Louise Colet ou l’éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes
Louise Colet ou l’éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes, dir. T. Poyet, “La Revue des lettres modernes” 5, 2020, 347 pp.
Testo integrale
1La réputation littéraire de Louise Colet a été radicalement compromise par les jugements qui, vu la source dont ils provenaient, auraient détruit même des écrivains de toute autre stature. Flaubert lui reproche le «peu de souci qu’[elle] a de l’art», et ironise volontiers sur ses écrits. Barbey d’Aurevilly considère que ce qui distingue ces derniers, «c’est leur néant comme œuvre humaine et littéraire». Plutôt qu’à son œuvre, c’est à sa personne que ses contemporains confient l’image posthume de Louise Colet: une très belle femme au caractère tenace, qui savait choisir ses amants dans l’élite intellectuelle (Flaubert, Cousin, Musset, Karr), capable de tenir un salon bien fréquenté et d’engager une bataille féministe dans un milieu littéraire misogyne. Tous ces mérites ont été cependant beaucoup moins mémorables que celui d’avoir été la destinataire de lettres extraordinaires de Flaubert.
2Au lieu de considérer sa biographie, le volume Louise Colet ou l’éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes, sous la direction de Thierry Poyet, pour “La Revue des lettres modernes”, n°5, 2020, dans la série «Minores xix-xx», se propose d’analyser les œuvres de Louise Colet sans chercher à leur attribuer un statut littéraire qu’elles n’ont pas, la traitant – selon le nom de la série éditoriale du volume – comme une mineure. Dans l’introduction, complète et documentée (pp. 11-57), Thierry Poyet motive l’intérêt que l’œuvre de Colet peut susciter aujourd’hui en raison de son engagement féministe dans un univers littéraire «phallocratique» et justifie ses excès de productivité, que Flaubert critiquait, par des besoins alimentaires. Des conditions qui, par ailleurs, n’étaient pas rares dans le milieu littéraire du xixe siècle et dans lesquelles, par exemple, se sont trouvés Sand et Balzac.
3L’œuvre globale de Colet est à juste titre placée sous le signe de l’éclectisme. En quête du succès et d’une stabilité économique, elle passe de la poésie – où elle obtient son plus grand succès, grâce à quatre prix de l’Académie – au roman, de l’essai au récit de voyage. Dans ce dernier domaine, Colet montre une passion particulière pour l’Italie qu’elle visite, se passionnant pour le Risorgimento (Brigitte Urbani, Louise Colet, une admiratrice enthousiaste de l’Italie du Risorgimento, pp. 237-254), et dont elle exalte les femmes (Émilie Hamon-Lehours, L’Italie des Italiennes. Tentative de constitution d’un panthéon féminin en Italie, pp. 201-215). Le volume est donc divisé en quatre parties «qui correspondent – comme l’écrit Poyet – aux quatre grandes manières chez Louise Colet d’investir la création littéraire» (p. 51): l’écriture romanesque et poétique (Antoine Piantoni, «Et mon front couronné s’appuie au front du Temps». Trajectoire poétique de Louise Colet, pp. 59-80; Éric Le Calvez, Louise Colet et les conseils de Flaubert, pp. 81-93; Thierry Poyet, De quelques éléments de facticité dans le roman coletien, pp. 95-113; René Sternke, L’ironie romantique en France, pp. 115-152); l’écriture d’essais (María Vicenta Hernández Álvarez, “La Servante” et l’éducation des femmes. Louise Colet, une romantique dans le réalisme social, pp. 155-168; Josiane Guitard-Morel, Une biographie d’Émilie du Châtelet. Mettre des Lumières sur une femme de sciences et littérature, pp. 169-183; Amélie Calderone, Louise Colet, une dramaturge politique dans la presse, pp. 185-199; Émilie Hamon-Lehours, L’Italie des italiennes. Tentative de constitution d’un panthéon féminin en Italie, pp. 201-215); l’écriture de voyage (Franck Colotte, “Deux mois d’émotion” (1843). Entre itinérance mémorielle et scénographie auctoriale, pp. 219-236; Brigitte Urbani, Louise Colet, une admiratrice enthousiaste de l’Italie du Risorgimento, pp. 237-254; Nicolas Bourguinat, À l’épreuve des faits. “Les Derniers Abbés”, un récit anticlérical de Louise Colet, pp. 255-275; Luis Carlos Pimenta Gonçalves, Louise Colet au Portugal ou l’histoire possible d’une réception, pp. 277-286); les écritures dites «émouvantes» sur l’enfance et sur la «femme de lettres» (Guillemette Tison, Louise Colet et l’enfance, pp. 289-305; Thierry Poyet, L’honneur et le courage d’une femme de lettres. Relire la lettre à Adolphe Guéroult de 1869, pp. 307-324). À propos de son éclectisme, comme le reconnaît Poyet dans l’introduction, «[elle] n’a développé aucune pensée théorique pour justifier la pluralité générique de son œuvre» (p. 40). Pourtant il ne me paraît pas si essentiel de justifier un choix qui, à cette époque, était somme tout habituel: la plupart des gens de lettres du xixe siècle traversent volontiers différents genres littéraires. Il me paraît plus significatif de remarquer que, à l’intérieur des quatre genres qu’elle pratique, elle s’exprime toujours avec la même emphase sentimentale. Son adhésion au sentimentalisme romantique, dans sa version la plus simple, apparaît comme une constante de ses écrits et fait douter de l’hypothèse de Sternke qui, dans sa contribution savante, interprète les contradictions et les solutions banales de la pièce La Jeunesse de Goethe comme une ironie romantique sophistiquée. L’article de Poyet est plus éclairant: parlant des romans de Colet, il s’interroge sur les raisons de son échec littéraire en les identifiant dans ce qu’il appelle la «facticité»: en contradiction avec les codes existants, qui poussent le vraisemblable vers le vrai, elle finit inévitablement par donner une impression de fausseté, de fictif. Révélateur des mérites et des limites de Colet, c’est le long poème La Servante, analysé par Hernández Álvarez, qui en souligne l’engagement féministe, tandis que, tout en le commentant dans une lettre, Flaubert rappelait à l’auteur qu’il fallait «toujours peindre ou émouvoir, et jamais déclamer».
4Enfin ce volume a le mérite d’illustrer l’œuvre de Louise Colet, éclipsée par sa biographie, sans toutefois prétendre lui attribuer un statut littéraire qui ne lui revient pas.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Silvia Lorusso, «Louise Colet ou l’éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes», Studi Francesi, 197 (LXVI | II) | 2022, 436.
Notizia bibliografica digitale
Silvia Lorusso, «Louise Colet ou l’éclectisme littéraire. Une écrivaine parmi des hommes», Studi Francesi [Online], 197 (LXVI | II) | 2022, online dal 01 octobre 2022, consultato il 09 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/50178; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.50178
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