancher grouillait de cancrelats et de blattes. <La gouvernante installée à terre, gémissait, et se retournait dans son sommeil, répétait tout bas: «How awful…»> {H C’est complètement} {M idiot pour la gouvernante! Il faut que les enfants soient seuls!!!}

Elisabeth rit silencieusement; c’était une petite fille de six ans, silencieuse, *le *front *bouclé65, avec une ronde figure pâle, de grosses boucles noires, des yeux gris, de doux yeux étonnés. Elisabeth couchait tout habillée; on lui avait retiré seulement sa veste blanche, son corsage et la grosse jupe bleu marin, plissée à gros plis.

f. 2 r°

18 avril 1934

<Personnages:

Les Doorn.

Le père. Arnold Je vois le père. Petit, gras et rond, comme une boule, roux, un>

C’est exaspérant. Je m’étais débarrassée {H croyais m’être débarrassée} de cette manie d’écriture qui me prenait un temps infini, sans aucun avantage, et voici que ça me reprend; je recommence à calligraphier, je m’énerve. Il faut absolument66 trouver le moyen de perdre cette funeste et stupide habitude67. D’autant plus, que je ne veux, de nouveau – mais pour combien de temps, Seigneur? – un [1 mot illis.] d’écriture68, et Jardins de Tauride69 cela me plaît – pour le moment, du moins. Personnages? Le père, le banquier, le sucrier le Doorn des sucres genre R. Dr.70 gras, fort, roux, rose, les joues en forme de *sacs71, mais tavelées, tachetées, comme des fruits, très mûrs et rongés par de nombreux hivers72; de tout petits yeux brillants, profondément enfoncés[,] l’air bonasse et canaille. De lui Elisabeth aimait surtout les dents. Cela la fascine, à cause des nombreuses dents d’or qui brillent au fond de sa bouche, quand elle rit, et les grandes mains aux doigts couverts de poils roux. Elisabeth, couchée par terre sur la paillasse, pleine de feuilles sèches craquantes, qu’elle partageait avec Mademoiselle, la gouvernante française73, {H craquantes}, regardait les mains de son père, avec leurs gros doigts noueux, couverts de poils roux et l’épaisse alliance, d’un or sombre, presque rouge, compter avec une agilité extraordinaire les liasses de banknotes. Il les sortait de toutes ses poches, tandis que sa femme décousait une ceinture. Avec ses dents aigües – elle n’avait pas emporté de ciseaux, elle arrachait et coupait les fils, et les liasses sortaient, craquantes et fraîches, avec un bruit de papier froissé. Avec une rapidité extraordinaire le père les comptait, glissait un élastique autour de la liasse ainsi *comptée. Elisabeth s’amusa quelque temps à les contempler. Ils ne parlaient pas. À chaque mouvement, la lumière de la chandelle tombait sur la grosse bague d’or, et, sur la main sombre allumait une petite flamme.

La mère se retourna, vit Elisabeth, les yeux grands ouverts[,] et la menaça du doigt:

– Veux-tu dormir?

La petite Elisabeth ferma les yeux, et, aussitôt, les rouvrit, mais de telle façon, filtrant son regard, sous les longs cils, que personne, cette fois, n’eût pu rien voir. Elle n’avait que six ans, pourtant elle était encore sans malices, mais ces choses-là s’apprennent d’instinct. La mère maintenant dégrafait son corsage. Elle était blanche, grasse, la poitrine abondante, la taille molle, un menton renflé et roucoulant comme la gorge de neige d’une pigeonne, des cheveux noirs lustrés {H aux reflets bleu}, des yeux doux, luisants et endormis, des yeux de biche, de gazelle, de n’importe quel doux et docile animal. Elle avait un charmant sourire, doux et paresseux, des dents blanches, courtes et lumineuses. dans à l’autre bout de la pi Sur une paillasse plus large étendus et recouverts tant bien que mal de couvertures de voyage les deux *aînés Serge raturé Richard et Dolly…

f. 2 v°

dormaient côte à côte se lançant des coups de pied, jusque dans le sommeil. Il y avait encore, avec la caravane, qui de Pétersbourg à la Mer Noire, cheminait au hasard des auberges et des routes, l’espoir de s’embarquer sur un bateau français et de fuir la Russie. C’était en 1920 finissait – il y avait encore une femme de chambre, mais, probablement, on l’avait mise à l’abri dans la cour. La veille, en arrivant, quand dans toute la Crimée, on n’avait trouvé que ce misérable village tartare et cette auberge, Doorn avait dit: «Hé bien, la femme de chambre n’a qu’à aller coucher avec les matelots. Cela les distraira et elle aussi. Pourvu qu’il y ait de la place pour nous, et les enfants…».

Levée sur un coude retenant son souffle, Elisabeth chercha à apercevoir la cour. Elle était entourée d’une galerie à claire-voie, si légère qu’elle branlait doucement sous la lune, au moindre mouvement de l’air. Une fontaine coulait lentement et délicieusement dans le silence. Au loin, on apercevait vaguement les collines et des cyprès. La terre, le ciel, les cimes des montagnes et des arbres étaient illuminés d’une clarté tranquille, d’abord bleue et qui devenait argent à mesure que la lune se levait. Dans la mémoire d’Elisabeth tout se confondait. la longue route, les dangers, les fatigues, tout cela était aboli, n’existait plus, n’existerait jamais plus, comme disparaîtrait, sans traces, l’image de St. Pétersbourg, de la ville où elle était née, de l’appartement surchauffé, chargé de fleurs, comme une serre, de sa chambre, de ses jouets, de ses amis, des grands-parents qui avaient pleuré en la voyant partir, qui avaient secoué tristement leurs vieilles têtes, murmuré:

– Nous sommes trop vieux pour entreprendre un long voyage. S’il faut mourir, que ce soit ici ou là, comme ceci ou autrement….»

Mais le père avait répondu, avec son sourire satisfait: (à cause de la fumée son rire était gras et roulait longtemps dans sa gorge)

– Je n’ai pas envie de mourir encore! 

f. 3 r°

Tout cela serait perdu pour Elisabeth, qui avait six ans, et qui était plutôt endormie. «Pas une vraie Doorn, les ainés sont différents, disait son père. À son âge, j’étais éveillé comme une souris. Cette petite ne sait pas la différence qu’il y a entre un rouble et une feuille sèche…».

Elisabeth se retourna et écouta avec une rire plaisir *infini{H joie silencieuse *parfaite} le bruit des feuilles craquantes dans la paillasse. Combien cela valait mieux qu’un lit.

Mme Doorn, Stella Doorn <(elle s’appelait Sara, en réalité; mais ainsi son père {H mari} avait commencé à la nommer avec son premier million)>74 avait défait son corsage; doucement elle tira une sacoche de daim grise, serrée entre les seins; elle l’ouvrit. Elisabeth vit les diamants; elle se souvenait de la nuit où ils étaient partis. Dolly avait aidé leur mère à défaire le fil des colliers de perles. Mon Dieu, que de cachettes, songea Elisabeth délicieusement [1 mot illis.] Dolly, les yeux brillants, avait longtemps joué avec les pierres; brillantes Dolly n’avait pas de plus grande joie que de parer son cou blanc, en miniature, celui de Mme Doorn, gros, blanc, renflé, avec ce doux mouvement en avant et ce reflet de neige d’une gorge de pigeonne. Elle n’avait pas de plus chères délices, que de se parer avec des bouts de gaze jaune, et de vieux oripeaux, des colliers de cailloux du Rhin et rire à son image. Dolly, à douze ans, était l’image, miniature de sa mère, ses yeux, ses dents, son teint blanc, etc.

………………..

Elisabeth s’endormait, en poussant de doux et profonds soupirs qui soulevaient sa poitrine. Elle avait l’habitude de coucher habillée. Depuis près de deux ans, on se contentait de retirer aux enfants leurs robes et leurs souliers, pour être prêts à fuir au milieu de la nuit. À Pétersbourg… Elle revit tout à coup sa chambre à la maison, la tapisserie de petites roses peintes, et la gouvernante anglaise qui dormait la bouche ouverte, une drôle de grande bouche, noire, sans dents. À mesure qu’elle s’endormait, cette bouche la happait comme un gouffre d’ombre. De nouveau, elle s’éveilla, en tressaillant. Ce qui lui manquait c’était {H ces coups de feu} [,] ces claquements légers, secs, tantôt lointains, tantôt proches, qui, au milieu de la {commençaient} dès que la nuit venait et jusqu’au matin, furtifs, légers, de l’autre côté de la rivière, s’appelant, se répondant… C’était extraordinairement amical et depuis qu’Elisabeth avait une mémoire,

f. 3 v°

ils avaient toujours accompagné son sommeil… Elle ne comprenait pas pourquoi les grandes personnes la regardaient avec un air étrange, lorsque cela recommençait. «Soir après soir, il y a de quoi devenir fou», disait le père. La chambre, à la maison, les lointains coups de feu, derrière les vitres, puis la route. Elle oublierait tout. Elle se souviendrait seulement de ce chemin dans la montagne, en voiture. Ils allaient très lentement, les bagages, la bonne, chargés sur d’antiques fiacres au ressort cassés75. Pas d’autre véhicule de Simferopol à Yalta. Il avait bien fallu s’en contenter. Cependant, le père avait payé, offert tout ce qu’il avait fallu… Il avait toujours la main à la poche: «Combien?». Mais cette fois-ci, cela n’avait pas réussi. Les hommes avaient secoué la tête d’un air sombre. «C’est tout ce qu’on peut vous donner. Prenez ou ne prenez pas la voiture?… Nous autres…». Étrange route. Du jour {H matin} au crépuscule, montant sur une route en lacets qui surmontait la mer. Pour la première fois de sa vie, Elisabeth voyait la mer. Elle cherchait à deviner pourquoi on l’appelait la Mer Noire [,] {H elle était bleue}; il était vrai {H mais lorsque} le soir avait commencé à tomber, elle avait pris tout à coup une teinte sombre, lugubre, presque violette. Dolly bâillait, mangeait des fruits et Richard lui tirait les cheveux. Elle s’endormit encore une fois, se réveilla, revit, moitié en imagination, moitié en songe le marché, à l’aube, sur la poussière {H place} de la ville, dans la poussière. Les tartares en turbans gris qui tendaient des petites pierres précieuses dans des sacs de peau. Pour Dolly et pour elle-même, son père avait acheté des colliers de pierres bleues; il était toujours prêt à acheter n’importe quoi. Elle

f. 4 r°

toucha de la main à moitié endormie, les perles bleues qui entouraient son cou. La chandelle, quand soufflait le vent, baissait et relevait sa flamme. Quelqu’un siffla. Un homme ou un oiseau. La fontaine coulait avec un doux bruit mystérieux. Madame Doorn acheva son travail; elle avait cousu dans les ceintures les perles détachées de son collier; <elle prit la robe, la jupe marine d’Elisabeth jetée sur une chaise, tira fortement sur l’ourlet. «L’étoffe paraît solide; je pourrai envelopper les émeraudes dans de petits bouts de ouate, et les coudre à la place des plombs. On ne s’apercevra de rien? Qu’en penses-tu?» demanda-t-elle.

Doorn haussa les épaules:

– Si on fouille, nous sommes fichus d’une façon ou d’une autre mais le commissaire a l’argent. De toute façon nous sauvons notre vie.

– C’est affreux, dit-elle, mais sans s’émouvoir. Depuis que la Révolution était commencée, s’il avait fallu trembler à chaque moment, on serait mort de frayeur. Sa nature indolente ne la portait pas à l’inquiétude.>

(ici à voir)76

Elle prit un savon, le coupa délicatement en deux, glissa une des pierres, la plus grosse[,] à l’intérieur, puis bâilla:

«Allons nous coucher…»

Quand une dernière fois, Elisabeth ouvrit les yeux, vers le jour, elle ne vit plus son père, ni sa mère; le ciel était rose, les murs crépis à la chaux, roses aussi, d’une tendre et douce couleur. Et un tartare en large robe, debout sur le petit léger balcon de bois chantant des prières dans une langue incompréhensible…………………………………

..........................................Je sens qu’il y a là quelque chose de précieux que je n’arrive pas à exprimer. (comme dans Dimanche77 d’ailleurs…) Est-ce la fatigue? ou d’avoir trop travaillé, ou pas assez?

Il faudrait voir du dedans l’aventure, du dedans de tous ces êtres, mais que cela soit rapidement fait…..

f. 4 v°

La bonne, une grosse fille, aux {H petits} yeux {H enfouis}, noirs {H comme des raisins de Corinthe} et aux grosses joues jaunes et bouffies, avait ri tout haut. «Monsieur avait toujours le mot pour rire…». Mais depuis elle avait effectivement disparu.

Le marché. Le vent soulevait les portes claquantes; l’air sentait une forte odeur de marée et de fruits mûrs, écrasés au soleil. En venant du Nord affamé, cela faisait un effet (donnait une sensation)78 étrange: ces brouettes pleines jusqu’aux bords de pastèques vertes, pâles et rondes comme la lune. Les piments, les tomates, les grosses aubergines luisantes aux panses violettes pendaient avec des chapelets d’oignons autour des établis. Les marchands ouvraient le ventre rouge des poissons. Le sol était parsemé d’éclats d’écailles nacrées, fragiles et brillantes comme de petites perles. «Quelle horreur, avait dit Dolly, quand Elisabeth s’était baissée pour les ramasser. Dolly… Elisabeth la voyait, étendue non loin d’elle, déjà ronde et formée comme une femme, la gorge blanche soulevée par la chemise. Elle avait des longues boucles noires, soigneusement roulées, comme celles d’Elisabeth en temps ordinaire, car, depuis que la gouvernante était partie, Elisabeth était plutôt échevelée et déper {H mal soignée}. Elle avait un teint de neige, délicat comme la fleur de pommier {H et blanc de sa mère, des yeux extraordinairement} brillants. «Elle perdra beaucoup de cœurs…» ou «Combien d’hommes deviendront fous à cause de ces yeux-là……

……disaient les officiers……

Arnold Doorn posa les liasses sur la table et son poing par-dessus, appuya fortement, fit crisser et grincer le papier. Il y avait des livres, des dollars, des francs, et de l’argent russe, des assignats pour plusieurs millions sans aucune valeur, mais il ne pouvait pas s’en séparer. C’était comme si on lui eût arraché le cœur. «On ne sait jamais, décida-t-il tout à coup, je les garde…» Il soupira profondément, regarda, sans le voir, le petit balcon [1 mot illis.], à claire-voie, *léger et argenté sous la lune. Demain, merci à Dieu, ils seraient loin………………

..........................................................................................................................................

f. 5 r°

Stella Doorn bâilla doucement: «tout cela est bel et bon pensait-elle, mais si nous sommes pris…» toutefois, cela laissait son imagination tranquille.

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Oui, c’est assez difficile de montrer cette femme si tranquille et si sûre d’elle. Si on le fait, elle devient immédiatement sympathique. En réalité, une grosse Juive, comme cela, se lamente, dès qu’une chose ne va pas. La vérité serait:

Stella Doorn, gémit: «Oh, mon cœur», dit-elle, en portant la main à sa blanche et vaste poitrine, mais Doorn, les sourcils froncés, n’avait pas entendu. Il parlait rapidement et à voix basse. Elle vit remuer ses lèvres.

– Qu’est-ce qu’il y a? dit-il timidement.

Il la regarda sans la voir

– Douze mille et deux, quatorze mille, murmura-t-il rapidement, quatorze et sept, vingt et un…

Il répéta si longuement en chantonnant: «vingt et un, vingt et un», qu’Elisabeth entendit comme un doux ronronnement confus s’échapper de ses lèvres. Elle s’endormit profondément.

<Zut! Je ne vois pas la mère Doorn! Ou, du moins, je la voyais si bien et maintenant, elle se brouille… Pour que son {H augmenter} {M la} blancheur de son teint, de neige, pourtant, sous les cheveux noirs, elle le recouvrait d’une poudre d’un blanc de craie. Elle était… Je voudrais en faire une vraie Orientale, grosse, ronde, blanche, les cheveux lustrés, un double menton tremblant>

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Stella Doorn repéra la petite jupe d’Elisabeth, à peine alourdie. C’étaient de toutes petites émeraudes, mais elle y tenait; elles étaient si pures, si vertes, d’une si belle eau. En somme, elle n’aimait que deux choses au monde, les pierreries et les sucreries.

Elisabeth écarquilla les yeux. Ainsi, dans cette chambre étrangère, dans ce demi-sommeil, il lui sembla tout à coup qu’elle ne reconnaissait pas sa mère, cette grosse dame, très blanche, avec une molle et ronde poitrine, une voix gémissante, une peau douce, au parfum {H comme du rahat-} loukoum79, au parfum un peu rance, mais cela, il ne faut pas le dire….

C’est très difficile de faire la mère: j’aurais voulu, si Elisabeth arrive en retard, la faire se précipiter sur elle, en criant: Et les pierres? Tu n’as pas perdu les pierres? ou quelque chose s’approchant. Mais ce serait la rendre odieuse et pas vraie. Faire d’Elisabeth une enfant peu aimée? Non, pourquoi? Il s’agit de trouver quelque chose de plus délicat, de plus subtil, pour montrer l’incompréhension réciproque. Peut-être, au contraire: sa mère la prit sur ses genoux, la caressa: «Pauvre petite chérie, tu avais peur? Est-ce que tu croyais qu’on t’abandonnerait? Ah, vivement, quitter ce pays? songea-t-elle, que les enfants, du moins, ne souffrent plus!.. [»]80

f. 5 v°

<Le lendemain, ils {H les enfants} se lavèrent dans la cour intérieure. Jamais Elisabeth ne devait oublier>

– Tu sais bien, Arnold, que je ne veux

<Stella Doorn cousait les diamants en soupirant tranquillement, exactement comme elle>

Elisabeth voyait la main de son père….. l’alliance…… et la nuque blanche de la mère penchée, sur laquelle poussait un renflement de chair {H grasse, un peu saillante} [,] blanche! Il lui semblait par moments qu’elle ne la reconnaissait pas. Puis tous deux disparaissaient, se fondaient devant ses yeux. Ils étaient… étrangement enviables, par moments, les parents. La grosse femme de chambre, avec ses joues rondes, comme soufflées intérieurement et ses petits yeux enfoncés, brillants et noirs comme du raisin de Corinthe, était terriblement visible et présente. Ainsi, le concierge de la maison à Pétersbourg, avec sa moustache jaune, et ses dents blanches et cassées. Mais le père, la mère étaient des ombres invisibles, lointaines, une vague fumée, sur laquelle se détachaient l’alliance rouge-or ou cette nuque de sa mère blanche, épaisse, recouverte de poudre et de crème.

Elle avait une peau douce, semblable à du rahat-loukoum.

– Dors, dit-elle en se tournant vers Elisabeth, le doigt sur les lèvres.

Oh, mon Dieu, traîner tous ces enfants et {H derrière elle} était au-dessus de ses forces… Sans gouvernante, ni femme de chambre, les laver, les peigner… Les grands, naturellement, donnaient d’autres soucis… Richard, toujours {H en avant}[,] bavardant, prêt à raconter toutes les histoires, à tous les gens que l’on rencontrait, et en un temps comme celui-ci, savait-on seulement si ce n’était pas des voleurs ou des provocateurs… Dolly, coquette et lançant des œillades aux officiers… Mais le plus dur était Elisabeth.

 

Non, évidemment, c’est trop vrai, et grossier et appuyé… Il vaut mieux, je pense, voir ceci uniquement des yeux de la petite Elisabeth, mêlé au rire, au souvenir, à une songerie vague, imprécise.

 

Elle avait ouvert et fermé les yeux, à deux ou trois reprises, très rapidement, jusqu’à ce que tout commençait à flotter doucement à travers la chambre. La lumière de la lune était si éclatante, qu’il lui

f. 6 r°

semblait voir se soulever et flotter en l’air, doucement portés par les flots de la lune, la table de bois, les paillasses, son père et sa mère. Elle trouva si étrange *cette image de sa mère, grasse, vigoureuse, aux formes abondantes, aux chairs blanches, qui s’en allait, vaguant à la dérive, tenant toujours dans sa main des perles qui luisaient d’un doux éclat laiteux, comme des baies sauvages, qu’elle rit tout à coup, doucement, dans le silence. Les Doorn tressaillirent.

– Au nom de Dieu, qu’est-ce que c’est? se récria le père. Stella s’arrêta, l’aiguille en l’air.

– Ce n’est rien, Elisabeth qui rêve, répondit-elle, et elle versa dans le creux de sa main les perles défilées de son collier, et de là dans une petite sacoche de daim gris et les glissa entre ses seins, dans son corsage.

Dehors, la lune étincelait et brillait, une lune du Sud, telle que sur le peuplier un oiseau se réveilla et pépia doucement. Les feuilles du peuplier, rondes et jaunes, bruissèrent faiblement, en luisant comme des pièces d’or81.

Elle bâilla:

Crois-tu que nous pourrons partir demain? je ne peux pas croire que nous arriverons à la fin à quitter ce maudit pays? et toi? C’est comme un rêve, dit-elle.

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Ma première idée était différente en ce qui concerne la mère. C’était une Mme Rubinstein, grosse, épaisse, importante, avec de grosses joues, couvertes de poudre blanche et suant de peur.

f. 6 v°

Le lendemain, ils se levèrent avec le soleil. Ils sortirent tous, en courant, de la chambre, leurs pieds nus appuyés sur les planches de la petite galerie faisaient soulever un tourbillon de poussière épaisse et jaune. Ils se lavaient à la fontaine. La petite Elisabeth arrivait toujours la dernière et recevait de l’eau dans ses grands yeux étonnés. Richard était un garçon aux courtes et grosses cuisses roses, aux boucles noires de peintre napolitain, de grands yeux noirs, immenses, voilés de longs cils soyeux, et un nez crochu. La petite Elisabeth était étonnamment semblable à un bébé, avec un petit corps rond, doux, qui roulait encore du haut d’un escalier, sans se faire le moindre mal, une ronde et douce figure aux traits indécis, avec une petite bouche, toujours à demi-entr’ouverte, des boucles noires, rondes, bien serrées dansant (pourquoi, Seigneur?)82 autour de son visage. Un corps et un visage de bébé, doux, gros, ronds, indécis, mais les années passées sans se {H le teint d’un enfant} de Petrograd – c’est-à-dire, farineux, verdâtre, avec une peau {H chair légèrement} bouffie, qui n’avait ni {H blancheur, ni} *roses ni surtout la lumière intérieure des joues……………..

et des grands yeux bleus, comme le ciel83.

…Ils prenaient l’eau dans leurs mains et la jetaient au hasard sur leurs visages et sur leurs petites épaules nues. {B L’eau ne coulait pas mais demeurait *figée en perles rondes et brillantes} La bonne avait disparu. Avait-elle pris goût aux matelots [?] Avait-elle seulement passé la nuit avec eux? Personne d’entre eux ne le sut jamais. Ce fut Dolly, qui eut, la première, l’idée brillante de ne rien dire à leur mère! 

«Comme cela, nous serons libres d’aller promener {H où nous} voulons, jusqu’au soir», dit-elle, en songeant qu’ils pourraient descendre à Gourzouf84, voir les officiers de l’escadre. Elle sauta de joie.

Elle monta frapper à la porte de sa mère….

…Elisabeth l’entendit parlementer. Elle revint bientôt, rouge et les yeux brillants:

– Maman a dit que nous pourrons aller où nous voulons; naturellement, elle nous croit avec Macha. Elle a même permis de prendre nos provisions dans un panier et de déjeuner dans la campagne, dit-elle.

f. 7 r°

Ils ramassèrent les provisions dans un petit sac, resté les provisions, restées de la veille. Il n’y avait pas grand’chose. Depuis longtemps, on avait appris à se contenter de peu. Du pain noir, du jambon sec et dur comme une semelle, mais {H de la viande en conserve,} des fruits en quantité… Ils s’enfuirent doucement, sur la pointe du pied. Derrière eux, par la petite lucarne, ouverte, la voix du père leur parvint. «De retour avant le coucher du soleil, hein?»

– Mais où est Macha? demanda enfin Elisabeth après un moment de marche soucieuse. Les aînés ricanèrent. Cette Elisabeth… À huit ans, elle ne comprenait pas plus de choses qu’un bébé. C’était inutile d’essayer de lui expliquer. Ses grands yeux rêveurs se fixèrent sur Dolly avec une expression si douce, si innocente, que malgré elle, Dolly se sentait gênée. Rien n’était plus stupide que cette petite fille. Elle demanda encore au bout d’un moment:

– Tu crois que maman ne s’a {H ne} serait pas venue avec nous?

Richard et Dolly se poussèrent du coude en ricanant. Ils savaient à quoi s’en tenir. Il n’y avait pas de place sur le [1 mot illis] {H bateau} pour Bon Ami85… Mais il était en ville, avait couché quelque part… C’était pour cela que leur mère était de mauvaise humeur et rudoyait tous ceux qui {H lui} tombaient sous la main.

La matinée était pleine de soleil; on était au mois d’août. Quand ils avaient quitté Pétersbourg déjà tombaient les feuilles, mais ici l’été semblait les avoir rattrapés. Les grands connaissaient la Crimée, le Caucase et l’Europe, mais la petite Elisabeth avait ouvert ses yeux à la vie de la terre, si peu de temps, avant la guerre qu’elle ne connaissait que Pétersbourg, les rues, les maisons de pierre, et les tristes arbres des squares, parfois, mais, depuis longtemps, on n’allait pas de ce côté-là, car il fallait traverser l’eau et les mitrailleuses étaient installées sur le pont, (un tir de mitrailleuses étaient installées sur le pont,)86ils n’allaient plus qu’au jardin d’«Eté», où fleurissaient, entre les arbres, les vases de porphyre pourpre87.

 

NB. Pour que cela paraisse plausible il faut montrer une mère (celle-ci, ou {H une} autre, ne s’occupant guère de ses enfants[)]. Peut-être, dans *un *court! *livre, un amant ne serait pas de trop?88 Oui, je crois…89.

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La petite Elisabeth jusque-là avait rarement vu ses parents et jamais elle n’avait couché dans leur [1 mot illis.] cela la gênait etc.

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Stella soupira, pensant à Serge qui devait les rejoindre90. «Si seulement, elle pourrait dans la journée, se débarrasser d’eux… Se quitter ainsi? Quand se reverrait-on, seulement?» Elle mit sa tête dans sa main.

– Eh bien, dit son mari avec impatience. À quoi rêves-tu? 

– Laisse-moi tranquille, je te prie, avec ton argent et tes diamants… tu ne penses même pas à l’avenir etc. etc. etc.91.

(NB Lorsque j’ai trouvé une mère odieuse, aigre, détestable, cela va tout de suite mieux!)92.

f. 7 v°

dons des empereurs, et les statues enfermées dans des caisses, depuis l’automne de 1917, et que l’on n’avait pas déclouées encore, qui regardaient les passants entre les planches déclouées, de leurs yeux blancs, calmes et vides, comme dans les interstices d’un cercueil. Du vaste monde, la petite Elisabeth ne connaissait que cela, des rues vastes, désertes, l’hiver un cheval mort, couché aux pieds d’une borne, l’été la poussière épaisse qui volait dans le jardin, où elle remuait mélancoliquement le gravier poussiéreux avec sa petite pelle. Sous la grille du jardin passait le canal qui répandait une odeur étrange, fade, poisseuse et puante. Un jour, un petit remorqueur noir avait passé sous le pont et Elisabeth trembla de bonheur à ce souvenir. De la grosse cheminée noire, d’où sortaient de si étranges et lugubres gémissements, un flocon de fumée avait monté vers le ciel, d’un rose, pur et délicieux. Un rayon du soleil couchant, ou bien elle avait mêlé la réalité et le songe, elle commençait à savoir que cela lui arrivait parfois, elle n’avait jamais su…

Pour le moment, elle courait derrière les grands, désemparée, perdue. Le soleil brillait, et, comme il était très tôt encore, l’air semblait voilé d’une toile légère d’araignées brillante et argentée, et dans ses mailles invisibles, le soleil était pris. L’air sentait une très fine et très douce odeur de poivre. La canonnade, comme dans tout le reste du monde, avait à demi détruit le village. Certaines maisons effondrées, avec leurs quatre murs blancs, leurs toits plats, à travers lesquelles ruisselait le soleil. La mosquée était intacte. Au coin d’une rue, une vieille presse demeurait debout, et un gamin tartare écrasait les grappes. L’air sentait une odeur de raisin mûr. Elisabeth marchait légèrement dans la poussière. Elle regardait tout; ses grands yeux bleus avaient une manière à eux de s’ouvrir largement et de demeurer ainsi fixés sur les êtres et les choses, avec un doux regard innocent. Sur la plage les galets ronds et mouillés étincelaient au soleil, comme des œufs, des gros œufs blancs et ronds.

Elisabeth *était *serrée à côté de sa sœur.

f. 8 r°

– Je voudrais descendre jouer sur la plage, Dolly…

– Laisse-moi, dit Dolly, avec impatience. Elle s’approcha d’un matelot.

– Pouvez-vous me dire où est l’escadre?

Il la regarda et lui sourit. Le monde entier souriait à Dolly. Elle avait des airs si gracieux et si tendres lorsqu’elle le voulait bien.

– L’escadre? répondit-il. Il y a beau jeu qu’elle est partie.

Dolly était tellement furieuse qu’elle ne voulait ni rebrousser chemin ni permettre à Elisabeth d’aller jouer avec les galets. Elle demanda où menait la route, entendit un nom tartare, que personne ne comprit. Ils partirent.

Jamais Elisabeth n’avait rien vu de semblable. Des petites fenêtres crasseuses du wagon, de certaines gares, d’abris en bois où ils avaient dormi, elle avait vu des champs et des bois, mais elle était trop fatiguée, souvent elle avait faim. Seulement, maintenant, c’était tout autre chose… Elle aspirait cet air pur chauffé de soleil et qui laissait sur les lèvres une saveur étrange un peu salée, un peu amère, étrange et douce, comme le goût des larmes. La terre était rouge parsemée de points brillants. Les papillons volaient, s’élevaient des touffes de fleurs qui poussaient dans les pierres de chaque côté du chemin. Ayant regardé les papillons, elle regarda les pierres; elles étaient très grandes, très lourdes, surmontées d’une stèle d’une forme étrange; elles parsemaient le champ à une grande distance l’une de l’autre, effritées, tombées sur le côté, ornées d’inscriptions en une langue incompréhensible.

– Qu’est-ce que c’est? demanda Elisabeth.

– Un cimetière tartare, sans doute, répondit l’un d’eux93.

Elisabeth regardait ce champ, ces roses, ces calmes pierres, et ne pouvait lier sa pensée, ce qu’elle voyait [,] à l’image de la mort, à ces cadavres que l’on voyait quelquefois dans la rue, tombés sous les balles, et que personne ne se hâtait de ramasser. Ce fut en ce moment seulement qu’elle s’éveilla. Elle était sortie sur le balcon et, aussitôt, avait pénétré dans un beau {H un} merveilleux «no man’s land» de l’enfance, lorsque le monde extérieur disparaît à nos yeux, et il ne demeure plus qu’un doux bien-être, la chaleur du soleil, un brin d’herbe, démesurément grossi, qui prend la place d’une forêt, en esprit, et le reste n’est plus. À ces moments-ci, un monde intérieur différent, où tout était peint à une échelle réduite, mais avec des couleurs douces et dorées, comme en songe se levait dans l’âme d’Elisabeth.

v. Aziyadé94

f. 8 v°

Monde de fées, de lectures, où elle tenait un long, un interminable dialogue avec un jouet cassé. Elle se rappela avec un choc de chagrin que la mère l’avait jeté hors de la voiture: «Nous sommes assez encombrés de saletés!…» Cependant, elle avait permis à Richard de garder tous ses jeux et ses livres… Elisabeth sentait rarement son cœur s’alourdir d’envie: elle avait une nature rayonnante, heureuse, optimiste, qui la portait à considérer l’heureux côté des choses.

Elle marchait derrière Dolly et Richard, qui se tenaient par le cou et parlaient à voix basse, avec des ricanements étouffés. Elisabeth ne marchait pas. Elle faisait deux pas, comme une personne ordinaire, et, tout à coup, son pied gauche l’entraînait à faire un bond léger, en avant, comme un envol. Elle s’arrêtait, secouait ses cheveux et tendait l’oreille. Un bourdonnement doux et étrange sortait des feuilles, de l’herbe. De si haut, on n’entendait pas le bruit de la mer. Elle était plate {H (déserte)}95 et brillante, sans une voile, sans une fumée.

– Demain, dit Dolly, nous serons sur le bateau.

– Nous vivrons sur le bateau? demanda Elisabeth, toujours?

– Mais non, sotte! Cette petite est idiote!

– Je ne savais pas, expliqua Elisabeth d’un ton doux. Elle montra du doigt les fleurs qui poussaient entre les pierres:

– Je peux les cueillir? comment crois-tu?

Dolly ne répondit même pas. Mais, à la réflexion, Elisabeth les laissa. Un gros bourdon velu était entré dans le cornet d’une fleur.

Dolly songeait aux officiers de l’escadre. Elle en rêvait depuis qu’ils avaient quitté Pétersbourg. Et voici qu’ils étaient partis maintenant. Elle avait treize ans, et en elle brûlait, dans son sang brûlait le feu maternel.

– Je voudrais, songea-t-elle, connaître des hommes, des vrais. Je suis une grande fille…».

Elle se rappela avec un délicieux frisson comment le matelot avait regardé ses bras nus. Mais un matelot grossier… Les officiers de l’escadre française sont vêtus de blanc…

Richard écrasa du pied le bourdon et essuya son soulier à l’herbe.

f. 9 r°

Elisabeth poussa un faible cri étranglé, se jeta vers lui, le frappa de toute la force de ses poings.

– Méchant, méchant garçon! Pourquoi as-tu fait ça?

Richard ricanait méchamment. Dolly dit d’un ton de menace:

– Tais-toi! Sinon, nous te laisserons seule ici! Les morts te mangeront.

Elisabeth lui lança un coup d’œil triste et étonné et se tut. Son cœur était brusquement gonflé de peine. La vie était détestable. Elle aurait voulu pousser Richard du haut des rocs et le précipiter à la mer, et si elle n’avait pas eu la conviction que Richard, si gros, si méchant, si «capable»96, aurait fait un bond dans l’air comme les poissons et serait retombé sur ses pieds, Richard, peut-être, n’eût jamais été aussi près de sa fin.

Ils arrivèrent à Soouk-Sou97. Le cimetière finissait aux pieds d’une vieille grille descellée qui pendait arrachée par morceaux. Au bout d’une allée apparaissait une maison blanche98. Ils s’arrêtèrent. Elisabeth passa la tête entre deux barreaux des grilles. Le silence était surprenant. Les fenêtres, de larges baies brillantes, semblaient ouvertes. Mais, à les regarder de plus près, ils virent que les vitres étaient cassées, que certaines de baies pendaient au dehors, à peine retenues par le bas et ondulaient paresseusement au vent du matin.

– Entrons, chuchota Dolly.

Elles entrèrent {B et Richard, prudemment, derrière elles, à qq.99 pas de distance}. C’était un parc abandonné, plein d’herbe et de fleurs sauvages, une maison blanche et des colonnes de marbre. Ils tournèrent délibérément le dos à la maison et s’enfoncèrent dans les arbres. D’immenses palmiers, aux troncs envahis de touffes de mousse argentée, avaient formé une allée. Maintenant le sable, le fin gravier rouge était couvert d’éclats de terre et les {H des} graines sauvages avaient germé. C’était une forêt d’eucalyptus. Elisabeth, consolée, regardait tout autour d’elle, les yeux un peu hébétés. Ils tombèrent sur l’herbe. Tendrement, timidement, Elisabeth toucha du doigt ces hautes herbes qui montaient jusqu’à sa ceinture. Elles lui chatouillaient doucement les jambes. Elle en cueillit une, à la dérobée. (Au Jardin d’Été la chose était défendue) Un lait odorant en sortit. Elle battait les mains, charmée.

– Du lait! Est-ce qu’on peut le boire?

– Tu t’empoisonneras, ma fille, dit Richard d’un ton sépulcral.

Mais Elisabeth lui lança un regard noir et ne répondit rien.

f. 9 v°

Ils mangèrent et s’étendirent à l’ombre des arbres. Des statues se dressaient, blanches, immobiles en demi-cercle, sur une muraille d’ifs. Les roses sauvages poussaient de partout. À travers les interstices du bois, on voyait briller la mer. Très loin, une bulle de fumée s’éleva et fondit dans l’azur brillant.

Jamais Elisabeth n’avait vu, ni ressenti cet enchantement. Jamais elle n’avait vu autre chose que……

(ici *terminer cadre)100 …. и все прелести…101…une enfant qui ne connaît de la vie que la poussière, les mauvaises odeurs de la ville, le sang, les coups de feu, et au milieu d’un univers *dément de flammes et de sang, une chambre blanche, étouffante, et le miroitement dans les murs ripolinés d’une grosse lampe lanterne. Jusque-là jamais elle n’avait vu, d’ailleurs, le monde extérieur. Elle passait au milieux d’eux, silencieuse, en bourdonnant entre les lèvres mi-closes une petite chanson monotone à demi-éveillée, à demi-endormie, avec son chant d’abeilles, sa petite bouche entr’ouverte et ses grands yeux doux et curieux. Une bille de verre, un bout d’étoffe, des chiffons de gaze. C’était surtout cela qu’elle aimait, les bouts de mousseline, de gaze, toutes étoffes transparentes tombées des jupes de sa mère; elle en enveloppait sa tête, respirant un doux parfum, un peu rance qui s’en dégageait et voyant le monde à travers une mince résille rose ou jaune102. Pour la première fois elle voit, le ciel, les herbes, les arbres…………………………………………………………………

……..

«Regarde, regarde», ricanaient les enfants. Ils riaient, ils avaient commencé par rire d’une voix étouffée. Et maintenant ils ricanaient à pleine gorge, sifflaient, lançaient des pierres.

Le silence, (lorsqu’ils se taisaient)103 était fait d’un bourdonnement argenté, doux et incessant. Des fruits pendaient aux branches, des pommes d’or.

– Des pommes d’amour, dit Dolly,

Elle, dans ce parc désert [,] ne rêvait qu’à l’amour. Comment sortirait de la maison un seigneur {H homme}

f. 10 r°

mince et pâle, qui aurait les traits d’un acteur de cinéma et lui baiserait les mains et les lèvres. Une étrange langueur s’emparait d’elle. Elle sentait le sang monter et battre à sa gorge. Dans l’herbe {H les pierres} un lézard immobile regardait Elizabeth. La petite gorge rose palpitait, se soulevait doucement. Elisabeth vit que les grands l’appelaient.

Ils étaient debout autour d’une des statues et crayonnaient son ventre d’une manière ignoble. {H Elisabeth rit d’abord, puis} Sans savoir pourquoi elle s’assombrit. Les grands lui chuchotaient à l’oreille, avec des {H leurs} joues étaient rouges et brûlantes:

– Tu sais ce que ça veut dire. Regarde… Regarde… Elle regardait et les statues blanches lui inspiraient une sorte de pitié insupportable. Elle se détourna, murmura avec une moue de souffrance:

– Laissez-moi. Je ne veux pas jouer…

Elle s’en alla et se coucha seule, à l’ombre des arbres. De loin, elle les entendit longtemps encore ricaner, chanter d’incompréhensibles chansons……………………………………………

 

Ma fille, au lieu d’essayer à toutes

forces de meubler ce blanc104, ce qu’il faudrait ce serait fournir du canevas et montrer, par ex, qu’il est nécessaire que les Jardins éveillent (et de montrer comment) éveillent un sentiment érotique en Dolly et Richard. Je me demande si, en regardant, en recherchant le vieux Soouk-sou105, je ne trouverai pas ce dont j’ai besoin. On pourrait prudemment s’en servir.

________________________________________

Puis tout ce bruit s’apaisa, se fondit, disparut. Soit ils s’étaient tus, soit…. ou bien, ils s’étaient éloignés, mais Elisabeth restait seule, comme au commencement du monde.

Un peu plus tard, Dolly apparut, les cheveux défaits, sa gorge blanche se soulevant et s’abaissant avec violence. Ses yeux luisaient; des petites gouttes de sueur perlaient à ses tempes. Ses joues étaient rouges et enflammées.

– Est-ce que vous jouez à courir? dit Elisabeth avec envie. Oh, permettez-moi de venir.

Mais Dolly fit un geste impérieux de la main.

– Cette partie {H du bois} est enchantée. Si tu y mettais le pied tu te transformerais en cendres. Je t’apporte à manger pour ne pas que tu tombes dans les griffes de la BÊTE, dit-elle en rapprochant son visage de celui de sa sœur. Elle était excitée par le jeu, le silence la solitude.

– Bien, dit Elisabeth d’un air digne et boudeur.

C’était la première fois qu’elle usait de ces armes, elle, toujours, gentille, accommodante, avec son doux rire et ses yeux de bébé.

f. 10 v°

Elle se coucha, seule, au milieu des hautes herbes. C’était un ancien verger; les {H basses} branches avaient été dévalisées par les enfants des villages, mais sur les cimes pendaient des fruits inconnus, brillant comme de l’or. Quelques-uns pourrissaient tranquillement par terre, piquetés par les oiseaux, rongés par les fourmis, et l’odeur qu’ils répandaient montait à la tête come un vin fort.

Elle ne cherchait pas à se demander où elle se trouvait. Elle avait mangé; elle regarda longtemps, avec une extraordinaire application, les insectes qui bourdonnaient, et leurs minces, petits corps vert et or. À travers les branches on voyait les murs de la maison. Ils étaient roses, mais foncés, en certains endroits comme du corail. Un banc de marbre en demi-cercle entourait les ifs, les buis taillés. Les statues étaient souriantes, immobiles et blanches.

Elisabeth s’endormit. Les bêtes, les animaux dans l’herbe, la frôlaient[,] chatouillaient d’une manière presqu’insupportable ses bras nus. Le soleil avait tourné; elle était couchée dans l’herbe; peu à peu, ses joues si pâles prenaient une transparente teinte rose. Jamais son cœur n’avait battu si doucement. Mais elle ressentait plutôt un certain malaise: l’air était trop pur.

– Je n’aime pas les gens, dit-elle tout à coup.

Elle était consciente106 brusquement, et de l’air, et de la morsure légère des moustiques, et du vent, et du bruit infernal que faisaient Richard et Dolly.

La vie n’était pas semblable – oh, en rien – à ce qu’elle lisait dans les livres. Elle revit la grosse main rousse de son père, sa mère, impatiente, tendrement tournée vers Bon Ami. Qu’est-ce que cela signifiait au juste? Elle savait trop bien que Richard et Dolly seraient très heureux de lui expliquer… La vie était lourde et difficile pour une petite fille. Elle sourit, tendit les mains pour toucher les fruits d’or. Ils brillaient, ils formaient en-dessus de sa tête une voûte étoilée. Le bruit de la mer devenait perceptible à ses oreilles. Il lui semblait vraiment que quelque chose en elle s’ouvrait comme le prophète à qui {H dont} les oreilles s’étaient ouvertes et emplies du bruit et du chant des oiseaux107.

Elle entendait venir vers elle Dolly et Richard; elle se dressa d’un bond et s’enfuit, immobile {H silencieuse} comme une ombre, effleurant à peine l’herbe de ses légers pieds nus. Richard et Dolly la cherchèrent quelque temps, puis crièrent:

– Nous allons plus loin. Nous allons sur la route. Quand tu en auras assez de bouder, tu nous rejoindra….

(Et ici, une chose est claire. Si je fais d’Elisabeth une petite fille, comme Kezia108, je n’arrive à rien. Ce n’est pas mon genre, les petites filles innocentes. Il vaut mieux, d’autant plus que je

f. 11 r°

m’en occupe, chercher m’occupe de mon enfance[,] chercher à *peindre une enfant plus amère, plus vraie.[)]

________________________________________

Elisabeth avait couru vers la maison.

– Je resterai là. Je ne les verrai plus jamais. Ils partiront, songea-t-elle. Je ramasserai les fruits. Il y en a tant et tant. Et on peut vivre seulement de fruits.

Le soleil rougissait sur la mer.

Ce fut alors qu’elle entra dans la maison. Elle était vide……………………………

Décrire la maison, les petits salons mauresques, les fontaines, les incrustations de nacre. Par une imposte brisée l’eau des pluies coulait encore dans la vasque brisée. «J’aime cela, songea Elisabeth.

________________

Ensuite, elle monta dans les chambres, mais le soleil devenait rouge, et, sur la mer enflammée, palpitait un souffle de feu. Les chambres étaient vides. Les brins de paille à terre…. la mule de satin rose au milieu de la chambre…………………………………………………

f. 11 v°

Puis, la peur.

…………..

Elle traversa le cimetière; les pierres d’argent étincelantes formaient à la lune des blocs, les uns noirs comme de l’encre, d’autres d’argent. Elle songeait à son père, à sa mère. Elle sanglotait de terreur. Comme ils lui paraissaient doux, accueillants, amicaux. Surtout ils la protègeraient de toute peine, de tout mal109.

f. 12 r°

Si je fais d’Elisabeth une enfant, comme je l’ai été, j’affaiblis le trait final. D’autre part, je ne veux pas décrire une complète innocence. Qq. genre Kezia et la boite d’allumettes110. Il faudrait trouver en moi, en mes souvenirs, en mes images, le moment exact, où j’ai commencé à entrevoir la vie amère. Je crois que la vérité c’est la vie {H ressentie} par éclairs et pour le reste l’engourdissement délicieux de la première enfance, le moment où l’on est encore à demi-plongé dans des douces ténèbres intérieures. Et si la mort pouvait ressembler à ce néant111.

_____________________________________________________

Mme Doorn se tourna vers Elisabeth.

- Ah, te voilà, toi, dit-elle du bout de lèvres. Son chagrin montait à sa gorge, l’étouffait. Elle partait au loin. Quand reviendrait-elle? Que lui importaient les pierres qu’elle sentait, chaudes et vivantes, entre ses seins? Elle regarda son mari, les enfants, cette stupide petite Elisabeth, qui haletait, la bouche entr’ouverte, comme échappée à un naufrage. Elle dit aigrement:

- Oui, oui, je vois bien que tu n’es pas perdue. Allons, monte!

Elle la poussa en avant. Elisabeth monta sur la passerelle. Elle sentait sous ses pieds osciller doucement le bateau et *décliner, semblait-il *sous son poids.

Elle se sentait lasse et vieille.

 

Fin

Torna su

Note

1 IMEC ALM 2998.8, “Le Vin de solitude”: Projets et brouillons.

2 IMEC ALM 2998. 8 – 2998.10; I. Némirovsky, Le Vin de solitude, dans Œuvres complètes, Introduction, présentation et annotation des textes par O. Philipponnat, Paris, Le Livre de Poche, 2011, tome I, pp. 1176-1364.

3 I. Némirovsky, Dimanche, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 973-989. Le prénom de la jeune protagoniste et celui de son amoureux (Nadine et Rémi) sont déjà ceux de la version définitive du texte, qui est centré justement autour des rapports “mère-fille” très conflictuels, dont il est question dans les quelques lignes du manuscrit.

4 I. Némirovsky, Écho, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 991-994.

5 Cf. la date en haut du premier feuillet des brouillons du roman Le Vin de solitude, IMEC ALM 2998.8: «Urrugne Eté 1933». Il s’agit du début des feuillets écrits au crayon papier qui ont été numérisés par les archives IMEC. Cf. aussi O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky Paris, Denoël, 2007, pp. 235-236: «Au cours de l’été 1933, elle […] ébauche pas moins de quatre œuvres nouvelles. Ce chantier piranésien, elle le nomme: “le Monstre”».

6 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 247.

7 La dernière date que nous avons pu trouver dans les brouillons du Vin de solitude est le 4 septembre 1934, cf. IMEC ALM 2998.10.

8 I. Némirovsky, Nativité, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 817-832, paru dans «Gringoire» le 8 décembre 1933.

9 I. Némirovsky, Les Fumées du vin, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 1023-1052. Le texte a été publié une première fois dans «Le Figaro» le 12 et le 19 juin 1934 et ensuite dans le recueil Films parlés, paru chez Gallimard en février 1935.

10 Ce procédé est assez fréquent chez Némirovsky. Par exemple, la longue nouvelle Le Bal a été écrite «entre deux chapitres de David Golder», comme l’affirme l’auteur lui-même dans le prière d’insérer (cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 199).

11 IMEC ALM 2998.9, f. n. n.

12 Fonds Gaston Chérau, Correspondance, Arsenal MS15621, lettre d’Irène Némirovsky à Gaston Chérau, 11 février 1935, souligné dans le manuscrit. Ce fonds manuscrit contient 26 lettres écrites par Némirovsky à Chérau, du 3 mai 1930 au 12 avril 1936.

13 IMEC ALM 2998.9, f. 61.

14 Au f. 7 r° Elisabeth a huit ans, alors que dans les autres passages du texte elle a toujours six ans (ff. 1 v°, 2 r°, 3 r°)

15 IMEC ALM 2998.8, f. n.n.

16 Cf. I. Némirovsky, Les Mouches d’automne, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 552-598, p. 574: «La vieille femme partit pour Odessa, emportant les bijoux dans l’ourlet de sa jupe»; p. 576: «ils possédaient quelque argent, cousu dans leurs ceintures par une vieille habitude…». Ces passages sont semblables à celui du f. 4 r° des Jardins de Tauride: «Madame Doorn acheva son travail; elle avait cousu dans les ceintures les perles détachées de son collier; elle prit la robe, la jupe marine d’Elisabeth jetée sur une chaise, tira fortement sur l’ourlet. L’étoffe paraît solide; je pourrai envelopper les émeraudes dans de petits bouts de ouate, et les coudre à la place des plombs».

17 Ibid., p. 574, cf. les matelas jetés à terre évoqués au f. 1 v° de la nouvelle.

18 I. Némirovsky, Naissance d’une révolution. Scènes vue par une petite fille, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 1827-1832, p. 1829.

19 M. Stemberger, “…Vous appelez ça du “nietchevo”, n’est-ce pas?” Mises en scène de la langue “étrangère” dans l’écriture de Némirovsky, dans L. Mihova, É. Enderlein (éds.), Écrire ailleurs au féminin dans le monde slave au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 55-84, p. 66.

20 Cf. sur le concept de transposition Y. Baudelle, Du vécu dans le roman: esquisse d’une poétique de la transposition, dans D. Viart (dir.), Paradoxes du biographique, «Revue des sciences humaines» 263, automne 2001, pp. 75-101.

21 IMEC ALM 2998.9, f. n.n.

22 C. Viollet, “Le Vin de solitude” d’Irène Némirovsky: journal de genèse, dans «Génesis» 39, 2014, pp. 171-182: p. 175.

23 I. Némirovsky, Le Vin de solitude, dans Œuvres complètes cit., tome I, p. 1237.

24 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 235.

25 Nous retrouvons le même prénom pour la bonne dans Le Vin de solitude (cf. cit., p. 1177). Dans la nouvelle, Némirovsky semble hésiter dans la qualification de ce personnage: il s’agit tantôt d’une «gouvernante» (f. 1 r°), tantôt d’une «bonne» (f. 4 v°; f. 6 v°), tantôt d’une «femme de chambre» (f. 5 v°). Dans un passage raturé il semblerait s’agir d’une gouvernante française, comme Mademoiselle Rose dans Le Vin de solitude, incarnation littéraire de Zézelle, la nounou d’Irène (f. 2 r°). Dans d’autres passages, par contre, la gouvernante est anglaise, comme Miss Matthews qui s’occupa d’Irène adolescente, dès son arrivée à Paris (f.1 v°, f. 2 v°).

26 I. Némirovsky, Le Vin de solitude cit., p. 1778.

27 Cf. A. Herschberg-Pierrot, Le Style en mouvement. Littérature et art, Paris, Belin, 2005, passim.

28 M. Giordano, Entre espoir et nostalgie: récits de départs et de nouvelles vies chez Irène Némirovsky, «Convergences francophones» 1, vol. 2, 2014, pp. 48-62, 54.

29 I. Némirovsky, Le Vin de solitude cit., p. 1235.

30 I. Némirovsky, David Golder, Paris, Grasset, 1929.

31 I. Némirovsky, Le Maître des âmes, Paris, Denoël, 2005 [première parution dans la revue «Gringoire», sous le titre Les Échelles du Levant, 1939].

32 F. Lefèvre, Une révélation. Une heure avec Irène Némirovsky, «Les Nouvelles Littéraires», 11 janvier 1930, IMEC NMR 11.1, pp. 8-15: p. 14.

33 IMEC ALM 2998.9, f. 29.

34 I. Némirovsky, Les Chiens et les Loups, Paris, Albin Michel, 1940.

35 Sigle souvent utilisé par Némirovsky au lieu de quelque/quelques.

36 IMEC ALM 2999.1, Enfants de la nuit (ou Le Charlatan): brouillon et journal d’écriture 1/2, f. n. n.

37 Ibid., f. n.n.

38 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 58.

39 I. Némirovsky, La Vie de Tchekhov, dans Œuvres complètes cit., tome II, pp. 701-855, p. 836.

40 I. Némirovsky, Les Chiens et les Loups, dans Œuvres complètes cit., tome II, pp. 509-700, p. 532: «Ada s’ennuyait; les moustiques dévoraient ses bras nus»; cf. dans la nouvelle f. 10 v°: «Elisabeth s’endormit. Les bêtes, dans l’herbe, la frôlaient[,] chatouillaient d’une manière presqu’insupportable ses bras nus».

41 Ibid., p. 522.

42 Ibid., p. 526, cf. f. 8 v° dans la nouvelle.

43 O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 36.

44 E. Gille, Le Mirador. Mémoires rêvés, Paris, Stock, 2000, pp. 403-404.

45 Cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 279.

46 I. Némirovsky, La Vie de Tchekhov cit., p. 849.

47 Pour une lecture sociologique de l’œuvre de Némirovsky voir surtout A. Kershaw, Before Auschwitz, Irène Némirovsky and the cultural landscape of inter-war France, London, Routledge, 2009.

48 IMEC ALM 2998.9 f. 29 (feuillets numérotés par page par l’auteur).

49 Cf. N. Gourfinkel, L’expérience juive d’Irène Némirovsky. Une interview de l’auteur de “David Golder”, «L’Univers israélite», 28 février 1930, pp. 677-678.

50 Cf. sur ces questions S. Rubin Suleiman, Famille, langue, identité: la venue à l’écriture dans “Le Vin de solitude”, dans Dossier critique. “David Golder”, “Le Vin de solitude” et “Suite française” d’Irène Némirovsky, Études réunies par P. Renard et Y. Baudelle, «Roman 20/50» 54, décembre 2012, pp. 57-74.

51 Le Vin de solitude paraît en août 1935, cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 258.

52 J. Auscher, Nos interviews: Irène Némirovsky, «L’Univers israélite», 5 juillet 1935, pp. 669-670, p. 670.

53 I. Némirovsky, David Golder, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 401-549, p. 465.

54 I. Némirovsky, Le Bal, dans Œuvres complètes cit., tome I, pp. 353-399, p. 366: «le comte et la comtesse du Poirier… – Ce sont Abraham et Rébecca Birnbaum, ils ont acheté ce titre-là, c’est idiot, n’est-ce pas, de se faire appeler du Poirier?».

55 IMEC ALM 2998.9, f. n. n.

56 Ibid.

57 Page internet des Archives IMEC concernant les fonds Némirovsky: http://www.imec-archives.com/fonds/nemirovsky-irene/.

58 I. Némirovsky, Suite française, Paris, Denoël, 2004.

59 L’auteur n’a pas marqué de numéros sur les pages comme elle le fait parfois, mais par commodité nous avons numéroté les feuillets dans l’ordre par lequel ils sont insérés dans la chemise correspondant à la cote ALM 3000.6.

60 I. Némirovsky, Dimanche cit.

61 I. Némirovsky, Écho cit.

62 Cf. P. Cornut-Gentille, Un scandale d’État. L’Affaire Prince, Paris, Perrin, 2010. L’Affaire Prince est liée à l’Affaire Stavisky dont Irène Némirovsky s’est inspirée plusieurs fois, comme le signalent ses biographes cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., par ex. p. 250, p. 291, p. 304.

63 Deux et trois lignes respectivement dans les ff. 11 v° et 12 r°.

64 Il s’agit du nom de famille d’Elisabeth et de ses parents. On pourrait lire aussi «Daorn», «Douru» ou «Dauru».

65 On pourrait lire «bouclée» au féminin, ainsi que «la» à la place de «le», mais il faudrait en ce cas penser à un autre mot à la place de front, peut-être frange, ce qui donnerait: «la frange bouclée».

66 Souligné par l’auteur.

67 La graphie utilisée par l’auteur au f. 1r°/v° est en effet plus ronde et définie, différente de celle plus fine et rapide des feuillets qui suivent.

68 Souligné par l’auteur.

69 Le titre est encerclé. Nous avons choisi de le transcrire en italiques, comme c’était le cas du titre souligné au début du f. 1 v°.

70 La lecture est claire, mais nous n’arrivons pas à comprendre à quelle personne Irène Némirovsky pourrait faire allusion dans ce passage.

71 Le mot est écrit de façon très similaire à «rose», qui le précède, mais nous avons choisi une solution qui insère une variation dans cette description. Nous retrouvons le mot «sacs» au f. 3 v°: notre hypothèse est confirmée par sa graphie, très proche de celle du mot présent dans le passage dont il est question ici.

72 Cf. la description du père d’Elisabeth au f. 1 r°. Les mêmes mots reviennent: par exemple l’adjectif «roux», l’image des joues tavelées et rongées et la similitude avec les fruits.

73 Némirovsky ici rature un passage qui concernerait une gouvernante française: celle-ci sera présente dans Le Vin de solitude, avec le personnage de Mademoiselle Rose, fidèle incarnation de Zézelle, la nounou d’Irène, cf. notre Introduction.

74 Dans cette parenthèse, qui semblerait avoir été effacée par l’auteur avec une légère ligne diagonale, le sens de la phrase n’est pas très facile à comprendre. Peut-être, Némirovsky suggère ici que, dès que le mari s’est enrichi, il a commencé à appeler sa femme «Stella», pour cacher une origine juive, dont le nom «Sara» pourrait témoigner. En effet, au début du f. 5 r° on parle de la mère d’Elisabeth comme d’une grosse Juive et à la fin du f. 6 r° Némirovsky dit qu’elle aurait voulu en faire une Madame Rubinstein. L’auteur semble donc conférer au personnage maternel de la nouvelle, de façon discrète, une origine juive. Le choix du prénom «Stella» fait ensuite penser à «Bella», le nom de la figure maternelle du Vin de solitude, le roman le plus autobiographique de l’auteur: Némirovsky serait en train encore une fois de faire le portrait de sa mère, Anna Némirovsky, devenue Fanny? Enfin, le lien entre le statut de parvenus des deux parents et leur façon de s’adresser l’un à l’autre pourrait renvoyer aussi à la nouvelle Le Bal, dans laquelle les parents de la jeune protagoniste, une fois enrichis, se vouvoient face aux domestiques, cf. I. Némirovsky, Le Bal cit., p. 363. Cf. aussi notre Introduction à la nouvelle.

75 On s’attendrait à trouver le pluriel «aux ressorts».

76 Irène Némirovsky semblerait ici réfléchir à la structure de son récit. Un trait léger semblerait effacer la partie qui va de «elle prit la robe» à «inquiétude». Probablement Némirovsky voulait effacer toute la partie concernant le travail de couture de Madame Doorn et le dialogue avec son mari. Le récit pourrait être en effet plus cohérent ainsi et le demi-rêve d’Elisabeth reviendrait assez vite sur l’image du marché, esquissée au f. 3 v° et reprise au f. 4 v°. Il faut dire que tous ces premiers feuillets sont l’objet d’une réécriture constante: le récit est assez répétitif et sa cohérence interne fait défaut de temps en temps, même si on ne considère pas les commentaires de l’auteur qui s’y entremêlent, cf. notre Introduction.

77 Il s’agit du titre d’une nouvelle que Némirovsky était justement en train d’élaborer et qui sera publiée en juin 1934, cf. notre Introduction.

78 Parenthèse présente dans le manuscrit.

79 Le rahat-loukoum est une confiserie typiquement orientale, que Némirovsky cite souvent dans ses textes pour évoquer les atmosphères de ses lieux d’origine, comme s’il s’agissait d’un topos permettant de condenser tout un univers spatio-temporel.

80 Ce commentaire est écrit à l’horizontale du feuillet. Dans ce passage Némirovsky semble anticiper la fin de la nouvelle, quand Elisabeth arrive en retard pour le départ du bateau. L’auteur hésite entre l’idée d’une mère matérialiste qui ne s’inquièterait que de la perte des pierres précieuses (peut-être celles cousues dans la jupe de sa fille) et l’idée d’une mère affectueuse, qui voudrait partir pour éviter des souffrances à ses enfants. Finalement elle choisit une solution intermédiaire: la mère regrettera le départ, à cause de son amant et ne sera pas très accueillante avec Elisabeth, mais la question des pierres ne sera pas évoquée.

81 Dans ces deux phrases réapparaissent encore une fois les leitmotive de la lune et des feuilles bruissantes du début du texte, cf. notre Introduction.

82 Parenthèse présente dans le manuscrit. Il semblerait s’agir d’une remarque que Némirovsky se fait, comme si elle se souvenait des boucles qui lui tombaient sur le visage quand elle était une enfant. Cette intrusion dans le texte d’un commentaire de l’auteur, à caractère fortement autobiographique devrait probablement disparaître dans une version définitive de la nouvelle: le manuscrit donne justement à voir les glissements entre récit et métarécit, cf. notre Introduction.

83 Ce détail physique, qui écarte la description d’Elisabeth d’un autoportrait de l’auteur, est significativement éloigné du reste de la phrase.

84 Il s’agit d’une ville maritime de Crimée. Selon les biographes de Némirovsky, elle passait souvent les vacances d’été en Crimée quand elle était petite (cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., p. 58). Dans Le Mirador, autobiographie fictive d’Irène Némirovsky, écrite par sa fille Elisabeth Gille, nous retrouvons le nom de cette ville dans l’évocation finale d’un souvenir d’enfance de l’écrivaine, cf. E. Gille, Le Mirador cit., pp. 403-404, cf. notre Introduction.

85 Il s’agirait de l’amant de la mère, dont le surnom fait penser au Bel-Ami de Maupassant, auteur dont Némirovsky s’est souvent inspirée, surtout pour l’écriture de nouvelles.

86 Parenthèse présente dans le manuscrit.

87 Le f. 7 r° est plein de commentaires de l’auteur dans les marges. La narration se poursuit au f. 7 v°.

88 Passage souligné par l’auteur.

89 Ce commentaire et les passages qui suivent, séparés par des lignes droites ou ondulées, sont écrits sur la marge droite du feuillet, séparés du reste du texte par une longue ligne verticale.

90 Au début de la nouvelle, le prénom Serge semblerait avoir été attribué par Némirovsky au frère d’Elisabeth, fils de Stella, alors que Dolly s’appellerait Tonia, cf. f. 1 v°, mais ce prénom est raturé au f. 2 r° et remplacé par Richard. Serge désignerait peut-être ici le personnage de l’amant de Stella, que Némirovsky semble vouloir introduire, comme le témoignent ses réflexions. Il s’agit du même personnage que les enfants appellent «Bon ami» dans ce feuillet et dans le f. 10 v°.

91 Némirovsky semble encore une fois esquisser la scène finale de la nouvelle où la mère rêverait de ne pas quitter son amant et de se débarrasser de ses enfants.

92 Commentaire encerclé au centre du feuillet.

93 Cf. ALM 2999.1, journal de travail du Charlatan, où Némirovsky évoquera, encore en 1938 le souvenir de ce cimetière tartare entre Gourzouf (cf. f. 6 v°) et Soouk-sou (cf. f. 9 r°) cf. notre Introduction.

94 Il s’agit du premier roman de Pierre Loti, publié en 1879, qui se déroule en Turquie dans un cadre exotique, ce qui pourrait avoir inspiré Némirovsky pour cette description idyllique de la Crimée, cf. notre Introduction.

95 Parenthèse présente dans le manuscrit.

96 Les guillemets sont présents dans le manuscrit.

97 Il s’agirait d’un cap entre Gourzouf et la montagne Aïou-Dagh (cf. http://crimeaguide.blogspot.fr/2013/03/gurzuf-travel.html, site en anglais ou l’on parle du «cape Suuk-Su»). Je remercie vivement Olivier Philipponnat de m’avoir aidée avec ces références à déchiffrer le nom de ce lieu. Il pourrait s’agir aussi du site archéologique de Sououk-Sou, où des tombes gothiques ont été découvertes près de Gourzouf, en 1903-1905, cf. W. N. Bates, Archaelogical News, 1908 July-December, «American Journal of Archaeology», vol. 13, n. 1, jan. - mar. 1909, pp. 69-124, p. 119, http://0-www-jstor-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/stable/496882.

98 On pense à la datcha blanche de Tchekhov, à Yalta. Némirovsky décrit cette maison dans sa biographie de l’écrivain et elle y précise qu’elle jouxtait un cimetière tartare, cf. I. Némirovsky, La Vie de Tchekhov cit., p. 849: «Il avait fait bâtir à Yalta une petite maison blanche dans une avenue poussiéreuse. […] Quand il se sentait mieux il descendait au jardin et regardait le cimetière tartare, non loin de là, éclairé par le soleil», cf. notre Introduction.

99 Abréviation souvent présente dans les manuscrits de Némirovsky, à la place de quelque/quelques.

100 Commentaire encerclé.

101 Trois mots russes: «et toutes ces charmantes choses». Je remercie vivement Madame Olga Anockhina de l’équipe Item du CNRS de m’avoir aidée à déchiffrer ces mots.

102 Cet amour d’Elisabeth pour les étoffes rappelle l’intérêt montré par l’auteur pour les tissus des chapeaux dans le manuscrit préparatoire de la nouvelle Espoir (IMEC ALM 2999.14), qui se déroule justement dans un atelier de couture. Nous nous permettons de renvoyer à notre article Tra abito e habitus: i vestiti nell’universo ebraico di Irène Némirovsky, dans La grâce de montrer son âme dans le vêtement. Scrivere di tessuti, abiti, accessori, Studi in Onore di Liana Nissim, Tome III, Dal Novecento alla Contemporaneità, sous la direction de M. Modenesi, M. Benedetta Collini, F. Paraboschi, Milano, Ledizioni, 2015, téléchargeable en ligne sur le site de l’éditeur.

103 Parenthèse présente dans le texte.

104 Souligné par l’auteur.

105 Némirovsky fait peut-être allusion à sa première ébauche de la nouvelle, qui devait justement s’intituler Soouk-sou, comme le témoigne le journal de travail du Vin de solitude, cf. IMEC ALM 2998.9, cf. notre Introduction.

106 Souligné par l’auteur.

107 Le prophète qui parle la langue des oiseaux pourrait être Salomon, dans le cadre de la religion musulmane, cf. Coran, Sourate 27, An-Naml, verset 16: «Et Salomon hérita de David et dit: “Ô hommes! On nous a appris le langage des oiseaux; et on nous a donné part de toutes choses. C’est là vraiment la grâce évidente”». La Bible se concentre plus génériquement sur la sagesse du roi Salomon, cf. 1 Rois 4, 33: «Il a parlé sur les arbres, depuis le cèdre du Liban jusqu’à l’hysope qui sort de la muraille; il a aussi parlé sur les animaux, sur les oiseaux, sur les reptiles et sur les poissons». Il faudrait s’interroger sur les possibles sources rabbiniques ou hassidiques de Némirovsky. La langue des oiseaux est, dans beaucoup de traditions culturelles le symbole d’un langage secret, mystique, que seuls les initiés peuvent comprendre. C’est par exemple le cas du devin Tirésias, qui selon Apollodore reçut le don de comprendre la langue des oiseaux de la part de la déesse Athéna (Apollodore, Bibliothèque, III, 6, 7).

108 Cf. probablement les nouvelles autobiographiques de Katherine Mansfield Prélude et Sur la baie, où elle relate son enfance en Nouvelle-Zélande par le biais de l’histoire de Kezia et de ses sœurs dans la famille Burnell. Kezia a la même naïveté qu’Elisabeth. Némirovsky relisait ces nouvelles en 1934, en vue de l’écriture de son roman autobiographique Le Vin de Solitude, cf. O. Philipponnat, P. Lienhardt, La Vie d’Irène Némirovsky cit., pp. 228-229, à propos du roman Le Pion sur l’échiquier, publié en 1934: «Pourquoi Beryl? Irène Némirovsky l’aura rencontré dans Prélude et Sur la baie de Katherine Mansfield, qu’elle ne cesse de relire…»; cf. aussi le journal du travail du Vin de solitude, IMEC ALM 2998.8: «Relire Katherine Mansfield».

109 À la fin de ce paragraphe une ligne verticale subtile conduit au fond du f. 12 recto, où il y à la courte conclusion de la nouvelle.

110 Némirovsky fait probablement allusion à un épisode dans la section VI de Prélude de Katherine Mansfield, dans lequel Kezia offre à sa grand-mère une boîte d’allumettes avec des fleurs à l’intérieur.

111 Ce commentaire est écrit à l’horizontale sur le côté droit du feuillet.

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Per citare questo articolo

Notizia bibliografica

Elena Quaglia, «“Les Jardins de Tauride”. Une nouvelle inachevée d’Irène Némirovsky»Studi Francesi, 180 (LX | III) | 2016, 454-487.

Notizia bibliografica digitale

Elena Quaglia, «“Les Jardins de Tauride”. Une nouvelle inachevée d’Irène Némirovsky»Studi Francesi [Online], 180 (LX | III) | 2016, online dal 01 janvier 2018, consultato il 07 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/5212; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.5212

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