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Comptes rendus

« Maria Montessori. Regards historiques sur sa méthode pédagogique (Allemagne, Angleterre, France, Italie) », Les études sociales, n° 175

Dorena Caroli
Référence(s) :

« Maria Montessori. Regards historiques sur sa méthode pédagogique (Allemagne, Angleterre, France, Italie) », Les études sociales, n° 175, 2022/1, 342 p., 19 €.

Texte intégral

1Ce numéro de la revue Les études sociales est consacré à l’éducation dans son rapport avec les sciences sociales, et il est constitué d’un dossier consacré à Maria Montessori ainsi que de plusieurs rubriques concernant la sociologie et la présentation d’outils finalisés pour la recherche biographique. Il s’agit d’un dossier offrant un tableau de la circulation de la méthode Montessori à plusieurs périodes, tout au long du xxe siècle, aussi bien en France que dans d’autres pays européens. Il est intéressant de découvrir que la réception de la méthode Montessori ne s’explique pas seulement par le contexte favorable du mouvement de l’éducation nouvelle, mais aussi par un souci d’amélioration de la vie des enfants appartenant à différentes catégories sociales : dans l’émancipation de l’enfant du contrôle autoritaire de l’adulte et dans la conquête de l’autonomie se réalisait l’enjeu universel de changement de la société.

2Dans le dossier, qui se propose d’approfondir la figure et la méthode de Maria Montessori (1870-1952), sont présentés huit articles qui abordent les innovations pédagogiques de la première femme docteur en médecine en Italie. Élaborée à Rome dans les « case dei bambini », sa méthode s’est diffusée rapidement au niveau transnational dans plusieurs pays d’Europe comme par exemple en France, mais aussi en Allemagne et en Angleterre, et au-delà. Dans l’éditorial du dossier, Matthieu Béra et Antoine Savoye expliquent le fil conducteur des articles, c’est-à-dire la méthode pédagogique inventée par Montessori, à partir des recherches de ses prédécesseurs Itard et Séguin, et de son expérimentation en 1907 à la première « casa dei bambini » (p. 5) dans le quartier San Lorenzo de Rome. La « reconnaissance de l’enfant comme sujet » constitue le noyau de sa conception, d’où découlent les procédés fondés sur la liberté de son développement global. La nouveauté de son approche pédagogique est la conception puerocentrique – pivot des activités dans les écoles Montessori d’aujourd’hui.

3Antoine Savoye et Dominique Ottavi, qui coordonnent le dossier, soulignent que le propos des articles est de développer davantage la recherche sur Maria Montessori dans le champ francophone ; il s’agit de combler une lacune importante, malgré l’intérêt dont sa conception a fait l’objet en France. D’une plume précise et élégante, leur présentation souligne l’importance de la recherche historique pour s’interroger sur l’invention de la méthode ainsi que sur les enjeux théoriques à l’origine de la méthode, qui peut être considérée comme le résultat le plus important du positivisme italien. Sont aussi prises en considération les conditions qui ont rendu possibles les premières applications expérimentales, les acteurs et actrices de la transmission de la méthode. On tire deux enseignements principaux de la pédagogie montessorienne : l’apprentissage de l’autonomie de la part des enfants et les adaptations qui cependant sont à l’origine de plusieurs déformations connues au cours de la diffusion. Comme ils l’affirment, « il n’y aurait donc pas une méthode mais des méthodes Montessori (ou des variantes) en fonction des périodes et aires culturelles. Des travaux ultérieurs, révisant le mythe d’une Méthode M. immutable, devraient les mettre au jour » (p. 10).

4Dans les deux premiers articles du dossier, Jean-François Goubet et Dominique Ottavi apportent une contribution importante à la compréhension du débat concernant l’éducation du jeune enfant. Le premier article traite de l’affirmation d’un projet pédagogique propre à travers les éditions de son œuvre principale, Il metodo della pedagogia scientifica, connue en français sous le titre de Pédagogie scientifique, avec parfois le sous-titre, La découverte de l’enfant. Centrale est l’attention portée par Montessori aux références à Fröbel, l’inventeur des jardins d’enfants, les Kindergärten, déjà diffusés dans différents pays à partir de 1850 : les rééditions de l’œuvre montrent soit des critiques soit une disparition progressive des renvois au philosophe allemand. L’article de Dominique Ottavi traite l’idée de développement chez Maria Montessori et son actualité définie comme « à la mode », bien que sa conception pédagogique soit évoquée comme approuvée par la science. Tout en mettant en garde contre les pièges de la mode et l’assimilation anachronique du concept de développement, elle cherche à voir si « la convergence de sa méthode avec la vision de l’éducation issue de la neuropédagogie est pleinement justifiée » (p. 28). La relation de la doctoresse avec les biologistes et la question du développement biologique de l’enfant en partant de l’influence d’Édouard Séguin et de Jean Itard, qui n’était pas encore évolutionniste, constituent le point de départ de sa recherche scientifique, qui trouve dans le néodarwinisme de Hugo de Vries (1848-1935) des réflexions sur les facteurs internes du développement. Cependant « Montessori ne fut pas la seule à revenir à un certain vitalisme par-delà le déterminisme et ses perspectives de maîtrise du développement » (p. 33).

5D’autres articles abordent les expérimentations pionnières de Maria Montessori. Tiziana Pironi décrit la relation de Maria Montessori avec la Società umanitaria de Milan et l’expérimentation de la maison des enfants dans cette même ville (1908-1923). Dans son article (traduit par Laurence Garavini), elle analyse les relations de Montessori avec les représentants de l’Unione Femminile de l’Association de Milan, grâce à Gemma Muggiani, strictement engagée dans l’Umanitaria. Il s’agit de relations datant de 1899, qui constituent le début d’une série d’initiatives en faveur de la protection des enfants de la part de Montessori. L’organisation de cours Montessori institués par la Società Umanitaria fut à la base de la naissance d’une première « casa dei bambini » dans le quartier de Via Solari à Milan. Pironi offre aussi une analyse de la relation de Maria Montessori avec Augusto Osimo, président de cette société philanthropique, jusqu’en 1923 ; c’est grâce à lui qu’une véritable école de formation à la méthode Montessori fut mise en place à Milan.

6Antoine Savoye, quant à lui, s’interroge sur les pionniers de la méthode Montessori en France en mettant en lumière les protagonistes de sa diffusion dans les années 1910-1920. Il s’agissait d’une quinzaine d’éducateurs qui, avant 1914 et jusqu’au retour de la paix, ont contribué à la diffusion de cette méthode aussi bien sur le plan théorique que pratique : écrits, conférences et expériences réalisées pour la première fois sont présentés méticuleusement. Leurs actions se situent aussi dans un contexte particulier qui a favorisé l’adoption de cette méthode (internationalisme, engagement féministe et spiritualiste, compétence professionnelle).

7Toujours à propos de la diffusion de la méthode Montessori en France, l’article de Fabienne Seria-Karsky porte sur le rôle de Mary Rebecca Cromwell (1869-1948), une philanthrope new-yorkaise, active dans l’action en faveur de la petite enfance dès le début du xxe siècle, jusqu’aux réformes menées dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Miss Cromwell s’investit en France dans plusieurs œuvres : « les classes Montessori mises en place dans les œuvres de guerre au profit des petits réfugiés révèlent une dimension curative et sociale de la pédagogie Montessori » (p. 105). On doit aussi à cette femme extraordinaire la traduction de l’ouvrage fondamental de Montessori en français ; d’où l’adoption de la méthode montessorienne dans l’école maternelle française, notamment dans celle de Pauline Kergomard.

8Par le biais d’archives privées essentiellement, Patricia Legris offre un aperçu du Centre Montessori de Rennes (1945-1969), qui s’est distingué, parmi les rares écoles françaises classées « Montessori », par sa longévité remarquable (p. 105). Le rôle de l’initiateur Michel Lanternier y est approfondi dans son parcours particulier : il ouvre une école expérimentale en octobre 1945 au rez-de-chaussée de sa propre maison. Malgré les difficultés financières, matérielles et institutionnelles, il s’agit d’une institution « de longue haleine », mise en place à Limoges en 1945 et transférée à Rennes en 1955.

9Les contributions de Maria Patricia Williams et Hélène Kolebka sont stimulantes quant à la « transmission » de la méthode. La première contribution, écrite par Maria Patricia Williams, traite de l’internationalisation de la méthode Montessori dans le milieu catholique, par le biais de l’étude de deux cas : la formation des Missionnaires Franciscaines de Marie à Rome entre 1910 et 1914 et celle des religieuses de l’Assomption à Londres, de 1921 jusqu’à la mort de Montessori en 1952. La seconde, d’Hélène Kolebka, jette un éclairage nouveau sur l’itinéraire singulier de l’Alsacienne Émilie Brandt (1879-1963), éducatrice allemande formée d’abord à la méthode froebélienne en Allemagne. Il s’agit d’une infatigable pédagogue qui a fondé plusieurs jardins d’enfants et écoles de formation de jardinières, en participant à la transmission de la méthode Montessori en France à partir de 1930, dans les jardins d’enfants et auprès des jardinières en formation.

10Le dossier est encore valorisé par des brefs textes d’Antoine Savoye et Cécile Rol, qui offrent aussi des bibliographies montessoriennes italienne et allemande. Présentées de manière chronologique, elles sont très utiles pour approfondir les cas nationaux mais aussi pour appréhender et comparer les phases différentes de l’attention portée par les chercheurs des deux pays à la conception pédagogique de la doctoresse. Dans la rubrique « Archives et documents » sont rassemblés quatre textes qui illustrent plusieurs façons d’explorer les sources : Raymond Dartevelle traite des revues scientifiques et des dictionnaires biographiques ; Jean-Paul Laurens de la revue méconnue Sociologie catholique, très utile pour ceux qui s’intéressent à la conciliation du catholicisme et de la sociologie au début du siècle. Xavier Riondet analyse le cas d’Henri Piéron (1881-1964), auteur d’un compte rendu de l’ouvrage Pédagogie scientifique de Maria Montessori, paru dans la revue L’année psychologie en 1920. Antoine Savoye s’occupe encore du rôle d’Edouard Fuster dans la diffusion de la société Umanitaria en direction du public français dans le Figaro. Tristan Rouquet présente un retour sur le World biographical information system (WBIS), la base internationale de données biographiques la plus complète du monde – disponible en ligne par abonnement, résultat d’une entreprise commencée en 1982, avec actuellement 8,5 millions de notices numérisées.

11Outre ce dossier construit avec soin, riche et novateur, qui présente le processus d’adoption de la méthode Montessori, ce numéro contient aussi une présentation de l’atelier Le Play (ALP) qui a pour but de tenir le lecteur au courant de l’actualité des travaux consacrés à Le Play, publiée en France comme à l’étranger.

12En conclusion, ce numéro de la revue Les études sociales peut être qualifié d’ouvrage de référence sur Montessori à plusieurs titres. Par son thème tout d’abord, celui de la méthode Montessori, étudiée, quant à son évolution scientifique très complexe, dans une perspective historique comparative très intéressante pour comprendre dans quelle mesure le contexte culturel ainsi que la tradition pédagogique ont influencé la réception de sa conception pédagogique. Ensuite, on peut remarquer le souci louable des différents auteurs de mettre en exergue les multiples facettes de la méthode – encore répandue et pleine de vitalité – au cours de son adoption en France. Connaître cette évolution dans ses diverses phases est important aussi bien pour les historiens que pour les praticiens de l’éducation car, fondée sur l’observation, cette méthode a pour mérite de mettre l’enfant au centre de toute pratique pédagogique.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dorena Caroli, « « Maria Montessori. Regards historiques sur sa méthode pédagogique (Allemagne, Angleterre, France, Italie) », Les études sociales, n° 175 »Strenæ [En ligne], 23 | 2023, mis en ligne le 31 janvier 2024, consulté le 11 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/strenae/10781 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/strenae.10781

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Auteur

Dorena Caroli

Université de Bologne

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Droits d’auteur

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