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Comptes rendus

Roberta Pederzoli, La traduction de la littérature d’enfance et de jeunesse et le dilemme du destinataire

Overview of *Translating Children's Literature and the Dilemma of Readership*
Mathilde Lévêque
Référence(s) :

Roberta Pederzoli, La traduction de la littérature d’enfance et de jeunesse et le dilemme du destinataire, P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, 2012, 313 p. ISBN : 978-2-87574-010-6

Texte intégral

1Les ouvrages théoriques sur la traduction en littérature d’enfance et de jeunesse sont encore rares dans le champ de la critique universitaire francophone alors que, comme le souligne Roberta Pederzoli dès l’introduction de La traduction de la littérature d’enfance et de jeunesse et le dilemme du destinataire, la traduction est à la fois une « réalité éditoriale importante, mais aussi un domaine théorique reconnu et en pleine expansion » (p.17). Aussi cette nouvelle étude propose-t-elle à la fois un aperçu détaillé et assez complet de la traductologie d’enfance et de jeunesse, tout en tentant d’enrichir la réflexion par de nouvelles analyses. L’ouvrage s’appuie ainsi sur plusieurs théories présentées dans leur déroulement historique, depuis les origines et quelques figures clés (Paul Hazard, Richard Bamberger, Walter Scherf, Göte Klingberg) aux approches les plus récentes des années 2000 (Riitta Oittinen, Emer OSullivan, Isabelle Nières-Chevrel, Virginie Douglas) en passant par des textes devenus canoniques des années 1980 et 1990 (en particulier ceux de Gideon Toury et de Zohar Shavit). À cet égard, la rigueur méthodologique de Roberta Pederzoli est exemplaire, utile et précieuse, en apportant à l’entrée de chaque chapitre un aperçu du débat théorique (notamment dans les trois premiers chapitres) que la bibliographie finale ne manque pas d’enrichir.

2La réflexion théorique de Roberta Pederzoli s’inscrit donc dans une connaissance solide du domaine, dont les principaux enjeux et débats sont réexaminés à partir d’un corpus de six romans pour enfants et adolescents (soit pour un public de 8 à 14-16 ans) français (Je ne t’aime pas Paulus d’Agnès Desarthe, L’assassin est au collège de Marie-Aude Murail), italiens (Occhio al gatto de Silvana Gandolfi, La Freccia Azzurra de Gianni Rodari) et allemands (Das doppelte Lottchen d’Erich Kästner, Momo de Michal Ende), écrits à des époques différentes (fin des années quarante, années soixante-dix et quatre-vingt-dix), traduits et retraduits dans les trois langues respectives (on ne manquera pas de saluer l’aisance et la maîtrise linguistiques de l’auteur), soit un corpus d’une vingtaine d’ouvrages au total. À ce corpus s’ajoutent, plus ponctuellement, d’autres ouvrages littéraires pour la jeunesse plus ou moins contemporains, de La Guerre des boutons de Louis Pergaud aux romans d’Anne-Laure Bondoux, en passant par ceux de Peter Härtling. L’originalité de la démarche de Roberta Pederzoli est de présenter, à partir de ce corpus, une méthodologie tout à fait nouvelle, combinant analyse qualitative et analyse quantitative, « permettant une étude plus élaborée et complète des caractéristiques linguistiques et stylistiques des textes, mais aussi des stratégies traductives » (p.283). Roberta Pederzoli propose une analyse expérimentale, procédé assez rare en littérature pour la jeunesse, menée à l’aide de plusieurs logiciels spécialisés dans l’analyse textuelle (chapitres 4 et 5). Plusieurs typologies de manipulations sont ainsi mises en évidence, manipulations stylistiques ou idéologiques, interventions sur le contenu ou sur la narration, selon une approche « target-oriented », essentiellement tournée vers le lecteur. L’analyse quantitative vient confirmer et compléter l’analyse qualitative en cherchant à y apporter un aspect plus objectif, quantifiable et mesurable. Roberta Pederzoli, à partir de cette double approche, s’attache à mieux définir et à ressaisir le concept de lisibilité, articulé à la question de l’accessibilité. C’est la question du destinataire qui vient donc clore l’ouvrage et en justifier le titre (chapitre 6) : le lecteur, « clé de voûte du processus traductif » (p.287), est présenté comme un « dilemme » aux multiples aspects, liés à la « complexité de la littérature de jeunesse, des ses enjeux et des agents qui y sont impliqués et soumettent le traducteur à de nombreuses pressions et influences » (p.287), à la vision de l’enfant, historiquement et culturellement déterminée, à la difficile prise en considération de la réception. Roberta Pederzoli, s’appuyant principalement sur la théorie bermanienne, propose enfin des pistes de réflexion pour une nouvelle théorie de la traduction littéraire pour enfants, revendiquant une traduction « esth-éthique » respectant le texte et l’enfant, les compétences de jeune lecteur et le « droit d’être initié à la beauté et à une littérature digne de ce nom » (p.282).

3On pourrait reprocher à l’ouvrage le choix d’un corpus certes bâti et conçu pour être représentatif mais restant limité, écueil sans doute inévitable de tout corpus où l’exhaustivité reste une utopie. Ainsi, les deux romans français datent des seules années quatre-vingt-dix et appartiennent au catalogue d’une seule maison d’édition, l’École des Loisirs. Néanmoins, les remarques avancées, construites avec une rigueur méthodologique remarquable, n’excluent en rien des prolongements et des recherches ultérieures, bien au contraire. Roberta Pederzoli l’affirme elle-même : elle n’a pas l’ambition de proposer une étude historique, « qui aurait demandé un élargissement considérable de [son] corpus et des analyses plus poussées » (p.113). À cet égard, l’entreprise de l’Histoire des traductions en langue française, dirigée par Yves Chevrel et Jean-Yves Masson, en accordant une place à la littérature d’enfance et de jeunesse, apporte pour le xixe et apportera prochainement pour les xviiie et xxe siècles cette perspective historique qui fait ici défaut, mais qui n’est pas non plus l’objet du livre. Il reste que l’ouvrage de Roberta Pederzoli est non seulement fort utile aux chercheurs et aux étudiants s’intéressant à la traduction littéraire pour l’enfance et la jeunesse et aux questions de traductologie spécifiques à ce domaine, mais il est encore à coup sûr un élément fondateur dans un vaste édifice théorique qui reste encore à construire.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathilde Lévêque, « Roberta Pederzoli, La traduction de la littérature d’enfance et de jeunesse et le dilemme du destinataire »Strenæ [En ligne], 6 | 2013, mis en ligne le 20 décembre 2013, consulté le 24 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/1134 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/strenae.1134

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Auteur

Mathilde Lévêque

Université Paris 13 – Sorbonne Paris Cité

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