Buata B. Malela, Hans Färnlöf, Position(s) du sujet francophone
Buata B. Malela, Hans Färnlöf, Position(s) du sujet francophone, Paris, Les éditions du Cerf, 2021, 270 pp.
Testo integrale
1Le volume que nous présentons ici est un ouvrage collectif qui se propose d’explorer la question du sujet par le biais des études littéraires francophones. Toutes les contributions qui y sont présentées ont pour but d’interroger la manière dont le sujet s’articule et acquiert son sens dans les productions littéraires francophones. Les directeurs de l’ouvrage précisent, dans l’introduction, les restrictions qu’ils ont pensé introduire afin de préserver une cohérence dans la réflexion globale qui émerge du collectif et afin d’éviter tout danger de dispersion. Toutes les contributions traitent du sujet philosophique tel qu’il est défini dans Le Trésor de la langue française et se basent sur deux fils conducteurs: la question de la transposition (historique, générique, sociale etc.) et de la position (de connaissance, identitaire, représentative etc.) de ce sujet, dans le cadre de la francophonie. Le volume s’articule en cinq sections intitulées «Positionnement», «Transpositions», «Positions», «Repositionnement», «Postposition» qui rassemblent les contributions de plusieurs spécialistes autour de la relation complexe entre littérature francophone et littérature hexagonale.
2La première partie comprend une unique contribution: Lambros Couloubaritsis y traite des Transfigurations diachroniques de la notion de «sujet» dans la pensée occidentale à partir du Moyen-Âge. Il identifie trois époques marquantes, la première caractérisée par l’imposition du Divin, la deuxième par la naissance des gouvernances monarchique ou parlementaire et par l’irruption des sciences humaines, la troisième enfin par l’avènement des systèmes démocratiques et de la technico-économie qui perturbe la liberté citoyenne. On peut suivre l’excursus historique de l’auteur, à partir de l’antiquité grecque (Platon et Aristote), en passant par la relecture aristotélicienne de Thomas d’Aquin, pour aboutir au Cogito ergo sum de Descartes, point de départ de toutes les réflexions philosophiques successives, de Kant et Hegel à Ricœur. La complexité de la société contemporaine complique cependant la définition du sujet qui n’existe plus désormais et ne peut plus se définir sans la médiation d’un Autre avec lequel il entre en relation.
3Hans Färnlöf ouvre la deuxième partie de l’ouvrage avec son article autour des Sujets déplacés et replacés – Les contes de Perrault réécrits par Tahar Ben Jelloun. Il introduit ainsi l’interrogation autour de la relation entre un grand classique de la littérature française et les cultures francophones périphériques. Ben Jelloun, en publiant en 2014 Mes contes de Perrault, fait une opération de réinterprétation culturelle des contes de fée qu’il déclare vouloir orientaliser. Sa réécriture de classiques de la tradition européenne tels que La Belle au bois dormant, le Petit Poucet, Cendrillon ou Le Chat botté non seulement déplace culturellement les histoires mais les actualise et, ce faisant, donne une subjectivité aux personnages stéréotypés traditionnels. Voilà que l’intention néfaste de la mauvaise fée de La Belle au bois dormant se justifie par des antécédents litigieux avec le roi ou que les filles de l’ogre du Petit Poucet portent des diadèmes en or car leur père les adore et les couvre de bijoux ou encore que c’est bien Cendrillon elle-même qui convainc son père à se remarier. Tout en gardant certains poncifs propres aux contes de fée, Ben Jelloun adopte une écriture hybride grâce à laquelle il déplace, dans le temps et dans l’espace, les sujets de l’histoire et les replace dans un univers plus motivé et rationnel. Nao Sasaki, dans son article L’expérience du sujet québécois: Anne Hébert et la forme du conte, analyse l’œuvre d’Anne Hébert et sa propre façon d’approfondir le questionnement de soi car, québécoise résidant et publiant en France, elle a pu voir son pays avec le recul nécessaire qui lui a permis de se sentir libre de systèmes, de normes et de stéréotypes. Hébert met au centre de ses romans la figure de l’étranger (femme, métis, nomade), entendu comme un être marginal dans une société dominée par les hommes. Elle traite donc la question du sujet à travers sa relation avec l’altérité et le passé. L’article de Sasaki se focalise sur Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais, car ce court récit paru en 1995 marque un tournant dans la production d’Anne Hébert. Elle arrive, selon l’auteur, à y créer un nouveau sujet québécois, qui a désormais intériorisé la dualité historique et culturelle de son pays d’origine, a accepté sa nature métisse et se définit en relation avec l’Autre. Deux romans récents sur la Grande Guerre, Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre et Frère d’âme de David Diop – français le premier, franco-sénégalais le deuxième – font l’objet de l’étude de Simona Jisa, Sujets de guerre et mundus horribilis: “Au revoir là-haut” de Pierre Lemaitre et “Frère d’âme” de David Diop. La question du sujet devient centrale dans ces deux ouvrages, dont l’auteure fait une lecture parallèle. Le récit est placé dans la contemporanéité et dans une histoire relatée; le sujet «citoyen» et «moderne» est confronté au scénario de la guerre qui ébranle toute certitude identitaire et l’oblige à reformuler son statut, en se reconstituant avec et par rapport à l’autre. Ce faisant, cependant, il doit renoncer à une partie de lui-même. Ce sentiment de mutilation physique et psychique conduit nécessairement à une fin tragique.
4Buata B. Malela et Michaël Vauthier ouvrent la troisième partie du volume avec leur étude intitulée De la puissance de soi à l’autre comme soi-même: le Crusoé de Chamoiseau. Les deux auteurs abordent la question du sujet chez l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau, à partir de son récit intitulé L’Empreinte à Crusoé. Le sujet, seul dans son île-mère, se définit et se redécouvre chez Chamoiseau dans et à travers la relation avec l’Autre, filtrée par l’émotion qui lui permettrait de se reconstituer. L’idée de l’errance occasionnée par la quête individuelle est à la base de l’article de Cynthia Volanosy Parfait, Le sujet errant/revenant: de Gide à Raharimanana. Il s’agit encore une fois d’une lecture parallèle, mettant en relation un monstre sacré de la littérature hexagonale avec un écrivain malgache contemporain. Le corpus comprend Le Retour de l’Enfant prodigue, bref récit gidien de 1907 et le récit du retour de Raharimanana dans Revenir, paru en 2018, à plus d’un siècle d’écart et dans un contexte totalement différent. L’auteure analyse les deux récits à partir du motif du retour qui engage la thématique de l’errance et qui se révèle, selon elle, en être le point de convergence. Dans les deux cas, en dépit des différences d’époque, de lieu et de valeurs socioculturelles, le sujet se définit et n’existe que dans son rapport avec le monde qu’il quitte pour errer et qu’il retrouve après son errance. Florence Lhote traite du positionnement de l’auteur francophone et de l’auteur français par rapport à la notion d’«engagement», qui déterminerait leur séparation dans le champ éditorial français. La lecture parallèle concerne cette fois Le Serment des barbares de Boualem Sansal et Où j’ai laissé mon âme de Jérôme Ferrari, deux récits évoquant la guerre d’Algérie, le premier écrit par un auteur algérien, le deuxième par un Français. La chercheuse s’interroge ici sur la façon dont ces deux auteurs et leurs récits sont inventoriés par la critique littéraire française qui resterait liée à deux paradigmes différents, selon l’origine des écrivains. Le premier, évoquant encore le passé colonial, ferait inscrire Sansal parmi les sujets «politiques» et engagés, tandis que le deuxième permettrait à Ferrari d’échapper à cette étiquette. Une troisième voie – alternative aux deux premières – serait encore à repérer.
5La quatrième partie du volume ouvre le questionnement à d’autres disciplines. Patrice Forget aborde la Place du sujet comme objet philosophique dans le contexte des soins de santé. Il élargit donc la réflexion au monde médical, dans le contexte des soins de santé, où la relation avec le patient, l’apprenant ou le sujet de recherche est indissociable du processus de soins, d’enseignement ou de recherche. Cette relation, qui rend parfois le sujet vulnérable, permet toutefois de faire état de la fragilité et de la complexité du sujet humain, où qu’on veuille l’analyser.
6La cinquième section, Postposition, présente une seule contribution, dans laquelle Paul Aron nous reconduit dans le contexte des études littéraires. Du sujet dans l’analyse littéraire parcourt de manière diachronique les redéfinitions du sujet littéraire à travers les époques jusqu’au développement du monde médiatique qui remettrait complètement en question cette notion et ouvrirait à de nouvelles perspectives. La riche bibliographie qui clôt le volume permet aux lecteurs qui le souhaiteraient d’approfondir la thématique abordée dans l’ouvrage.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Elena Fermi, «Buata B. Malela, Hans Färnlöf, Position(s) du sujet francophone», Studi Francesi, 197 (LXVI | II) | 2022, 450-451.
Notizia bibliografica digitale
Elena Fermi, «Buata B. Malela, Hans Färnlöf, Position(s) du sujet francophone», Studi Francesi [Online], 197 (LXVI | II) | 2022, online dal 01 octobre 2022, consultato il 27 mars 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/50429; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.50429
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