1Dans la jeune collection dirigée par Nicolas Martin chez l’éditeur Le Bord de l’eau, et consacrée aux «études de style» de la poésie, Marc Dominicy, professeur émérite de linguistique générale à l’Université libre de Bruxelles, publie une étude fouillée d’un des poèmes recueillis en 1861 dans la seconde édition des Fleurs du Mal: Une gravure fantastique. Ce quatorzain en alexandrins à rimes plates, paru le 15 novembre 1857 dans Le Présent, recèle une série de mystères concernant sa genèse, dont témoignent deux versions d’une «chanson lariflatique» que Baudelaire composa dans sa jeunesse, sa versification, son rapport avec une gravure de Joseph Haynes, d’après un dessin de John Hamilton Mortimer, et les personnages mentionnés.

2En associant analyse formelle et enquête intertextuelle, Marc Dominicy aborde toutes les difficultés soulevées par le poème de Baudelaire, et formule plusieurs hypothèses interprétatives. Il met en lumière la façon par laquelle le poète sépare progressivement son texte du modèle pictural, au profit des références littéraires. S’il refuse les conjectures de Steve Murphy, qui dans un article publié en 2002 avait identifié le «prince inspectant sa maison» d’Une gravure fantastique au prince Louis-Napoléon Bonaparte, c’est pour proposer une identification inédite: l’analyse linguistique (centrée sur le groupe prépositionnel «au travers de l’espace») et un dense réseau de sources et d’allusions le conduisent à voir dans ce «prince» mystérieux Leconte de Lisle. Mais au-delà de cette hypothèse audacieuse, Marc Dominicy invite à reconsidérer la toile d’échos, d’échanges et de rappels poétiques autour d’Une gravure fantastique, qui vont des Bousingots et de Théophile Gautier jusqu’à Leconte de Lisle et Verlaine: le poème laisse résonner cet horizon mêlé d’hommages et de mises à distance, d’évocation et de réserve. C’est pour cette raison que même sans adhérer à l’hypothèse, séduisante mais glissante, de Marc Dominicy, ou sans accepter l’importance qu’il accorde aux théories socialistes dans l’œuvre de Baudelaire, on ne peut que saluer l’érudition de ce petit livre, et la vivacité qui anime sa lecture baudelairienne.