Louis-Philippe Dalembert, Cantique du balbutiement
Louis-Philippe Dalembert, Cantique du balbutiement, Paris, Éditions Bruno Doucey, 2020, 107 pp.
Testo integrale
1Les écrivains haïtiens sont avant tout des poètes, ils font souvent leur entrée en écriture par la porte de la poésie, même s’ils pratiquent l’art de la narration prosaïque dans leurs romans ou dans leurs nouvelles. C’est ce que Louis-Philippe Dalembert se plait à répéter en énonçant une pratique à laquelle lui-même n’échappe pas. Comme le montre le recueil Ces îles de plein sel et autres poèmes, paru en 2021 (Seuil, «Points») qui collecte et ordonne ses poèmes écrits depuis 1984 jusqu’à 2010, la forme poétique est le point d’orgue, la constante qui accompagne son activité de romancier et de nouvelliste. Le recueil qui nous occupe ici contient à la fois des textes déjà publiés, bien connus des lecteurs de Dalembert (Témoignage, Je n’ai jamais dit papa et Mystères) et des poèmes que nous découvrons pour la première fois. D’île enfance caraïbe est le poème le plus long, imposant et incontournable, il occupe une place de choix et constitue le cœur de l’ouvrage, non pas seulement par son ampleur mais par l’énonciation des grandes thématiques qui animent la poésie de Dalembert et ce recueil en particulier. Le titre en fournit d’ailleurs en trois mots une excellente synthèse: la présence insulaire, Haïti bien sûr, l’archipel caraïbe et sa mer qui reviennent en véritable leitmotiv et l’enfance, ses mystères, ses jeux, ses promesses, ses balbutiements, justement, ses annonces, ses deuils. Le poème intitulé Témoignage placé en ouverture du recueil permet de saisir la nature de la démarche poétique de l’écrivain au moment où il décide d’écrire D’île enfance caraïbe: «ce jour-là | face à la mer caraïbes | j’ai rêvé d’un poème | qui nulle part ne commence | ou alors de l’enfance | et nulle part ne finit» (p. 12). Dalembert a choisi une respiration longue, presque une forme épique pour essayer en quelque sorte de relever un défi: faire tenir toute l’enfance dans un poème. Toutefois, cette narration poétique de l’enfance est davantage une quête, c’est la litanie des questions qui importe plus que les réponses qui manquent souvent ou qui restent en suspens. Raconter l’enfance, dire l’enfance, l’interpeller, la débusquer et l’évoquer pour distiller l’infini plaisir de la retrouver, mais aussi pour affirmer que tout est là, dans les premiers émois, dans les premières rencontres, les premières brûlures et les blessures primordiales et les grandes absences (pour le poète celle du père, jamais connu), voilà ce qui se joue dans ce long texte envoûtant. «Quels et d’où sommes-nous» répète inlassablement le poète, c’est dans l’évocation de ses premières années («ô enfance») qu’il lui faut chercher quelques points de repères. L’enfance est une île qu’il faudra quitter plus tard, une mer lourde d’histoire («nous sommes de la mer caraïbes | et doncques de toutes parts humaines», p. 19), c’est une enfance des cyclones, de la faim, de l’orgueil appris, des premiers amours, des aubes de l’érotisme, l’enfance des figures tutélaires, des femmes surtout, qui ont protégé, guidé, formé, aimé celui qui deviendra un poète. Dalembert redonne vie, à travers le moule poétique, aux personnages qui ont peuplé ses premières années que les lecteurs de ses romans et nouvelles, en particulier Le Crayon du bon Dieu n’a pas de gomme et Le Songe d’une photo d’enfance, ont déjà rencontrés. Cette enfance tropicale a marqué au fer rouge l’imagination du poète et façonné la glaise de l’homme désormais adulte mais surtout elle continue à orienter son regard aujourd’hui encore. Lui qui a quitté son île, dont le départ a mis fin à l’enfance, ne peut ignorer les foules de migrants qui parcourent la terre et qui cherchent un refuge qu’on leur nie. C’est pour eux que le poète écrit «n’aie pas peur»: «Je suis celui qui vient | frapper à ta porte | à l’heure où tu dînes en famille | chassé par les mille tsunamis | de sa propre demeure | celui qui ne t’empêche pas | de continuer ripaille | et à qui par moments | tu balances | quelques miettes | réfugié derrière ton bouclier cathodique» (pp. 83-84). Le poème s’élève, menaçant, pour dénoncer les tueurs d’enfant, les bourreaux d’innocents qui en janvier 2020, date de l’écriture du poème Des enfants meurent, continuent de sacrifier les plus faibles et les plus démunis: «partout on tue | et ce sont les enfants | qu’à bout de cris et de pleurs | on raccompagne à la poussière | c’est leur sang qui ensemence la terre | et la fait bourgeonner | de roses d’amertume» (p. 86).
2Tout poète est aussi lecteur et amateur de poésie; Dalembert n’échappe pas à la règle, il déclare lui-même que ses maîtres en poésie sont, entre autres, René Depestre, Anthony Phelps, Aimé Césaire et Saint-John Perse. C’est à ce dernier qu’il dédie le dernier poème du recueil, Joutes insulaires, un poème magistral dans lequel il interpelle («ho frère poète ho») ce descendant de béké pour rendre hommage, au-delà des différences («toi robinson | moi vendredi»), à sa poésie qui, comme la sienne, s’est nourrie des cyclones et des paysages caraïbes.
Per citare questo articolo
Notizia bibliografica
Elena Pessini, «Louis-Philippe Dalembert, Cantique du balbutiement», Studi Francesi, 195 (LXV | III) | 2021, 657-658.
Notizia bibliografica digitale
Elena Pessini, «Louis-Philippe Dalembert, Cantique du balbutiement», Studi Francesi [Online], 195 (LXV | III) | 2021, online dal 01 décembre 2021, consultato il 27 mars 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/47732; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.47732
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