Jouer la création, jouer pour combattre
Résumés
L’art a-t-il un avenir ? Voilà une interrogation cruciale des artistes de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe. La place accordée à l’enfant est au cœur du débat. L’espoir de l’artiste c’est le retour à l’enfance, d’après le constat baudelairien selon lequel le jouet est la première initiation de l’enfant à l’art. De ce fait, beaucoup d’artistes d’avant-garde vont se consacrer à la création de jouets, domestiques ou industriels. D’autant plus que les Manifestes du futurisme italien et des dadaïstes, les écrits des maîtres fondateurs et élèves du Bauhaus et des artistes tchèques, instituèrent dans ce petit objet toute l’éloquence de leurs révoltes esthétiques et politiques. Nous chercherons à démontrer que le jeu devint le grand moteur des utopies et que le jouet fut son mécanisme de combat. La littérature artistique de l’époque permet de rétablir les imaginaires adultes projetés dans ce « trésor de l’enfance », témoin et acteur d’une période marquée par des crises anthropologiques et politiques sans pareil.
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- 1 Paul Gauguin, Avant et Après, Paris, Table Ronde, 1994, p. 33.
- 2 C’est ainsi que s’exprime souvent Pablo Picasso dans ses entretiens des années 1950 et 1960, lui-mê (...)
1En 1903, Paul Gauguin formulait son testament artistique avec cet aveu : « Je me suis reculé bien loin, plus loin que les chevaux du Parthénon... jusqu’au dada de mon enfance, le bon cheval de bois1. » Déchirée par les détresses de son corps moribond, la pensée de Gauguin s’éloignait des arts classiques pour chercher le repos dans une enfance idéale. Le dernier souffle du « bon sauvage » présageait ainsi le périple que l’artiste moderne allait subir, habillé en « enfant éternel2 ». Il quitterait les chambres nobles des « Anciens Maîtres » pour s’installer désormais dans la chambre de jeux d’une contre-histoire de l’art ; autant dire d’un art qui apostasiait des traditions héritées.
- 3 Björn Egging, « "Innere Vision" und "einfachste Form" in den Holzschnitten Lyonel Feiningers », Jah (...)
- 4 Lyonel Feininger, Église de Gelmeroda, c. 1917-1920, bois peint, 32,3 x 25,5 x 7,8 cm, New York, Mu (...)
- 5 Rudolf Steiner, Die Waldorfschule und ihr Geist: Welche Gesichtspunkte liegen der Errichtung der Wa (...)
- 6 Vlatislav Hofman, « Zrození fantasie », Drobné uméni, vol. 1, 1920, p. 1.
- 7 Walter Benjamin, Enfance. « Éloge de la poupée » et autres essais, Paris, Payot, 2011, p. 272.
2À l’autre bout du monde, le peintre germano-américain Lyonel Feininger – admirateur des gravures primitivistes de Gauguin3 –, insérait une xylographie en couverture du premier Manifeste Bauhaus, signé par Walter Gropius (1919). Cette gravure représentait sa Cathédrale du Socialisme, qu’il fabriqua ensuite en jouet comme « symbole cristallographique de la nouvelle foi » athée et progressiste4. Ce fut aussi le temps de la première école Waldorf pour enfants, fondée à Stuttgart sur les préceptes anthroposophiques de l’occultiste autrichien Rudolf Steiner5. Puis, il y a tout juste un siècle, l’architecte Vlastislav Hofman faisait circuler dans les sphères de la culture tchèque d’avant-garde cette réflexion : « les grands artistes ont un enfant dans leur imagination6 ». Ces témoignages convergents, parmi d’autres tout aussi substantiels, égalaient l’enfant à l’artiste, le jeu à la création « auratique » – au dire d’un Walter Benjamin non moins attaché aux jouets artisanaux7. Que se passait-il alors dans les hautes sphères de l’avant-garde européenne autour de l’enfance et de ses objets ludiques ?
- 8 André Breton, « Nadja », dans : Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1988, tome 1, p. 753.
- 9 Origine contestée, attribuée à Vladimir Maïakovski ou Bertolt Brecht. Cité dans : Peter Selz, Art o (...)
3Il convient de rappeler que le terme « avant-garde » accorde à l’artiste une vocation militaire, un rôle de combat, suivant la célèbre sentence dans Nadja (1928) : « la beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas8. » En effet, le drapeau de la convulsion politique et de la dissolution anthropologique fut le véritable programme de Breton et des surréalistes, enflammés par leurs devanciers : les dadaïstes, futuristes, expressionnistes et constructivistes. Cet ensemble de créateurs, socialistes pour la plupart, ne cherchait plus à faire l’éloge paisible de la nature, le cliché des douceurs du quotidien ou le portrait élégiaque des couronnes royales et sacerdotales d’antan, mais plutôt de construire un véritable marteau pour démolir ses dépouilles9 ; une masse iconoclaste confiée aux mains d’un enfant sauvage, sans mémoire ni regrets.
4Pourtant, quoi de plus contradictoire, a priori, qu’un marteau comme don ludique pour l’enfance du nouveau siècle ? Nous chercherons à démontrer que les jouets des premières avant-gardes artistiques, trop souvent considérés comme des objets anodins par les collectionneurs et les historiens du design, intègrent le premier plan d’une révolution sociale sans précédents. Dès lors, on considèrera l’enfant comme un génie sauvage, modèle anonyme de tout artiste prétendu « moderne ». L’artiste lui-même cherchera à devenir un enfant éveillé, professionnel du jeu et des loisirs. Comment le jouet va-t-il donc entrer en lice dans cette triple convulsion, esthétique-politique-sociale ? Si le jeu des avant-gardes n’obéissait plus aux lois apolliniennes de la création, quel fut donc la figure d’autorité qui les aiguillonnait ?
1. Dada ou les jouets de Dionysos
- 10 Jean Brun, Le Retour de Dionysos, Paris, Les Bergers et les Mages, 1976, p. 100.
- 11 Arthur Cravan, œuvres : poèmes, articles, lettres, Paris, Lebovici, 1987, p. 93.
- 12 Dorothée Brill, Shock and the Senseless in Dada and Fluxus, Lebanon (NH), University Press of New E (...)
5Le groupe Dada a souvent été perçu sous le signe du Dionysos nietzschéen10. Le groupe fondé par Tristan Tzara à Zurich en 1916 est l’un des premiers mouvements du xxe siècle à intégrer la transgression dionysiaque dans l’art et la politique par le biais du jeu. Le poète Arthur Cravan, précurseur parisien du Cabaret Voltaire, affirmait que tout grand artiste doit avoir le sens du jeu et de la provocation11. Les soirées dadaïstes exploitaient la percussion de l’offense, le malaise, allant jusqu’à intégrer dans leurs performances la réaction des spectateurs12. Certainement, les imaginaires « festifs » associés à la figure classique de Dionysos ne conviennent pas toujours à la réalité historique de ses premiers cultes et de ses interprétations postérieures. À la différence d’Apollon, ce dieu païen, plus tardif, incarne l’expression de l’irrationnel et de la rébellion. Chez Euripide, il ébranlerait l’ordre social et familial ; de même que les Dionysies, réalisées extramuros, autorisaient l’ivresse, la sexualité déchaînée et le goût de la destruction, enfin, tout instinct réprimé. C’est avec les cultes de Dionysos que le vertige et la transgression deviennent spectacle et, pour les partisans de Nietzsche, l’essentiel de la création se résume à la libération de l’ilinx ou « jeu du vertige ».
- 13 Euripide, Bacchantes, 472. Clément d’Alexandrie, Protreptique, II, 17 : 2-18. Hygin, Fabulae, 166 : (...)
- 14 Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes sur l’éternel retour, Paris, Allia, 2003, note 60, p. 127.
6Toutefois, il existe aussi un souci pédagogique chez Dada. Le mythe de Dionysos-enfant permet justement de mieux comprendre le « vertige » incarné dans les jouets et marionnettes dadaïstes. Pour dévorer l’enfant divin, les Titans auraient détourné son attention par des objets merveilleux – poupées articulées, pommes d’or, hochet, toupie et un miroir. Athéna aurait conservé le cœur de Dionysos dans une figurine de plâtre, afin d’assurer sa résurrection et Zeus se serait chargé de recomposer le corps, telle une poupée au cœur de toupie13. Dès lors, ce jouet au mouvement circulaire est devenu le symbole de la réviviscence de Dionysos, de même que les Anthestéries, grandes fêtes d’hiver en mémoire de ce dieu, sont liées au don de jouets. Friedrich Nietzsche, l’un des principaux géniteurs philosophiques des dadaïstes, s’identifie lui-même au puer Dionysos jouant à la toupie et aux osselets avant d’être démembré par les Titans, qu’il relie aux hérauts des monothéismes14.
Illustration 1 : (a) Emmy Hennings, Poupées-Dada, janvier 1927.
(b) Sophie Taeuber, Pantins pour le Roi-cerf, photo d’Ernst Rudolf Linck, 1918.
© ZHK, ZAE-1918-F01-102
- 15 Hugo Ball, « Eröffnungs-Manifest I. Dada-Abend », dans : Karl Riha et Waltraud Wende-Hohenberger (d (...)
- 16 Hugo Ball, Die Flucht aus der Zeit, 04/11/1917, Lucerne, Stocker, 1946, p. 149.
- 17 Richard Seaford, « The Dionysiac Don Responds to Don Quixote: Rainer Friedrich on the New Ritualism (...)
7C’est à l’origine même du mot « Dada » que le rapport au jouet s’opère. Le 14 juillet 1916, lors d’une soirée à Zurich, le poète Hugo Ball avoue : « Dada a son origine dans le dictionnaire. […] En français, cela signifie "cheval de bois"15. » Ball considère l’artiste comme « un enfant doué d’une personnalité don-quichottesque »16 – encore un personnage littéraire lié au vertige du Dionysos-enfant rêvé par Nietzsche17. Dans son journal La Fuite hors du temps, Ball fait l’éloge du regard candide et transformateur de l'enfant :
- 18 Hugo Ball, Die Flucht, 05/08/1916, op. cit., p. 88.
L’enfant sera l’accusateur au Jugement Dernier. […] Monde à peine connu, l’enfance a ses propres lois sans la perception desquelles il n’y a pas d’art et sans la reconnaissance philosophique et religieuse desquelles aucun art ne peut exister ni être compris. […] Accroître notre esprit naïf : voilà notre meilleur bouclier contre la tyrannie de l’ancienne civilisation.18
- 19 Karl Gröber, Kinderspielzeug aus alter Zeit, Berlin, Deutscher Kunstvlg, 1928, p. 67.
- 20 Sophie Taeuber-Arp à Hans Hildebrandt, 24/06/1927, GCA.
8Alors que Ball et ses compagnons masculins théorisaient sur la transformation de l’artiste en « enfant terrible », le design de pantins fut assuré par les femmes du groupe. Dans le journal cité, Ball décrivait les marionnettes Zar et Zarin crées par sa compagne, la poétesse Emmy Hennings, à l’occasion de l’inauguration de la Galerie Dada, le 29 mars 1917 [ill. 1a]. Un an plus tard, Sophie Taeuber, épouse du peintre Jean Arp, mettait en scène la fable pour enfants Le Roi-cerf du dramaturge vénitien Carlo Gozzi, adaptée par René Morax et Werner Wolff pour le Puppentheater de Saint-Gall [ill. 1b]. Sophie Taeuber récupérait la technique de tournage sur bois, emblématique de l’industrie du jouet allemand19. Ses pantins furent bientôt jugés révolutionnaires. Son échange épistolaire avec l’historien Hans Hildebrandt nous permet de constater la réaction des organisateurs de la pièce : « tristement, je n’ai eu droit qu’à trois spectacles, très applaudis par ailleurs […], car la direction considérait mes jouets trop modernes et risqués20. »
Illustration 2 : (a) Sophie Taeuber, Cerf, 1917-1918.
(b) Gardien.
© MGK, KGS-14002_12_1, KGS-14002_11
- 21 Tristan Tzara, « What we are doing in Europe… », Vanity Fair, n° 18, 1922, p. 68 et 100.
9Les membres de ces marionnettes sont liés entre eux par des vis à anneau très visibles, conférant au personnage des mouvements antinaturels [ill. 2a]. Bien qu’à cette époque les figurines occupassent l’arrière-plan de la vitrine dadaïste – car jugés des objets liés à la féminité des mœurs domestiques –, Tristan Tzara en fit pourtant l’éloge dans un article de 1922 pour Vanity Fair21, où il égale les marionnettes du Roi-cerf aux ballets russes, puis à ceux de La Boîte à joujoux, pièce composée par Debussy en 1923 sur les illustrations d’André Hellé. Hans Arp et El Lissitzky iront jusqu’à comparer la figure Wache – un soldat qui joue le rôle de toute une armée [ill. 2b] –, à l’esprit de combat des dadaïstes.
Illustration 3 : (a) Otto Morach, Tambour et Soldats au canon, dessins pour La Boîte à Joujoux de Claude Debussy, 1918.
(b) Carl Fischer, Jouets en bois, photographie d’Ernst Rudolf Linck.
© MGK, ZAE-1918-F07-101, KGS-14001_50 et 14001_29
- 22 « At the Zurich Exhibition in 1918 marionettes in turned wood were the starting-point for a new tec (...)
- 23 Marcel Duchamp, Bilboquet/Souvenir de Paris/A mon ami M[ax]. Bergmann, 1910. Collection privée.
- 24 Walter Benjamin, « Russische Spielsachen (1930) » dans : Über Kinder…, Berlin, Suhrkamp, 1973, p. 9 (...)
10La géométrie des poupées dadaïstes attira l’attention de Marcel Duchamp, qui en fit mention à l’exposition Contemporary Sculpture, organisée en 1938 à la Guggenheim Jeune Gallery de Londres22. Le concepteur des « objets trouvés », dont l’un des premiers fut justement un ancien bilboquet23, s’alignait ainsi avec le goût de Benjamin. Quoique par des voies différentes, Duchamp et Benjamin préconisaient un retour à la « belle simplicité » des jouets traditionnels, à « l’abstraction de leurs formes primitives », qui favorisent les chimères chez l’enfant et le renouvellement des volumes chez le sculpteur24. Les poupées de Sophie Taeuber découlent d’une technique préindustrielle, celle du tournage sur bois. Néanmoins, elles évoquent l’esthétique d’une industrie futuriste, contrairement au penchant romantique de Benjamin concernant les artisanats traditionnels. Les membres mobiles et les visages des poupées de Sophie sont, pour ainsi dire, plus proche de l’automate que Fernand Léger décrit en style télégraphique :
- 25 Fernand Léger, « Notes sur la vie plastique actuelle », 7 Arts, n° 20, 1923. Repris dans : Fonction (...)
Nécessité, pour le créateur, de jouer dans la matière première. Avènement des villes géométriques, […], de la vie mécanique, l’objet fabriqué, absolu, dur, fixe, plastique, l’objet en série, saturation par millions pour combattre l’odieux réalisme des « peintres du dimanche ».25
11Parmi les dadaïstes suisses, le peintre Otto Morach se consacra à esquisser des « poupées animées » pour une adaptation de la Boîte à joujoux de Debussy, dirigée en 1918 par Alfred Altherr, directeur de l’École d’art de Zürich. Son collègue Carl Fischer, professeur de taille sur bois, fut chargé de traduire les dessins de Morach en trois dimensions. De ce travail collaboratif s’ensuit une série de vingt-huit marionnettes au corps raide et anguleux, sans costumes textiles [ill. 3] : la tenue vestimentaire des personnages, y compris l’imitation des plis du tissu, est taillée directement sur la pièce en bois puis signalée par les couleurs à l’eau.
- 26 Hanna Höch, Die fantastische Welt der Hannah Höch: die Puppe Balsamine und der Zauberbusch, Düsseld (...)
12La même année, au sein du Dada berlinois, les « poupées marionnettes » de Hannah Höch incarneraient la critique politique en faveur de la Neue Frau ou « femme nouvelle », réagissant ainsi contre la vision misogyne perpétuée par la presse et les écoles d’art de Weimar 26. L’artiste peintre Beatrice Wood, témoin actif des débuts du dadaïsme à New York, se heurtait dramatiquement aux intentions de sa mère et témoigne de l’esprit combatif des femmes du groupe en Europe et aux États-Unis :
- 27 Beatrice Wood, I Shock Myself, Ojai, Dillingham Press, 1985, p. 3.
Déterminée à rester vierge, peut-être pour toujours, elle [Carrara Wood, sa mère] m’a habillée de dentelle, m’a appris à faire la révérence et à garder le silence à moins qu’on ne m’adresse la parole. […] Ma mère et ses deux sœurs, mes tantes, ont toujours tenté de me transformer en poupée de porcelaine. Mais je ne fus pas une poupée sous le macramé de mon enfance.27
- 28 Naomi Sawelson-Gorse (dir.), Women in Dada: Essays on Sex, Gender, and Identity, Cambridge, Massach (...)
13Les pantins fabriqués par Höch étaient loin d’incarner le modèle féminin rejeté par Wood 28. Bien au contraire, leurs corps et leurs visages exprimaient des déformations intolérables comparés aux poupées de porcelaine traditionnelles. Ce ne sont plus des « prototypes décoratifs » : cheveux roux et gris, emmêlés, yeux exorbités, jambes tubulaires et minijupes, des seins coniques dépassant visiblement du torse. Les poupées des femmes dadaïstes représentaient plutôt des corps sauvages, vagabonds et indomptés, appartenant à des êtres déchirés et déchirants.
2. L’Italie futuriste : des poupées guerrières aux jouets métaphysiques
- 29 Roland Villeneuve, La Beauté du Diable, Paris, Bordas, 1994, p. 215.
- 30 Cité par Walter Benjamin, Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit, dans : (...)
- 31 W. Benjamin, Gesammelte Schriften. Vol. 1 : Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzi (...)
14La lutte sociale et politique des artistes Dada est contemporaine de celle des futuristes en Italie. À certains égards, ces deux mouvements se rapprochent en vertu d’un non serviam commun, cri de révolte dionysiaque et prométhéen qui alimente les piliers de l’art moderne29. En 1909 le jeune poète, Filippo Tommaso Marinetti, trace le chemin du mouvement en exclamant Fiat ars, pereat mundus !, « que l’art soit fait, mais que périsse le monde [du passé] 30 ! ». Alors que les libertaires de Dada prétendaient politiser l’art par le jeu, les italiens égayaient la guerre par le biais de l’art, contribuant à armer l’idéologie fasciste – régime auquel les futuristes ne pourront pas survivre de par sa nature même. Selon Benjamin, « tous les efforts pour esthétiser la politique culminent en un seul point. Ce point est la guerre31. » L’art, le jeu et l’éducation doivent s’employer à « la noble cause » du combat, d’où la thèse de Marinetti :
- 32 Filippo Tommaso Marinetti cité par Benjamin dans Gesammelte Schriften, op. cit., p. 431.
La guerre est belle, parce que, grâce au masque à gaz, au terrifiant mégaphone, aux lance-flammes et aux chars d’assaut, elle fonde la souveraineté de l’homme sur la machine subjuguée. Le jeu de la guerre est beau, parce qu’il réalise pour la première fois le rêve d’un homme au corps métallique. 32
15En 1915, Giacomo Balla et Fortunato Depero publièrent le manifeste de la Reconstruction futuriste de l’Univers, dans l’esprit de Marinetti, où ils consacrent un long passage aux jouets d’enfants :
Les jeux et les jouets du passé ne sont qu’une imitation grotesque du réel […], des caricatures aberrantes d’objets quotidiens. À travers les arts plastiques, nous construirons des jouets qui habituent l’enfant à rire ouvertement, à nourrir l’imagination, à conquérir l’infini et à dérouiller la sensibilité ; puis à éveiller le courage, la soif du combat et la GUERRE. Le jouet futuriste est aussi nécessaire pour l’adulte, car il lui permettra de rester jeune, vif, ingénieux, désinvolte, disposé à tout faire dans l’avenir. [ill. 4]
Illustration 4 : Giacomo Balla et Fortunato Depero, Ricostruzione futurista dell’universo, Milan, Direzione del Movimento Futurista, 11/03/1915, p. 1-2.
- 33 Francesco Cangiullo à Giacomo Balla, 6/02/1915, cité par Luigi Cavadini, « Vanguardia e infancia en (...)
16Une lettre calligramme du peintre Francesco Cangiullo adressée à Balla suggère l’existence d’un deuxième manifeste consacré aux enfants, aujourd’hui égaré33. Les futuristes étaient convaincus que l’humain devait être soumis à une reconstruction radicale, ce qui explique la nécessité de prévoir des chapitres spécifiques à l’enfant. Les jouets sont donc conçus pour l’initier « à la soif du combat ». Mais quelle sorte de combat prônaient-ils ? La réponse se trouve dans un tract distribué dans les rues de Milan, ville de naissance du mouvement futuriste :
- 34 Filippo Tommaso Marinetti, « Primo manifesto politico futurista per le elezioni generali del 1909 » (...)
Nous futuristes […] dénonçons au pays tout entier la honte ineffaçable d’une possible victoire cléricale. […] Nous invoquons tous les jeunes esprits du pays pour livrer la lutte à outrance contre les candidats qui pactisent avec les vieux et les curés. […] Il faut nous libérer des momies et des lâchetés pacifistes.34
Illustration 5 : (a) Depero, Croquis pour la Poupée Sauvage, 1918, MART.
(b) Depero, Fedele Azari, Depero Futurista, Milan, Dinamo, 1927, p. 96.
© CIMA
- 35 C’est à Paris que Marinetti joint les cercles maçonniques et socialistes, qui ont inspiré une parti (...)
- 36 Cité par Serge Milan, « Le Futurisme et la question des valeurs », op. cit., p. 21.
- 37 Marzia Rocca, L'oasi della memoria: estetica e poetica del secondo Marinetti, Naples, Tempi Moderni (...)
17À l’instar de la politique libérale des garibaldiens et de Giuseppe Mazzini, Marinetti prônait le svaticanamento, un anticléricalisme radical. Il revendiquait de même un art déraciné de la culture catholique et, en retour, un industrialisme à outrance, la destruction des vestiges monarchiques, une éducation laïque et scientifique plutôt que classique, le divorce et le culte à l’homme automatisé. Tout un programme franc-maçonnique35. Umberto Boccioni se souvient du par destruens du mouvement : « Pour chaque valeur renversée […] nous sentions germer en nous simultanément une nouvelle valeur qui légitimait et exaspérait notre foi36 ». Le rapprochement entre Marinetti, Labriola et Gramsci, ainsi que l’exposition futuriste au Winter Club de Turin en avril 1922, d’une ambiance ouvertement « gauchiste », prouvent le combat sécularisateur du groupe. Lors de son discours à la Sorbonne, en 1924, Marinetti proclame que « le Futurisme est la religion du nouveau ». Il s’attaque aux œuvres d’art du passé et à ses représentants, qu’il juge « pédants fossilisés » et « pessimistes37 ».
Illustration 6 : (a) Depero, Mangeurs de cœurs, 1923. Collection privée.
(b) Depero & Azari, « Martellatori-Macchina », Depero Futurista, op. cit., p. 97.
© CIMA
18Pendant la Première Guerre mondiale, Balla et Depero visèrent à fabriquer des jouets industriels et des meubles pour enfants [ill. 5]. Alors que d’autres jeunes futuristes périssaient dans les tranchées, les poupées de Depero et les camere dei bambini de Balla faisaient l’éloge de « l’humain-guerrier-déraciné ». Ils soutenaient la foi de l’homme-devenu-dieu, contraire à l’ancienne racine du Dieu-fait-homme. Comme la peinture et la sculpture, le giocattolo ou « jouet » devait fuir l’imitation conservatrice de la réalité : loin d’être un simple plaisir pour enfants, il devient un outil d’initiation au bouleversement social.
- 38 La traduction nous est propre. Fortunato Depero, « Il teatro plastico Depero. Principi ed Applicazi (...)
J’ai fait et je ferai encore des jouets, des scénographies, des marionnettes […]. J’ai réussi à géométriser, cristalliser les lumières, métalliser les ombres. Voilà une nouvelle matière, solide transformable, qui mécanise l’ensemble des émotions et des sensations plastiques.38
19La Casa d’Arte Futurista fondée à Rovereto en 1920 par Depero et sa femme, Rosetta Amadori, devint un énorme laboratoire pour la fabrication de marionnettes. Pour la plupart, elles furent exposées à la Mostra Internazionale de Monza (1923) et à l’Exposition internationale des Arts Décoratifs de Paris (1925). C’est le cas des Guerriers sauvages et des Chars synthétiques [ill. 5b], des Mangeurs de cœurs et Marteleurs [ill. 6], mais aussi du Goéland à roulettes et des Rhinocéros (c. 1920), du Peintre-gymnaste, que l’on peut aussi interpréter comme « soldat au poignard et bouclier » (1922-1923), qui intégreraient I Balli Plastici pour le Teatro dei Piccoli à Rome. Ces figures attirèrent le regard du grand impresario Serge Diaghilev, qui proposa de les incorporer à la scénographie du Chant du Rossignol d’Igor Stravinsky. Le projet échoua mais, à partir de 1918, Depero réalisa des modèles à plus grande échelle pour son propre ballet, écrit par le poète Gilbert Clavel pour le Palazzo Odescalchi de Rome. Ces jouets eurent alors une « deuxième vie », transformés en danseurs de la scène.
20Le jouet futuriste, vecteur d’une tension irrésolue entre son rôle pédagogique et la tentative de réinvention plastique de l’objet, devint « un dispositif énorme, qui fonctionne à l’extérieur [de la chambre d’enfants], dangereux, agressif » mais aussi « élastique » et « optimiste ». L’historien de l’art Luigi Cavadini affirme :
- 39 L. Cavadini, « Vanguardia e infancia en Italia », op. cit., p. 188.
Les chroniqueurs de l’époque […] soulignent que « les marionnettes sont toutes laquées et émaillées, leurs mouvements stylisés et mécaniques sont plus proches d’une parade militaire que d’un bal », tandis que Marinetti remarque que « les enfants ne cessent de pousser des cris de joie. [...] Ils avouent enthousiasmés que ces marionnettes sont les plus jolies, les plus vives », car elles libèrent leur imagination et stimulent leur sensibilité.39
- 40 C’est le titre choisi pour la Mostra di Bruno Munari. Inventore, artista, scrittore, designer, arch (...)
21Le peintre Gerardo Dottori ainsi que les jeunes milanais sculpteurs et artistes aux multiples facettes Luigi Veronesi et Bruno Munari prolongèrent le design des marionnettes, meubles et livres pour enfants. Ce dernier, « architecte graphique, écrivain et inventeur qui joue avec les enfants40 », prônait de cette façon son travail :
- 41 Bruno Munari, Da cosa nasce cosa, Rome, Laterza, 1996, p. 248-251.
Fuyons les détails […] : le jouet idéal doit être compris par l’enfant sans aucune explication. On doit pouvoir abandonner le jouet dans ses mains pour qu’il lui confère son identité et son usage. […] Il faudra créer certains jouets didactiques pour les adultes, afin de refouler leurs préjudices et libérer ses énergies cachées.41
22L’idée du non finito – « non terminé » – appliquée à la fabrication de jouets permet d’obtenir des objets polysémiques aux formes abstraites. Ces jouets sans détails, « non terminés », vont aussi séduire les peintres métaphysiques. Même si cette deuxième avant-garde italienne ne faisait pas partie des mouvements artistiques radicaux, la mythification de l’enfance sera un élément partagé avec les futuristes et Dada. Pendant l’entre-deux-guerres, Carlo Carrà, Giorgio De Chirico et son frère Andrea, plus connu sous le pseudonyme d’Alberto Savinio, établirent l’École d’Art Métaphysique pour « peindre ce qui ne peut pas être perçu ». De Chirico consacra de multiples tableaux à représenter la poupée-automate rêvée par les futuristes. Il s’intéressait également aux jouets d’enfants, que l’on retrouve dans ses différentes versions de Jouets du Prince, Le Mauvais génie d’un roi et Les Jouets défendus, peints entre 1914 et 1916. L’historien Roberto Longhi signale en 1919 le caractère tragique de ces artefacts :
- 42 La traduction est nôtre. Roberto Longhi, « Al Dio ortopedico », Il Tempo, 22/02/1919. Roberto Longh (...)
Animée par sa main de cruel machiniste, l’humanité horriblement mutilée, devenue une poupée inexorable, surgit parmi des stridences et d’énormes grincements, égarée dans de vastes déserts […]. Ici, le jouet de l’homo orthopedicus déclame avec sa voix de poulie un rôle pénible devant les statues frustrées de la Grèce antique.42
Illustration 7 : (a) Alberto Savinio, Melanthon, l’île aux jouets, 1928. Col. Antonio Colombo.
(b) Savinio, Tragedie de l’enfance, Rome, Cometa, 1937.
23Le regard de Savinio sur le monde des jouets s’avère peut-être moins sombre que celui de De Chirico. D’un point de vue formel, il s’approche dans ses tableaux du « jouet abstrait » exhorté par Munari et de l’utopisme des futuristes milanais. Dans cet esprit, il compare la chapelle des Scrovegni à Padoue avec une « salle de jeux » :
- 43 La traduction est nôtre. Alberto Savinio, Ascolto il tuo cuore, città, Milan, Bompiani, 1944, p. 53
Des jouets à droite, des jouets à gauche. Une double rangée de jeux, au milieu desquels l’homme traverse d’un pas solennel et léger : il est alors admis dans la lumière toujours jeune de l’immortalité terrestre. Le regard de Giotto est le « géniteur de tous mes jouets » et la création artistique devient pour moi un jeu sacré.43
- 44 A. Savinio, Tragedia dell’infanzia, Turin, Einaudi, 2001, p. 133, 215.
- 45 A. Savinio, « Primi saggi di filosofia delle arti III », Valori Plastici, Rome, 1922, n° 3, p. 103- (...)
24Il compare ensuite l’étonnement de l’enfant devant ses jouets à celui du peintre devant la nature. Dans le roman Tragedia dell’infanzia [ill. 7b], Savinio exprime la nostalgie envers le regard du premier âge. Il se remémore sa chambre de jeux, qu’il compare à un vaisseau fantastique44. Il s’identifie à l’enfant qui est, selon lui, une créature en état de grâce : l’art et le jeu sont « le verger de la mémoire et du rêve, nostalgie des enlèvements célestes45 ». Ce regard libéré des contraintes de la civilisation, de la machine et du progrès est celui qui donne forme à tous ses fantasmes.
Illustration 8 : (a) Savinio, Nella foresta, 1928. Collection privée.
(b) Le Songe d’Achille, 1929, Brescia, col. privée.
25Dans ses tableaux, on voit apparaître des joujoux aux couleurs saturées, abandonnés dans des panoramas irrationnels [ill. 7a, 8]. Savinio oppose la triade couleurs/enfance/jouet à celle du paysage monochrome/adulte/pessimiste. Anges déchus, héros mythiques, pirates et rois mages, forêts et îles hantées [ill. 8b] s’accompagnent d’artefacts ludiques ambigus, à mi-chemin entre le hochet dionysiaque et les jouets futuristes.
3. Weimar – Prague – New York : la rationalisation de l’utopie ludique
26Si Dada et les futuristes italiens situent leur combat dans l’anti-académisme, les pôles artistiques de Weimar et de Prague tentent d’introduire le jeu et les nouvelles théories pédagogiques dans les écoles d’art et la production de masse. La volonté première de fabriquer des jouets industriels à caractère utopique découle de Johannes Itten, meister de dessin, théoricien des couleurs et architecte au Bauhaus de Walter Gropius depuis 1919. Malgré les tensions entre les deux – Itten avait une conception plus romantique de l’industrie, s’opposant à l’utilitarisme de Gropius –, c’est dans la conférence intitulée Unser Spiel, unser Fest, unsere Arbeit [ill. 9a] que Itten s’adresse à la communauté académique :
- 46 Johannes Itten, Journal, 28/11/1919. Il en reparle dans sa lettre à l’artiste Anna Höllering, 15/12 (...)
Enseignants, officiers, apprentis, construisez le Bauhaus, assemblez-le […], transformez le jeu des forces en harmonie festive. Le jeu devient fête, la fête devient travail, le travail devient jeu […]. À mes yeux, celle-ci est la plus élevée des prouesses humaines : créer à la manière des enfants. […] Transformons les salles du grand art en ateliers voués à la société. Faisons des jouets pour la fête un travail parfait. Construisons arbres, maisons, animaux, bergers, anges, étoiles, comme des enfants, pour des enfants.46
Illustration 9 : (a) Rudolf Lutz, Affiche Notre jeu, notre fête, notre travail, 1919. KSW.
(b) Johannes Itten, Portrait d’enfant (Matthias), 1921-1922.
© ZKZ, 265
- 47 J. Itten à A. Höllering, 03/11/1919, cité dans : Willy Rotzler, Anneliese Itten (dir.), Johannes It (...)
- 48 J. Itten à Josef Matthias Hauer, 05/11/1919, dans : W. Rotzler, A. Itten (dir.), op. cit., p. 68.
- 49 J. Itten, Journal, 23/08/1923. Zurich, Itten-Archiv.
27Quelques semaines auparavant, Itten s’adressait à l’artiste Anna Höllering pour lui avouer : « Depuis huit jours nous faisons des jouets à l’École47 ». Devenu maître du Vorkurs (1921-1923), il envoie un courrier au compositeur Joseph Matthias Hauer situant la fabrication d’objets ludiques au cœur de l’institution. Il ajoute, à la façon des futuristes : « C’est ainsi que je combats la vétuste tradition du dessin académique d’après nature. Je redirige toutes les puissances créatrices vers ses racines, dans le jeu48. » Même si, contrairement à la plupart des Bauhaüsler, Itten ne fabriquait pas de prototypes, il a représenté des jouets et espaces de jeu à plusieurs reprises, notamment dans le portrait de son fils Matthias. Ce portrait, intitulé Kinderbild [ill. 9b] rappelle une icône chrétienne orthodoxe. Situé au centre du tableau, le petit Itten montre une solennité sacerdotale. La chambre de jeux représente un « autel pour enfants », entouré de jouets. On reconnaît un cube tricolore dans les mains de Matthias, un ballon, une maison de poupées et un vaisseau, drôlement ressemblant au Bauspiel Schiff d’Alma Buscher. Dans le journal intime du peintre, on trouve un deuxième portrait de son fils dans sa Spielzimmer avec le chien à roulettes « Hotowawauli »49.
- 50 Andrea Tietze, « Vom Bauklotz bis zum Bützelspiel. Künstlerisches Reformspielzeug des Bauhauses », (...)
- 51 Magdalena Droste, Bauhaus, 1919-1933. Bauhaus Archiv, Berlin, Taschen, 2002, p. 92.
28À l’issue de l’exposition du Bauhaus de 1923, qui s’avéra très peu rentable, le Conseil des maîtres reconsidéra la fabrication commerciale des jouets dans l’Atelier didactique récemment fondé par le peintre Josef Albers. À la suite d’une réunion tenue le 22 octobre, le photographe László Moholy-Nagy commença à ébaucher des maisons de poupées. Lyonel Feininger fabriquait des pièces d’échecs et poursuivait sa « ville en miniature », entamée en 1912 et connue sous le nom de Cité au bout du monde50. Albers réalisa des boîtes de constructions. Le sculpteur Josef Hartwig se chargea du tournage d’une poupée articulée, que Schlemmer termina de peindre et qu’il donna ensuite à sa fille Karin51. Ludwig Hirschfeld-Mack se consacra au design de jouets lumineux : les Reflektorischen Farblichtspiele (1922-1924) ; puis le peintre et photographe Eberhard Schrammen reformula son jeu d’architectures inventé en 1922, sa bicyclette pour enfants intitulée Laufrad für Kinder, ainsi qu’une collection de poupées-caricatures de la société allemande de l’époque, inspirées des matriochkas russes (c. 1923). Hirschfeld-Mack élabora encore un modèle de toupie de couleurs – une version de son Optischer Farbmischer (1922-1923), munie de cercles chromatiques démontables pour apprendre les couleurs aux enfants. De son côté, l’architecte, peintre et poète Hermann Finsterlin s’occupa de multiplier ses « jouets impossibles », une série de petites architectures en bois. Parmi toute cette constellation d’objets novateurs, il importe néanmoins de mettre en avant le travail d’Alma Siedhoff-Buscher, l’artiste la plus prolifique en ce qui concerne le design de jouets [ill. 10], mais aussi la plus effacée parmi ses collègues.
Illustration 10 : (a) Alma Buscher, Dessin d’un jeu de construction naval, 1923, KSW, GR-2006/4642.
(b) Devis signé par László Moholy-Nagy, Vente d’une poupée d’Alma Buscher au Bauhaus de Dessau, 1925.
© MoMA, 1291.2015
- 52 Lettre d’Alma Siedhofff-Buscher à Walter Gropius, Weimar, 1922.1924, 3 f. BBA, dossier n° 6, 12771/ (...)
- 53 Medea Hoch, « Juguetes y arte. Sus interrelaciones en la modernidad », dans : Carlos Pérez, José Le (...)
29La correspondance entre Buscher, Gropius et Moholy-Nagy est suffisamment explicite pour comprendre les difficultés de cette artiste à s’épanouir dans les ateliers du Bauhaus52. Entre 1923 et 1928, le combat d’Alma fut double : d’un côté, la modélisation d’une nouvelle culture matérielle pour les enfants de la République de Weimar et, de l’autre, l’obtention d’un poste visible dans la haute culture allemande, masculine par essence. D’après l’historienne Medea Hoch, le travail de Buscher se développe dans un champ de tensions entre le progressisme et la conservation implicite des traditions hiérarchiques des genres artistiques marqués par des connotations de sexe. Même si, dans l’école de Gropius, on ne trouve pas de restrictions d’admission spécifiques, en 1920 se développe un atelier de tissus « pour les femmes », qui a pour but d’écarter les étudiantes de sexe féminin des autres disciplines53.
- 54 Michael Siebenbrodt (dir.), Alma Siedhoff-Buscher: Eine neue Welt für Kinder, Weimar, Stiftung Weim (...)
- 55 Hans Hildebrandt, Die Frau als Künstlerin, Berlin, Mosse, 1928, p. 156-157.
30Buscher suivit les cours de composition et de couleur de Paul Klee et Kandinsky, puis demanda à être admise aux ateliers textiles de l’école. Pourtant, au début de 1923, accablée par une maladie respiratoire, elle sollicita Gropius en vue d’abandonner cette activité et d’effectuer une période d’essai dans l’atelier de sculpture. On devine bien ici une tentative d’échapper aux ateliers genrés. Elle s’engageait à « construire des objets d’une telle méticulosité formelle qu’ils soient utiles à tout point de vue et puissent être fabriqués en série », suivant les principes de production du Bauhaus, qui exigent de fournir des objets « pratiques, durables, pas chers et "beaux"54 ». Son premier projet fut un théâtre de marionnettes en bois. Elle fut finalement admise en tant qu’auditeur dans les ateliers de sculpture. Mais si cette « victoire » d’Alma est due surtout à son talent artistique, il est probable aussi qu’elle le soit en partie au fait qu’elle décida de se focaliser sur la fabrication de jouets. Dans son essai Die Frau als Künstlerin (1928), Hildebrandt, qui représentait en Allemagne, et notamment au sein du Bauhaus, la vision académique dominante, prétendait que la création féminine se réduit « aux travaux de tissage, batik, dentelle, jouets, émaux », car le jeu est « l’empire naturel de la femme, qui peut donner à l’enfant tout ce dont il a besoin » et il ajoutait « parce que la femme est quelque part une fillette en développement55 ». Il illustrait son raisonnement avec les pantins de Sophie Taeuber et d’Alexandra Exter, puis avec le placard à jouets et le bateau de Buscher [ill. 10a].
31Les principes ludiques de Buscher visaient à travailler le bois et à renforcer la polyvalence des volumes. Elle voulut éloigner l’enfant des jouets mécaniques, plus convoités par les collectionneurs que par les bambins. En revanche, elle souhaitait fournir des objets capables de libérer leur imagination, en vertu des théories cristallographiques des pédagogues romantiques Johan Heinrich Pestalozzi et Friedrich Fröbel. Alma Buscher exploita les potentialités de la géométrie élémentaire – triangle, carré, cercle ; cube, sphère, cylindre et cône – puis des trois couleurs primaires. C’est ainsi que l’enfant approcherait le monde, non pas en appliquant des modèles préconçus, mais en utilisant les combinaisons infinies des solides abstraits. Buscher l’exprime avec ces mots dans la publication Enfant. Romans. Jeu. Jouets (1924) :
- 56 La traduction est nôtre. Alma Buscher, « Kind. Märchen. Spiel. Spielzeug », Junge Menschen, cahier (...)
Notre jouet : la forme – simple, incontestablement claire et précise – : c’est l’enfant qui crée aussitôt la multiplicité par l’assemblage et la construction, de façon durable. La proportion : déterminée par la sensibilité intime, mais ajustable. La couleur : seules les primaires, jaune, rouge et bleu ; éventuellement le vert, mais avant tout le blanc pour renforcer la réceptivité de la clarté et des couleurs par l’enfant – un facteur clé de l’éducation. 56
- 57 Alma Buscher, « Freie Spiele – Lehrspiele », Offset. Buch und Werbekunst, n° 10, 1927, p. 464.
32Elle reprendra ces idées dans deux autres textes parus en 1926 : Kindermöbel und Kinderkleidung – « Meubles et vêtements pour enfants » – et Freie Spiel-Lehrspiele – « Jeux libres-jeux didactiques ». Dans ce dernier texte, elle s'affranchit les principes pédagogiques héritées du Romantisme et proclame l’importance du « jeu libre, en opposition aux jouets normatifs de Fröbel et Montessori, crées à des fins purement éducatives57 ». Le libellé de l’emballage précise bien que « le bateau peut aussi devenir une montagne russe, un portail, un animal et beaucoup plus. » Or l’esprit audacieux de Buscher ne se contentait pas de briser les contraintes formelles de l’objet. En 1926, elle obtint un brevet de fabrication pour ses Wurfpuppe ou « poupées jetables », le corps en osier tressé et la tête en bois [ill. 11b]. Cette nouveauté technique leur conférait une mobilité et une résistance hors pair. Elle proposa trois types de poupées : une fille, un garçon et un petit noir, favorisant ainsi un jeu de poupées masculines et pas seulement de race blanche, un fait pionnier à l’époque.
Illustration 11 : Alma Buscher, Jouets sphériques et pliables. Bois peint et laiton (1924), reproduit dans : W. Gropius (dir.), Neue Arbeiten der Bauhauswerkstätten, Munich, Langen, 1925, p. 40-41.
- 58 Anna Rowland, « Business Management at the Weimar Bauhaus », Journal of Design History, vol. 1, n° (...)
- 59 Brouillon d'une lettre d’Alma Buscher adressée à Walter Gropius, 1927; cité dans : Hollein, Luyken (...)
33De manière générale, les créations féminines ne passèrent guère à la production et à la vente au sein du Bauhaus58. Malgré le mouvement Neu Frau et la construction de la « Haus Frau » à Weimar qui prônaient l’émancipation économique et le droit de vote pour les femmes allemandes, ce ne fut qu’un mirage, même au sein d’institutions progressistes comme le Bauhaus de Gropius. À partir de 1927, les échanges épistolaires entre Buscher et celui-ci prouvent le retrait de cette artiste, induit par le manque de soutien institutionnel. Elle regrettait la mauvaise distribution de ses modèles et le méfait de sa réputation dans les secteurs commerciaux : « Mon rapport au Bauhaus atteint encore un point qui exige des explications. […] Il est fort possible […] que vous envisagiez tous mes projets comme superflus59 ». Voici la réponse de Gropius :
- 60 Lettre de Gropius à Alma Buscher, 27/09/1927, ibid.
Pendant des années, l’infortune assaillit vos activités et projets car vous n’avez cessé de les situer à la périphérie des structures de l’École [Bauhaus]. De ce fait, on dut toujours les placer à la queue de notre production, hors du contexte principal.60
- 61 « Spielwaren », dans : Walter Gropius (dir.), Neue Arbeiten der Bauhauswerkstätten, Albert Langen, (...)
34On est surpris d’une telle réplique, car les objets produits par Alma connurent un grand succès en comparaison avec ceux de ses collègues masculins, comme l’attestent les albums et reportages commandés par Gropius (fig. 12)61. En avril 1924, pendant la présentation des travaux de Buscher à la Conférence Fröbel d’Iéna, le Ministère d’Économie de Thuringe lui commanda un prototype de chambre d’enfants qui a servi de modèle jusqu’à nos jours. Aujourd’hui, les jouets d’Alma, comme les trois Steckpüppchen de l’artiste textile et dessinatrice Greta Reichardt, sont des objets de luxe manufacturés par la société Naef sous licence du Bauhaus Archiv. Reléguée dans l’oubli jusqu’à sa mort dans un bombardement, le 25 septembre 1944 à Buchschlag, ses créations demeurent encore aujourd’hui un classique du design d’avant-garde.
Illustration 12 : Jouets en bois tourné et peint crées par Minka Podhájská, V. H. Brunner et Václav Špála dans les ateliers Artěl, Prague, 1908-1921.
© IVAM
- 62 Nous considérons les écoles Bauhaus de Weimar et Dessau comme étant le premier pôle d’expérimentati (...)
- 63 Vincenc Kramář, Kubismus, Brno, Moravsko-slezská revue, 1921, 88 p.
35Dans les mêmes années, on décèle des difficultés d’intégration similaires pour un artiste situé dans le deuxième grand pôle de fabrication industrielle de jouets62, la ville de Prague. C’est à Prague que le graphiste Ladislav Sutnar (1897-1976), très lié aux créations du Bauhaus de Gropius, va se battre contre la pédagogie traditionnelle de son pays. Mais nous verrons, par la suite, qu’il subira un fort bannissement de part et d’autre de ses frontières, en raison de ses idées sur la formation de l’enfance et sur le rôle accordé au jouet. En 1920, la ville devint la capitale d’une république troublée par des tensions interethniques, mais connut un grand essor de production : ouverture de nombreuses crèches, construction de bâtiments sociaux, asiles et hôpitaux. On y vit apparaître le courant architectural du cubisme tchécoslovaque63. Il adaptait les principes formels du futurisme italien et du constructivisme russe aux symboles de la culture slave : le rouge et le blanc, les formes cylindriques rappelant les tours en bois traditionnelles, ainsi que les pantins, qui évoquent la vaste tradition théâtrale de l’Est. À l’époque où Sutnar commença à produire ses modèles pour enfants, le fonctionnalisme du Bauhaus s’imposait aussi à Prague.
- 64 Ladislav Sutnar, « The Bauhaus as Seen by a Neighbour to the South », dans : Iva Knobloch (dir.), S (...)
- 65 Emanuel Hercik, Folk-toys. Les Jouets Populaires, Prague, Artia, 1951, 175 p.
36Revenu du front de l’Est après la Première Guerre mondiale, l'artiste substitua à la question « qu’est-ce que l’art ? » une interrogation plus pragmatique : quelle place l’art et le jeu devraient-ils occuper dans une société démocratique après la guerre ?64 En 1920, l’artiste Josef Čapek, porte-parole des intellectuels de Prague, répondait au problème posé par Sutnar. C’est dans la revue Drobné umění que Čapek plaide en faveur d’une modernité fondée sur la restauration des arts populaires, les dessins et les jeux d’enfants. Tous ces genres « mineurs et modestes » devinrent le substrat propice à plusieurs peintres et sculpteurs, dont Josef Vachal, Jaroslav Horejc, Milada Špálová-Benešová, Vratislav Hugo Brunner, Minka Podhájská et Václav Špála [ill. 12]. Animaux exotiques, fermiers et demoiselles coutumières, démons et chevaliers vont s’incarner sous forme de jouets en bois tourné, qui sont à la base du catalogue publié par Hercik en 1951 « à la mémoire des créateurs des jouets populaires tchécoslovaques65 ». La plupart d’entre eux travaillait dans la coopérative Artěl, producteur leader de jouets et d'objets domestiques. Artěl est fondée en 1907 par le critique d’art Václav Vilém Štech et le dramaturge Alois Dyck au Café Arco, centre de rencontres des principaux intellectuels pragois. Dyck ne cessait de proclamer la nécessité pour la ville de Prague de disposer d’une institution similaire aux célèbres ateliers de la Wiener Werkstätte, foyer artistique de la Sécession Viennoise. Štech répondait aux doléances de Dyck en lui parlant des qualités de Brunner, typographe, graphiste, peintre et scénographe, puis de son intérêt pour les jouets ; ce qui allait être la semence d’Artěl :
- 66 La traduction est nôtre. Václav V. Štech, « Ze zacátku artěle », Vytvarné snahy [« Travaux des Beau (...)
Il y avait une chambre pleine de jouets empilés près de sa table, recouverte de nombreux dessins inachevés. [...] Brunner se promenait dans la foire de St-Joseph et le marché de St-Nicolas en ramassant des pipes en bois, des sifflets en papier, des figurines de pain, des effigies de la Vierge Marie et des animaux en verre. Il aimait les tasses russes populaires fabriquées par Kostka de Stupava dans le magasin de Zádruha, où l'on pouvait les acheter pour très peu d'argent. À côté des jouets populaires, il y avait plusieurs jouets conçus par Brunner. C'était un homme qui avait de grandes capacités.66
37Aux cours des années 1920, le divorce entre le design d’avant-garde et l’ancien système de production industrielle ne fit que s’accroître. Ce clivage mettait aussi en avant les tensions entre les produits de la tradition impériale – porteurs de la culture populaire ancestrale – et ceux du nouveau socialisme, faisant l’éloge d’une architecture et d’un monde ouvrier cloués au marxisme. Dans ses souvenirs, Štech aborde ce dilemme :
- 67 V. V. Štech, « Ze zacátku artěle », ibid., p. 976-97.
À quel point avons-nous appris la différence entre le design et la production ? [Chez Artěl], la fabrication des jouets de Brunner nous montra […] que le coût de production serait trop lourd en restant fidèles aux/à nos croquis. Peu à peu nous découvrons la difficulté des dessins populaires face au système industriel des petites usines hiémales […] ; que toute forme belle et complexe augmente le prix du produit. Limitons les couleurs et permettons que l’outil détermine la forme67
- 68 Ceux des élèves de l’Institut Pédagogique de Hořovice, datés entre 1925 et 1928, redisent l’esthéti (...)
38En même temps, la revue Výtvarné snahy – « Entreprises artistiques » –, pour laquelle Sutnar réalisa la couverture, publiait des reportages sur les écoles d’art comme le Bauhaus et des travaux de lycéens tchèques dont le résultat se confondait avec les créations des futuristes et constructivistes russes68.
- 69 Minka Podhájská, « Tvorba a rozměr hračky», Drobné umění, n° 3, 1922, p. 82.
- 70 Jaroslav Anděl (dir.), El Arte de la vanguardia en Checoslovaquia 1918-1938, IVAM, 1993, p. 439.
39C’est dans cette controverse qu’il faut comprendre les jouets de la dessinatrice et graphiste Minka Podhájská, puis ceux de Ladislav Sutnar. Ces deux artistes profitèrent de leurs postes respectifs, – l’un comme directeur de l’École Nationale d’Arts Graphiques (1932-1939) et l’autre comme enseignante puis directrice de l’Institut d’État de l’Éducation pour la Promotion de l’Industrie nationale (1922-1939), « affaiblie de nos jours par les conflits mondiaux et la grande crise économique » –, pour dépasser l’esthétique « ornementale » de leurs compagnons d’Artěl, penchés plutôt sur la fabrication de jouets traditionnels témoignant du passé impérial de Prague69. Sutnar et Podhájská jouèrent un rôle capital dans la promotion du design tchécoslovaque moderne. C’est à l’occasion de l’Exposition internationale des Arts décoratifs tenue à Paris en 1925 – là où Depero présenta ses pantins pour le théâtre futuriste –, puis de l’Exposition internationale de jouets et outils pédagogiques de Prague (1930), que Podhájská montra ses poupées connues sous le nom de Personnifications des méfaits de l'enfance, faisant du jouet un outil de critique sociale. Cette dizaine de poupées, ne dépassant pas treize centimètres, réalisées en bois tourné, peint et vernissé, représentent non pas un idéal d’enfant, mais plutôt des caricatures des tempéraments et pulsions « des mômes faits de chair et d’os » : des visages de charlatans, de moqueurs, des esprits parfois complexés de leur corps ; certains rient, d’autres regardent le plafond, peints avec des yeux obéissants, cachés derrière d'épaisses lunettes noires [ill. 13]. De son côté, Sutnar participa à l’organisation de nombreuses expositions de l’Ouest : la Section tchécoslovaque à Leipzig (1927), l’Exposition internationale de Barcelone (1929)70, ainsi que les divers Salons célébrés en 1930 à Strasbourg, Genève et Bucarest puis à Stockholm en 1931.
Illustration 14 : (a) Ladislav Sutnar, Affiche de l’Exposition Internationale de Jouets et de l’Enseignement, Prague, 1930.
(b) Sutnar, Études pour l’Industrie du Jouet à Hora Svaté Kateřiny, 1925.
© SDM, 18668231
40En 1925, Sutnar exposa son premier projet de ville modulaire Skládací město – « Ville pliante » – à l’Exposition internationale de Paris, où il gagne la médaille d’argent. Ce jouet se composait de petits cuboïdes ornés de motifs géométriques peints à la main [ill. 14b]. En tant que directeur des Arts Graphiques, il tissa de nombreux contacts avec les professeurs du Bauhaus, qui devraient, comme lui, s’exiler aux États-Unis. Ce fut le cas de Gropius, Feininger, Herbert Bayer, Marcel Breuer, Moholy-Nagy et Albers. En 1927, l’amitié avec Gropius lui fut propice d’un point de vue commercial, notamment au Spielzeug und Bilderbuch munichois. La résonance médiatique de ses jouets et livres pour enfants sur le marché hyperconcurrentiel de l’Allemagne est patente dans l’article du prestigieux magazine Die Form, souhaitant le plus grand succès à ses prototypes [ill. 15].
Illustration 15 : Couverture de Die Form, Monatsschrift für Gestaltende Arbeit et page consacrée aux jouets de Ladislav Sutnar, photos d’Otto Nerlinger, n° 12, 1927, p. 361.
© DUH
41Même si les premiers succès de Sutnar sont dus à l’assimilation des courants pédagogiques en vogue et du design d’avant-garde, il concentra tous ses efforts sur l’amélioration formelle de ses jouets en se fondant sur la théorie des proportions. Le « nombre d’or » lui permettait, disait-il, d’établir l’idée d’un pattern ou « structure invisible » dans tous ses prototypes d’objets domestiques. Les mathématiques sont à la base de sa devise, la délivrance poétique de l’enfant. Dans son plus célèbre essai Co jest hračka – « Qu’est-ce qu’un jouet ? » –, il affirme :
- 71 La traduction est nôtre. Ladislav Sutnar, « Co jest hračka », Vytvarné snahy, n° 8, Prague, Prometh (...)
Le jouet occupe une place prioritaire dans l’art puisque, par cet objet, l’artiste – celui qui anticipe le développement à venir –, s’approche de l’enfant, principal destinataire des lois et forces créatrices qui émanent de l’art. Le jouet constitue une chance pour l’artiste de former les jeunes esprits afin qu’ils puissent recevoir de nouvelles idées et de nouveaux codes.71
Illustration 16 : (a) Ladislav Sutnar, dessins pour Tovární město (1926) et Build the Town (c. 1943), MAD.
(b) Lettre de Sutnar à Frank Mulvey concernant la publication Visual Design in Action, 31-V-1963.
© Mulvey Collection
- 72 Howard Shubert (dir.), Les jouets et la tradition moderniste, Montréal, CCA, 1993, p. 17-35.
42Cet idéal est particulièrement présent dans ses jeux de construction, dont la deuxième version après Skládací město fut Tovární město – « Cité industrielle » –, paru en 1926 [ill. 16a]. Le jouet Fabrik, crée par Josef Hoffmann en 1920 sous commande des Wiener Werkstätte, ainsi que les pièces en bois d’Alma Buscher sont des précédents que Sutnar n’ignorait pas. L’artiste tchèque s’inspira tout de même du projet Cité industrielle de Le Corbusier et de la conception de « maison préfabriquée » pour ouvriers que Gropius réalisa en s’inspirant des maisons de poupées. Tovární město est une propagande de l’urbanisme rationaliste-fonctionnaliste-minimaliste, à la mode de part et d’autre du futur « bloc de l’Est », comme l’attestent déjà les jeux de constructions américains des années 1920 et 193072.
- 73 Marco Ginoulhiac, « Mais um caso de serendipity. A descoberta de Ladislav Sutnar », dans : Architec (...)
- 74 Iva Knobloch, Ladislav Sutnar V Textech (Mental Vitamins), Prague, Uměleckoprůmyslové museum v Praz (...)
43Dans les années 1930, Sutnar travaillait avec ardeur pour vendre ses prototypes de Tovární město. Par malheur, le 15 mars 1939, l’armée nazie occupa la Bohême et la Moravie, un jour après la déclaration d’indépendance de la Slovaquie. Sutnar réussit à s’exiler sous le prétexte de conclure les travaux du Salon Tchécoslovaque à New York. Lorsque, le 27 octobre 1940, le Salon ferma ses portes, l’artiste travaillait déjà pour l’entreprise publicitaire Composition Room, laissant pourtant sa femme et ses deux enfants à Prague – d'où ils ne réussirent à le rejoindre qu’en 1946. Le 31 janvier 1941, Sutnar fut officiellement suspendu de ses fonctions à l’École d’Arts Graphiques et sa famille se retrouva sans aucun soutien économique. La production de ses porcelaines fut également interrompue en représailles73. C’est dans l’exil américain qu’il décida de reprendre son projet des villes modulaires avec Build the Town [ill. 16a, 17b]. Il s’exerça à récréer par cœur les dessins qu’il avait abandonnés à Prague. Ses archives personnelles conservent la correspondance avec les fabricants de New York, de Philadelphie, de Chicago, du New Hampshire, du Connecticut et du Michigan, datée entre 1941 et 1943, qui manifeste le refus de ses modèles pour Build the Town et les difficultés à s’introduire dans les marchés locaux [ill. 17a]. Cela s’explique d’abord par l’étanchéité financière due à une économie de guerre74. Mais ces lettres prouvent en outre que les bailleurs de fonds et fabricants nord-américains ne voulaient pas admettre des produits pour enfants conçus par un étranger au passé socialiste suspect.
- 75 Alice Dubská, « Theatre of Cheerful Joy », dans : Iva Janáková (dir.), Ladislav Sutnar. Praha-New Y (...)
- 76 Michael Haber, Arnold Arnold, « Charles Eames, Arnold Arnold : Designed for play », Graphis, n° 76, (...)
- 77 Antonín Kurš cité par Jaroslav Anděl, El Arte de la vanguardia en Checoslovaquia, op. cit., p. 237.
44Le rejet de son œuvre se fit sentir des deux côtés de l’Atlantique. Alors que le capitalisme fermait ses portes aux jouets de Sutnar, le gouvernement soviétique, implanté à Prague en 1948, le considérait comme un fuyard politique malgré son appui en faveur des enfants ouvriers tchécoslovaques. En 1924, le penchant socialiste de Sutnar s'était en effet fait sentir dans son projet Drak, en tant que directeur artistique du Théâtre de Marionnettes de l’Académie Ouvrière75. Personnages prolétaires et réalisme magique étaient au cœur de ce théâtre libéré des icônes chrétiennes et monarchiques du passé. Il avait été vilipendé par les marionnettistes de la génération précédente et par la presse conservatrice. De plus, les artistes de l’avant-garde tchèque, dont Sutnar, étaient guidés par Karel Teige, membre du Parti Communiste, et appartenaient au groupe Devětsil, très influencé à son tour par l’anarchisme des dadaïstes. Dans les faits, Sutnar fut le seul à se laisser guider par la pensée social-démocratique prêchée par le reste des intellectuels. À plusieurs reprises, il définit le jouet comme une « vitamine mentale » pour l’avenir de l’enfant : « Enfance joyeuse = estime de soi76 », rappelant par là le discours du pédagogue en chef des communistes bohémiens : « C’est l’adulte, et non l’enfant, qui a besoin de rééducation. Comme tout ce qui est nouveau et révolutionnaire, on doit contempler le jouet moderne sans présomption. […] Servir à l’enfant c’est servir l’avenir77. » Mais ce cursus humaniste ne suffisait pas à satisfaire le KSČ.
Illustration 17 : (a) Réponse de Stephenson Manufacturing à Ladislav Sutnar, 17-VII-1941.
(b) « Have fun » : Lettre d’accompagnement pour le jeu Build the City, NY, 5-V-1943.
© PAS
45À New York, Sutnar fut nommé directeur d’art de la société publicitaire Sweet’s Catalog. À partir de là, il tenta de fonder sa propre entreprise de jouets et objets ménagers, Useful Objects. Mais le succès le boudait toujours à cause des fournisseurs. D’où son essai Problém designu hraček (1943) qui met en avant le scepticisme des fabricants, responsables, dira-t-il, d’un marché surpeuplé d’artefacts contraires aux réels besoins des enfants. Vers 1950, Sutnar se consacra au design de supermarchés et à son idée de Park of Pleasures, renonçant par ailleurs à la fabrication de jouets. Pourtant, son utopie ludique restera dans ses écrits postérieurs, dont Visual Design in Action [ill. 16b] où il conclut :
- 78 L. Sutnar, Visual Design in Action, Principles, Purposes, New York, Hasting, 1961, b/22-b/23.
Pour des raisons de marketing, les jouets illustrent les frivolités des adultes. Il faut combattre l’erreur avec des jouets superbes. […] Or la créativité chez l’enfant est d’autant plus élevée que la conception formelle de l’objet est radicalement simple.78
- 79 Roland Penrose, Picasso: su vida y su obra, Barcelona, Argos Vergara, 1981, p. 312.
46Depuis Dada, les jouets ont permis une conspiration entre l’artiste et l’enfant contre les mœurs et les mentalités des sociétés traditionnelles. Ce qu’on appelle le « jouet d’artiste » fut souvent un engin de combat ; au dire de Picasso « un instrument de guerre offensif et défensif contre l’ennemi79 ». L’ennemi s’incarnait dans la foi antimoderniste, que nous trouvons résumée dans l’encyclique Quanta Cura et le Syllabus de Pie IX (1864) ou encore dans le décret Lamentabili et le texte Pascendi de Pie X (1907). Aux antipodes de ce traditionalisme ultramontain, il faut situer la « reconstruction moderne de l’univers », qui passe d’abord par l’enfant. Celle-ci avança par des chemins divers, pourtant rassemblés devant la figure tragique et utopique de Dionysos-enfant. La plupart des jouets du dadaïsme, du futurisme italien, du Bauhaus et des artistes modernes tchèques présentent des formes simples, quasi-abstraites, et témoignent de cette table rase du passé, prônant le remplacement de valeurs jugées obsolètes par le mirage du progrès technologique et social-« iste » – abruptement transformé en national-socialisme ou en collectivisme d’État –, avec toutes ses machines et maisons cubiques en ruche. Mais il reste encore à savoir pourquoi les principaux acteurs des avant-gardes artistiques agirent au nom de ce nouvel évangile séculier de l’enfance, instauré sur la base de la grande apostasie moderne. Ne serait-ce pas l’essor de toute une littérature de révolte qui trouve ses sources philosophiques en Europe au long du siècle précédent ? Mais ceci est une histoire plus complexe qui trouvera sa place dans un autre article.
Annexe
Abréviations utilisées
BBA : Berlin, Bauhaus-Archiv
CCA : Montréal, Centre Canadien d’Architecture
CIMA : New York, Center for Italian Modern Art
DUH : Heidelberg, Digital Universitätsbibliothek Heidelberg
GCA : Los Angeles, The Getty Center Archives
IVAM : Valencia, Instituto Valenciano de Arte Moderno – Centro Julio González
KSW : Weimar, Klassik Stiftung Weimar (Graphische Sammlungen)
MAD : Prague, Uměleckoprůmyslové museum – Musée des Arts Décoratifs
MART : Rovereto, Museo d'Arte Moderna e Contemporanea di Trento e Rovereto
MoMA : New York, Museum of Modern Art
MGK : Zurich, Museum für Gestaltung Kunstgewerbesammlung
PAS : Prague, Archivy Sutnar
SDM : New York, Smithsonian Design Museum
ZHK : Zurich, Archiv Zürcher Hochschule der Künste
ZKZ : Zurich, Kunsthaus Zürich
Notes
1 Paul Gauguin, Avant et Après, Paris, Table Ronde, 1994, p. 33.
2 C’est ainsi que s’exprime souvent Pablo Picasso dans ses entretiens des années 1950 et 1960, lui-même créateur de « jouets primitifs » pour ses enfants. Herbert Read, « Picasso at 75’ », The Times, 27/10/1956. Werner Spies, Picasso: Das plastische Werk, Stuttgart, Hatje, 1983, note 24, p. 21, 160-164, 479-487. Pour la comparaison avec les jouets coptes dont Picasso s’inspira en 1907 après la visite du Musée Guimet : Marie-Hélène Rutschowscaya, Catalogue des bois de l’Égypte copte, Paris, RMN, 1986, p. 89-90. Voyez aussi : Marilyn McCully, Picasso Small figure. The collection in context, Málaga, Museo Picasso, 2007, 71 p.
3 Björn Egging, « "Innere Vision" und "einfachste Form" in den Holzschnitten Lyonel Feiningers », Jahrbuch der Berliner Museen, n° 53, 2011, p. 55-59.
4 Lyonel Feininger, Église de Gelmeroda, c. 1917-1920, bois peint, 32,3 x 25,5 x 7,8 cm, New York, Museum of Modern Art, cote : SC209.1972.
5 Rudolf Steiner, Die Waldorfschule und ihr Geist: Welche Gesichtspunkte liegen der Errichtung der Waldorfschule zugrunde? Drei Vorträge gehalten am 24. und 31. August 1919 in Stuttgart anlässlich der Gründung der Freien Waldorfschule, Stuttgart, Verlag Freies Geistesleben, 1956, 82 p. Rudolf Steiner, The Spirit of the Waldorf School. Hudson, Anthroposophic Press, 1995, p. 47-48.
6 Vlatislav Hofman, « Zrození fantasie », Drobné uméni, vol. 1, 1920, p. 1.
7 Walter Benjamin, Enfance. « Éloge de la poupée » et autres essais, Paris, Payot, 2011, p. 272.
8 André Breton, « Nadja », dans : Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1988, tome 1, p. 753.
9 Origine contestée, attribuée à Vladimir Maïakovski ou Bertolt Brecht. Cité dans : Peter Selz, Art of Engagement. Visual Politics in California and Beyond, San José, San José Museum of Art ; Berkeley, University of California Press, 2006, p. 30.
10 Jean Brun, Le Retour de Dionysos, Paris, Les Bergers et les Mages, 1976, p. 100.
11 Arthur Cravan, œuvres : poèmes, articles, lettres, Paris, Lebovici, 1987, p. 93.
12 Dorothée Brill, Shock and the Senseless in Dada and Fluxus, Lebanon (NH), University Press of New England, 2010, p. 150.
13 Euripide, Bacchantes, 472. Clément d’Alexandrie, Protreptique, II, 17 : 2-18. Hygin, Fabulae, 166 : 86-87.
14 Friedrich Nietzsche, Fragments posthumes sur l’éternel retour, Paris, Allia, 2003, note 60, p. 127.
15 Hugo Ball, « Eröffnungs-Manifest I. Dada-Abend », dans : Karl Riha et Waltraud Wende-Hohenberger (dir.), Dada Zürich. Texte, Manifeste, Dokumente, Stuttgart, Reclam, 1995, p. 30.
16 Hugo Ball, Die Flucht aus der Zeit, 04/11/1917, Lucerne, Stocker, 1946, p. 149.
17 Richard Seaford, « The Dionysiac Don Responds to Don Quixote: Rainer Friedrich on the New Ritualism », Arion, A Journal of Humanities and the Classics, vol. 8, n° 2, 2000, p. 74-98. Cf. Rainer Friedrich, « Don Quixote Responds to the Windmill: A Riposte to Richard Seaford on the New Ritualism », Arion, vol. 9, n° 1, 2001, p. 57-72. Enrique Molina, Nietzsche, dionisíaco y asceta: su vida y su ideario, Santiago du Chili, Nascimento, 1944, p. 50. Sur l’analyse de la transformation de Don Quichotte « senex-puer » en « puer-senex », voyez : Eduardo Urbina, « Don Quijote, puer-senex: un tópico y su transformación paródica en el Quijote », Journal of Hispanic Philology, vol. 12, n° 2, 1988, p. 127-138.
18 Hugo Ball, Die Flucht, 05/08/1916, op. cit., p. 88.
19 Karl Gröber, Kinderspielzeug aus alter Zeit, Berlin, Deutscher Kunstvlg, 1928, p. 67.
20 Sophie Taeuber-Arp à Hans Hildebrandt, 24/06/1927, GCA.
21 Tristan Tzara, « What we are doing in Europe… », Vanity Fair, n° 18, 1922, p. 68 et 100.
22 « At the Zurich Exhibition in 1918 marionettes in turned wood were the starting-point for a new technique in decorative art », London Bulletin, n° 14, 1939, p. 21.
23 Marcel Duchamp, Bilboquet/Souvenir de Paris/A mon ami M[ax]. Bergmann, 1910. Collection privée.
24 Walter Benjamin, « Russische Spielsachen (1930) » dans : Über Kinder…, Berlin, Suhrkamp, 1973, p. 91.
25 Fernand Léger, « Notes sur la vie plastique actuelle », 7 Arts, n° 20, 1923. Repris dans : Fonctions de la Peinture, Paris, Gallimard, 1997, p. 61-66.
26 Hanna Höch, Die fantastische Welt der Hannah Höch: die Puppe Balsamine und der Zauberbusch, Düsseldorf, Galerie Remmert und Barth, 2008, 144 p.
27 Beatrice Wood, I Shock Myself, Ojai, Dillingham Press, 1985, p. 3.
28 Naomi Sawelson-Gorse (dir.), Women in Dada: Essays on Sex, Gender, and Identity, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, 1998.
29 Roland Villeneuve, La Beauté du Diable, Paris, Bordas, 1994, p. 215.
30 Cité par Walter Benjamin, Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit, dans : Rolf Tiedemann, Hermann Schweppenhäuser (dir.), Gesammelte Schriften, Frankfurt, Suhrkamp, 1974, tome I, vol. 2, p. 469. Serge Milan, « Le Futurisme et la question des valeurs », Noesis [en ligne], n° 11, Art et politique, 2007, url : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/noesis/703 [consulté le 26/11/2019].
31 W. Benjamin, Gesammelte Schriften. Vol. 1 : Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit), Frankfurt-sur-le-Main, Suhrkamp, 1991, p. 432.
32 Filippo Tommaso Marinetti cité par Benjamin dans Gesammelte Schriften, op. cit., p. 431.
33 Francesco Cangiullo à Giacomo Balla, 6/02/1915, cité par Luigi Cavadini, « Vanguardia e infancia en Italia », dans : Carlos Pérez (dir.), Infancia y arte moderno, IVAM, p. 257, note 7.
34 Filippo Tommaso Marinetti, « Primo manifesto politico futurista per le elezioni generali del 1909 », dans : Futurismo e Fascismo, Foligno, Campitelli, 1924, p. 22. Référencé en français par Giovanni Lista, Le Futurisme. Textes et manifestes, 1909-1944, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2015, p. 107.
35 C’est à Paris que Marinetti joint les cercles maçonniques et socialistes, qui ont inspiré une partie de son idéologie révolutionnaire. À la même époque en Italie, les socialistes étaient dirigés par le grand maître de la franc-maçonnerie Arturo Labriola.
36 Cité par Serge Milan, « Le Futurisme et la question des valeurs », op. cit., p. 21.
37 Marzia Rocca, L'oasi della memoria: estetica e poetica del secondo Marinetti, Naples, Tempi Moderni, 1989, p. 120.
38 La traduction nous est propre. Fortunato Depero, « Il teatro plastico Depero. Principi ed Applicazioni », Il Mondo, n° 17, 1919, p. 10-11.
39 L. Cavadini, « Vanguardia e infancia en Italia », op. cit., p. 188.
40 C’est le titre choisi pour la Mostra di Bruno Munari. Inventore, artista, scrittore, designer, architetto, grafico, gioca con i bambini, titre de l’exposition dirigée par Paolo Minoti au Musée de Cantù, octobre-décembre 1995.
41 Bruno Munari, Da cosa nasce cosa, Rome, Laterza, 1996, p. 248-251.
42 La traduction est nôtre. Roberto Longhi, « Al Dio ortopedico », Il Tempo, 22/02/1919. Roberto Longhi, Scritti Giovanili, Firenze, Sansoni, 1961, vol. 2, p. 427-429.
43 La traduction est nôtre. Alberto Savinio, Ascolto il tuo cuore, città, Milan, Bompiani, 1944, p. 53.
44 A. Savinio, Tragedia dell’infanzia, Turin, Einaudi, 2001, p. 133, 215.
45 A. Savinio, « Primi saggi di filosofia delle arti III », Valori Plastici, Rome, 1922, n° 3, p. 103-104.
46 Johannes Itten, Journal, 28/11/1919. Il en reparle dans sa lettre à l’artiste Anna Höllering, 15/12/1919. Citée dans Rolf Bothe et al. (dir.), Das frühe Bauhaus und Johannes Itten, Ostfildern-Ruit, Hatje, 1994, p. 451.
47 J. Itten à A. Höllering, 03/11/1919, cité dans : Willy Rotzler, Anneliese Itten (dir.), Johannes Itten. Werke und Schriften, Zürich, Orell Füssli, 1978, p. 67.
48 J. Itten à Josef Matthias Hauer, 05/11/1919, dans : W. Rotzler, A. Itten (dir.), op. cit., p. 68.
49 J. Itten, Journal, 23/08/1923. Zurich, Itten-Archiv.
50 Andrea Tietze, « Vom Bauklotz bis zum Bützelspiel. Künstlerisches Reformspielzeug des Bauhauses », dans : Herbert Eichhorn, Isabell Schenk (dir.), KinderBlicke. Kindheit und Moderne von Klee bis Boltanski, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz, 2001, p. 115.
51 Magdalena Droste, Bauhaus, 1919-1933. Bauhaus Archiv, Berlin, Taschen, 2002, p. 92.
52 Lettre d’Alma Siedhofff-Buscher à Walter Gropius, Weimar, 1922.1924, 3 f. BBA, dossier n° 6, 12771/15-17. Une autre lettre, signée à Dessau en 1927, 6 f., BBA, dossier nº 6, 12718/1-6.
53 Medea Hoch, « Juguetes y arte. Sus interrelaciones en la modernidad », dans : Carlos Pérez, José Lebrero Stals (dir.), Los Juguetes de las Vanguardias, Málaga, Museo Picasso, 2011, p. 127.
54 Michael Siebenbrodt (dir.), Alma Siedhoff-Buscher: Eine neue Welt für Kinder, Weimar, Stiftung Weimarer Klassik und Kunstsammlungen, 2004, p. 51-52.
55 Hans Hildebrandt, Die Frau als Künstlerin, Berlin, Mosse, 1928, p. 156-157.
56 La traduction est nôtre. Alma Buscher, « Kind. Märchen. Spiel. Spielzeug », Junge Menschen, cahier n° 8, 1924, p. 189.
57 Alma Buscher, « Freie Spiele – Lehrspiele », Offset. Buch und Werbekunst, n° 10, 1927, p. 464.
58 Anna Rowland, « Business Management at the Weimar Bauhaus », Journal of Design History, vol. 1, n° 3-4, 1988, p. 153-175.
59 Brouillon d'une lettre d’Alma Buscher adressée à Walter Gropius, 1927; cité dans : Hollein, Luyken (dir.), op. cit., p. 77.
60 Lettre de Gropius à Alma Buscher, 27/09/1927, ibid.
61 « Spielwaren », dans : Walter Gropius (dir.), Neue Arbeiten der Bauhauswerkstätten, Albert Langen, Munich, 1925, p. 39-45.
62 Nous considérons les écoles Bauhaus de Weimar et Dessau comme étant le premier pôle d’expérimentation du « jouet d’artiste » moderne de l’Europe occidentale.
63 Vincenc Kramář, Kubismus, Brno, Moravsko-slezská revue, 1921, 88 p.
64 Ladislav Sutnar, « The Bauhaus as Seen by a Neighbour to the South », dans : Iva Knobloch (dir.), Sutnar in texts, Prague, Uméleckoprúmyslové Museum, 2010, p. 44.
65 Emanuel Hercik, Folk-toys. Les Jouets Populaires, Prague, Artia, 1951, 175 p.
66 La traduction est nôtre. Václav V. Štech, « Ze zacátku artěle », Vytvarné snahy [« Travaux des Beaux-arts »], vol. 10, 1928-1929, p. 95.
67 V. V. Štech, « Ze zacátku artěle », ibid., p. 976-97.
68 Ceux des élèves de l’Institut Pédagogique de Hořovice, datés entre 1925 et 1928, redisent l’esthétique de Rodchenko et Stepanova de 1920. Au collège masculin de Brno, les dessins réalisés par les élèves de F. Kučera et publiés en 1930 dans Výtvarné snahy rappellent les Prouns du suprématiste El Lissitzky. Le mot « Proun », sans signification apparente, est un acronyme des mots russes Proekt Utverždenija Novogo (« Projet d’affirmation du nouveau »). El Lissitzky, « Nicht Weltvisionen, sondern - Weltrealität », De Stijl 5, n° 6, 1922, p. 81-85.
69 Minka Podhájská, « Tvorba a rozměr hračky», Drobné umění, n° 3, 1922, p. 82.
70 Jaroslav Anděl (dir.), El Arte de la vanguardia en Checoslovaquia 1918-1938, IVAM, 1993, p. 439.
71 La traduction est nôtre. Ladislav Sutnar, « Co jest hračka », Vytvarné snahy, n° 8, Prague, Prometheus, 1926, p. 56.
72 Howard Shubert (dir.), Les jouets et la tradition moderniste, Montréal, CCA, 1993, p. 17-35.
73 Marco Ginoulhiac, « Mais um caso de serendipity. A descoberta de Ladislav Sutnar », dans : Architectural toys [en ligne], 01/03/2010, url : http://architoys.blogspot.com/2010_03_01_archive.html [consulté le 25/10/2019].
74 Iva Knobloch, Ladislav Sutnar V Textech (Mental Vitamins), Prague, Uměleckoprůmyslové museum v Praze, 2010, p. 211-265.
75 Alice Dubská, « Theatre of Cheerful Joy », dans : Iva Janáková (dir.), Ladislav Sutnar. Praha-New York. Design in Action, Prague, Argo, 2003, p. 290-297.
76 Michael Haber, Arnold Arnold, « Charles Eames, Arnold Arnold : Designed for play », Graphis, n° 76, 1958, p. 126-133.
77 Antonín Kurš cité par Jaroslav Anděl, El Arte de la vanguardia en Checoslovaquia, op. cit., p. 237.
78 L. Sutnar, Visual Design in Action, Principles, Purposes, New York, Hasting, 1961, b/22-b/23.
79 Roland Penrose, Picasso: su vida y su obra, Barcelona, Argos Vergara, 1981, p. 312.
Haut de pageTable des illustrations
Légende | Illustration 1 : (a) Emmy Hennings, Poupées-Dada, janvier 1927. (b) Sophie Taeuber, Pantins pour le Roi-cerf, photo d’Ernst Rudolf Linck, 1918. © ZHK, ZAE-1918-F01-102 |
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Fichier | image/jpeg, 37k |
Légende | Illustration 2 : (a) Sophie Taeuber, Cerf, 1917-1918. (b) Gardien. © MGK, KGS-14002_12_1, KGS-14002_11 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 29k |
Légende | Illustration 3 : (a) Otto Morach, Tambour et Soldats au canon, dessins pour La Boîte à Joujoux de Claude Debussy, 1918. (b) Carl Fischer, Jouets en bois, photographie d’Ernst Rudolf Linck. © MGK, ZAE-1918-F07-101, KGS-14001_50 et 14001_29 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 48k |
Légende | Illustration 4 : Giacomo Balla et Fortunato Depero, Ricostruzione futurista dell’universo, Milan, Direzione del Movimento Futurista, 11/03/1915, p. 1-2. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 72k |
Légende | Illustration 5 : (a) Depero, Croquis pour la Poupée Sauvage, 1918, MART. (b) Depero, Fedele Azari, Depero Futurista, Milan, Dinamo, 1927, p. 96.© CIMA |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 25k |
Légende | Illustration 6 : (a) Depero, Mangeurs de cœurs, 1923. Collection privée. (b) Depero & Azari, « Martellatori-Macchina », Depero Futurista, op. cit., p. 97. © CIMA |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 21k |
Légende | Illustration 7 : (a) Alberto Savinio, Melanthon, l’île aux jouets, 1928. Col. Antonio Colombo. (b) Savinio, Tragedie de l’enfance, Rome, Cometa, 1937. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 26k |
Légende | Illustration 8 : (a) Savinio, Nella foresta, 1928. Collection privée. (b) Le Songe d’Achille, 1929, Brescia, col. privée. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 32k |
Légende | Illustration 9 : (a) Rudolf Lutz, Affiche Notre jeu, notre fête, notre travail, 1919. KSW. (b) Johannes Itten, Portrait d’enfant (Matthias), 1921-1922. © ZKZ, 265 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 55k |
Légende | Illustration 10 : (a) Alma Buscher, Dessin d’un jeu de construction naval, 1923, KSW, GR-2006/4642. (b) Devis signé par László Moholy-Nagy, Vente d’une poupée d’Alma Buscher au Bauhaus de Dessau, 1925. © MoMA, 1291.2015 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 20k |
Légende | Illustration 11 : Alma Buscher, Jouets sphériques et pliables. Bois peint et laiton (1924), reproduit dans : W. Gropius (dir.), Neue Arbeiten der Bauhauswerkstätten, Munich, Langen, 1925, p. 40-41. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 30k |
Légende | Illustration 12 : Jouets en bois tourné et peint crées par Minka Podhájská, V. H. Brunner et Václav Špála dans les ateliers Artěl, Prague, 1908-1921. © IVAM |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 79k |
Légende | Illustration 13 : Podhájská, Série de Personnifications des méfaits de l’enfance, 1929-1930. © MAD |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-13.jpg |
Fichier | image/jpeg, 31k |
Légende | Illustration 14 : (a) Ladislav Sutnar, Affiche de l’Exposition Internationale de Jouets et de l’Enseignement, Prague, 1930. (b) Sutnar, Études pour l’Industrie du Jouet à Hora Svaté Kateřiny, 1925. © SDM, 18668231 |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-14.jpg |
Fichier | image/jpeg, 26k |
Légende | Illustration 15 : Couverture de Die Form, Monatsschrift für Gestaltende Arbeit et page consacrée aux jouets de Ladislav Sutnar, photos d’Otto Nerlinger, n° 12, 1927, p. 361. © DUH |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-15.jpg |
Fichier | image/jpeg, 199k |
Légende | Illustration 16 : (a) Ladislav Sutnar, dessins pour Tovární město (1926) et Build the Town (c. 1943), MAD. (b) Lettre de Sutnar à Frank Mulvey concernant la publication Visual Design in Action, 31-V-1963. © Mulvey Collection |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-16.jpg |
Fichier | image/jpeg, 291k |
Légende | Illustration 17 : (a) Réponse de Stephenson Manufacturing à Ladislav Sutnar, 17-VII-1941. (b) « Have fun » : Lettre d’accompagnement pour le jeu Build the City, NY, 5-V-1943. © PAS |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/docannexe/image/6199/img-17.jpg |
Fichier | image/jpeg, 49k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Oriol Vaz-Romero Trueba, « Jouer la création, jouer pour combattre », Strenæ [En ligne], 17 | 2021, mis en ligne le 22 mars 2021, consulté le 23 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/6199 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/strenae.6199
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