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Comptes rendus

Danielle Quéruel (dir.), La guerre, le livre et l’enfant, 1914-1918

Cécile Pichon-Bonin
Référence(s) :

Danielle Quéruel (dir.), La guerre, le livre et l’enfant, 1914-1918, Reims, ÉPURe, 2021

Texte intégral

1Le centenaire de la Grande Guerre, à partir de 2014, a suscité de nombreuses expositions et publications. Cette célébration a été l’occasion d’exhumer nombre de documents et d’objets des réserves des musées, bibliothèques et archives et de les soumettre à l’observation et à l’analyse. C’est dans ce contexte qu’a été conçu l’ouvrage collectif dirigé par Danielle Quéruel. Intitulé La guerre, le livre et l’enfant, il regroupe les actes du colloque éponyme qui s’est tenu les 9 et 10 octobre 2014 à Troyes, organisé par le CRIMEL (Centre de recherche interdisciplinaire sur les modèles esthétiques et littéraires) et le Centre universitaire de Troyes.

2Un avant-propos reprend le mot d’ouverture du colloque de Jean-François Boulanger et situe la Grande Guerre dans deux grands mouvements culturels de rythme différent : la modification, dans la société française, de la place de l’imprimé d’une part et de l’enfant d’autre part, à l’issue d’un long xixe siècle. Ce texte est suivi d’une très brève introduction destinée à remercier les partenaires, à souligner l’articulation du colloque avec l’exposition Enfances 14-18, organisée à la médiathèque du Grand Troyes et à énoncer la variété des objets étudiés dans le volume : cahiers d’écoliers et d’instituteurs/trices, journaux d’enfants et d’enseignants, lettres et carnets de guerre d’artistes-soldats écrivant à leurs enfants, cartes postales, livres d’or des morts, affiches, manuels scolaires, romans, albums, périodiques, bandes dessinées, etc. Témoignages, fiction et manuels côtoient ainsi des documents administratifs et des tableaux. En guise de seconde introduction, une rubrique intitulée « Contextes » reproduit les textes de présentation des documents réunis dans l’exposition. Ceux-ci insistent sur les liens entre les événements et les différents types de supports destinés aux enfants. Ils offrent ainsi une présentation plus détaillée et contextualisée des objets d’étude, en soulignent les fonctions et les grandes thématiques. Cet ensemble de textes brefs permet de poser le cadre de la réflexion, surtout lorsque des images des objets de l’exposition viennent illustrer et préciser le propos, restituant ainsi l’esprit de l’accrochage. Les auteurs, universitaires et professionnels des musées et des bibliothèques, apportent des points de vue souvent au plus près des objets étudiés.

3C’est là l’un des grands mérites du livre que de convoquer cette diversité et d’offrir des descriptions et analyses de ces objets afin d’en saisir les modalités opératoires à travers un ensemble d’études de cas. Le projet consiste à montrer comment le livre, sous ses formes les plus variées, sert de passeur entre l’événement factuel qu’est la guerre et l’enfance, ici conçue comme catégorie culturelle en pleine mutation. Le cœur de l’ouvrage se compose de 17 articles organisés selon cinq parties thématiques : « Raconter la guerre aux enfants », « École et patrie », « L’image comme outil de mobilisation », « Les peintres et la guerre », « Commémorer les guerres ». Seul l’article d’Anthony Cardoso échappe à la question de l’enfance pour brosser un bref panorama de la situation des peintres engagés dans la guerre, sur la base des collections du musée d’Art moderne de Troyes.

4Toutes les études se concentrent sur des objets créés en France à l’attention d’un lectorat français, à l’exception du texte de Yannick Bellenger-Morvan. Consacré à la figure du héros patriote dans la trilogie australienne d’Ethel Turner, celui-ci propose une ouverture vers un autre contexte. Dans cet article, la chercheuse examine le rapport entre la Grande Guerre, les enfants australiens et le livre comme support idéologique à travers le thème d’un triple décentrement : générique, géographique et patriotique.

5La très large majorité des objets examinés a été conçue et diffusée pendant la Grande Guerre. L’une des questions transversales de l’ouvrage est donc celle de la propagande et de la formation des jeunes esprits, dans la suite des travaux de Stéphane Audoin-Rouzeau, mentionnés à plusieurs reprises. L’examen de l’expression du patriotisme pour et par les enfants revient ainsi dans de très nombreux articles. La place de la guerre dans les activités scolaires et le rôle de l’école comme vecteur de la transmission patriotique constituent également des thèmes récurrents dépassant le cadre de la deuxième partie, comme le montre par exemple l’article de Laurence Olivier-Messonnier consacré à un roman scolaire et à la biographie-hagiographie de Jean Corentin Carré par le professeur devenu inspecteur d’académie André Fontaine, assortie du carnet de route du jeune soldat engagé volontaire. Se développent là la promotion de l’école de la IIIe République et le thème de la militarisation de la jeunesse.

6La construction de la mémoire est abordée directement dans la dernière partie et apparaît également ponctuellement, à nouveau avec l’étude de Laurence Olivier-Messonnier mais aussi dans l’article de Jean-Louis Humbert sur Le livre d’or des instituteurs, professeurs et normaliens de l’Aube morts pour la France, 1914-1918 et dans celui de Pierre-Laur Fournié et Olivier Pottier sur l’évolution de la bande dessinée dédiée à la Grande Guerre à partir de 1945. Julien Schuh aborde, quant à lui, la préparation de la Grande Guerre. Il montre en quoi les romans d’anticipation guerriers du lieutenant-colonel Émile Driant (parus sous le pseudonyme de Danrit) sont la synthèse de l’esprit de revanche après la défaite de 1870, de l’idéologie de la IIIe République et de l’imaginaire des machines de Jules Verne. Il analyse le rôle de ces ouvrages sur la formation idéologique de la jeunesse en les situant dans leur contexte de réception et en les comprenant dans la carrière militaire de l’auteur.

7Les études de cas, souvent très descriptives, donnent une idée du contenu des documents, pour certains méconnus, et de la façon dont ils présentent aux enfants un grand nombre de thèmes souvent communs à la littérature pour adulte, comme la question de l’Alsace, l’effort de guerre et les économies, la bataille, l’héroïsme, la figure du « barbare boche », la mort, les valeurs morales qui unissent la société, et la présentation du conflit comme un combat pour la défense de la justice, de la liberté et de la civilisation. Il conviendrait aujourd’hui de situer ces observations et réflexions dans une historiographie plus large dédiée au conflit afin de mieux cerner les spécificités des supports, discours et images destinés aux enfants.

8Sur cette question, et pour le registre de l’image, l’article d’Annie Renonciat se révèle pionnier et particulièrement précieux. Il est en effet l’un des rares textes à envisager un corpus élargi et à avoir une portée plus générale en proposant une catégorisation des stratégies et dispositifs graphiques des images pour la jeunesse pendant la guerre. Ce texte présente les types d’images pour enfants publiés pendant la Grande Guerre et situe cette production dans une histoire éditoriale plus longue. L’étude offre des éléments quantitatifs et envisage les continuités, ruptures et modifications iconographiques et formelles à l’œuvre dans les représentations de la guerre à destination de l’enfant à travers l’imagerie populaire, l’estampe artistique et l’album. Au-delà de cet apport, déjà considérable, à l’histoire de la culture visuelle enfantine, Annie Renonciat propose également un renversement de perspective particulièrement fécond. Elle analyse avec finesse les rapports de l’enfant à l’image et met en valeur la part belle faite à l’humour, au comique et au jeu dans l’imagerie populaire et la vision de la guerre à hauteur d’enfant offerte par les albums. La chercheuse prend ainsi du recul sur une réduction de la production culturelle à des stratégies d’endoctrinement et de militarisation, et montre que, pour la première fois, éditeurs et illustrateurs s’attachent à prendre les enfants en considération au cours d’un conflit, non en tant que combattants ou futurs combattants comme ce fut le cas depuis la Révolution, mais en tant qu’enfants perçus dans leurs spécificités. Cet exposé invite à envisager les autres articles du volume sous un œil nouveau et ouvre des perspectives pour l’étude des rapports de l’enfant à la littérature en temps de guerre.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cécile Pichon-Bonin, « Danielle Quéruel (dir.), La guerre, le livre et l’enfant, 1914-1918 »Strenæ [En ligne], 24 | 2024, mis en ligne le 01 septembre 2024, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/11107 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12evm

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Auteur

Cécile Pichon-Bonin

Chargée de recherche au CNRS, LIR3S

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