Marie Rattazzi, L’Aventurière des colonies
Marie Rattazzi, née Bonaparte-Wyse, L’Aventurière des colonies, drame en cinq actes, suivi de documents inédits, présentation de B.T. Cooper, Paris, L’Harmattan, 2022, «Autrement mêmes», 270 pp.
Testo integrale
1La collection «Autrement mêmes» de L’Harmattan se voue à la réédition de textes peu connus ou devenus introuvables offrant des représentations de «l’Autre», un Autre qui – la plupart du temps – s’avère appartenir à ce monde de l’ailleurs, des outre-mer, qui tombe aujourd’hui sous la coupe des études post-coloniales ou décoloniales. Pilier de la collection, Barbara Cooper lui offre avec ce nouveau volume sa vingt-quatrième contribution, qu’on sera même tenté d’inscrire sous le signe de l’intersectionnalité. Ouvrage d’une femme, la romancière, dramaturge, journaliste et salonnière à l’extraordinaire destinée internationale Maria Laetitia Studolmine Bonaparte-Wyse, puis de Solms, puis Rattazzi (après son mariage avec Urbano Rattazzi), L’Aventurière des colonies a pour héroïne éponyme Magarthy, une métisse originaire de l’île Bourbon (redevenue La Réunion depuis 1848), ancienne esclave et ancienne concubine de son maître, qui, devenue libre et indépendante, émigre en France sous une fausse identité et cherche à intégrer la bonne société parisienne par un mariage avantageux et respectable, si possible pour elle, mais surtout pour sa fille, jeune ingénue élevée dans un bon pensionnat.
2L’ex-esclave et l’ex-négrier, personnages principaux de la pièce, seuls présents du début à la fin de celle-ci et moteurs des rebondissement de l’intrigue à travers les révélations et coups de théâtre qui déterminent l’évolution de leur rapport, forment un «couple paradoxal» qui n’est pas sans intérêt. Il témoigne de la condition des personnes de couleur dans les colonies, cadre du «prologue» de la pièce, de la méfiance et des préjugés dont elles sont entourées même en métropole, et des rapports de force et de domination ambigus liés à la figure de l’esclave quand celle-ci se double d’une aventurière sans scrupules, prête à user de ses charmes.
3Il serait cependant une erreur de ne lire la pièce que sous cet angle, car, souligne Barbara Cooper, une fois l’héroïne installée en France, «il est moins question de ses origines raciales que de sa marginalité socioéconomique et de ses écarts par rapport à une moralité qui prise les vertus domestiques et l’honnêteté chez la femme» (p. xxi). Magarthy est alors problématique et condamnée par les autres personnages non en tant que mulâtresse ou quarteronne et étrangère, mais en tant que demi-mondaine, aventurière, arriviste dangereuse et sans scrupules qui vient dévoiler l’envers de la bonne société française. La pièce et son personnage rejoignent par là une constellation contemporaine de thèmes et figures allant de L’Aventurière d’Émile Augier au Demi-monde et à L’Étrangère de Dumas fils, pertinemment évoquées dans l’introduction, même si l’analyse des parallèles et différences aurait gagné à être approfondie.
4L’histoire du texte, de sa genèse à sa réception, vient d’ailleurs étayer cette lecture. Auto-adaptation du roman Les Mariages de la créole, sorti en 1865 et aussitôt interdit et mis au pilon, L’Aventurière des colonies (1867) est en effet une pièce à clé, fondée sur les ragots contemporains relatifs à la liaison adultère d’Eugène Schneider, industriel, régent de la Banque de France, vice-président, puis président du Corps législatif, donc homme indispensable au régime de Napoléon III et protégé par lui, avec Marguerite Asselin, créole blanche originaire de l’île Maurice, y compris le mariage du fils de l’un avec la fille de l’autre. La transposition était transparente et ne trompa personne, malgré les dénégations de Marie Rattazzi, articulées et argumentées dans la préface à l’édition française de 1885, transcrite in-extenso dans ce volume (annexe 3, pp. 201-206). La pièce fut donc publiée en Italie (Firenze, Le Monnier, 1867), puis traduite en italien (in Bazar drammatico, Napoli, De Angelis, 1868) et jouée au théâtre Fiorentino de Naples avant de trouver le chemin de la France après la mort de Schneider et la fin du Second Empire, en 1885. Les riches «Annexes» du volume (pp. 195-224) nous donnent à lire un dossier soigneusement réuni de pièces justificatives, composé, outre la préface autographe de 1885 déjà citée, des articles de presse concernant le scandale Schneider, la réception napolitaine de L’Aventurière des colonies en 1867, puis celle de la première édition française de 1885.
5Il est donc d’autant plus à regretter que Barbara Cooper ne propose pas d’interprétation des significations politiques et sociales de la pièce, ni des stratégies éditoriales, mais aussi politiques et idéologiques de la dissidente Marie Rattazzi, cousine contestataire et exilée de Napoléon III. On aurait pu souhaiter également une prise de position plus forte et plus analytique que celle esquissée dans les quelques lignes de «Conclusion» (p. xxiii) à propos de la superposition, et donc des parallèles à tracer, entre la figure de l’esclave de couleur et celle de la demi-mondaine, avec les problèmes moraux et sociaux qu’elles posent et les rôles que la société et la tradition littéraire leur assignent.
6La tâche reviendra sans doute à qui voudra profiter de l’excellent travail éditorial et documentaire de Barbara Cooper. Lui devra en outre une dette de reconnaissance quiconque se tournera vers cette édition de L’Aventurière des colonies la prochaine fois qu’il ou elle cherchera, pour un cours ou une étude, un texte qui coche toutes les cases: études de genre, études décoloniales, études socio-politiques, études d’auto-adaptation, de transposition et de traduction.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Valentina Ponzetto, «Marie Rattazzi, L’Aventurière des colonies», Studi Francesi, 198 (LXVI | III) | 2022, 713-714.
Notizia bibliografica digitale
Valentina Ponzetto, «Marie Rattazzi, L’Aventurière des colonies», Studi Francesi [Online], 198 (LXVI | III) | 2022, online dal 01 décembre 2022, consultato il 04 décembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/51501; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.51501
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