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Dossier thématique

Autour du Père Castor

Père Castor: A Reassessment
Dorena Caroli et Cécile Pichon-Bonin

Texte intégral

  • 1 Claire Delbard, « Grandir dans l’enthousiasme avec “le Roman des bêtes” », Strenæ [en ligne], n° 6, (...)
  • 2 Claude-Anne Parmegiani, Les petits français illustrés, 1860-1940. L’illustration pour enfants en Fr (...)

1Label connu et apprécié du grand public, le Père Castor joue un rôle majeur dans l’histoire de l’édition de l’album en France depuis près de 100 ans. En 1931, les premiers livres sont publiés aux éditions Flammarion dans un format maniable, avec une typographie très lisible, permettant différents niveaux de lecture. Parmi les premiers titres, se trouvent des livres d’activités comme Je fais mes masques, Je découpe, Masques de la jungle de Nathalie Parain (1897-1958) ou Je fais mes jouets avec des plantes de Ruda (Jarušek Rudolf Václav, 1902-1983). Rapidement, différentes collections apparaissent. Leur identité se fonde sur l’âge des lecteurs visés, des thématiques comme la découverte de la nature ou des peuples du monde, des formats de livres ou des types d’approches. Ainsi, le « Roman des bêtes » est lancé en 1934, puis « Le montreur d’images » en 1947 (la collection s’arrête en 1958), « Les enfants de la Terre » en 1948, tandis que le premier « Imagier » est publié en 19521. Les années 1980 voient se développer quatre collections, associées chacune à une tranche d’âge, et rassemblées sous le nom de Castor poche. Depuis 1989, le Père Castor propose également des supports audio pour accompagner ses ouvrages. Et ses histoires ont fait l’objet d’adaptations en dessins animés à partir de 1993. Cette histoire éditoriale s’accompagne d’expériences pédagogiques formalisées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le Centre de recherche biblio-pédagogique de l’atelier du Père Castor ouvre en 1946 puis une école expérimentale l’année suivante2.

  • 3 Florence Gaiotti, Eléonore Hamaide-Jager (dir.), Ondina/Ondine. Revista de Literatura Comparada Inf (...)
  • 4 Bernard Bardin et al. (dir.), Paul Faucher (1898-1967), un Nivernais inventeur de l’album moderne ( (...)

2Ces collections, emblématiques du renouveau de l’album dans les années 1930 et comprenant des livres devenus de véritables « classiques » toujours réédités3, a commencé à susciter l’intérêt des spécialistes de l’édition pour enfants et des historiens de la littérature et de la culture enfantines il y a environ 25 ans. En 1998, le colloque organisé à Pougues-les-Eaux ouvre la voie à une meilleure connaissance du fondateur de la collection, Paul Faucher, et envisage ses activités éditoriales, ses liens avec l’Éducation nouvelle et sa pensée pédagogique (François Faucher). Associant témoignages, publication de sources primaires et d’articles scientifiques, les actes du colloque inaugurent aussi les recherches sur les politiques éditoriales (Marie-Françoise Barat-Payraud), l’école du Père Castor (Colette Bugé et Annie Horine-Borzeix), les différentes séries (Michel Defourny, témoignage de Jean-Michel Guilcher) et les innovations apportées par le Père Castor dans le domaine de l’album français dans les années suivant sa fondation (Isabelle Nières-Chevrel, Claire Delbard)4. Cette publication permet aussi de faire connaître l’Association des amis du Père Castor, créée en 1996, et qui est à l’origine de publications de documents d’archives, de travaux de recherche et, plus récemment, de fac-similés d’anciens albums.

  • 5 Isabelle Nières-Chevrel, « Le Père Castor parmi nous », La Revue des livres pour enfants, n° 176, a (...)
  • 6 Michel Defourny, « Nathalie Parain », La Revue des livres pour enfants, n° 176, avril 1999, p. 74-8 (...)

3À la suite de ce colloque, La Revue des livres pour enfants consacre un numéro spécial au Père Castor, se focalisant surtout sur un bilan de l’activité des années 1945-1965 ainsi que sur l’héritage des albums dans la culture de l’enfance, car « ces livres ont constitué le socle de la culture enfantine française dans les années qui ont suivi la guerre5 ». Michel Defourny y publie l’intervention sur l’exposition Ronds et carrés dédiée à Nathalie Parain, organisée à Orly en 1999, la première artiste russe que Paul Faucher rencontra6. Ce texte marque aussi le début des réflexions sur la place et l’apport des illustrateurs originaires d’Europe de l’Est, et plus particulièrement de Russie, dans l’élaboration des « Albums du Père Castor ». Ce dernier axe de recherche a connu depuis un certain développement, de même que ceux consacrés respectivement aux apports de la collection à l’histoire de l’album et aux réseaux et idées pédagogiques de Paul Faucher, qui se voulait à la fois éditeur et éducateur.

Les postulats pédagogiques de l’activité éditoriale de Paul Faucher

  • 7 Certains travaux originaux ne sont pas encore publiés : Marie-France Payraud-Barat, Paul Faucher, « (...)
  • 8 Michèle Piquard, « Paul Faucher, concepteur des albums du Père Castor, sergent recruteur de la No (...)
  • 9 Laurent Gutierrez, « Les premières années du Groupe Français d’Éducation Nouvelle (1921-1940) », (...)

4La vie de Paul Faucher et l’histoire du Père Castor sont bien connues en France, comme en témoigne la richesse des publications et des travaux menés au fil des ans sur son activité liée aux idées du mouvement de l’Éducation nouvelle7. En tant que jeune libraire, Paul Faucher entre en contact avec Madeleine Guéritte. Celle-ci fonde, en 1921, la société de la Nouvelle Éducation, affiliée à la Ligue internationale de l’Éducation nouvelle (LIEN), un organisme qui promeut un mouvement éducatif dont les principes « reposent sur l’observation scientifique de l’enfant et l’expérience, avec pour corollaire le respect de l’enfant8 ». Pour Paul Faucher, la création d’un comité provisoire d’Éducation nouvelle représente le premier pas vers la publication d’une collection d’ouvrages pédagogiques, à partir de 1926, puis vers la fondation du Bureau français d’éducation (B.F.E.) en 1927, agrégé au Bureau international de l’éducation à Locarno9.

  • 10 François Faucher, František Bakule l'enfant terrible de la pédagogie tchèque, Paris, PUF, 1998  (...)
  • 11 Michel Defourny, Hommage à Lida, Meuzac, Les Amis du Père Castor, 2000 ; Dorena Caroli, « Ludmila (...)

5Cette même année, Paul Faucher participe au Congrès de l’Éducation nouvelle de Locarno au cours duquel il rencontre l’éducateur tchèque František Bakule10, fondateur d’un institut pour enfants handicapés à Prague. Il visitera ensuite cette structure et y fera la connaissance de sa future assistante et épouse, Lida Durdíková11, également autrice de plusieurs albums et livres.

  • 12 Cécile Boulaire, « Des livres pour “entraîner dans la voie de l’éducation nouvelle” : la collect (...)

6La publication de la collection « Éducation » chez Flammarion (1928-1938) constitue un tremplin pour l’activité des livres de jeunesse. Elle rend compte des conceptions de l’Éducation nouvelle qui se propagent alors en Europe et aux États-Unis. Parmi les ouvrages publiés, notons ceux d’Adolphe Ferrière, Les trois pionniers de l’éducation nouvelle (1928), puis de Paul Hazard (1878-1944), Les livres, les enfants et les hommes (1932)12, un an après le lancement des premiers « Albums du Père Castor ». Adolphe Ferrière figure parmi les fondateurs de l’Éducation nouvelle. Directeur de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève, il se consacre au renouvellement de l’éducation scolaire sur la base de l’initiative des enfants. Dans son œuvre, il présente au lectorat des instituteurs et éducateurs, trois figures remarquables pour la nouveauté de leurs idées pédagogiques : Herman Lietz, Giuseppe Lombardo Radice et František Bakule qui, chacun dans leur pays, défendent une école s’éloignant des modèles traditionnels.

  • 13 Dorena Caroli, « La storia della letteratura comparata per l’infanzia da Paul Hazard agli studi rec (...)

7Quant à Paul Hazard, important spécialiste de littérature comparée, il décrit non seulement la naissance de la littérature de jeunesse dans les différentes traditions littéraires européennes mais aussi l’histoire des pratiques de la lecture qui accompagnent l’émergence de cette littérature13. Le comparatisme met en évidence des lacunes dans le domaine des livres de jeunesse en France, en montrant aux éditeurs comme Faucher la double nécessité de développer ce secteur et de stimuler l’habitude de la lecture chez la jeune génération.

  • 14 Sylva Simsova (dir.), Nicholas Rubakin and bibliopsychology, traduit par M. Mackee et G. Peacock, L (...)
  • 15 Adolphe Ferrière, « La psychologie bibliologique d’après les documents et les travaux de Nicholas R (...)

8Parmi les relations du jeune éditeur Faucher, Nikolas Roubakine (1862-1946) tient une place particulière. Émigré en Suisse, cet intellectuel bibliophile est proche des créateurs du système de classification internationale des livres, eux aussi pacifistes14. Il fonde la bibliologie, une science appliquée à la psychologie du lecteur et se voulant utile aux enseignants et aux bibliothécaires15. À partir de l’idée selon laquelle la lecture produit un effet positif sur le développement cognitif, moral et esthétique des enfants, le livre devient un instrument de bien-être existentiel. Sur la base de ce postulat, Roubakine montre l’importance d’instaurer une pratique régulière de lecture tout au long de la vie.

  • 16 Paul Faucher, « L’Éducation, l’homme et l’enfant», réponses parues dans la page « Enfance » des No (...)

9Pour stimuler la lecture et façonner « l’enfant lecteur », y compris dans les milieux peu familiers du livre, ce dernier ne peut se contenter d’être seulement agréable, il doit aussi être adapté aux besoins des lecteurs. Grâce aux principes de la bibliologie, qui prend en compte les phases de développement de l’enfant, Paul Faucher imagine différentes séries et collections16 :

  • 17 C.-A. Parmegiani, Les petits français illustrés, op. cit., p. 250-251.

1. Pour le Tout-Petit : textes, jeux, images ; 2. Le Bonheur de lire : histoires de bêtes, contes, poésies, formulettes, chansons. Textes simples accompagnés d’images qui donnent aux enfants le goût de la lecture, de la recherche et de la culture personnelle. 3. Le plaisir de jouer : albums-jeux à combinaisons multiples […]. 4. La joie d’inventer : série d’albums qui orientent les enfants vers des activités manuelles et artistiques et leur offrent de multiples moyens d’exercer leur adresse et d’exprimer leur personnalité17.

  • 18 Père Castor. Raconte-nous ton histoire, Dossier pédagogique pour les groupes scolaires et périsc (...)

10S’inspirant sans doute des principes de Roubakine, Paul Faucher mène des enquêtes dans les écoles maternelles et élémentaires afin d’étudier les réactions des enfants, des enseignants et des éducateurs lors de leur découverte des albums du Père Castor, au moment de leur parution. En témoigne une riche correspondance18.

11La personnalité et les activités de Paul Faucher ayant été mises en avant dans nombre d’études et de publications de documents d’archives, ce numéro de Strenae invite à décentrer le propos et à enrichir les connaissances et les analyses relevant de deux autres axes de recherche.

La place et le rôle du Père Castor dans l’histoire de l’album

  • 19 Paul Faucher, Comment adapter la littérature enfantine aux besoins des enfants, texte de la confé (...)
  • 20 Paul Faucher, « La mission éducative des Albums du Père Castor », Revue de l’école nouvelle françai (...)
  • 21 Ibid., p. 24.

12Dans une conférence très connue de 195719, portant sur la définition des « bons albums », Paul Faucher résume les critères présidant à l’élaboration d’une typologie des livres. Il révèle l’attention qu’il avait portée à la psychologie générale de l’enfant et à ses stades de développement, par la prise en compte de différentes tranches d’âge. L’éditeur est alors convaincu « que les premiers albums, les premières images, ont sur la sensibilité, sur le goût, sur le jugement des enfants, une influence déterminante et que les bons albums forment les bons lecteurs20 ». L’ambition vise à soutenir le développement psychologique et, au-delà même, à « donner le goût de la lecture aux petits et [à] le faire naître chez les enfants qui n’aimaient pas lire ou qui lisaient mal21 ».

  • 22 Ibid., p. 24.
  • 23 Ibid.
  • 24 Ibid., p. 25.

13Pour cela, les livres doivent répondre aux capacités, aux besoins et aux centres d’intérêt de l’enfant grâce au choix des sujets, à la qualité des textes, à la simplicité du style et du vocabulaire et à la suppression des obstacles qui arrêtent les débutants et les mal-lisant22. Quant à l’image, elle « soutient, éclaire, explique, prolonge le récit, parle directement à l’intelligence et à la sensibilité23 ». Faucher renonce aux « albums lourds, épais, chers, cartonnés, d’un goût douteux » caractérisant alors les livres d’étrennes, au profit d’albums « d’une riche substance assimilable, d’un format maniable, de peu de pages, répondant à des exigences artistiques scrupuleuses, et cependant d’un prix bas, afin de toucher le plus d’enfants possible24 ».

  • 25 I. Nières-Chevrel, « Le Père Castor parmi nous », op. cit., p. 63-73 ; Annie Renonciat (dir.), Voir (...)
  • 26 M.-F. Payraud-Barat, Paul Faucher, « Le Père Castor », op. cit.
  • 27 Voir par exemple Florence Gaiotti, « Femmes et filles du Père Castor », dans : Christiane Connan-P (...)
  • 28 Michèle Piquard, La carte géographique dans les albums du Père Castor, Meuzac, Les amis du Père (...)
  • 29 Cristophe Meunier, « Et si le Père Castor avait voulu sauver le monde ? Du discours sur la diversi (...)

14En France, nombre d’études de cas ont nourri l’analyse de la place de la collection dans l’histoire de l’édition jeunesse25. Marie-France Payraud-Barat offre un panorama des différentes séries du Père Castor, de ses politiques éditoriales et des manières dont s’articulent principes éducatifs et réalisation des albums26. D’autres travaux proposent des analyses thématiques littéraires et iconographiques, concernant l’approche du genre27 ou de la carte géographique28. Ce dernier thème a été étudié au sein de la collection « Les enfants de la Terre ». De 1948 à 1983, cette série propose une vision de la diversité « pour adresser un message de fraternité et de paix entre les peuples29 », une idée fondamentale dans le contexte de relance de l’édition jeunesse après la Seconde Guerre mondiale. L’internationalisme éducatif est alors valorisé. Il se traduit également par des échanges éditoriaux et des traductions. Porteurs d’une valeur de liberté, les « Albums du Père Castor » ambitionnent aussi l’éducation politique à la démocratie, qui se définit par des choix personnels constants dans la vie privée, sociale et publique.

15Le présent dossier de Strenae ajoute quelques contributions à l’histoire de l’album. Il s’agit d’envisager de nouveaux sujets, certaines collections et la question du rapport texte/image par le biais de méthodes croisant analyse littéraire et iconographique, anthropologie, histoire de la pédagogie et de la géographie. Sylvie Dardaillon et Christophe Meunier interrogent ainsi le rapprochement entre le règne animal et les sociétés humaines dans la collection le « Roman des bêtes », d’un point de vue transdisciplinaire. Les textes de Lida, Christian Boutin et Roger Turc anthropomorphisent l’animal que les images de Rojankovsky, de May Angeli, d’Hélène Fatou et de Marie Tenaille cherchent à illustrer de façon naturaliste. Les auteurs de l’article analysent les relations entre texte et image et situent les ouvrages dans leur contexte social, politique et intellectuel de parution. Ils abordent ainsi les « Albums du Père Castor » à la lumière de la géographie humaine qui s’affirme en France à partir des années 1910-1920.

  • 30 Sur les illustrations de Jean Claverie voir Christiane Connan-Pintado, « Quand un “classique” illus (...)

16Dans ce numéro, l’étude des collections éditoriales est abordée sous l’angle original des réillustrations de certains ouvrages. Christine Plu s’arrête ainsi sur le contexte de ces changements d’images pendant les 90 ans d’édition du Père Castor, tout en enrichissant l’analyse de certaines illustrations30. Elle envisage les raisons qui président à ces modifications et les effets produits sur le récit, à travers l’étude de deux albums importants : La Vache orange de Nathan Hale et Marlaguette de Marie Colmont.

  • 31 Gerda Muller ou la poésie de la réalité, exposition du 9 avril au 18 septembre 2011, Centre de l’il (...)
  • 32 Michel Defourny, Hommage à Albertine Deletaille, Meuzac, Les amis du Père Castor, 2002.

17Enfin, plusieurs auteurs et illustrateurs ayant travaillé pour le Père Castor ont fait l’objet d’approches monographiques. Il en va ainsi de Gerda Muller31 ou d’Albertine Deletaille32. Pour cette dernière, Sylvain Wagnon croise ici des documents d’archives inédits et vient compléter la connaissance de la vie et de l’approche littéraire et artistique de cette autrice et illustratrice belge. Artiste prolifique, elle a créé plus de 35 albums pour le Père Castor, dont les « classiques » Chat lune et Blancheline. Les conceptions éducatives et la vision de l’enfant qui transparaissent dans son œuvre sont mises en relation avec les courants esthétiques dont elle s’inspire et ses procédés de création du livre de jeunesse.

18Parmi les figures importantes de la collection, les artistes originaires d’Europe de l’Est occupent une place particulière et l’étude de leurs parcours et activités s’inscrit également dans celle des transferts culturels et des circulations.

Transferts et circulations

19Dans la réalisation du projet à la fois pédagogique et artistique du Père Castor, la collaboration des artistes émigrés en France apparaît essentielle. Le discours sur les « bons albums » prononcé à l’occasion de la conférence de 1957, révèle la façon dont l’art du livre d’avant-garde a contribué à traduire d’une façon visuelle les idées éducatives visant les différents âges des enfants :

  • 33 Paul Faucher, « La mission éducative des Albums du Père Castor », op. cit., p. 20-31.

[…] les dimensions de l’album permettaient une mise en page plus libre, des marges plus grandes, des caractères typographiques plus gros. Enfin, pour l’emploi de formats et de procédés de fabrication très variés, l’album pouvait devenir à volonté : livre, imagier, boîte de jeu et, ce qui me paraissait essentiel : un support des activités souhaitées33.

  • 34 Michel Defourny, Père Castor et les artistes russes, Montreuil, Les amis du Père Castor, 2017 ; J (...)
  • 35 M. Defourny, Père Castor et les artistes russes, op. cit. ; J. Roux, Collaborations d’artistes, op (...)
  • 36 Michèle Cochet, Michel Defourny, Claude-Anne Parmegiani, Nathalie Parain, Nantes, MeMo, 2019.
  • 37 Irvin Allen, Polly Allen, Tatiana Rojankovsky Koly, Fedor Rojankovsky, The Children’s Books and Oth (...)
  • 38 M. Defourny, Père Castor et les artistes russes, op. cit. ; Béatrice Michielsen, Hélène Guertik (...)

20La place importante des artistes russes a fait l’objet d’utiles études34. L’ouvrage général de Michel Defourny et les deux mémoires de master de Juliette Roux mettent ainsi en parallèle les œuvres des illustrateurs russes du Père Castor et les réalisations d’artistes soviétiques d’avant-garde comme Vladimir Lebedev, El Lissitsky ou Alexandre Rodtchenko. Ces recherches ont dégagé de grands thèmes de réflexion et ont mis en valeur différents emprunts iconographiques35. Les travaux monographiques ont principalement concerné Nathalie Parain (née Tchelpanova)36, Fiodor Rojankovsky37 et Hélène Guertik, convoquant notamment le fonds d’archives conservé à Meuzac38.

  • 39 C. Pichon-Bonin, « The role of the “Père Castor” », op. cit. ; C. Pichon-Bonin, « The Russian Illu (...)

21Parmi les procédés caractéristiques du style de l’art du livre de l’avant-garde soviétique, notons l’attention portée à la mise en page, l’utilisation de la page blanche en réserve, une composition fondée sur le montage, le rejet de la perspective classique et l’exploitation de la double page. L’apport des artistes russes dans la réalisation innovante des images répond aussi au projet éducatif du Père Castor39.

  • 40 A. Renonciat, Voir/Savoir, op. cit., p. 143-145 ; Annie Renonciat, « De l’Orbis sensualium pictus ( (...)

22Cette pédagogie de l’image naît dans un contexte précis de l’histoire du design, s’appuyant sur la modernisation des techniques de la typographie (par le biais du passage de la trichromie à la quadrichromie), étudiée par nombre de chercheurs comme Annie Renonciat. Celle-ci analyse la fonction des illustrations en tant qu’instrument pédagogique, complétant les textes écrits, notamment dans les manuels et les livres de lecture40.

23Les transferts culturels concernent également la circulation des textes et leur traduction. Dans le présent dossier, Mary Bardet s’intéresse à deux séries de traduction de Panache l’écureuil, parues dans des contextes anglophones distincts. Grâce à une méthode empruntée à la linguistique de corpus, elle examine une série de mots clés récurrents dans 16 albums. Une attention particulière a été accordée au mot « little » (petit), une caractéristique distinctive de la littérature enfantine anglophone. L’autrice travaille ainsi à la fois sur l’histoire de la traduction et sur la notion de normes culturelles, en se fondant sur les fonds d’archives du Père Castor (Meuzac, France) et ceux des archives George Allen & Unwin Ltd. (University of Reading, Royaume-Uni).

2425 ans après le début de ces recherches, ce numéro de Strenae a bénéficié d’un partenariat avec la Médiathèque intercommunale du Père Castor à Meuzac, dont l’objectif visait à valoriser ce fonds très riche, inscrit au Registre « Mémoire du Monde » de l’Unesco en 2017. Nous avons donc privilégié les articles recourant à cet important ensemble documentaire. Les textes retenus ici enrichissent et développent les réflexions consacrées à l’articulation entre conception éducative et artistique des albums, aux traductions des textes, à l’inscription de ces objets dans leur contexte intellectuel. Ils participent à une meilleure compréhension de ces livres tout autant qu’ils constituent des apports à différentes disciplines comme l’histoire de la littérature et la culture visuelle enfantines, l’histoire de l’éducation, l’anthropologie ou la linguistique.

25Certains axes de réflexion ouverts dans l’appel à contribution n’ont pas suscité de propositions. Nous formulons le vœu que ce numéro contribue à approfondir les directions de recherche en cours et à stimuler des réflexions à venir. La dimension collective de la réalisation des « Albums du Père Castor », l’évolution de l’activité dans des périodes particulières comme la Seconde Guerre mondiale ou l’émergence du marché de masse dans les années 1960 nous semblent ainsi des axes féconds. Les questions de l’organisation et du fonctionnement de l’Association des amis du Père Castor ou ceux de l’école du Père Castor pourraient en outre bénéficier de l’apport d’entretiens menés avec des acteurs et anciens élèves de ces institutions. Enfin, l’utilisation des « Albums » à la crèche ou au sein des écoles constituerait un chantier stimulant. Cet objet du patrimoine littéraire et visuel enfantin n’a sans doute pas fini d’éveiller l’intérêt. La richesse du fonds d’archives disponible ne le rend que plus pertinent pour le travail sur le livre de jeunesse.

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Notes

1 Claire Delbard, « Grandir dans l’enthousiasme avec “le Roman des bêtes” », Strenæ [en ligne], n° 6, 2013, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/strenae.1312 [consulté le 24 juin 2017].

2 Claude-Anne Parmegiani, Les petits français illustrés, 1860-1940. L’illustration pour enfants en France de 1860 à 1940, les modes de représentation, les grands illustrateurs, les formes éditoriales, Paris, éditions du cercle de la Librairie, 1989, p. 243-292 ; Marc Soriano, Guide de la littérature pour la jeunesse, Paris, Delagrave, 2002, p. 232-232.

3 Florence Gaiotti, Eléonore Hamaide-Jager (dir.), Ondina/Ondine. Revista de Literatura Comparada Infantil y Juvenil. Investigación en Educación, n° 9, 2023, p. 1-11, URL : https://papiro.unizar.es/ojs/index.php/ond.

4 Bernard Bardin et al. (dir.), Paul Faucher (1898-1967), un Nivernais inventeur de l’album moderne (actes du colloque de Pougues-les-Eaux, 20 et 21 novembre 1998), Conseil général de la Nièvre, 1999.

5 Isabelle Nières-Chevrel, « Le Père Castor parmi nous », La Revue des livres pour enfants, n° 176, avril 1999, p. 63-73.

6 Michel Defourny, « Nathalie Parain », La Revue des livres pour enfants, n° 176, avril 1999, p. 74-86.

7 Certains travaux originaux ne sont pas encore publiés : Marie-France Payraud-Barat, Paul Faucher, « Le Père Castor », réflexion pédagogique et albums pour enfants, thèse de doctorat en Littérature générale et comparée sous la direction d’Isabelle Nières-Chevrel, Université de Rennes 2, 2001 ; Lucille Wagnon, La patrimonialisation de la collection du Père Castor en France, Mémoire de Master 2 Cultures de l'écrit et de l'image sous la direction de Fabienne Henryot, ENSSIB, Université Lumière Lyon 2, 2020.

8 Michèle Piquard, « Paul Faucher, concepteur des albums du Père Castor, sergent recruteur de la Nouvelle Éducation dans l’entre-deux-guerres », Recherches et Éducations [en ligne], n° 4, mars 2011, p. 53-64, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rechercheseducations.782.

9 Laurent Gutierrez, « Les premières années du Groupe Français d’Éducation Nouvelle (1921-1940) », Recherches et Éducations [en ligne], n° 4, mars 2011, p. 27-39, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/rechercheseducations.778 [consulté le 25 juin 2024].

10 François Faucher, František Bakule l'enfant terrible de la pédagogie tchèque, Paris, PUF, 1998 ; František Bakule, L’éducation par l’art, texte de la conférence prononcée à Paris le 2 juillet 1947, Meuzac, Les amis du Père Castor, 2004.

11 Michel Defourny, Hommage à Lida, Meuzac, Les Amis du Père Castor, 2000 ; Dorena Caroli, « Ludmila Durdíková, teacher and writer for children from Prague to Paris (1899–1955) », dans : Antonella Cagnolati (dir.), Women and Children’s Literature. A Love Affair?, Bern, Peter Lang, 2021, p. 25-43.

12 Cécile Boulaire, « Des livres pour “entraîner dans la voie de l’éducation nouvelle” : la collection “Éducation” des éditions Flammarion (1928-1938) », Les Études Sociales, 2016, vol. 1, n° 163, p. 173-197, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/etsoc.163.0173.

13 Dorena Caroli, « La storia della letteratura comparata per l’infanzia da Paul Hazard agli studi recenti: quali prospettive? », dans : Angelo Nobile, Alessandra Mazzini (dir.), Questioni fondative di letteratura per l’infanzia, Venise, Studium, 2024, p. 135-153.

14 Sylva Simsova (dir.), Nicholas Rubakin and bibliopsychology, traduit par M. Mackee et G. Peacock, Londres, Bingley, 1968.

15 Adolphe Ferrière, « La psychologie bibliologique d’après les documents et les travaux de Nicholas Roubakine », Archives de Psychologie, 16/62, 1917, p. 101-132.

16 Paul Faucher, « L’Éducation, l’homme et l’enfant», réponses parues dans la page « Enfance » des Nouvelles Littéraires animées par Paul Faucher en 1931-1932, Meuzac, Les Amis du Père Castor, 1998 ; Marc Soriano, « Les Livres pour les enfants », interview de Paul Faucher parue dans la revue Enfance, mai-juin 1956, Meuzac, Les amis du Père Castor, 1998.

17 C.-A. Parmegiani, Les petits français illustrés, op. cit., p. 250-251.

18 Père Castor. Raconte-nous ton histoire, Dossier pédagogique pour les groupes scolaires et périscolaires, Moulins, Musée de l’illustration Jeunesse.

19 Paul Faucher, Comment adapter la littérature enfantine aux besoins des enfants, texte de la conférence prononcée à la séance inaugurale du Vcongrès de l’Union internationale pour la littérature de jeunesse, Florence, 7-11 mai 1958, Meuzac, Les amis du Père Castor, 1998.

20 Paul Faucher, « La mission éducative des Albums du Père Castor », Revue de l’école nouvelle française, n° 87, avril 1961, p. 20-31.

21 Ibid., p. 24.

22 Ibid., p. 24.

23 Ibid.

24 Ibid., p. 25.

25 I. Nières-Chevrel, « Le Père Castor parmi nous », op. cit., p. 63-73 ; Annie Renonciat (dir.), Voir/Savoir. La pédagogie par l’image aux temps de l’imprimé, du xvie au xxe siècle, Futuroscope, Scéren/CNDP, 2011, p. 143-145.

26 M.-F. Payraud-Barat, Paul Faucher, « Le Père Castor », op. cit.

27 Voir par exemple Florence Gaiotti, « Femmes et filles du Père Castor », dans : Christiane Connan-Pintado, Gilles Bréhotéguy (dir.), Être une fille, un garçon dans la littérature pour la jeunesse. France 1945-2012, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2014, p. 179-191.

28 Michèle Piquard, La carte géographique dans les albums du Père Castor, Meuzac, Les amis du Père Castor, 2011.

29 Cristophe Meunier, « Et si le Père Castor avait voulu sauver le monde ? Du discours sur la diversité dans la collection “Les Enfants de la Terre” », Strenæ [en ligne], n° 14, 2019, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/strenae.2706.

30 Sur les illustrations de Jean Claverie voir Christiane Connan-Pintado, « Quand un “classique” illustre les classiques. Jean Claverie et les Contes de Perrault », Ondina - Ondine, n° 9, 2023, p. 177–192, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.26754/ojs_ondina/ond.202396223.

31 Gerda Muller ou la poésie de la réalité, exposition du 9 avril au 18 septembre 2011, Centre de l’illustration, Moulins, 2011.

32 Michel Defourny, Hommage à Albertine Deletaille, Meuzac, Les amis du Père Castor, 2002.

33 Paul Faucher, « La mission éducative des Albums du Père Castor », op. cit., p. 20-31.

34 Michel Defourny, Père Castor et les artistes russes, Montreuil, Les amis du Père Castor, 2017 ; Juliette Roux, Collaborations d’artistes Russes et d’Europe de l’est avec le Père Castor de 1931 à 1940 : illustration, mise en perspective et analyse d’image. Quelle place dans l’histoire de l’art ?, mémoire de master 1 Histoire de l’art, Université Paul Valéry Montpellier 3, 2009 ; Juliette Roux, Au cœur des problématiques des avant-gardes : six albums du Père Castor (1931-1940), Mémoire de master 2 Histoire de l’art, Université Paul Valéry Montpellier 3, 2010 ; Mihajl Seslavinskij, Randevu : russkie hudožniki vo francuzkom knigoizdanii pervoj poloviny xx veka [Rendez-vous. Les artistes russes dans l’édition française de la première moitié du xxsiècle], Moscou, Astrel’, 2009 ; Raphaël Dupouy et al., Les Russes de la Favière, Le Lavandou, Réseau Lalan, 2010 ; Paul Faucher, Les préfaces du Père Castor, Meuzac, Les amis du Père Castor, 2003 ; Cécile Pichon-Bonin, « The role of the “Père Castor” Russian Illustrators in the Renewal of the French Children’s Book in the 1930’s: Artists’ Paths and analyze of “Faktura” » [« Rol’ russkich illjustratorov ‘papashi Bobra’ v obnovlenii detskoj knigi vo Francii v 1930-ch gg.: biografii chudozhnikov i analiz ‘faktur’ »], Detskie Chtenija, n° 2/16, 2019, p. 152-179, URL de la revue : https://detskie-chtenia.ru/index.php/journal/issue/view/17 ; Cécile Pichon-Bonin, « The Russian Illustrators of the Père Castor, Russian Mediators in France of the Concept of Construction in Art and Pedagogy in the 1930s », dans : Ivan Foletti, Karolina Foletti, Adrien Palladino (dir.), Transformed by Emigration. Welcoming Russian Intellectuals, Scientists and Artists (1917–1945), Turnhout, Brepols, coll. « Convivium Supplementum », vol. 4, 2021.

35 M. Defourny, Père Castor et les artistes russes, op. cit. ; J. Roux, Collaborations d’artistes, op. cit. ; J. Roux, Au cœur des problématiques des avant-gardes, op. cit.

36 Michèle Cochet, Michel Defourny, Claude-Anne Parmegiani, Nathalie Parain, Nantes, MeMo, 2019.

37 Irvin Allen, Polly Allen, Tatiana Rojankovsky Koly, Fedor Rojankovsky, The Children’s Books and Other Illustrations Art, Englewood, Wood Stork Press, 2014, p. 46-52 ; Dorena Caroli, « Zhivaia Azbuka (Living Alphabet) by the poet Aleksandr Chernii (1880-1932), an educational tool for the survival of the Russian Language among émigrés’ children », dans : Migration and Educational Media, Bad Heilbrunn, Klinkhardt, 2020, p. 31-47.

38 M. Defourny, Père Castor et les artistes russes, op. cit. ; Béatrice Michielsen, Hélène Guertik, Dix albums d’exception au Père Castor, 1932-1937, Meuzac, Les amis du Père Castor, 2011 ; Catherine Formet-Jourde, Rojan. L’art d’imager la poésie du réel, Meuzac, Les amis du Père Castor, 2021.

39 C. Pichon-Bonin, « The role of the “Père Castor” », op. cit. ; C. Pichon-Bonin, « The Russian Illustrators of the Père Castor », op. cit.

40 A. Renonciat, Voir/Savoir, op. cit., p. 143-145 ; Annie Renonciat, « De l’Orbis sensualium pictus (1658) aux premiers albums du Père Castor (1931) : formes et fonctions pédagogiques de l’image dans l’édition française pour la jeunesse », dans : Marianne Simon-Oikawa, Annie Renonciat, La pédagogie par l’image en France et au Japon, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009 (2016, OpenEdition Book), p. 55-73, DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.35210.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dorena Caroli et Cécile Pichon-Bonin, « Autour du Père Castor »Strenæ [En ligne], 24 | 2024, mis en ligne le 01 septembre 2024, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/10985 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12eve

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Auteurs

Dorena Caroli

Département de Sciences de l’éducation « G.M. Bertin » — Université de Bologne

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Cécile Pichon-Bonin

Chargée de recherche au CNRS, LIR3S

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