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Rassegna Bibliografica
Ottocento a) dal 1800 al 1850

Francis Claudon, Stendhal et la musique

Michel Arrous
p. 414-415
Référence(s) :

Francis Claudon, Stendhal et la musique, Grenoble, UGA Éditions, 2019, 355 pp.

Texte intégral

1Depuis L’Idée et l’influence de la musique chez quelques romantiques français et notamment chez Sten-dhal, voilà le livre qu’on attendait de la part de Francis Claudon sur le romancier qui a voulu rivaliser avec la musique. Les stendhaliens en connaissaient déjà quelques éléments publiés dans La Musique des romantiques (PUF, 1992) et d’autres recueils; ils disposent désormais d’une étude qui ne laisse dans l’ombre aucun des rapports de Stendhal avec la musique. Celui que musiciens et musicologues ont longtemps dénigré ou vu, dans le meilleur des cas, comme un amateur, était un véritable connaisseur qui chérissait par-dessus tout Mozart et Cimarosa.

2Dans les deux premiers chapitres sont exposées les connaissances réelles de Beyle, d’abord sa formation, puis retracée l’acquisition progressive, à Brunswick, Vienne et Milan, d’une solide culture lyrique; dans les deux suivants, sa «pensée musicale», dont il ne déviera pas, est examinée en tant qu’ensemble logique. F. Claudon souligne le fait que pour le disciple des Idéologues, la musique est une expérience sensuelle, un «plaisir physique» (on pense alors à Nietzsche: «Nous écoutons la musique avec nos muscles»). Les insuffisances de la théorie physiologique sont relevées, ainsi que les déconcertantes expressions employées pour déterminer le rôle de l’intérêt et de la sympathie. Dans la tentative de définir la musique, il y a une faillite de l’Idéologie; néanmoins Stendhal met au point un système critique selon lequel «Il faut sentir et non savoir». La musique, déclarera-t-il dans la première des Lettres sur Métastase: «On la sent, ou on ne la sent pas; puis c’est tout». Disposant de peu de connaissances en théorie musicale – il n’a rien du technicien –, il s’en tient à ce qu’il avait dit en 1805: «avec une âme sensible on est musicien». Viendront nuancer sa pensée les considérations de l’abbé Dubos sur les conditions physiques, politiques, morales et sociales qui déterminent la création et la réception de l’œuvre d’art. Les chapitres 5 à 7 examinent à nouveaux frais les Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, œuvre polémique «sous-estimée maintenant encore», ainsi que le rossinisme de Sten-dhal (voir les fines remarques sur le Rouge et Il Viaggio a Reims, pp. 128 s.). Dans la troisième partie, la plus développée de cet ouvrage savant et sensible, F. Claudon examine le passage «De la critique aux romans», quoique tous les romans ne fassent pas uniformément appel à la musique. Sont alors reprises et renouvelées les analyses de la relation de Stendhal à Cimarosa: qu’il s’agisse de réminiscences voire de pastiches, l’influence du Napolitain sur la création romanesque est précisée avec le thème du mariage secret présent dans les quatre grands romans.

3Au chapitre 8, «Sorties théâtrales et lyriques», on va au spectacle avec le commis en fers, à Lyon, Marseille, Bordeaux – le lecteur des Mémoires d’un touriste néglige souvent cet aspect – où il lui arrive d’écouter des opéras français qu’il n’apprécie guère et qui font office de repoussoir aux vraies valeurs. Stendhal est à cette époque beaucoup plus expérimenté que le musicographe de la Vie de Rossini et du Journal de Paris. L’emploi de la musique dans les romans est parfois «fantaisiste et aléatoire»: dans les fictions «germaniques» (Le Rose et le Vert, Mina de Vanghel, Tamira Wanghen), pas la moindre allusion à un opéra allemand; Lamiel va bien à l’Opéra alors que triomphent Meyerbeer et Halévy, mais voit-elle Robert le Diable, Les Huguenots, La Juive? Le thème musical et le motif de la soirée à l’Opéra sont aussi présents dans Armance (Octave aime Otello, écoute la Pasta et adore Don Giovanni qu’il joue au piano) et dans le Rouge (Julien se contente de fréquenter le vestibule), tous romans qu’on pourrait lire «comme de véritables éphémérides de l’Opéra». Pour le romancier, les grandes œuvres lyriques sont autant de paraboles, mais on constate que les héros n’écoutent pas les œuvres récentes. Dans les fictions situées sous la monarchie de Juillet, plutôt que l’opéra lui-même (il n’y a aucune référence précise), ce sont les loges et le foyer de l’Opéra que Stendhal privilégie en sociologue du spectacle. Il préfère la salle à la scène, sans doute à cause de l’inanité des spectacles. Heureusement, les ballets échappent à la platitude ambiante, comme l’expose la digression «Féder et sa danseuse» (pp. 183-186). Quant à Lucien Leuwen, il écoute la Malibran, laquelle joue le rôle de «médiateur» entre lui et Mme de Chasteller.

4Les chapitres 9 à 11 traitent de la théâtralité ou de la référence au théâtre dans le roman stendhalien où l’on trouve plusieurs «scènes», telle la conversation musicale entre Clélia et Fabrice dont la conception semble inspirée de Cimarosa et de Mozart, de même pour la scène de la mainmise dans le Rouge qui peut rappeler le célèbre duettino de Don Giovanni (I, 9). Alors qu’on pense souvent que le procédé des intrusions d’auteur est strictement littéraire, on constate qu’il n’est pas sans rapport avec l’opéra quand la musique joue à plusieurs voix: Stendhal le «décalque» dans l’épisode de Marietta (Chartreuse, II, 8). Il en va de même des prétéritions et des ellipses dont F. Claudon montre la ressemblance avec les récitatifs, à partir de rapprochements heureux entre le Rouge, le Barbiere et Don Giovanni, si bien qu’on peut dire que «la rhétorique personnelle de Stendhal rejoint la rhétorique de l’art lyrique» (p. 214). Ces rapprochements ne sont pas qu’occasionnels car le récit imite l’opéra ou, mieux encore, «Le roman joue l’opéra» (chap. 10): des réminiscences lyriques surgissent, par le biais de paraphrases suggérées ou avérées, avec Mme de Rênal, Mathilde et la «bizarre» châtelaine de Vergy, avec Julien dont la situation est celle de Chérubin dans les Nozze (Rouge, I, 8 et 6). Autre mode de réécriture emprunté à l’opéra, la parodie: cette fois, c’est La Grotta di Trofonio, l’opéra bouffe de Salieri ou celui de Paisiello, qui serait en quelque sorte à l’état subliminal lors de la fête dans les bois d’Andilly, quand Octave paraît déguisé en magicien.

5D’autres rapprochements séduisants figurent dans le chapitre 11, «Le paysage e(s)t la musique»: la combinaison paysage-musique-sentiment apparaît aussi bien dans les Mémoires d’un touriste – «le paysage est la symphonie du bonheur» (p. 241) – que dans le Brulard (le paysage-archet) ou dans Lucien Leuwen (l’églogue du Chasseur vert). Le désir qu’avait Sten-dhal d’«écrire dans une langue sacrée», de façon à n’être compris «que de gens nés pour la musique», est au centre du chapitre 12 et dernier, où est étudié l’effet musical dans la Chartreuse dont la sceneggiatura ressemble aux livrets d’opéra. Dans ce roman politique il est beaucoup question de musique et on rencontre de nombreux compositeurs (Pergolesi, Cimarosa, Mozart, Crescentini), mais, c’est le cœur de son propos, F. Claudon montre comment Stendhal musicalise les paysages, c’est-à-dire par quels moyens littéraires sont créées des sensations musicales, par exemple les interactions du regard et de l’ouïe dans la description du lac de Côme (I, 2), ou lors de l’arrivée de Fabrice à Grianta (I, 8). Plus originale encore, la modulation d’un même motif, celui du panorama vu par Fabrice de sa cellule. À cela s’ajoutent les allusions au théâtre lyrique qui ne sont pas toutes saisies de nos jours. Le lecteur est invité à passer dans les «coulisses du roman» (pp. 268 s.) pour percevoir dans les scènes de jalousie des échos de Don Giovanni et d’Otello. (Cette présence du théâtre lyrique dans le roman est d’ailleurs confirmée a posteriori par l’opéra d’Henri Sauguet.) Il y a aussi le rapide portrait de Marietta et celui plus élaboré de «la fameuse Fausta», synthèse des divas de l’époque, sans doute inspirée par Mme Festa. Si sa voix angélique charme Fabrice, on ne sait pas ce qu’elle chante ni comment elle chante. L’enquête se poursuit du côté de Blanès, lui aussi «connecté» au monde de l’opéra, bien qu’il n’écoute pas de musique. La visite de Fabrice au vieil abbé est-elle un écho à l’initiation de Tamino dans La Flûte enchantée? Blanès fait la morale à Fabrice comme Sarastro initie Tamino. Quant à la fin du roman, F. Claudon signale qu’elle «recoupe étonnamment le finale de la Zauberflöte» (p. 288).

6Avec une érudition jamais aride, le stendhalien mélomane – passons sur ce quasi pléonasme – démontre, d’une part, que l’auteur des Vies fut un expert, non pas du grand opéra, mais de l’opéra-comique et de l’opera buffa italien; d’autre part, que ses choix quasi exclusifs de Mozart, de Cimarosa et, à un moindre degré de Rossini, ont permis à la musique de nourrir son imagination et de pénétrer son œuvre d’innombrables effets d’opéra.

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Pour citer cet article

Référence papier

Michel Arrous, « Francis Claudon, Stendhal et la musique »Studi Francesi, 191 (LXIV | II) | 2020, 414-415.

Référence électronique

Michel Arrous, « Francis Claudon, Stendhal et la musique »Studi Francesi [En ligne], 191 (LXIV | II) | 2020, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/studifrancesi/31868 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/studifrancesi.31868

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