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Rassegna Bibliografica
Novecento e XXI secolo

Thierry Laurent, Le roman français au croisement de l’engagement et du désengagement (xxe-xxie siècles)

Elena Quaglia
p. 365-366
Notizia bibliografica:

Thierry Laurent, Le roman français au croisement de l’engagement et du désengagement (xxe-xxie siècles), Paris, L’Harmattan, 2015, 239 pp.

Testo integrale

1L’essai de Thierry Laurent sur l’engagement dans le roman français au xxe et xxie siècles est l’un des derniers ouvrages consacrés à ce sujet qui intéresse beaucoup la critique contemporaine, à en croire à l’état de l’art dressé par l’auteur au tout début de son ouvrage. Dans ce courant d’analyses, le livre de Thierry Laurent se situe de façon particulière. Il en recueille les suggestions, en empruntant par exemple, en tant que dispositif méthodologique, le concept de «régimes d’historicité» de François Hartog (cf. p. 18), mais en refusant toute notion d’engagement trop circonscrite. Ainsi, dans sa terminologie critique, «un adjectif sera généralement accolé au mot “engagement”, comme “politique”, “philosophique”, “moral”, “religieux”, “esthétique”» (p. 20). De plus, l’auteur revendique un choix de corpus fondé sur un critère purement subjectif: «j’ai réglé ma démarche d’analyse sur la simple expérience de lecture critique d’un ensemble de textes sélectionnés “très subjectivement”» (p. 21).

2Avant de se consacrer à l’analyse des textes de son corpus d’auteurs, Laurent dresse un cadre historico-littéraire de la fortune de la notion d’engagement, à partir de la fin du xixe siècle jusqu’à nos jours. L’Affaire Dreyfus est l’événement fondateur en ce qui concerne la posture de l’intellectuel engagé et, à l’opposé, celle de l’écrivain qui veut préserver son indépendance au nom du concept toujours en vogue de l’art pour l’art. Cependant, la Première Guerre Mondiale contribue à changer la situation du champ littéraire, le politisant ultérieurement, même si la fracture entre les auteurs qui s’expriment sur la scène publique et ceux qui restent en retrait des préoccupations politico-sociales demeure ouverte. La naissance du concept de littérature engagée date du deuxième après-guerre, autour de Sartre et des Temps modernes, non sans quelques ambiguïtés concernant les positionnements du philosophe avant et pendant le conflit. Les courants formalistes cependant se superposent aux discours engagés et ce n’est que dans les années 1980 que la littérature redevient transitive. Cependant, il ne s’agit pas d’un retour au passé: selon Laurent, il vaudrait mieux «parler de la notion d’“engagement littéraire”, qui ne recouvre pas celle de “littérature engagée”, très ou trop connotée historiquement et sémantiquement» (p. 70). Son entreprise critique serait donc de voir comment certains auteurs s’approprient cette notion et en déclinent les possibilités au niveau littéraire.

3Thierry Laurent rassemble ainsi, autour des concepts d’engagement et de désengagement, des auteurs très différents, comme Jean Mauclère, Albert Camus, Michel Déon, Pascal et Alexandre Jardin, Patrick Modiano et Andreï Makine, dont les œuvres font l’objet de chapitres monographiques. Le critique inaugure donc son parcours par un auteur de romans populaires à thèse, tout en le faisant suivre par un écrivain militant sur un tout autre front, tel Albert Camus. L’«engagement» se décline ainsi dans des tons très éloignés, voire opposés. L’œuvre de Jean Mauclère véhicule, à travers des récits savamment bâtis, une doxa d’ordre socio-politique: «anti-germanisme, soutien inconditionnel au colonialisme de type paternaliste, défense de l’occident chrétien» (p. 87) s’y mêlent. Au contraire, malgré ses rapports controversés avec le parti communiste et l’existentialisme sartrien, Camus se rapproche beaucoup plus du concept traditionnel d’engagement littéraire. Cependant, Camus a voulu éviter le risque d’une littérature qui ne remettrait en cause ses propres certitudes et qui ne serait que politique, liée à une contingence historique. L’universalisme de son écriture naît justement de cette volonté de n’être partisan d’aucune idéologie préfabriquée.

4Laurent revient ensuite à un écrivain de droite, Michel Déon, lié au pétainisme maurrassien pendant la Deuxième Guerre Mondiale et ensuite gravitant autour des Hussards dans les années 1950. Cependant, son œuvre littéraire fait preuve d’un désengagement général, qui n’est pas démenti par les quelques prises de position de l’écrivain sur des sujets publics. Les œuvres de Pascal et Alexandre Jardin tournent toutes les deux autour des années noires de l’Occupation et en particulier autour de Jean Jardin, directeur de cabinet de Laval. Si Pascal Jardin, semble refuser de prendre position sur son père, écrivant des témoignages teintés de fiction très ambigus quant aux responsabilités individuelles, Alexandre Jardin condamne son grand-père sans appel et reproche à son père de ne pas l’avoir fait avant lui. Dans son livre Des gens très bien, il voudrait faire œuvre d’historien, mais l’objectivité du récit est troublée par l’implication personnelle de l’auteur dans les faits: ce sont surtout les difficultés de l’héritage familial et historique qui y sont mises en scène.

5Patrick Modiano est convoqué dans ce contexte parce qu’il participerait, au tournant des années 1970-1980, d’un «phénomène de renouvellement de l’engagement littéraire où il s’est agi de réfléchir sur le passé et de regarder son temps sans forcément utiliser le prisme du politique» (p. 150). Laurent analyse justement le rapport personnel à l’histoire qui se met en place dans l’œuvre de Modiano dès ses débuts littéraires et qui se précise de plus en plus autour de la question centrale de la mémoire de la Shoah. En particulier, à partir surtout de Dora Bruder, l’«engagement mémoriel» devient, selon Thierry Laurent, une «constante dans les desseins de l’auteur» (p. 170). Andreï Makine serait aussi à maints égards un écrivain engagé, faisant apparaître dans ses récits un regard critique envers la Russie post-soviétique et la France contemporaine et, plus en général, une dépréciation conservatrice du temps présent, qui aurait perdu toute humanité et spiritualité. Cependant, ces discours sont véhiculés par une écriture qui ne dédaigne pas, paradoxalement, les séductions de l’art pour l’art.

6Après ce parcours critique, Laurent essaie de retracer les lignes conductrices de l’engagement chez les auteurs étudiés: il s’agirait d’un «engagement pour des valeurs» (p. 207), plutôt que d’un engagement politique au sens propre. Cette transitivité des fictions analysées se dirait sous des multiples formes narratives, qui témoignent souvent de l’effort d’inscrire l’Histoire dans le texte et qui instaurent un dialogue ouvert avec le lecteur. L’engagement en littérature correspondrait finalement, selon le critique, à «une volonté forte chez un auteur de faire réfléchir son lecteur ou de faire pression sur sa sensibilité, sa conscience ou son intellect» (p. 223). Cependant, cette sollicitation du lecteur est de moins en moins directe à l’époque contemporaine et devient subtile et ambivalente: l’esthétique ne serait plus au service de l’éthique, mais se conjuguerait à elle dans une entreprise d’écriture plus complexe. L’étude de Laurent nous offre un aperçu des multiples voies, souvent insolites, de l’engagement littéraire, du roman à thèse à la fiction critique contemporaine: plutôt que faire œuvre de théoricien, il montre les tours et détours d’une notion toujours changeante, qui ne cesse d’interroger les lecteurs.

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Notizia bibliografica

Elena Quaglia, «Thierry Laurent, Le roman français au croisement de l’engagement et du désengagement (xxe-xxie siècles)»Studi Francesi, 179 (LX | II) | 2016, 365-366.

Notizia bibliografica digitale

Elena Quaglia, «Thierry Laurent, Le roman français au croisement de l’engagement et du désengagement (xxe-xxie siècles)»Studi Francesi [Online], 179 (LX | II) | 2016, online dal 01 septembre 2016, consultato il 09 février 2025. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/4474; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.4474

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