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N°21, 2022 : Pif Gadget et compagnie : approches pluridisciplinaires

Remise définitive des articles : 1er février 2022
Sébastien Laffage-Cosnier et Christian Vivier

Le récent décès du dessinateur André Chéret (5 mars 2020), créateur avec le scénariste Roger Lécureux du célèbre héros préhistorique de la bande dessinée Rahan, plonge dans une certaine nostalgie les très nombreux‧euses quadra et quinquagénaires abreuvé‧e‧s par la lecture, durant leurs jeunes années, de cette série culte (plus de 200 épisodes) de Pif Gadget, magazine de bandes dessinées fortement ancré dans le monde ouvrier.

Issu d’un organe clandestin de jeunes résistants communistes né en 1942 (Medioni 2012), Pif Gadget est la quatrième dénomination d’une revue appelée préalablement Le Jeune Patriote, Vaillant et Le Journal de Pif. Au tournant des années 1950-1960, le journal, en perte de vitesse (passage sous la barre des 100 000 exemplaires), est contraint de modifier sa ligne éditoriale première. Une nouvelle direction est nommée et de nouvelles stratégies commerciales voient le jour permettant ainsi au journal d’atteindre un succès record. En 1980, Pif Gadget rivalise avec ses concurrents Le Journal de Mickey et Picsou magazine en tirant tous les trois au-dessus des 300 000 exemplaires. À cette même période, Spirou passe sous la barre des 80 000, Pilote sous les 60 000 et Tintin sous les 50 000 (Lesage 2018 : 309). Les Pif Gadget n°60 (1970), n°137 (1971) et n°443 (1977) sont tirés à un million d’exemplaires.

Ce magazine d’obédience communiste se révèle être un médium d’envergure. Il invite à questionner son impact, notamment sur les jeunes, au cours de la fin du XXe siècle. À n’en point douter, cette publication « est, par la variété des évolutions ou ruptures idéologiques qu’elle propose, un intéressant objet d’étude » (Bruno 2008 : 127). La longévité de Pif Gadget et son lien avec le PCF interrogent évidemment quant à la bolchévisation éventuelle des jeunes d’une génération très hétéroclite (Bantigny & Jablonka 2009 ; Lahire 2019). Cependant, cette « politisation ouvrière » et communiste (Pudal 2000) via Pif Gadget est-elle aussi durable et puissante qu’on pourrait le penser ? Résiste-t-elle à l’uniformisation des imaginaires par la culture de masse (Rioux & Sirinelli 2002) ? La lecture de Pif Gadget est-elle vraiment une pratique culturelle de classe (Coulangeon 2005) destinée aux enfants les moins favorisés dans un contexte de « dissolution de la subculture ouvrière » (Vigna 2012 : 323) ?

Les succès des ouvrages de Richard Medioni (2003 et 2012) et de Christophe Quillien (2018) relatifs à l’histoire de Pif Gadget témoignent de l’intérêt porté par un lectorat nostalgique de ce magazine. Pourtant, cette publication jeunesse et son inscription dans la mémoire collective ont suscité peu de travaux au sein du monde universitaire. Bien évidemment, la lectrice ou le lecteur averti‧e peut glaner quelques données précieuses au cœur de travaux majeurs qui traitent de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (Fourment 1987) ou encore des thèses sur l’histoire de l’édition de la bande dessinée (Lesage 2014) ou encore des illustrateurs de presse et de la bande dessinée (Kohn 2018). Certains convoquent Pif Gadget pour révéler les croyances diffusées par différents périodiques (Renard 1986) quand d’autres dressent une analyse précise de l’évolution du chien de cette publication (Delisle 2012). Cependant, à ce jour, aucun‧e doctorant‧e ne s’est lancé‧e dans une thèse sur ce fameux magazine. Néanmoins, il faut souligner que, dans le cadre d’une recherche en Master de Lettres Modernes, Maël Rannou a eu l’audace de travailler sur la question de la transmission de l’idéologie communiste à travers les publications dessinées atypiques de Pif Gadget (Rannou 2014). Le caractère récréatif de la bande dessinée et son historique « illégitimité » (Méon 2009) seraient sans aucun doute à l’origine d’une forme de « mésentente » (Berthou 2015), comme le souligne fort justement Benoît Berthou, entre le champ universitaire et la bande dessinée.

L’idée de ce dossier thématique « Pif Gadget et compagnie : approches pluridisciplinaires » est de combler un manque certain sur les origines et la genèse de Pif Gadget. L’étude des contenus du succès de presse Pif Gadget (1969-1993 puis 2004-2008) semble essentielle pour appréhender la supposée fabrication d’un imaginaire collectif et la construction d’une mémoire commune communiste à travers ce magazine de jeunesse. Cet appel à contributions permet à celles et ceux qui le souhaitent de s’emparer du corpus mis à disposition par les porteurs (collection de Pif Gadget quasi-complète, soit plus de 1000 numéros de 1969 à 1993 ainsi que les 50 numéros de 2004 à 2008) et de proposer des textes croisant des approches variées appartenant aux champs esthétiques, littéraires, historiques, géographiques, sociologiques, philosophiques et épistémologiques. Afin d’offrir une visibilité internationale à ce dossier et aux productions qui le composeront, l’introduction de ce numéro spécial sera produite en deux langues (français et en anglais) et tous les résumés des auteur.e.s seront également transcrits en anglais. Quelques pistes et axes thématiques de réflexion sont proposées et peuvent également être croisées :

Jeunes, mouvements de jeunesse et générations

La diffusion à une grande échelle de ces magazines illustrés, au pouvoir parfois identitaire et contestataire pour certains jeunes (Maigret 1999), jouerait en faveur de la transmission d’un mode de vie. Les grandes séries dessinées cultes de Pif Gadget sont porteuses de messages à destination de cette jeunesse populaire. Pif Gadget parvient-il réellement à « éduquer et politiser l’enfant par l’image » (Pichon-Bonin 2017) ?

Héroïnes et héros de Pif Gadget

Les nombreux et célèbres personnages dessinés de Pif Gadget parlent de la société qui leur a donné naissance. Les contributrices‧teurs pourraient participer à la caractérisation de ces héroïnes/héros dessiné‧e‧s. qu’elles/ils soient ordinaires (Bromberger 1998) ou qu’elles/ils soient des anti-héroïnes ou anti-héros de fiction satisfaisant à la logique subversive chère à Pascal Robert (2018).

Dessinateurs et scénaristes des séries publiées dans Pif Gadget

Les approches biographiques, hagiographiques et prosopographiques des auteur‧e‧s présent‧e‧s dans Pif Gadget pourraient aborder cette nécessaire mise en relation entre le ou les parcours des artistes, leurs productions dessinées et le positionnement éditorial et militant du magazine.

Pif Gadget : objet de consommation ?

Les lectrices‧teurs ou acheteuses‧eurs, francophones ou non, de Pif Gadget, sont-ils des consommatrices‧teurs comme les autres ? En appréhendant aussi bien le côté de l’offre que celui de la demande, il s’agit de déterminer avec précision le secteur du magazine Pif Gadget dans le marché des illustrés jeunesse.

Une culture visuelle et matérielle spécifique

Existe-t-il une culture visuelle particulière inhérente au célèbre magazine Pif gadget ? Quels messages les séries dessinées publiées dans le magazine portent-elles ? Bien évidemment, ce magazine est synonyme de gadgets mémorables ayant fait la renommée de cette série, de nombreux produits dérivés, de figurines atypiques et d’autres objets en tout genre dont il convient de comprendre les succès et leurs histoires (MacGregor 2012). Quelles sont réellement l’ambition éducative et la portée politique de cette culture matérielle enfantine ?

Pif gadget, un objet artistique de contestation ?

Pif gadget apparait dans un contexte de contre-cultures des années 1960-1970 (Bourseiller 2013). Le Neuvième Art est aussi le lieu par excellence de la critique de la société et une forme de résistance au monde. Quels sont les effets subversifs des productions, dessinées ou non, publiées dans cette série depuis la fin des années 1960 ?

Déclin progressif de l’engagement populaire et politique du magazine ?

Il s’agira d’identifier comment et pourquoi un journal populaire et ouvrier de bandes dessinées s’adressant à un public enfantin semble, peu à peu, s’éloigner de sa volonté d’éducation populaire et politique.

Ce que le champ de la bande dessinée doit à Pif Gadget

Si Pif Gadget est un laboratoire d’exploration pour bon nombre de dessinateurs tels Mandryka, Poirier, Crespi, Forest, etc., qui incarnent le mouvement de la bande dessinée alternative, il défend parfois un classicisme quasi-académique et les éditions Vaillant n’anticipent pas du tout le passage du support de presse à l’album (Lesage 2015). Dans quelle mesure Pif Gadget est-il un lieu de conservation des traditions ou, au contraire, un puissant levier de changements dans le champ de la bande dessinée, voire un guide visionnaire pour le mouvement bédéphile ?

Dynamiques culturelles, processus transmédiatiques et circulations internationales

Cette thématique de circulation et de transformation de la littérature dessinée concerne à la fois les dynamiques culturelles, les processus transmédiatiques et les porosités internationales. Dans le cadre du processus créatif, de nombreux dessinateurs italiens, espagnols ou encore portugais ont travaillé pour Pif Gadget. Quel est alors leur rôle dans la définition de la ligne éditoriale de ce magazine ? Plus encore, au cours de années 1970, des publications inspirées de Pif Gadget émergent en Espagne, au Danemark avec Pif med Piffert, au Canada avec Piforama puis Super Pif ou encore en Allemagne (16 numéros de Yps Pif pocket sont publiés entre 1980 et 1982. Cependant, existe-t-il d’autres traductions et adaptations de séries dessinées étrangères de Pif Gadget ? Sont-elles fidèles à l’original ? Quel rayonnement et quel impact a eu ce magazine dans l’espace francophone et au niveau international, notamment au sein des pays d’Europe ayant appartenu au bloc de l’Est et de l’Union soviétique ?

Enfin, en lien avec le calendrier de Strenæ, le rétro-planning suivant est proposé :

Date de publication de l’appel à propositions : 01.04.2021

Date de remise des propositions à strenae@revues.org accompagnées d’une courte biographie et bibliographie. (2000 à 3000 signes espaces et bibliographie comprises) : 01.09.2021

Réponse des éditeurs aux auteurs des propositions : 15.09.2021

Date de remise des articles complets (30 000 signes espaces et notes compris) aux éditeurs : 01.02.2022

Dates de remise des expertises aux éditeurs : 01.04.2022

Date de remise des versions corrigées des textes à la rédaction de Strenæ : 01.06.2022

Date de mise en ligne du numéro : 15.11.2022.

Bibliographie

Bantigny Ludivine, Jablonka Ivan (dir.), Jeunesse oblige. Histoire des jeunes en France XIXe-XXIe siècle, Paris, PUF, 2009.

Berthou Benoît, « Bande dessinée, école, université : quelle mésentente ? », Le carnet de Comicalités, 2015, URL : https://graphique.hypotheses.org/537

Bourseiller Christophe, Penot-Lacassagne Olivier (dir.), Contre-cultures !, Paris, CNRS, 2013.

Bromberger Christian, Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard jeunesse/Société, 1998.

Bruno Pierre, « Chronique culture jeune. Pif Gadget : qu’est-ce qu’un périodique progressiste pour la jeunesse ? », Le français aujourd’hui, n°161(2), 2008, pp.127-132.

Coulangeon Philippe, Sociologie des pratiques culturelles, Paris, La Découverte, 2005.

Delisle Philippe, « Pif, de Vaillant à Pif Gadget », dans Baratay Éric & Delisle Philippe (dir.), Milou, Idéfix et Cie : le chien en BD, Paris, Karthala, 2012, pp.205-220.

Fourment Alain, Histoire de la presse des jeunes et des journaux d’enfants (1768-1988), Paris, Éditions Éole, 1987.

Kohn Jessica, Travailler dans les Petits Mickeys : les dessinateurs-illustrateurs en France et en Belgique de 1945 à 1968, thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Laurent Martin et de Jean-Paul Gabilliet, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, 2018.

Lahire Bernard (dir.), Enfances de classe : de l’inégalité parmi les enfants, Paris, Éditions du Seuil, 2019.

Lesage Sylvain, « Mutation des supports, mutation des publics. La bande dessinée de la presse au livre », Belphégor [En ligne], vol.13(1), 2015, mis en ligne le 10 mai 2015, URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/belphegor/628

Lesage Sylvain, L’effet codex : quand la bande dessinée gagne le livre. L’album de bande dessinée en France de 1950 à 1990, thèse de doctorat en Histoire, sous la direction de Jean-Yves Mollier, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 2014.

Lesage Sylvain, Publier la bande dessinée : les éditeurs franco-belges et l’album, 1950-1990, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2018.

MacGregor Neil, A History of the world in 100 objects, London, Penguin Books Ltd, 2012.

Maigret Éric, « Le jeu de l’âge et des générations : culture BD et esprit Manga », Réseaux, vol. 17, n°92-93, 1999, pp.241-260.

Medioni Richard, L’Histoire complète 1901-1994 : Les journaux pour enfants de la mouvance communiste et leurs BD exceptionnelles, Trieste, Vaillant Collector, 2012.

Medioni Richard, Pif Gadget : la véritable histoire des origines à 1973, Paris, Vaillant Collector, 2003.

Richard Medioni, Mon Camarade, Vaillant, Pif Gadget, l’histoire complète, 1901-1994, Paris, Vaillant collector, 2012.

Méon Jean-Matthieu, « L’illégitimité de la bande dessinée et son institutionnalisation : le rôle de la loi du 16 juillet 1949 », Hermès, vol. 54, n°2, 2009, pp.45-50.

Pichon-Bonin Cécile, « Éduquer et politiser l’enfant par l’image : une étude des discours professionnels en Russie, 1928-1932 », histoire@politique, n°33, 2017, http://www.histoirepolitique. fr/index.33-dossier

Pudal Bernard, « Politisation ouvrière et communisme », dans Dreyfus Michel, Groppo Bruno, Ingerflom Claudio Sergio et al. (dir.), Le siècle des communismes, Paris, Éditions de l’Atelier, 2000, pp.67-81.

Quillien Christophe, Pif gadget : 50 ans d’humour, d’aventures et de BD, Paris, Hors collection, 2018.

Rannou Maël, Le communisme par la bande : transmission de l’idéologie communiste dans les bandes dessinées de Vaillant à Pif Gadget (1942-1969), Mémoire de Master 1 de Lettres Modernes dirigé par de Sylvie Servoise, Université du Maine, 2014.

Renard Jean-Bruno, Bandes dessinées et croyances du siècle : essai sur la religion et le fantastique dans la bande dessinée franco-belge, Paris, PUF, 1986.

Rioux Jean-Pierre et Sirinelli Jean-François (dir.), La culture de masse en France de la Belle Époque à aujourd’hui, Paris, Fayard, 2002.

Robert Pascal, La bande dessinée : une intelligence subversive, Villeurbanne, Presses de l’Enssib, 2018.

Vigna Xavier, Histoire des ouvriers en France au XXe siècle, Paris, Perrin, 2012.

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