1Écrit dans le cadre d’une habilitation à diriger des recherches, ce dense ouvrage destiné à un public averti investigue le contexte intellectuel du xiii^e siècle par la voie des littératures d’oc et d’oïl.

2Le volume se compose de huit chapitres organisés en trois parties. À travers un dialogue fructueux entre textes littéraires et histoire politique et doctrinale, la première partie (De l’engagement poétique au xiii^e siècle: suivre la lettre, pp. 49-263) rappelle les éléments essentiels à la compréhension des grands champs polémiques de l’époque: la querelle qui agite les universités parisiennes, les hérésies, la montée de l’aristotélisme. Le vaste corpus littéraire étudié comprend la poésie satirique de Rutebeuf dans son évolution, l’œuvre de Jean de Meun, la Chanson de la croisade albigeoise, la satire de Peire Cardenal, le Liber de duobus principiis, les Novas del Heretge, le Breviari d’amor de Matfre Ermengaud, les trois versions romanes de Barlaam et Josaphat, ainsi que les romans du Graal.

3La deuxième partie (L’art d’écrire pour les laïcs, pp. 265-454) est consacrée à la spécificité du discours à adresser aux laïcs. Le premier volet de cette réflexion porte sur la crédibilité de l’auteur et sur la légitimité de son discours; il est question de la diffraction de la présence auctoriale en diverses strates du récit ou en divers personnages que l’on retrouve dans les proses du Graal, dans le Théophile de Rutebeuf ou dans le Roman de la Rose. Plus qu’homme du savoir, le clerc-poète du xiii^e siècle est paradoxalement un humble «donneur de savoir» (p. 321) qui se définit à travers «une chaîne d’intermédiaires qui le relient au modèle unique et absolu qu’est Dieu, sous les espèces du Verbe» (p. 313). Le deuxième volet porte sur l’usage charitable de la langue romane, impliquant un considérable effort de transfert depuis le latin de l’abstraction théorique, ainsi que sur l’usage maîtrisé de la subtilité et du langage figuré permettant à l’auteur de livrer le modèle herméneutique à son lecteur.

4La troisième partie (Apprendre à lire, pp. 455-686) a pour objet le parcours d’apprentissage du lecteur. Le transfert des procédés exégétiques bibliques dans les fictions poétiques romanes a pour vocation de forger l’intelligence herméneutique du lecteur par opposition au littéralisme des juifs et des hérétiques; le lecteur laïc du xiii^e siècle est ainsi volontairement placé dans une attitude active devant le livre, dont le degré de difficulté de la lettre est nécessaire à son éducation. L’accès à la senefiance, subtilement véhiculé par le clerc-poète, est finalement laissé au libre arbitre du lecteur.

5Le volume est complété par une Bibliographie qui précise le corpus des textes examinés et des études citées (pp. 697-724), ainsi que par un série d’index fort utiles: Index des auctoritates, des auteurs et des œuvres antérieurs à 1500 (pp. 725-735), des auteurs postérieurs à 1500 (pp. 737-744), des personnages littéraires et mythologiques (pp. 745-748), des personnages bibliques et historiques (pp. 749-750), des lieux (pp. 751-752), des manuscrits (p. 753), des notions (pp. 755-762).