Des «passeurs» entre science, histoire et littérature. Contribution à l’étude de la construction des savoirs (1750-1840), sous la direction de Gilles Bertrand et Alain Guyot
Des «passeurs» entre science, histoire et littérature. Contribution à l’étude de la construction des savoirs (1750-1840), sous la direction de Gilles Bertrand et Alain Guyot, Grenoble, ELLUG, 2011, pp. 233.
Testo integrale
1Ce recueil d’études cherche à mettre en lumière les interactions entre les différents domaines de la littérature et des sciences dès le milieu du dix-huitième siècle jusqu’aux années 1840. Dans une «Introduction» claire et logique, Gilles Bertrand et Alain Guyot présentent l’objectif et la méthode communs des articles du volume, et donnent une définition complexe du terme de «passeur» qui signifie à la fois penseur, homme de plume et spécialiste d’un domaine particulier des sciences; son existence est en rapport avec les transformations du rôle de l’intellectuel et avec une manière particulière de la réflexion et de la diffusion de l’écriture (pp. 7-31). D’Alembert est pour différentes raisons le «passeur» par excellence des Lumières: secrétaire de l’Académie des Sciences, mathématicien reconnu, co-directeur de l’Encyclopédie, auteur d’ouvrages philosophiques. Irène Passeron démontre à travers l’analyse de ses textes philosophiques, bien connus par ses contemporains, et de sa correspondance, témoignant de l’ambivalence entre privé et public, qu’il valorise éminemment ce rôle dans sa propre activité qui rend évident le croisement nécessaire des savoirs (D’Alembert et ses correspondants. Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie, pp. 33-53). Gabriel-Robert Thibault relève au fond des descriptions poétiques de Bernardin de Saint-Pierre, ingénieur de formation, la force de solides études d’arithmétique qui assurent à ses paysages une savante composition, harmonie et unité (Bernardin de Saint-Pierre. Paysage de l’ingénieur, paysage du philosophe, pp. 55-75). La rencontre entre champ littéraire et champ scientifique dans la vie de l’Académie des Arcades de Rome est analysée par Gilles Montegre à travers l’œuvre de Gioacchino Pizzi. L’étude présente aussi bien l’activité de Pizzi à la tête de cette institution, dans laquelle les savants étrangers de passage à Rome jouent un rôle important, que sa poésie savante et prouve que cet académicien cherche à réaliser dans les deux domaines une synthèse entre sciences, littérature et religion qui s’avère impossible après 1790 (Sciences, croyance et éloquence. L’Arcadie romaine au temps de Gioacchino Pizzi. 1772-1790, pp. 77-90). Pierre Jean Georges Cabanis est «passeur» à double titre comme le démontre Maurice Rouillard par l’analyse de sa vie et de son œuvre, car il cultive avec le même talent la littérature et la médecine (Cabanis, homme de l’art. De la sensibilité d’organe à la sensibilité d’esprit. Un itinéraire intellectuel, pp. 91-107).
2Avec l’étude d’Ariane Devanthéry nous rejoignons le xixe siècle et nous sommes introduits aux changements fondamentaux du récit de voyage et à une histoire non-stéréotypée du genre des guides de voyage entre 1770 et 1840. L’étude s’appuie en particulier sur les Manuels de J. G. Ebel que l’auteur caractérise comme «diffuseur de connaissances généralistes» (Du savoir spécialisé au savoir vulgarisé. Réflexion autour de la naissance des guides de voyage «modernes», pp. 109-123). Frank Estelmann caractérise le début du romantisme comme un tournant qui intervient après la Révolution dans la vision totalisatrice des savoirs et la spécialisation des disciplines. Les ouvrages poétiques et historiques de Joseph Michaud offrent l’exemple à montrer la tension entre discours littéraire et discours scientifique, reliée aux fondements idéologiques de sa réflexion (Poésie, histoire et ethos royaliste. Joseph Michaud et les débuts de l’histoire romantique, pp. 125-149). Peu de savants du xixe siècle sont aussi encyclopédiques qu’Alexandre de Humboldt et voient le monde en sa totalité comme lui. Il renouvelle la réflexion de l’espace naturel en impliquant le paysage dans la démarche scientifique et relie dans ses ouvrages la subjectivité esthétique et la rationalité scientifique (Serge Briffaut, Actualité du paysage humboldtien pp. 151-165). La dernière contribution, liée à ce volume par son sujet, est publiée comme une nouvelle unité: c’est la traduction de la belle étude de Francesco Orlando, universitaire et un des maîtres des études françaises en Italie, consacrée à l’œuvre de Ramond de Carbonnières. Il montre cet amoureux et savant des montagnes sous le jour du «passeur» entre sciences et littérature, étant à la fois spécialiste de la géologie et «poète des montagnes», réalisant ses écrits sous l’influence mêlée de Buffon et de Rousseau. Ses analyses fines mettent en relief les observations du scientifique, et sa manière d’écrire subjective et poétique. Dans ses textes abondamment cités, l’étude souligne la capacité exemplaire de cet auteur à exprimer l’harmonie entre l’homme et la nature, la sensibilité et les analyses sobres (L’histoire des montagnes et l’harmonie du monde chez Ramond de Carbonnières. Suivie des Éléments d’une bibliographie, pp. 167-224). Ce livre bien constitué offre des analyses précises des textes des «passeurs» connus et plus oubliés et esquisse l’image d’une période particulière de l’histoire de la culture quand la synthèse rêvée des sciences différentes se réalise dans l’œuvre de certains intellectuels et dans l’activité de quelques institutions avant que la stricte séparation des domaines scientifiques ait lieu entre les sciences naturelles et la littérature.
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Notizia bibliografica
Olga Penke, «Des «passeurs» entre science, histoire et littérature. Contribution à l’étude de la construction des savoirs (1750-1840), sous la direction de Gilles Bertrand et Alain Guyot», Studi Francesi, 167 (LVI | II) | 2012, 318-319.
Notizia bibliografica digitale
Olga Penke, «Des «passeurs» entre science, histoire et littérature. Contribution à l’étude de la construction des savoirs (1750-1840), sous la direction de Gilles Bertrand et Alain Guyot», Studi Francesi [Online], 167 (LVI | II) | 2012, online dal 30 novembre 2015, consultato il 11 décembre 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/4057; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.4057
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