La littérature norvégienne pour la jeunesse : journée d’étude du 22 septembre 2008
Index-Einträge
SeitenanfangVolltext
1Cette journée d’étude franco-norvégienne pour les professionnels du livre pour enfants, coordonnée par l’Ambassade Royale de Norvège, Livres au trésor, centre de ressources en Seine-Saint-Denis sur le livre de jeunesse, et le traducteur Jean-Baptiste Coursaud a eu lieu le 22 septembre 2008, à la Maison des Mines, à Paris. Cette journée a depuis fait l’objet d’une publication, Des prinçusses et des grands frères, ingéniosité et inventivité de la littérature norvégienne pour la jeunesse, éditée par Livres au trésor.
2La littérature norvégienne pour la jeunesse est un domaine encore largement méconnu en France. Pourtant, un certain nombre de prix prestigieux ont récompensé des publications récentes, qui sont autant de témoins de la richesse et du dynamisme de cette littérature : en novembre 2006, le roman Kurt et le Poisson de Erlend Loe a remporté le prix Tam Tam au Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. L’année suivante, Stian Hole, pour son album L’Été de Garmann, reçoit le prestigieux Ragazzi Award, le plus grand prix décerné à la Foire internationale de Bologne. En 2008, c’est de nouveau un auteur norvégien, Øyvind Torseter, pour son album Détours, qui se voit décerner ce prix.
3C’est en réalité dès les années 1990, avec la publication du Monde de Sophie de Jostein Gaader (traduit en français en 1995), livre norvégien le plus traduit dans le monde (54 langues), toutes catégories confondues, que la littérature destinée à la jeunesse a commencé à trouver un nouvel écho auprès des éditeurs et du public français. L’objectif de cette journée d’étude était donc de mieux faire connaître la littérature norvégienne pour la jeunesse, son histoire, sa diversité, le contexte politique et culturel où elle se déploie ainsi que les problèmes posés par la traduction.
4Harald Bache-Wiig, professeur de littérature pour la jeunesse à l’Université d’Oslo, ouvre cette journée en retraçant un panorama historique général. La littérature pour la jeunesse proprement dite apparaît en Norvège avec l’instauration de la démocratie parlementaire, en 1884, quand il s’agit d’inventer l’idée d’enfance, de construire des écoles, d’écrire des manuels scolaires et d’offrir aux enfants leur propre littérature. La fin du XIXe siècle est ainsi considérée comme un premier « âge d’or » : les ouvrages de Rasmus Løland et de Dikken Zwilgmeyer sont des classiques toujours lus aujourd’hui. Les années 1950 marquent un second « âge d’or », grâce à l’utilisation du média radiophonique, qui permet notamment de développer le public des tout-petits et de diffuser des histoires qui deviennent un patrimoine national et qui bâtissent des références communes. Le nonsense entre dans la littérature norvégienne pour la jeunesse grâce à La Craie magique (1948) de Zinken Hopp, traductrice de Lewis Carroll. La littérature pour la jeunesse contemporaine se caractérise notamment par une grande ouverture thématique, par des techniques narratives innovantes comme le recours à la polyphonie et par la richesse de ses albums.
5Ces caractéristiques sont illustrées par Guri Fjelderg, essayiste et critique littéraire. Elle explique que, depuis les années 1980, la littérature de jeunesse norvégienne n’affiche plus nécessairement de message clair, voire rejette tout message pédagogique, laissant le lecteur seul pour déterminer les valeurs du livre. Tel est le cas des romans de Tormod Haugen, seul écrivain norvégien récompensé par le prix Hans Christian Andersen. Le roman pour enfants contemporain joue également avec des effets d’intertextualité ; Jon Ewo invente ainsi la technique du « sample » littéraire, qui établit des liens explicites entre le roman pour la jeunesse et la littérature classique. Guri Fjelderg montre également que, face au développement d’une littérature de « fantasy », grand succès auprès des lecteurs mais souvent de faible qualité littéraire, on voit apparaître des personnages de jeunes garçons vulnérables et confrontés aux difficultés du monde moderne, comme dans Grand Frère de Harald Rosenløw Egg, où le monde est décrit à travers le regard des perdants. D’une manière générale, la littérature de jeunesse est marquée par une absence de tabous et une transgression des limites, excepté lorsque l’éditeur choisit d’intervenir, comme dans la fin de Romeo et Javeria (2007), où le suicide final des deux héros, sur le modèle shakespearien, a été supprimé. Dans l’ensemble de la publication romanesque, Guri Fjelderg distingue Cascades et gaufres à gogo de Maria Pan (à paraître en 2009 aux éditions Thierry Magnier). Dans le domaine de l’album, les propos sont également très libres, jusqu’à une certaine limite : Guri Fjelderg remarque ainsi que seule la fierté et l’autosatisfaction nationales ne sont ni abordées ni remises en question. Albums très innovants, livres artistiques ou recourant à des techniques numériques magistralement maîtrisées, les albums pour la jeunesse font montre d’une grande diversité esthétique et thématique.
6Un retour historique permet à Elena Balzamo, traductrice et spécialiste des contes populaires, de présenter l’histoire des contes norvégiens et en particulier de la collecte menée à partir des années 1830 par J. Moe et P.C. Asbjørnsen (édition française de référence : Contes de Norvège, tome I : traduit du norvégien sous la direction de Johanne-Margrethe Patrix, 1995, et tome II : traduit sous la direction de Eva Berg Gravensten, 1998, L’Esprit Ouvert). Les deux collecteurs ont ainsi cherché à restituer par écrit une narration orale, sans faire subir aux contes de changements nuisibles, par des interventions fines et délicates. La transcription de ces contes populaires a également un aspect linguistique essentiel. En effet, Elena Balzamo explique qu’au XIXe siècle, la langue est un problème central : après trois siècles de domination danoise (la Norvège n’est qu’une province), la langue officielle reste le danois, tandis que se sont multipliés les différents dialectes norvégiens. Comment créer une langue nationale et littéraire ? Moe et Asbjørnsen choisissent ainsi de rejeter la solution dialectale pour transcrire les contes en dano-norvégien, en apportant des modifications pour rendre les textes plus norvégiens et en introduisant des expressions dialectales dans les dialogues.
7Le problème de la langue est également soulevé par Jean-Baptiste Coursaud, seul traducteur français du norvégien spécialisé dans la littérature pour la jeunesse. Il commence par expliquer ses interventions auprès des jeunes (et des moins jeunes) dans le cadre d’ateliers de traduction, en particulier auprès de classes où nombre d’enfants sont bilingues voire trilingues, mais dans des langues trop souvent dévalorisées comme n’étant pas des « langues de culture ». Du rappel des grandes familles de langues indo-européennes à la pratique concrète du traducteur pour la jeunesse, Jean-Baptiste Coursaud développe un propos qui suscite un important débat : faut-il en effet adapter le texte au jeune public français, quitte à perdre certaines caractéristiques du quotidien norvégien ? Faut-il rester proche d’un texte original qui risque de provoquer des effets d’étrangeté, parfois comiques, mais non voulus par l’auteur ? Les nombreux exemples, très précis, empruntés à la série Grégoire et Gloria de Tormod Haugen, permettent de comparer les traductions française et espagnole, en se référant au texte norvégien, et alimentent un débat très animé qui suscite de nombreuses réactions du public.
8La politique du livre en Norvège est ensuite expliquée par Anne Trine Kjørholt, directrice du Centre norvégien de recherche sur l’enfance à l’Université des sciences naturelles et techniques de Trondheim. Elle expose notamment le programme de « pré-achat », qui vise à aider la création littéraire et en particulier la littérature pour la jeunesse, à destination des professionnels du livre et de l’enfance.
9Enfin, cette journée très riche se termine par une table ronde sur la place de l’enfant dans les sociétés norvégienne et française. Véronique Soulé, directrice de « Livres au trésor », réunit ainsi les points de vue de Harald Bache-Wiig, Anne Trine Kjørholt et Viviane Durand, présidente de l’Association de recherche et de pratique sur le livre pour enfants. Ce débat permet de mettre en miroir le statut de l’enfant dans la littérature norvégienne et la réalité sociologique du pays, dans une comparaison avec l’exemple français. La journée se clôt par une visite de la Bibliothèque Nordique (fonds fenno-scandinave de la Bibliothèque Sainte-Geneviève), autour d’un verre de l’amitié.
Zitierempfehlung
Online-Version
Mathilde Lévêque, „La littérature norvégienne pour la jeunesse : journée d’étude du 22 septembre 2008“, Strenæ [Online], 1 | 2010, Online erschienen am: 14 Juni 2010, abgerufen am 11 Dezember 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/151; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/strenae.151
SeitenanfangUrheberrechte
Nur der Text ist unter der Lizenz CC BY-NC-ND 4.0 nutzbar. Alle anderen Elemente (Abbildungen, importierte Anhänge) sind „Alle Rechte vorbehalten“, sofern nicht anders angegeben.
Seitenanfang