Dora, une série pour les parents ?
Résumés
Les albums de Dora l’exploratrice participent d’une vaste production plurimédiatique dont la conception, inspirée des jeux vidéo, repose sur la notion d’interactivité ; cette notion est ici discutée dans la mesure où elle est confondue avec la réponse à des stimuli et surtout où l’album imprimé ne permet pas au lecteur d’intervenir dans le récit. La mise en avant de cette interactivité sert à légitimer des albums qui ne présentent fondamentalement pas de caractère novateur, sinon dans le choix d’un personnage, Dora Marquez, issue de ce que l’on nomme aujourd’hui la « diversité ». Ces histoires, qui bénéficient d’une grande faveur auprès de très jeunes enfants, semblent davantage encore plaire aux parents et aux médiateurs, qui en apprécient la dimension morale et éducative.
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Mots-clés :
narration interactive, livre-jeu, diversité, écologie, industrie culturelle, légitimité, sérieKeywords:
interactive storytelling, gamebook, diversity, ecology, cultural industry, legitimacy, seriesPlan
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Illustration 1 : De gauche à droite, Dora rentre à l’école, Albin Michel, 2013, épuisé ; Dora va à l’école, Modus vivendi, 2012, épuisé ; capture d'écran du personnage de Dora sur le site Babelio.
- 1 Souvent abrégé « Nick », elle doit son nom aux premières salles de cinéma américaines baptisées « N (...)
- 2 Slogan : « Avec un J comme j’aime ».
- 3 M6, abréviation de Métropole Télévision, est une chaîne de télévision généraliste privée qui émet d (...)
1La série d’albums Dora the Explorer (Dora l’exploratrice) n’est que le produit dérivé d’une série télévisée américaine à grand succès créée en 2000 par la chaîne sur câble Nickelodeon, première chaîne thématique destinée aux enfants, ouverte en 19791. Dora the Explorer sera programmé sur cette chaîne jusqu’au 9 août 2019 mais, en 2022, de nombreuses déclinaisons du « produit » se trouvent encore très accessibles à peu près partout dans le monde. En France, Dora est apparue en 2002 sur la chaîne thématique pour la jeunesse Tiji2, gérée par le groupe M63, puis sur TF1 à partir de 2003, avant d’être diffusée sur la propre chaîne de Nickelodeon après que Gulli lui aura été préférée pour la TNT gratuite. En 2008, Dora l’exploratrice y était programmée en même temps que d’autres séries très populaires, Bob l’éponge, Avatar, etc. Depuis 2021 on la voit sur M6 ainsi que sur Gulli, une chaîne généraliste dont une grande partie de la programmation s’adresse aux enfants.
2Il faut compter aussi avec l’apparition du lecteur DVD, nouveauté commercialisée au Japon à la fin de 1996 et en France au début de 1998. La France découvre Dora sur ce support en 2004, avec une explosion de titres produits par Fabbri, une maison italienne créée à Milan en 1947. Ce support permet la même autonomie que le livre sans avoir besoin de savoir lire, les très jeunes enfants pouvant le piloter eux-mêmes et visionner l’épisode autant de fois qu’ils le souhaitent si on leur en laisse la liberté. On a peu d’informations sur cette pratique déconsidérée mais qui est florissante si l’on en juge par les occurrences présentes sur le catalogue de la BNF.
- 4 Ce terme de droit commercial est souvent utilisé pour désigner l’ensemble des activités construites (...)
- 5 Sébastien Julian, sur le site en ligne de L’Express, publié le 8 novembre 2010 dans la rubrique « E (...)
- 6 Céline Deluzarche, « Les licences de marques pour enfants », Journal du Net, 21/05/2008, URL : http (...)
3La popularité de Dora l’exploratrice suscite généralement une analyse d’ordre économique et commercial plus qu’artistique ou culturelle. « Le business en or massif de Dora l’exploratrice », titrait ainsi L’Express du 9 novembre 2010 alors que les dix ans de la « franchise »4 Dora étaient fêtés de manière fastueuse par ses producteurs, qui affichaient un chiffre d’affaires de cinq milliards d’euros par an. L’article notait que les petits Français contribuent avec ardeur à cette manne alimentée par des séries télévisées et des albums mais aussi par de nombreux produits dérivés5. Selon l’agence Kazachok, 27 % des foyers avec un enfant entre 0 et 14 ans posséderaient au moins un article à l’effigie de Dora l’exploratrice. Pas moins de 85 entreprises, en France seulement, commercialisent des produits sous son effigie, Dora se retrouvant sur des objets de décoration, des œufs en chocolat, des jouets éducatifs ou de la papeterie6.
4Il est donc impossible de traiter des albums sans envisager non seulement le caractère polymédiatique du personnage mais aussi l’antériorité des supports audiovisuels et la valorisation de l’« interactivité ». C’est cette conception de l’interactivité qu’il faut d’abord analyser avant de considérer le caractère presque incongru du passage à l’album imprimé et du choix de l’éditeur, Albin Michel, habituellement porteur d’une grande légitimité culturelle. Si tout est fait pour que l’enfant s’imagine être moteur de l’action, nous nous demanderons ensuite quel est ou quels sont les auteurs de ces histoires dont semble d’abord importer le caractère positif des valeurs portées, essentielles aux yeux des parents et des éducateurs.
Éloge de l’interactivité
5D’une certaine façon, le personnage de Dora n’a rien de particulièrement exceptionnel. C’est une petite fille dont on ne voit jamais les parents, qui est accompagnée d’un ami, le singe Babouche, et qui ne quitte jamais son sac à dos, lui-même un personnage. Elle est dite « exploratrice » parce qu’elle peut se retrouver dans des contrées d’apparence sauvage mais aussi parce qu’elle découvre toutes sortes de réalités élémentaires. Elle apparaît donc tantôt comme une héroïne qui vit des aventures, tantôt comme une enfant semblable à son public. Ce qui la caractérise est le lien constant qu’elle est supposée entretenir avec ce public.
- 7 Ce caractère d’industrie est au centre des rares études menées sur Dora, notamment le mémoire de Ma (...)
- 8 Cette question a été développée dans un mémoire de Master 2 en « Sciences du management des produit (...)
6Le personnage de Dora semble donc particulièrement représentatif de l’industrie de l’entertainment telle qu’elle se conçoit en Amérique et dans le monde durant les vingt premières années du xxie siècle. Industrie7 fondée sur la distraction, plus largement sur l’effet gratifiant d’une occupation qui doit d’abord être plaisante pour soi mais aussi pour les autres. Le mot entertainment vient du français entretien, qui suppose une communauté d’intérêts et pose inévitablement la question de l’échange, des valeurs, de la morale. Le personnage de Dora est donc également appréhendé sous cet angle, et notamment en lien avec la notion d’interactivité, sans cesse avancée par les producteurs et reprise par les journalistes8. Même sur le site du Monde, le 6 septembre 2003, Macha Séry parlait, à l’occasion de l’arrivée de Dora sur TF1, de « la jolie surprise des programmes jeunesse de rentrée » :
- 9 Macha Séry, « Dora l'exploratrice », Le Monde, 6 septembre 2003, URL : https://www.lemonde.fr/archi (...)
Cette nouvelle série d’animation permet aux enfants âgés de 2 à 4 ans de devenir les acteurs de ce qu’ils regardent. Questions, devinettes, exercices de calcul ou de géométrie ponctuent une promenade en compagnie de Dora, une fillette de 7 ans et de son singe Babouche. Les enfants apprennent quelques mots d’anglais, aident la jeune héroïne à résoudre des énigmes, répètent des mots, élaborent un itinéraire9.
- 10 À ce sujet, on trouve aussi bien le mot « hispanisant » que « latino », plus ciblé d’un point de vu (...)
7La rédactrice résume ici toutes les qualités attribuées à cette série, dont les situations s’inscrivent dans une oralité très prononcée, encore accrue par un objectif initial d’apprentissage linguistique : favoriser la pratique de la langue anglaise par les enfants latinos, essentiellement mexicains10. La circulation d’une langue à une autre se retrouve dans tous les pays du monde, et en France c’est à l’anglais que les enfants sont initiés. Cet apprentissage, ou plutôt ce pré-apprentissage, se fait par la répétition de formules qui doivent s’inscrire dans l’esprit de l’enfant lecteur-auditeur, comme « Chipeur, arrête de chiper », s’adressant au Renard Swiper (Chipeur), le méchant de ces histoires, qui n’arrête pas de chiper des objets. D’autre part, chaque personnage est doté d’une chanson-phare (signature song) qui l’identifie sonorement. Ainsi, dans la chanson accompagnant le personnage Sac-à-dos (Backpack / Mochila en espagnol), qui aide Dora à résoudre les problèmes, on entend : « Anything that you might need, I’ve got inside for you / Tout ce dont tu pourrais avoir besoin, je l’ai à l’intérieur ». Enfin, le slogan de Dora « Allons-y, let’s go, c’est parti les amis ! », est devenu célèbre.
8Les formules que mémorisent les enfants peuvent être vues comme des gimmicks. Ce mot désigne un truc, une astuce et, dans le vocabulaire de la communication, c’est une répétition marquant les esprits. Ici, la répétition joue un rôle dans l’apprentissage mais aussi dans l’attachement du récepteur, qui croit jouer un rôle actif et qui enregistre des situations où se retrouve une héroïne qu’il aime. En ce sens, les premiers stades de la lecture sont moins un exercice de compréhension (dans son sens le plus exigeant supposant une résolution de problèmes) qu’un apprentissage de schémas qui supposent néanmoins d’aller de l’avant, d’attendre une suite et de trouver une solution aux questions.
- 11 Caroline Andrieu, « Dora l’exploratrice. Les petits l’adorent », Le Parisien [en ligne], 26 octobre (...)
9Macha Séry conclut son article en soulignant que Dora l’exploratrice « ressemble, par son interactivité, à la transposition télévisuelle d’un jeu vidéo », tout en faisant un autre rapprochement avec Guignol, les enfants étant invités à alerter Dora dès que le renard Chipeur pointe le bout de son museau. L’année précédente étaient sortis les premiers jeux sur PC reprenant les aventures de Dora. Ces jeux étaient en quelque sorte génétiquement programmés par le concept de la série , où l’enfant est sans cesse sollicité. « Il doit montrer du doigt le chemin à emprunter par exemple, comme il ferait bouger la souris de son ordinateur. Il doit appeler la carte à la rescousse, et surtout prévenir l’héroïne de l’arrivée de Chippeur [sic], ce coquin de renard11 ». À l’évidence, la télévision ne permet pas un réel échange entre les spectateurs et les personnages ou la voix qui les interpellent, allant jusqu’à les féliciter sans les avoir entendus. Au contraire, le jeu vidéo permet cette interaction ludique, le joueur disposant de périphériques pour agir et percevoir les conséquences de ses actes sur un environnement virtuel.
- 12 Auteur inconnu, « Dora l'exploratrice : l'interactivité passe de la télévision au PC », Distributiq (...)
10Lost City Adventure et Backpack Adventure, les deux premiers de ces jeux, sont réalisés par la société lyonnaise Infogrames. Celle-ci, pionnière en la matière, avait racheté la société américaine Atari avant d’être elle-même absorbée par d’autres sociétés. En 2004, elle sort encore Dora’s Fairytale Adventure / Dora l’exploratrice : au pays des contes de fées. À cette occasion, on pouvait lire sur le site Distributique : « L’interactivité passe de la télévision au PC… Les parents ravis de gagner quelques minutes de sommeil supplémentaires le matin grâce au dessin animé Dora l’exploratrice seront contents d’apprendre l’arrivée de celle-ci sur PC12 ».
Incongruité des albums Dora ?
- 13 Concept de livre-jeu arrivé chez Gallimard en 2004.
- 14 Voir notamment Gaëlle Pelachaud, Quand les livres s'amusent. Magie et surprises des livres animés d (...)
11Presque contradictoirement, c’est en 2004 également qu’Albin Michel sort le premier album d’une longue série dédiée au personnage : Bonne nuit, Dora ! / Good night, Dora!. Traditionnellement, c’est plutôt l’album imprimé qui suscite des adaptations. Ici, l’album se met à imiter la télévision, mais une télévision elle-même sous l’emprise du jeu vidéo, qui suppose ou impose des règles de participation. Si le lecteur d’un texte imprimé n’est certes pas passif, il ne peut influer sur ce texte sauf dans les « livres dont vous êtes le héros »13, dont les différentes possibilités sont cependant prévues et limitées en nombre. Dans les albums de Dora, il n’y a qu’un chemin et l’activité de l’enfant consiste à soulever des caches ou manipuler des tirettes. Procédés qui bénéficient d’une certaine ancienneté et d’une plus grande sophistication. En France, dès 1831, Jean-Pierre Brès faisait paraître chez Janet un Livre Joujou, livre à transformations accompagné de vignettes mobiles actionnées par des tirettes. Le livre animé offre donc une riche histoire14 devant laquelle les albums de Dora font pâle figure. Mais ils semblent bénéficier de l’empreinte de la série télévisée : Dora incarne l’indispensable complémentarité de ses divers avatars, complétés par un nombre impressionnant d’objets à son effigie. Ses albums relèvent moins d’une adaptation que de l’inclusion dans un ensemble dont le dénominateur commun serait ce principe d’interactivité. La Maison de Dora va jusqu’à être présenté en 2005 comme un « livre-souris » : « Comme Babouche, visite la maison de Dora et trouve à l’aide de ta Souris Magique tous les objets recherchés. Il te suffit de cliquer une fois sur ta Souris et selon ta réponse, tu entendras soit “oh ! oh !” soit le joli chant de fanfare si tu as gagné ! »
- 15 Sur le site Babelio, elle est présentée comme une « auteure américaine de livres sous licence chez (...)
- 16 Celle-ci, qui a illustré plusieurs de ces albums, se présente comme freelance illustrator sur le si (...)
12Bonne nuit, Dora !, le premier album de la série, allait moins loin dans la modernité technologique. L’adaptation de ce volume de seize pages sans numérotation, initialement publié par Penguin Random House, est attribuée à Christine Ricci15 et les illustrations à Susan Hall16. La formule exclamative de son titre n’est pas nouvelle en librairie de jeunesse : elle veut exprimer la spontanéité, la joie, l’enthousiasme et évidemment une forme d’oralité qui se retrouvera tout particulièrement tout au long de l’album. C’est aussi un livre avec caches (flap storybook) : en rentrant chez elle le soir, Dora entend divers cris d’animaux, insectes, oiseaux, hibou, etc. qui sont cachés sous le rabat. Elle demande au lecteur de les saluer en français, « Bonne nuit les oiseaux » et en anglais, « Good night birds », puis de soulever le rabat pour les découvrir. Si l’on considère l’âge supposé des lecteurs, ce dispositif suppose la participation d’un adulte (on trouve sur Youtube d’assez nombreuses captations de lectures d’un album).
- 17 Celui-ci a également illustré Mon amie Kaï-Lan (Albin Michel, 2010), dérivé de la série télévisée N (...)
- 18 Diego, le cousin de Dora, est devenu le héros d’une série dérivée (spin-off en anglais), Go Diego, (...)
13Cette même année 2004, Albin Michel lance une rafale de titres, Un cadeau pour le père Noël / A Present for Santa (adaptation, Chris Gifford ; illustration, Jason Fruchter17), Compte avec Dora ! (adaptation, Phoebe Beinstein ; illustrations, Thompson Bros), Dora & Diego18 (adaptation, Leslie Valdes ; illustrations, Suzan Hall), Dora et Babouche / Dora loves Boots : « Dora et Babouche se sont donnés rendez-vous sur le rocher de l’arc-en-ciel. Chacun de son côté prépare une belle surprise à l’autre. Mais, pour arriver à ce rocher, ils doivent affronter beaucoup d’épreuves. Peux-tu aider Dora et Babouche à se retrouver ? »
14Le mode opératoire subit peu de variations. Dans Dora et son sac à dos / Dora’s Backpack, « Dora adore son sac à dos. Il contient toujours ce dont elle a besoin. Dora et ses amis doivent arriver à temps à la bibliothèque pour rendre leurs livres. Peux-tu aider Dora et Sac à dos ? » Cet épisode est assez emblématique du caractère ambigu de la série, partagée entre une culture conservatrice et une culture plus moderne, héritée de la génération des routards, des backpackers, les porteurs de sac à dos attirés par les pays lointains et peu développés. Les « explorations » de Dora alternent ainsi entre les occupations familières et la découverte des lieux exotiques, comme dans Dora & Diego / Meet Diego ! : « Dora retrouve Diego, son cousin super chouette. Diego sait parler aux animaux et les aide quand ils sont en danger. Ainsi, lorsque Bébé Jaguar appelle au secours, Diego part le sauver. Mais arrivera-t-il à temps ? »
15Il n’y a donc aucune unité thématique dans ces albums, le personnage de Dora étant « multifonction », ce qui n’est sans doute pas un trait particulier. D’un côté, Dora devient propre, Dora et les couleurs, Dora et les insectes, La politesse avec Dora, et de l’autre Dora et les pirates, Princesse Dora. La variété des lieux et des situations va de pair avec une trame peu inventive, alors qu’Albin Michel Jeunesse bénéficie d’une forte légitimité, notamment dans le domaine du livre animé. En témoigne ainsi la page qui lui est consacrée sur le site Ricochet, où est évoqué le succès de personnages pour les tout-petits, comme Didou, mais où Dora est absente, comme sur l’ensemble du site.
- 19 Voir Jean-Claude Chamboredon et Jean-Louis Fabiani, « Les albums pour enfants. Le champ de l’éditio (...)
- 20 Bernard Lahire, La culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La (...)
- 21 Michèle Piquard, qui a étudié précisément la structure juridique des entreprises, montre que dès 19 (...)
16C’est que ces albums sans doute bien ajustés à un très jeune public sont peu novateurs et semblent en décalage avec la politique éditoriale d’Albin Michel. D’ailleurs, en parallèle, l’éditeur imagier Hemma publie des livres musicaux et lumineux, des « livres tambour » comme Chante et joue avec Dora, où le lecteur doit appuyer sur une touche pour faire démarrer une des 15 mélodies qu’il pourra rythmer librement en musique et en lumière en actionnant les touches d’un « tambour » lumineux. On aurait pu s’attendre à ce que ce soit Hemma qui diffuse l’ensemble des albums, plus conformes à son statut traditionnel d’« éditeur imagier19 ». La différence de statut de ces deux maisons, Albin Michel et Hemma, signale sans doute un souci d’unanimisme : n’importe quel enfant du monde, latino ou blanc d’Amérique, héritier culturel ou non, achetant ses livres en librairie ou au supermarché, peut participer au monde de Dora. Cette coexistence pouvait bien entendu se retrouver dans plus d’une famille cultivée et ouverte, illustrant ce que Bernard Lahire a nommé « dissonance culturelle », marquée par la présence chez une même personne de pratiques culturelles à la légitimité contrastée20. Mais désormais la distribution des licences prend en compte cette dimension, qu’accompagne par ailleurs une réduction de l’écart entre Albin Michel et Hemma, qui se déploient aujourd’hui dans un grand jeu international. Ainsi, depuis les travaux de Fabiani et Chamboredon, le statut de la maison familiale qu’était Hemma a changé, avec son intégration dans le groupe Vivendi, puis dans Editis quand Vivendi s’est scindé en plusieurs entités21.
- 22 Voir « Pluriels et singuliers. Les impacteurs – Aïssa », https://plurielsetsinguliers.com/les-impac (...)
- 23 Voir Actulegales.fr, Le site officiel des annonces légales d'entreprises, ALM éditions. Événement : (...)
17Cette physionomie éditoriale se vérifie si l’on note que Atlas jeunesse, filiale de l’éditeur suisse Atlas spécialisé dans les atlas et les encyclopédies, aujourd’hui disparu, a publié 62 titres entre 2007 et 2009 dans une collection dédiée à Dora, « Mes livres découvertes », dirigée par Aïssa Derrouaz, un personnage au parcours varié et atypique22. À cela il faut ajouter un magazine bimestriel qui paraîtra d’octobre-novembre 2004 à mai 2015, avec un supplément, Dora l’exploratrice. Jeux et créations. Son directeur, Georges Attal, est présenté comme gérant de nombreuses sociétés dans des domaines fort variés, dont plusieurs dans les médias, en l’occurrence A.L.M. éditions, une société qui semble disparaître et reparaître fréquemment, avec divers gérants de la même famille. Son activité est ainsi présentée : édition, conception, réalisation de tout support de presse ou multimédia, prise de licence, brevets. La domiciliation originelle, 38 rue de Berri à Paris, est instructive dans la mesure où à cette adresse émargent de nombreuses entreprises exerçant des activités sans lien avec l’édition. Quelques mois après l’arrêt du magazine, une procédure de redressement judiciaire est lancée pour insuffisance d’activité23. On est donc assez loin du monde traditionnel de la presse, concentré géographiquement, et encore plus loin d’une maison comme Albin Michel, même si la couverture des albums affiche une esthétique de magazine.
- 24 Ces ouvrages ne sont pas répertoriés dans le catalogue de la BnF.
18Cet équilibre entre des éditeurs ou des supports à la légitimité contrastée va de pair avec un art de concilier l’amusement et l’éducation, selon un balancement constitutif de la librairie de jeunesse. En effet, Dora se retrouve dans « Les petits imagiers » de Magnard, « destinés aux enfants de 2 à 6 ans pour se familiariser avec l’ensemble des thèmes exploités en classe à travers l’univers de Dora l’exploratrice. Des pages d’activités ludiques, type devinettes, permettent à l’enfant de réinvestir le vocabulaire en utilisant des autocollants » : Abécédaire, L’école, Les savoirs de la maternelle, La famille et les amis (2007), Les nombres, Premiers pas vers la lecture (2008), etc.24, ainsi que dans « En route pour découvrir avec Dora » pour la toute petite section, dès deux ans (les formes, les couleurs, les lettres). Un certain nombre de ces livres, qui ne reprennent pas la série télévisée, sont signés Fabienne Rousseau, par ailleurs autrice d’ouvrages scolaires portant sur les mêmes apprentissages. Reste donc le personnage de Dora, référence iconique, toujours associée au dynamisme : « en route » est la formule qui la caractérise, et elle est toujours en chemin : Dora, en route pour l’école (album chez Albin Michel), Dora, en route pour la lune (livre musical chez Hemma), Sur la route de chez Dora (vidéo sur Dailymotion). On pourrait penser que Dora n’habite nulle part, s’il n’y avait La maison de Dora, qui relève cependant plutôt de l’escape game.
De qui Dora est-elle la création ?
- 25 Toutes ces informations sont données sur dora.fandom.com/wiki/. Il y a un « univers » Dora, comme i (...)
19Symétriquement, se pose la question de l’auteur. Nous avons vu que les albums sont signés de divers noms. Cette série est le fruit d’un travail collectif qui réunit un grand nombre de « créateurs » dont aucun n’est véritablement l’auteur, sinon la firme Nickelodeon elle-même, si l’on suit le catalogue de la BnF, assez fluctuant sur ce point. Du reste, le nom de l’entreprise figure sur toutes les couvertures et pochettes, non celui des « auteurs ». Il faut remonter en 1997, quand Nickelodeon demande à Helena Giersz, une graphiste polonaise qui vient de créer le studio Funline Animation, de concevoir des personnages pour un « show » intitulé au départ Nina’s Pop-up Puzzle. Un cahier des charges précise que Nina vit dans un ordinateur et a pour compagnon un singe nommé Boots (en lien avec le terme d’informatique reboot) avec qui elle résout des problèmes de langue et de mathématiques. Très vite est apparu un autre objectif, celui d’instruire les spectateurs hispanisants, et Nina, une fille irlandaise aux yeux verts et aux cheveux roux, est devenue Dora, une fille du Costa Rica aux cheveux et aux yeux noirs. Helena Giersz se rendra même au Costa Rica et l’histoire nous dit qu’elle y découvre les parfums et les couleurs de la rainforest. En 1998, elle réalise en Pologne un « pilote » qui ne sera pas diffusé mais réutilisé dans l’épisode intitulé Beaches25. Le nom d’Helena Giersz n’apparait jamais comme autrice mais comme production designer.
- 26 Définition donnée sur le site d’Eicar, The international Film & Television School, Paris, qui prépa (...)
À la fois artiste et technicien, le production designer participe à toutes les étapes d’un projet audiovisuel. Il œuvre à garantir la création d’un univers esthétique fictionnel, cohérent aux besoins techniques du projet, tout en respectant les contraintes budgétaires et de production qu’il impose. Il traduit les intentions artistiques du réalisateur dans des images et des éléments concrets. Il imagine l’allure des personnages et l’espace physique dans lequel ils évoluent26.
- 27 « Dora a égaré son nounours préféré et ne sait plus quoi faire pour le retrouver. La Carte lui indi (...)
- 28 Alexandra del Rosario, Deadline [en ligne], 12 janvier 2021, URL : https://deadline.com/2021/01/icm (...)
20Ceux qui apparaissent davantage comme les « auteurs » de la série télévisée, Valerie Walsh Valdes, Eric Weiner et Chris Gifford, sont peu connus du public, toute la notoriété reposant sur le personnage. Ils le sont davantage chez les professionnels, où ils sont considérés aussi comme executive producers, mandatés par la société de production pour prendre en charge la fabrication du film dans les limites d’un budget imparti. Valerie Walsh, née en 1956, travaille en collaboration avec son mari, Leslie Valdes, né à Cuba, qui a commencé sa carrière dans l’équipe de scénaristes de Dora et qui a écrit pour le théâtre une comédie musicale, The City of Lost Toys, qui a connu un grand succès : la version française, Dora l’exploratrice et la cité des jouets perdus, a été représenté en octobre 2010 au Casino de Paris, et à l’Olympia en décembre 201127. On a pu lire récemment l’annonce d’un contrat signé par le couple : « I.C.M. Partners Signs “Dora The Explorer”, “Santiago Of The Seas” Duo Valerie Walsh Valdes & Leslie Valdes28 ». I.C.M. Partners (International Creative Management) est une agence littéraire et artistique qui représente ses clients dans les domaines du cinéma, de la télévision, de la musique, de l’édition, du spectacle vivant, du divertissement de marque et des nouveaux médias.
21Les deux autres co-auteurs participent au système Dora de plusieurs façons. Eric Weiner, présenté comme écrivain et producteur, est crédité comme l’auteur de nombreux albums publiés par Albin Michel. Il est par ailleurs co-auteur de la série éducative Little Einsteins / Les Petits Einstein, tournée vers la culture générale et la découverte des grandes œuvres artistiques, diffusée sur Playhouse Disney entre octobre 2005 et décembre 2009. Dans la lignée de Dora, cette série donne à ses personnages une mission à remplir et affiche comme mots d’ordre : « Aider », « Interaction », « Musique », « Peinture », « Gentillesse », etc.29 Quant à Chris Gifford, écrivain, scénariste et producteur, il s’est tourné vers l’animation en suivant Helena Giersz qui a convaincu son équipe d’assurer l’animation du pilote. Également acteur, il prête sa voix à plusieurs personnages de la série, Big Red Chicken / le Grand Poulet rouge, the Grumpy Old Troll / le Vieux Troll grincheux et le pirate Captain Pig.
Politiquement correcte
- 30 En France, l’expression « issue de la diversité » permet désormais de caractériser une personne ori (...)
- 31 Même si les studios Disney se sont mis à contester leur propre modèle avec la princesse Merida dans (...)
- 32 Les travaux sur les stéréotypes de genre et la place des stéréotypes dans la littérature de jeuness (...)
22Produit de l’industrie culturelle, Dora échappe cependant aux critiques les plus courantes qui frappent généralement les productions du même genre. D’une part, la série se veut multiculturelle, avec une héroïne issue de la « diversité »30 et qui par ailleurs semble échapper aux stéréotypes de genres, en apparaissant comme une « anti-princesse Disney »31. Cheveux bruns coupés au bol, plutôt rondelette, elle n’est pas habillée comme une petite princesse élancée et blonde mais porte toujours un pantalon et un tee-shirt rose qui laisse apparaître le bas de son ventre. La comparaison, cependant, n’est pas entièrement pertinente car Dora est plus jeune que ces princesses et donc moins proche des préoccupations sentimentales. Il faudrait plutôt la rapprocher de Kitty, l’héroïne de la série japonaise Hello Kitty, plus « féminine », plus « mignonne »32.
23Dora est une « routarde » qui va dans le monde, avec une prédilection pour la forêt tropicale, plus marquée dans la série télévisée que dans les albums. Cet attrait pour la rainforest, dont on sait qu’elle est menacée, va de pair avec un engagement pour l’écologie. On lit sur le site de Toute la télé, le 3 juin 2010 : « Dora l’exploratrice milite pour l’environnement ». À l’occasion de la journée mondiale de l’environnement, Nickelodeon met ses héros à contribution, au travers d’une programmation matinale spéciale. « Ainsi dès 8 h 15, chaque icône de la chaîne contribuera, à sa façon, à ce mouvement d’ampleur internationale. Raison pour laquelle Dora et Babouche devront raccompagner un pingouin au pôle Sud, et remettre de l’ordre dans les quatre saisons ». Cette préoccupation se retrouve dans l’album Les petits gestes de Dora : Vive la planète ! qui paraît en France la même année et qui sera suivi en 2014 par Dora protège la planète : « C’est la Fête de la Science à l’école. Aide Dora et ses amis à réaliser de beaux projets écologiques et apprends à protéger la planète avec ton exploratrice préférée ! » Parallèlement, la firme italienne Clementoni, qui produit des jeux plus traditionnels dont l’héroïne est Dora, propose une boîte éducative tournée vers l’environnement et le respect de la nature, L’écologie avec Dora. Par le biais de différents jeux sur des fiches très résistantes, Dora est chargée d’initier les enfants « aux valeurs qu’elle véhicule dans son dessin animé ».
- 33 Voir Charlotte Pudlowski, « Et si Dora n’était même pas Mexicaine ? », 20 minutes [en ligne], 25 ma (...)
24Ce discours écologique participe d’une stratégie qui affiche des valeurs consensuelles, traditionnelles, propres à tout système éducatif soucieux de diffuser une morale élémentaire, ici reconditionnée. En ce sens, le discours bâti autour de la série contribue à un récit plus global adressé aux parents et aux prescripteurs. Pourtant, Dora s’est retrouvée piégée dans une polémique provoquée par une nouvelle loi sur l’immigration votée en Arizona, incitant les forces de l’ordre à contrôler le statut migratoire de tout individu en cas de « doute raisonnable » sur sa situation. Un dessin parodique d’un mugshot (photo de criminel) l’a montrée avec un œil au beurre-noir et la légende : « Dora l’exploratrice a traversé illégalement la frontière et résisté à son arrestation / Dora the explorer illegal border crossing resisting arrest33 ». Et le Huffington Post a publié une histoire parodique racontant son arrestation en compagnie de son cousin Diego. Si bien que Nickelodeon a dû rédiger un communiqué :
Il faut qu’on vous parle. Dora, vous savez…. Comment dire… et bah : elle n’est pas mexicaine. Enfin pas forcément. Oui, elle parle espagnol ; certes, son nom de famille est Sanchez, mais elle a été conçue pour représenter les Latinos en général, elle est donc pan-latin-américaine : c’est une citoyenne du monde.
L’impossibilité d’un point de vue ?
- 34 C. Andrieu, « Dora l’exploratrice. Les petits l’adorent », op. cit.
25Cette polémique est évidemment loin du regard de ces enfants, qui « adorent tellement Dora34 ». Nous disposons de peu d’éléments concernant l’avis même de ces enfants, qui plébiscitent la série sous toutes ses formes mais dont on peut penser qu’ils répondent aussi à une sollicitation sans cesse renouvelée, la programmation du dessin animé le matin avant d’aller à l’école étant sans doute un élément essentiel. On trouve quelques exemples de propos tenus par des enfants dans quelques articles dont les auteurs semblent avoir procédé selon la technique du « micro-trottoir » dans leur entourage proche. Mais nous manquons ici d’éléments tangibles sur ce qui serait réellement un « point de vue » enfantin. Celui-ci est présupposé, et ces présupposés semblent confirmés par la popularité du personnage.
- 35 María Alejandra Castro Arbeláez, « Dora l'Exploratrice : pourquoi nos enfants l'aiment autant ? », (...)
26Comme bien souvent, on rencontre essentiellement les croyances d’adultes postulant, comme on l’a vu plus haut, que telle intention auctoriale produit automatiquement son effet. Par exemple, le site Être parents propose ses réponses à la question : « Dora l’exploratrice, pourquoi les petits l’aiment autant35 ? ». Question qui pourrait plutôt se formuler comme : « Dora l’exploratrice, pourquoi les parents l’aiment autant ? », car il s’agit ici de montrer comment ce « classique de la télévision pour enfants » combine l’amusement avec l’éducation et la transmission des valeurs. C’est cette transmission qui est essentielle dans une perspective éducative qui n’aborde pas ici la question de la forme, sinon pour la comparaison obligée avec le schéma d’un jeu vidéo interactif, qui impose au joueur de réagir, donc de « participer ». Dora apprend (ou apprendrait ?) à participer. « Dans la série, elle leur demande de crier ou de l’aider à trouver quelque chose. Cela permet aux enfants de comprendre que leur position dans le monde doit être dynamique et non passive. » Lorsque le renard essaie de voler quelque chose à Dora, elle demande aux petits téléspectateurs de lui crier : « Swiper, ne vole pas ». « De cette façon, les enfants deviennent également des agents impliqués. » Les autres points positifs, selon les témoignages des parents ou des éducateurs cités, sont l’importance de l’amitié, la position de curiosité et de respect face aux autres cultures, et les « éléments basiques et nécessaires pour des relations sociales saines ».
- 36 « “Nous sommes en train de créer un véritable écosystème”, résume Thierry Cammas, président gérant (...)
- 37 Par exemple, dans le mémoire de Camille Passot, Dora l’exploratrice à la conquête du monde, op. cit (...)
27L’enthousiasme de la sphère culturelle est moins grand. On note une mention « Hélas ! » dans La Revue des livres pour enfants, décernée par Brigitte Andrieux à La Maison de Dora, mais c’est plutôt le silence qui s’impose. L’« écosystème » Dora36 n’offre guère de prise à l’étude critique et reste étranger au système d’évaluation mis en place depuis les années 1970 avec l’explosion d’une nouvelle offre éditoriale à laquelle Albin Michel Jeunesse a participé dès son lancement en 1980. Les albums ne sont cependant pas absents des médiathèques, comme on peut le constater en faisant une recherche sur Internet. Du reste, astucieusement, les promoteurs de Dora ont prévu, après Dora va l’école, un Dora va à la bibliothèque qui inscrit l’héroïne dans une généalogie légitimante : « À la bibliothèque, Dora et Babouche lisent des histoires. Puis ils partent à l’aventure pour rencontrer Peter Pan, le magicien d’Oz et le Petit chaperon rouge ». Quand on lit des interviews de bibliothécaires ou d’enseignants37, on observe plutôt une sorte d’accommodement. Et d’une certaine manière, derrière la célébration du dynamisme et de l’optimisme, là est peut-être le véritable ressort d’une série sur laquelle la censure, non plus celle des autorités mais celle des particuliers et des communautés, ne trouve pas prise.
28En conclusion, il paraît difficile de tenir un discours critique sur ces albums qui n’affichent aucune ambition esthétique ou littéraire et cherchent très peu d’originalité dans les récits. Curieusement, l’industrie du divertissement se place davantage sur un terrain moral et éducatif, positionnement qui a été reproché autrefois à une littérature jugée trop scolaire. Mais ces albums semblent profiter de leur inscription dans un univers plurimédiatique qui leur confère une « animation » impossible à créer dans l’objet-livre. Cette animation, cet élan, cette joie de vivre entretenue par des chansons ou plutôt par le souvenir de ces chansons, il n’est guère possible d’en médire tant ils semblent portés par de bonnes intentions mais aussi tant ils semblent convenir à de très jeunes enfants.
- 38 En 1983, lors d’un séminaire tenu à Bad Homburg, Pierre Bourdieu postule l’existence d’un espace so (...)
- 39 Jean-Paul Sartre, Baudelaire, Gallimard, 1947, p. 175-179 de la réédition en « idées nrf ».
29Cet empêchement renvoie sans doute aux limites de nos exigences en matière de goût et de légitimité. Ce « nous » désigne ici la communauté des chercheurs et des spécialistes qui, tout en usant assez largement du concept de « légitimité » venu de la sociologie de Bourdieu38, affecte de très hautes exigences à la production culturelle destinée à la jeunesse. En ceci, elle participe du « collège restreint » dont parlait déjà Jean-Paul Sartre dans son Baudelaire, et de la création chimérique, selon lui, d’une société qui serait le rappel de l’aristocratie disparue, située « en dehors du cycle production-consommation39 ». Ainsi le concept de « légitimité » perd-il toute la fonction critique censée le définir puisqu’il n’a de valeur que pour ceux qui reconnaissent cette légitimité. Et Dora, personnage rassurant et consensuel, vient donc semer le désarroi.
Notes
1 Souvent abrégé « Nick », elle doit son nom aux premières salles de cinéma américaines baptisées « Nickel Odeon », « odeon » comme cinéma et « nickel » comme le prix du billet, une pièce de 50 cents.
2 Slogan : « Avec un J comme j’aime ».
3 M6, abréviation de Métropole Télévision, est une chaîne de télévision généraliste privée qui émet depuis le 1er mars 1987.
4 Ce terme de droit commercial est souvent utilisé pour désigner l’ensemble des activités construites autour du personnage de Dora par des entreprises auxquelles Nickelodeon concède « le droit d'utiliser tout ou partie des droits incorporels lui appartenant (nom commercial, marques, licences) contre le versement d'un pourcentage sur son chiffre d'affaires ou d'un pourcentage calculé sur ses bénéfices » (Serge Braudo, Dictionnaire du Droit privé [en ligne], URL : www.dictionnaire-juridique.com/definition/franchise).
5 Sébastien Julian, sur le site en ligne de L’Express, publié le 8 novembre 2010 dans la rubrique « Entreprises ».
6 Céline Deluzarche, « Les licences de marques pour enfants », Journal du Net, 21/05/2008, URL : http://www.journaldunet.com/economie/communication/classement/licences-marque-enfants/.
7 Ce caractère d’industrie est au centre des rares études menées sur Dora, notamment le mémoire de Master 2 de Camille Passot, Dora l’exploratrice à la conquête du monde. Les constructions discursives d'une héroïne médiatique sur le marché de l'enfance, mémoire de master Information et Communication sous la direction de Véronique Richard, École des hautes études en sciences de l'information et de la communication, Université de Paris-Sorbonne, 2011. L’analyse y est centrée sur cette question du marché de l’enfance, mais il faut rappeler que l’édition pour la jeunesse a toujours été aussi un marché, même lorsqu’il s’agit d’éduquer et de moraliser.
8 Cette question a été développée dans un mémoire de Master 2 en « Sciences du management des produits de l’enfant » : Adèle Van Colen et Élodie Menet, Dora l’exploratrice, un nouveau concept d’interactivité ?, Centre européen des produits de l’enfant, Université de Poitiers, 2006. Ce concept de « produit de l’enfant » se rapproche et s’oppose à celui d’« objet culturel de l’enfance », ce master apportant « une spécialité centrée sur la valorisation des marques jeunesse, le design de communication et le packaging » et permettant d'accéder à des métiers comme « responsable marketing digital, social marketing manager, web marketer, community manager, chef de projet, chef de produit, chef de marque, etc. » (https://www.angouleme.fr/annuaire/45604/centre-europeen-des-produits-de-lenfant-cepe-universite-de-poitiers-iae/).
9 Macha Séry, « Dora l'exploratrice », Le Monde, 6 septembre 2003, URL : https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/09/06/dora-l-exploratrice_4272210_1819218.html [consulté le 18/03/2023].
10 À ce sujet, on trouve aussi bien le mot « hispanisant » que « latino », plus ciblé d’un point de vue ethnique.
11 Caroline Andrieu, « Dora l’exploratrice. Les petits l’adorent », Le Parisien [en ligne], 26 octobre 2004, URL : https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/dora-l-exploratrice-les-petits-l-adorent-26-10-2004-2005404016.php [consulté le 18/03/2023].
12 Auteur inconnu, « Dora l'exploratrice : l'interactivité passe de la télévision au PC », Distributique, 15 juin 2004, URL : https://www.distributique.com/nouveaux-produits/lire-dora-l-exploratrice-17717.html.
13 Concept de livre-jeu arrivé chez Gallimard en 2004.
14 Voir notamment Gaëlle Pelachaud, Quand les livres s'amusent. Magie et surprises des livres animés d'hier et d'aujourd'hui, Lyon, Musée de l’imprimerie, 2012.
15 Sur le site Babelio, elle est présentée comme une « auteure américaine de livres sous licence chez Simon Spotlight/Nickelodeon. Elle a écrit plus de 70 livres sur Dora l'exploratrice. »
16 Celle-ci, qui a illustré plusieurs de ces albums, se présente comme freelance illustrator sur le site Linkedin.
17 Celui-ci a également illustré Mon amie Kaï-Lan (Albin Michel, 2010), dérivé de la série télévisée Ni Hao, Kai-Lan / Bonjour, Kai-Lan), créée par Karen Chau et diffusée sur Nickelodeon entre novembre 2007 et novembre 2011. Cette jeune eurasienne de 6 ans est une réplique de Dora : bilingue, elle parle français et chinois (mandarin). Elle est brave et généreuse, elle respecte les valeurs et coutumes de la culture chinoise et elle vit de nombreuses aventures avec ses compagnons, un koala, un singe et un tigre. Les albums publiés par Albin Michel ont la même maquette que ceux de Dora.
18 Diego, le cousin de Dora, est devenu le héros d’une série dérivée (spin-off en anglais), Go Diego, go!, visant davantage le public des garçons et accentuant le caractère aventureux, Diego ne cessant de sauver des animaux menacés, le plus souvent exotiques.
19 Voir Jean-Claude Chamboredon et Jean-Louis Fabiani, « Les albums pour enfants. Le champ de l’édition et les définitions sociales de l’enfance », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 13 et n° 14, 1977, récemment réédité par la Revue des sciences sociales, n° 64, 2020.
20 Bernard Lahire, La culture des individus : dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004.
21 Michèle Piquard, qui a étudié précisément la structure juridique des entreprises, montre que dès 1988, face à la concurrence de plus en plus âpre, la société est transformée en S.A. et que les Presses de la Cité entrent dans son capital (L’édition pour la jeunesse en France de 1945 à 1980, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2004, p. 91).
22 Voir « Pluriels et singuliers. Les impacteurs – Aïssa », https://plurielsetsinguliers.com/les-impacteurs-aissa/.
23 Voir Actulegales.fr, Le site officiel des annonces légales d'entreprises, ALM éditions. Événement : Clôture pour insuffisance d'actifs. Paru dans : Petites Affiches (Les) - La Loi – Le Quotidien Juridique – Gazette du Palais. Date : 10 juillet 2018.
24 Ces ouvrages ne sont pas répertoriés dans le catalogue de la BnF.
25 Toutes ces informations sont données sur dora.fandom.com/wiki/. Il y a un « univers » Dora, comme il y a chez Disney un « monde des canards » et un « monde des souris » qui disposent d’un wiki.
26 Définition donnée sur le site d’Eicar, The international Film & Television School, Paris, qui prépare à un master professionnel « Production Design » (https://www.eicar.fr/formation/production-design/).
27 « Dora a égaré son nounours préféré et ne sait plus quoi faire pour le retrouver. La Carte lui indique alors que les jouets disparus se trouvent tous au même endroit : dans la Cité des Jouets Perdus. Notre exploratrice part alors en mission pour trouver ce drôle d'endroit mais elle doit faire vite ! »
28 Alexandra del Rosario, Deadline [en ligne], 12 janvier 2021, URL : https://deadline.com/2021/01/icm-partners-signs-dora-the-explorer-couple-valerie-walsh-valdes-leslie-valdes.
29 https://www.filmspourenfants.net/les-petits-einstein/.
30 En France, l’expression « issue de la diversité » permet désormais de caractériser une personne originaire de populations dominées ou anciennement dominées. On peut renvoyer pour un approfondissement critique à Gérard Mauger, « “Issus de la diversité” », Savoir/Agir, vol. 7, n° 1, 2009, p. 103-106.
31 Même si les studios Disney se sont mis à contester leur propre modèle avec la princesse Merida dans Rebelle (Brave), sorti en 2012.
32 Les travaux sur les stéréotypes de genre et la place des stéréotypes dans la littérature de jeunesse sont particulièrement abondants (voir la bibliographie indicative sur https://genreed.hypotheses.org/bibliographie-indicative). Au-delà de ces études plus ou moins scientifiques, la question est présente dans la société et s’impose de plus en plus à l’industrie culturelle.
33 Voir Charlotte Pudlowski, « Et si Dora n’était même pas Mexicaine ? », 20 minutes [en ligne], 25 mai 2010, URL : https://www.20minutes.fr/medias/406910-20100525-si-dora-etait-meme-mexicaine.
34 C. Andrieu, « Dora l’exploratrice. Les petits l’adorent », op. cit.
35 María Alejandra Castro Arbeláez, « Dora l'Exploratrice : pourquoi nos enfants l'aiment autant ? », Être parents, dernière mise à jour 11 août 2018, URL : https://etreparents.com/dora-lexploratrice-pourquoi-nos-enfants-laiment-autant/.
36 « “Nous sommes en train de créer un véritable écosystème”, résume Thierry Cammas, président gérant de MTV Network France » (« Le businesse en or massif de Dora », op. cit).
37 Par exemple, dans le mémoire de Camille Passot, Dora l’exploratrice à la conquête du monde, op. cit., p. 111-118.
38 En 1983, lors d’un séminaire tenu à Bad Homburg, Pierre Bourdieu postule l’existence d’un espace social autonome, ou tendu vers l’autonomie, qu’il nomme « champ littéraire ». Il reprend ce concept dans un article de sa revue Actes de la recherche en sciences sociales (Le Champ littéraire, vol. 89, 1991, p. 3-46) puis le développe dans Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire (Seuil, 1992). Ce champ est un univers artistique soumis à des lois propres qui relèvent de l’esthétique et dont l’enjeu central est « le monopole de la légitimité littéraire », celle-ci échappant aux lois du marché économique.
39 Jean-Paul Sartre, Baudelaire, Gallimard, 1947, p. 175-179 de la réédition en « idées nrf ».
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Légende | Illustration 1 : De gauche à droite, Dora rentre à l’école, Albin Michel, 2013, épuisé ; Dora va à l’école, Modus vivendi, 2012, épuisé ; capture d'écran du personnage de Dora sur le site Babelio. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/9910/img-1.jpg |
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Pour citer cet article
Référence électronique
Francis Marcoin, « Dora, une série pour les parents ? », Strenæ [En ligne], 22 | 2023, mis en ligne le 20 avril 2023, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/9910 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/strenae.9910
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