Desserrement des activités et étalement urbain à Toulouse
Résumés
La mise en correspondance des processus de l’étalement urbain et des mobilités des établissements demeure bien difficile à établir. Dans la majorité des études, la réponse aux interrogations sur les effets du desserrement des activités vers les espaces périphériques des villes se borne à établir le solde des emplois à la commune entre deux périodes. Dans les limites de l’aire urbaine de Toulouse, les mouvements des établissements entre 1999 et 2007 ont pu être étudiés en utilisant les informations du fichier RCS (Registre du Commerce et des Sociétés) de la CCI de Toulouse. La principale conclusion de cette analyse réside dans le constat de la concentration des transferts dans la commune de Toulouse et dans les communes de son agglomération. Comme la même concentration s’observe dans les créations d’entreprises, la conclusion insiste sur la poursuite de la consolidation du pôle d’emploi central : avec la poursuite voire l’amplification de l’étalement urbain, les spécialisations territoriales acquises perdurent sans que s’estompe la différence entre les espaces résidentiels et les espaces productifs.
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Palabras claves:
extension urbana, disminucion de las actividades, espacios productivos, espacios residencialesPlan
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1La concomitance des deux processus de l’urbanisation actuelle, d’une part la concentration des activités et de l’emploi dans les aires urbaines et plus particulièrement dans les pôles d’emploi des villes centres et de banlieue, d’autre part l’étalement urbain résultant de la croissance démographique et du développement de la résidence individuelle, produit d’intenses déplacements d’actifs entre les espaces périphériques et le centre des grandes agglomérations.
2Depuis plusieurs décennies les politiques publiques sont confrontées aux dysfonctionnements multiples générés par cette dissociation entre les espaces de résidence et les espaces de travail. Parmi les perspectives envisagées pour contraindre la croissance spatiale des villes, la recherche d’un meilleur rapport entre nombre d’emplois et nombre d’habitants est fréquemment retenue, un rapport égal à un relevant de l’utopie.
3Le débat revient en permanence dans les discussions lors de l’élaboration des SCOT. Les communes centres sont interpellées par les élus des communes périphériques n’acceptant pas d’être considérées uniquement comme des réceptacles du débordement urbain. Parmi elles, certaines apprécient peu que les instruments des politiques publiques soient opérationnels dans des initiatives de contrôle de l’expansion de l’espace résidentiel (PLU restrictifs, appui à la réalisation de voies empruntées par des TCSP, etc.) quand l’action en faveur de la localisation de l’emploi demeure essentiellement à l’initiative de la sphère privée. Dans ces conditions des municipalités ou des EPCI n’hésitent pas à proposer, puis à entreprendre des programmes d’aménagement de zones d’accueil artisanales, industrielles ou commerciales, voire des constructions d’immeubles de bureaux, parfois en rupture avec les logiques retenues à l’échelle de l’agglomération.
- 1 Laborie J.-P., « L’espace industriel de Toulouse : effets de l’absence d’une politique d’agglomérat (...)
4L’étalement urbain accentue ainsi l’hétérogénéité héritée d’un espace productif remodelé constamment selon les rythmes et les formes successives des diverses phases de l’expansion économique1. Dans de nombreuses situations il accentue les disparités spatiales entre les territoires des agglomérations urbaines.
5L’ambition de cet article est de dégager les logiques à l’œuvre dans l’aire urbaine de Toulouse soit dans des limites peu appropriées car l’étalement urbain les déborde largement mais des limites autorisant l’utilisation d’appareils de mesure fiables tant au plan de l’emploi qu’à celui des localisations des établissements industriels ou commerciaux.
- 2 Laborie J.-P., « le desserrement dans les espaces suburbains », in Bidou C., Laborie J.-P., Lebot Y (...)
6Par commodité nous utiliserons le mot desserrement pour caractériser la mobilité des établissements et le redéploiement des emplois, que ces deux processus soient engendrés par une diffusion du centre vers l’extérieur, ou par une expansion du tissu productif, ou par des créations in situ dans les espaces périphériques, ou par un véritable desserrement. En effet ce terme était et devrait être réservé au mouvement de départ des activités situées dans des espaces agglomérés (serrés) vers la périphérie, par exemple, pour Toulouse, le déménagement des activités liées aux transports localisées à proximité des gares Matabiau et Raynal et leur réinstallation dans la zone d’activité du Chapitre au sud de la ville. Le desserrement est dans ce cas associé à des politiques publiques de relocalisation d’activités présentant de fortes nuisances dans des espaces centraux dont les difficultés générés par les trafics de poids lourds. Aujourd’hui la mention desserrement des emplois et des activités qualifie le simple constat d’une croissance des emplois dans les couronnes périphériques des villes. Elle en oublie le volet programmatique et son contenu : le desserrement d’un établissement accompagne toujours une phase d’expansion de l’activité et en conséquence il est créateur d’emplois2.
I – Un étalement urbain conséquent, une forte polarisation des activités
7La forte croissance démographique de l’aire urbaine de Toulouse se traduit dans l’accélération de l’étalement urbain. Entre 1999 et 2006 le gain annuel de population atteint 19 600 habitants après une augmentation de 13 700 habitants pendant la période précédente 1990-1999. L’expansion périphérique déborde les limites de cette aire urbaine, en particulier le long des axes de communication où elle se rapproche de celles de Montauban, Albi, Pamiers. Désormais l’espace de référence pour mesurer le processus de diffusion spatiale, après avoir rendu caduques les nomenclatures de l’agglomération et de l’unité urbaine, adopte la notion de territoire métropolitain englobant l’aire urbaine de Toulouse (342 communes) et une constellation de villes moyennes.
- 3 AUAT : Agence d’Urbanisme et d’Aménagement du Territoire-Toulouse Aire Urbaine. Carte extraite de l (...)
8La carte de l’AUAT3 (fig. 1) présentant l’aire d’influence du pôle urbain de Toulouse met en évidence ce processus de dépassement permanent des limites de la ville. L’on y voit le périmètre de l’aire urbaine défini en 1999 en fonction d’une l’attraction par le pôle urbain de Toulouse sur les emplois des communes périphériques d’au moins 40 % de leurs actifs largement dépassé en 2009 par la surface colorée en rouge. Ces contours de la zone sous forte influence de Toulouse qui serait l’aire urbaine de 2009, si la définition demeurait celle de 1999, se sont affranchis de l’effet de diffusion engendré par les grands axes de communication : c’est bien d’une tache urbaine qu’il s’agit, associant des nodules, des axes et des interstices jusqu’à la confusion entre l’espace rural et urbain.
- 4 AUAT-INSEE, « Territoires et emploi », nov. 2009.
9Cette représentation de l’influence du pôle urbain de Toulouse illustre en même temps l’intensité des déplacements quotidiens de la main-d’œuvre et la très forte concentration des activités dans le pôle toulousain. Cette polarisation très accentuée confère une singularité aux déplacements des actifs au sein de ce territoire : la quasi-totalité de ceux-ci s’effectue dans les limites de l’aire urbaine et 9 % seulement de ces emplois sont occupés par des salariés qui habitent hors de l’aire, contre 13,4 pour Lyon et 16,4 % pour Rennes, ce qui autorise l’AUAT et l’INSEE à qualifier l’aire urbaine de Toulouse « d’économe »4.
10Cette polarisation s’accompagne d’un écartèlement entre des lieux de travail très concentrés sur le territoire et des espaces d’habitat très diffus et de plus en plus éloignés en périphérie de l’aire urbaine. Le progressif mouvement centrifuge éloigne les résidences des actifs des zones d’emploi qui sembleraient peu affectées par la dilatation continue de l’espace urbain de la métropole. Cette affirmation est exagérée. À l’ombre de la polarisation de la ville de Toulouse émergent des polarités de second niveau, très en deçà en intensité, mais significatives d’un mouvement qui autour de Blagnac-Colomiers, Muret, Labège, génère des nodosités attractives sur leurs communes périphériques.
- 5 TCSP : Transport Collectif en Site Propre.
11Cette évolution pourrait suggérer que le devenir de la périphérie toulousaine n’est pas cantonné dans l’accueil résidentiel sous la dépendance du pôle toulousain. Certaines communes contestent ce modèle pour affirmer leur volonté de diversifier les fonctions de commune dortoir et pour revendiquer leur place dans l’accueil des nouveaux emplois (10 000 à 12 000 emplois par an dans l’aire urbaine). Les attentes dans le desserrement des activités sont également fortes chez les acteurs de la planification urbaine désireux de contrôler l’extension de la tache urbaine dans la perspective de l’ancrer dans une maîtrise de l’artificialisation des sols et de l’orienter en accompagnement de la réalisation de dessertes par les TCSP5.
12La connaissance de la mobilité des établissements dans l’aire urbaine de Toulouse permet-elle d’augurer de changements fondamentaux dans les prochaines années ?
II – Une mobilité des établissements très contrainte
1. Les transferts d’établissements, un poids « négligeable » dans l’évolution du paysage économique ?
- 6 Laborie J.-P., « L’espace industriel de Toulouse : effets de l’absence d’une politique d’agglomérat (...)
- 7 En 2009, le service Information Économique et Aménagement du Territoire de la Chambre de Commerce e (...)
13Le suivi des déplacements des établissements industriels et commerciaux entre deux périodes est particulièrement délicat à assurer. Les changements de raison sociale, la démographie mal connue des entreprises enregistrées quand elle se créent mais rarement rayées des fichiers quand elles disparaissent, le nombre important d’entreprises à établissements multiples compliquent leur repérage. La dimension des unités de comptage, fréquemment la commune, entre en ligne de compte pour perturber l’analyse. Ainsi la vaste étendue du territoire de la commune de Toulouse a suffi pour absorber pendant des années les départs des établissements localisés dans le tissu urbain serré. Le retard pris dans l’équipement des aires d’activité avait également contribué au ralentissement du desserrement6. En 2010, la Chambre de Commerce et d’Industrie de Toulouse a procédé à une étude des transferts et des créations d’établissements en interrogeant ses fichiers7 et en priorité le fichier RCS. L’interférence des limites spatiales des aires d’étude n’est pas totalement éliminé par le choix de travailler à partir du pôle urbain ou des territoires de planification.
- 8 Salariés relevant des Assedic.
- 9 SCOT : Schéma de cohérence territoriale.
14En 2007, le nombre total de salariés de statut privé8 s’élève à environ 350 000 personnes dans les quatre SCOT de l’aire urbaine toulousaine9 et 92 % travaillent dans le SCOT central appelé Grande agglomération de Toulouse (tabl. 1).
Tableau 1 – Salariés de statut privé dans les SCOT de l’aire urbaine toulousaine
SCOT |
1999 |
2007 |
Évolution 1999 / 2007 (%) |
Grande Agglo. Toul. |
243 485 |
320 090 |
31 |
Lauragais |
5 348 |
6 637 |
24 |
Nord Toulousain |
7 157 |
11 078 |
55 |
Sud Toulousain |
9 929 |
11 153 |
12 |
Total |
265 919 |
348 958 |
31 |
Source : ASSEDIC Salariés de statut privé.
15À titre de comparaison, en cette même année 2007, le nombre de salariés concernés par des transferts d’établissements n’est que de 12 370 salariés et celui relatif au total des créations d’établissements approche les 22 000 salariés. La part des transferts d’établissements par rapport à l’ensemble des établissements, au cours d’une année, représente environ 2 % des établissements, et celui des créations, un peu plus de 6 %. Ces chiffres paraissent faibles. Cependant comme il s’agit de chiffres annuels, 8 %, soit environ un établissement sur 12 affecté par une mutation d’importance ce n’est pas rien. Transferts et créations ne bouleversent pas le paysage économique local mais au sein de l’effectif total des établissements le changement est substantiel.
16La CCI de Toulouse associée à l’élaboration des SCOT a choisi, lors de cette étude, de classer les établissements de sa base de données en fonction de leur appartenance aux quatre sphères d’activités suivantes : résidentielle, productive, des services, de la haute technologie. Ces regroupements reproduisent ceux utilisés dans les débats à propos des oppositions entre les territoires urbains consacrés essentiellement à l’habitat et ceux plus mixtes associant habitat et activités. Ils introduisent également les questionnements sur les centralités par l’identification d’une sphère consacrée aux services, banals ou qualifiés et enfin sur la forte différenciation des espaces urbains entre ceux participant aux pôles technologiques et les autres (fig. 2).
17Après un pic en 2006 avec 14 308 emplois concernés par les transferts, l’effectif total régresse à 12 370 soit à un niveau proche de celui des années 2000-2002 inférieur à celui de 1999. La sensibilité des mouvements d’établissements à la conjoncture est évidente et la crise n’incite pas au déplacement. Le ralentissement est plus tardif dans la « sphère productive », à l’inverse il se produit dès 2004 dans celle de « la haute technologie ».
2. Les caractéristiques des transferts dans la Haute-Garonne
18Le nombre total de transferts d’établissements enregistrés dans le département de la Haute-Garonne entre 1999 et 2007 s’élève à 13 832 et ces déplacements intéressent près de 109 000 emplois. Comparativement, le nombre total de créations d’établissements au cours de la même période atteint environ 48 000 et correspond à 174 000 emplois. Les transferts d’établissements pèsent environ 29 % des mouvements d’entreprises identifiés dans le Registre du Commerces et des Sociétés (transferts et créations). Par contre, le poids des emplois représente 62 % de celui des créations (fig. 3).
19À l’échelle du département, un transfert sur deux se réalise à l’intérieur de la même commune. De fait, les mouvements d’établissements observés semblent indiquer que les déplacements se réalisent sur des distances réduites (tabl. 2).
Tableau 2 – Les déplacements d’établissements entre 1999 et 2007 dans la Haute-Garonne
Transferts |
Emplois |
Établissements |
Nombre d’emplois (moyenne) |
Interne aux communes |
55 979 |
6 903 |
5,5 |
Toulouse vers 31 |
17 914 |
2 132 |
8,4 |
31 vers Toulouse |
12 603 |
1 963 |
6,8 |
Entre commune sauf Toulouse |
23 183 |
3 209 |
7,2 |
Total |
108 710 |
13 832 |
7,9 |
Source : RCS CCIT
20Pour apprécier les caractéristiques des mouvements, les établissements ont été regroupés en quatre sphères selon des types d’activité (productif, haute technologie, services, résidentiel), et les espaces différenciés de manière simple (mouvements à l’intérieur de la commune, départs de la commune de Toulouse vers les autres communes du département, départs des communes du département vers celle de Toulouse, déplacements entre les communes, excepté Toulouse) (fig. 4).
Fig. 4 – Répartition des transferts d’établissements selon les sphères d’activité et leur destination

21Les différences entre les quatre sphères d’activité ne sont pas sensibles : la mobilité au sein de la commune représente la moitié des déplacements quelle que soit la sphère considérée.
22Les fluctuations sont plus marquées dans la mesure des effectifs associés aux transferts : les déplacements au sein de la même commune regroupent 57 % de ces emplois dans la sphère « haute technologie » et le contraste entre les effectifs de cette sphère productive partant de Toulouse vers le reste du département sont nettement inférieurs aux effectifs des transferts qui, à l’inverse, viennent à Toulouse depuis les communes de la Haute-Garonne. Le volume des emplois engendrés par les mouvements entre Toulouse et le reste du département ne constitue que 13 % des emplois dans cette même sphère contre 18 % dans la sphère « des services ».
23Au terme de cette analyse, la confirmation de la faible propension des établissements qui se sont déplacés entre 1999 et 2007 à s’éloigner de leurs implantations est confirmée. Elle est même très faible dans tous les domaines d’activités. Dans ces conditions les effets à attendre de ces mobilités sur la déconcentration des emplois sont mesurés. Ils sont sensiblement plus visibles dans le secteur des services et sont au contraire ténus dans celui de la haute technologie (fig. 5).
Fig. 5 – Les emplois associés à des transferts selon la sphère productive des établissements et selon les destinations

3. Une forte concentration des transferts dans Toulouse et la première couronne
24La lecture des transferts entre les territoires des quatre SCOT affine les conclusions précédentes (cf. fig. 2 de l’article de Bonnin S. et Lefèvre P. dans ce numéro, p. 132).
25Le périmètre du SCOT central regroupe 85 % des transferts et, à l’intérieur de cet espace, Toulouse et les communes de la première couronne en concentrent les deux tiers et 72 % des 72 000 emplois sur les 72 000 concernés par ces déplacements entre 1997 et 2007. Les mouvements d’un territoire à un autre sont donc faibles et les mouvements centripètes qui caractérisent le desserrement ne sont pas de nature à bouleverser rapidement la forte polarisation des activités dans le centre de l’aire urbaine : aux 561 transferts du SCOT central vers les SCOT périphériques répondent 388 transferts inverses, soit respectivement en terme d’emploi 2 520 et 1 943.
26Le suivi des créations pendant la même période corrobore cette analyse : les 44 254 créations d’entreprises et les 167 613 emplois associés se concentrent à 86 % dans le SCOT central et à 68 % dans Toulouse et sa première couronne de communes périphériques.
27Le desserrement, pour autant que l’on puisse employer ce terme pour décrire un processus ajoutant les créations aux transferts, s’apparente principalement à un élargissement du pôle d’emploi central sur les communes à la périphérie immédiate sans que ne soient modifiés les rapports entre les spécialisations territoriales acquises et en particulier la différence entre les espaces résidentiels et les espaces productifs.
III – Une approche des ressorts du desserrement dans les espaces périurbains
28L’évaluation des déplacements d’activités effectuée avec les informations du fichier RCS n’atteint pas un niveau de précision susceptible de nourrir une étude statistique précise des corrélations entre taille des établissements, activité principale de la société, date du déplacement, types de localisation, etc., qui aurait pu livrer de premières indications sur les processus du desserrement.
29Le service Information économique et Aménagement du territoire de la CCI de Toulouse a tenté de pallier les limites de cette première analyse par des entretiens auprès de 30 dirigeants d’établissements ayant transféré ou crée leurs activités au-delà du périmètre de l’agglomération toulousaine. Le petit commerce et les entreprises relevant des « services de proximité » ont été exclus de l’échantillon. L’entretien organisé en deux parties distinctes, la première consacrée aux déterminants du transfert et aux choix des implantations nouvelles, la seconde s’adressant aux attentes des entreprises à l’égard des collectivités locales.
30La taille réduite de l’échantillon ne semble pas affecter les résultats obtenus dans le domaine des modalités du transfert et ils ne bouleversent pas les connaissances déjà acquises sur les mobilités des entreprises. Par contre, le nombre d’entretiens est insuffisant pour identifier les différences d’attractivité des espaces urbains en périphérie.
1. Sans croissance, pas de transferts
31La conclusion essentielle de plusieurs études précédentes se retrouve ici. Dans plus des deux tiers des cas le transfert est lié au projet de développement ou d’extension de l’entreprise. Les deux contraintes principales avancées sont classiques, d’une part le manque de disponibilité foncière sur le site d’accueil initial bloquant l’agrandissement de l’établissement, d’autre part les difficultés de fonctionnement et d’accessibilité générés par la future expansion.
32À ce facteur déterminant, s’ajoutent des causes secondaires ou complémentaires qui, isolées n’auraient pas justifié le transfert, mais qui se rajoutent à l’obligation d’extension :
-
relations conflictuelles avec le voisinage notamment avec la population résidente (nuisances, conflit d’usage…),
-
volonté du chef d’entreprise de se constituer un patrimoine en passant du statut de locataire au statut de propriétaire,
-
l’insécurité au sein de la zone d’activité de départ ou du quartier,
-
l’amélioration de la visibilité de l’établissement (signalétique, recherche de l’effet vitrine),
-
opportunité foncière.
2. L’attraction des axes de communication
33Le choix du lieu d’implantation obéit à des logiques qui différencient nettement les transferts des créations.
34Pour plus des deux tiers des entreprises relevant des transferts, le principal facteur d’implantation est déterminé par la présence d’une infrastructure routière performante associé à la proximité d’un échangeur. Rappelons que ce déterminant intervient après la décision de transfert pour développer l’activité par acquisition foncière.
35Pour la quasi-totalité des entreprises relevant des créations, le principal facteur d’implantation relève de motivations personnelles associées directement ou indirectement à des considérations financières (proximité du lieu d’habitation, ancienne implantation locale, ancrage local…). Dans la quasi-totalité des cas, le chef d’entreprise ou sa famille est initialement propriétaire du local ou du terrain d’implantation. Ces résultats sont influencés par les caractéristiques de l’échantillon des « créations » : les entreprises créées se sont toutes installées hors d’une zone d’activité. À l’inverse, deux tiers des entreprises ayant transféré leur activité se sont implantées dans une zone d’activité.
36L’attraction des grands axes de circulation sur la localisation des établissements qui se déplacent vers la périphérie des villes est donc décisive. Elle est fréquemment associée à celle de zones d’activités aménagées à proximité de ces axes ou échangeur. Les autres facteurs d’implantation sont relégués à des rangs secondaires, y compris l’avantage du coût foncier (opportunité de la proximité de la clientèle, rapprochement du bassin d’emploi…). Une nouvelle fois les réponses des entrepreneurs-créateurs différent : les qualités du bassin de recrutement de la main-d’œuvre sont citées en second (main-d’œuvre locale qualifiée et proximité des salariés).
- 10 Albert P., L’apport des images satellites dans l’analyse comparée des espaces périurbains des métro (...)
37Une étude précédente10 a démontré qu’à Toulouse la concentration des zones industrielles et commerciales le long des axes de communication atteint 80 % soit nettement plus que celle du tissu résidentiel inférieure à 50 %. À titre de comparaison les chiffres sont de 70 % à Barcelona, 50 % à Bordeaux et 11 % à Montpellier (tabl. 3).
Tableau 3 – Part du tissu résidentiel et des zones industrielles et commerciales situés à proximité d’un axe
Métropoles |
Part du tissu résidentiel situé à moins de 2 km d’un axe routier (en %) |
Part des ZIC situées à moins de 2 km d’un axe routier (en %) |
Barcelona |
30 |
71 |
Bordeaux |
31 |
53 |
Montpellier |
20 |
11 |
Toulouse |
40 |
78 |
38Cependant cette attractivité des axes de communication est directement corrélée au statut de l’axe routier. À proximité des axes à péage, l’espace occupé par le tissu résidentiel est moins développé que l’espace des zones d’activité comme l’indique l’exemple des trois métropoles retenues dans le tableau 4.
Tableau 4 – Espaces résidentiels et zones d’activités à proximité immédiate des autoroutes concédées (Albert, 2007)
Métropoles |
Part de l’urbanisation située à moins de 2 km d’un axe routier gratuit |
Part de l’urbanisation située à moins de 2 km d’un axe routier payant |
||
Tissu résidentiel |
Zone d’activité |
Tissu résidentiel |
Zone d’activité |
|
Bordeaux |
55 |
68 |
2 |
1 |
Montpellier |
50 |
17 |
5 |
3 |
Toulouse |
25 |
60 |
0,5 |
20 |
39Les axes payants concentrent dans leur voisinage les zones d’activités pour des raisons évidentes : bruits et nuisances liés à l’intensité de la circulation, accès par des échangeurs relativement espacés, etc.
3. L’effet d’axe
40Dans le cadre des transferts d’entreprises, la relocalisation des entreprises s’effectue dans 75 % des cas en respectant un « effet d’axe », expression fréquemment utilisée aujourd’hui pour décrire la propension de ménages, de commerces, de bureaux, d’établissements de production à ne pas quitter l’axe sur ou à proximité duquel ils étaient installés. Dans les entretiens, cette continuité dans la localisation en direction de la même sortie de la ville est expliquée par la proximité de la résidence des salariés de l’établissement, par le souhait de ne pas s’éloigner d’un environnement connu et par le voisinage d’autres entreprises avec lesquelles des relations existent. Cet effet d’axe se retrouve dans les nouvelles localisations liées à des créations d’entreprises : c’est l’axe de localisation de la résidence du chef d’entreprise.
41La taille de l’échantillon est insuffisante pour donner de la crédibilité à l’opérationnalité des autres facteurs de localisation avancés par les entrepreneurs, pour les transferts comme pour les localisations : la présence de services aux entreprises n’est jamais citée, le niveau de la taxe professionnelle ou des taxes foncières non plus.
42Que ce soit au niveau des facteurs de transfert ou au niveau des facteurs d’implantation, le besoin en services aux entreprises n’est jamais cité. Dans le même ordre d’idée, une fiscalité avantageuse ou une exonération de la taxe professionnelle, ne sont jamais évoquées mais les entreprises qui ont mis en balance plusieurs sites et qui pour la moitié d’entre elles les ont mis en concurrence déclarent que dans le choix final, le coût du foncier est une variable essentielle, prise en compte de manière aussi attentive que la résidence de leurs salariés.
Conclusion
43Outre les conclusions qui reprennent des antiennes à propos de la sensibilité des mouvements d’entreprise à la conjoncture et la polarisation des axes de communication sur la localisation des zones d’activités et donc des établissements industriels et commerciaux, l’étude précise des caractéristiques propres aux implantations dans la métropole toulousaine. En premier lieu que les créations sont nettement plus nombreuses que les transferts et quelles s’accompagnent de 70 % des emplois liés aux mouvements d’entreprises. En second lieu que les transferts s’effectuent dans leur grande majorité à très courte distance. Pour les transferts plus distants du lieu de départ, les résultats doivent être regardés avec circonspection : les zonages retenus (la Grande agglomération de Toulouse, les autres SCOT périphériques, Toulouse et la première couronne de communes) et l’étroitesse de l’échantillon d’établissements n’autorisent pas des déductions définitives.
- 11 UNEDIC : Évolution des effectifs des salariés du secteur public.
44La polarisation des activités de l’aire urbaine par la commune de Toulouse est très forte. La ville elle-même constitue un pôle d’emploi important qui la singularise parmi les métropoles françaises : le taux d’emploi sur place de ses habitants n’atteint-il pas 80 % ? Et la moitié des emplois de la commune ne sont-ils pas occupés par des actifs qui y résident ? Les quelques pôles d’emploi périphériques (Blagnac, Colomiers, Labège, Muret, Portet) ne sont vraiment que secondaires. À cette spécificité s’en ajoutent deux autres. La carte des zones d’activités extraite de l’Atlas des Parcs d’activités rend évidente la première : la différence accentuée entre l’Ouest toulousain doté de nombreux parcs d’activité dont ceux de l’aéronautique et l’Est dont l’espace est majoritairement destiné à l’activité résidentielle. La seconde est la poursuite sur une longue période de la croissance de l’emploi dans la métropole : l’aire urbaine gagne 20 000 habitants par an et entre 1993 et 2004 le taux de croissance des effectifs salariés y est de 3,11 % soit environ 100 000 emplois supplémentaires11.
45Fort dynamisme qu’il faut cependant tempérer sur le plan de l’emploi à partir de 2008, polarisation accentuée des activités au centre de la métropole, déséquilibre dans l’affectation des espaces urbains : ce constat est propice à l’expression de la part des communes cantonnées dans une vocation résidentielle d’une revendication d’une plus grande mixité (fig. 6).
Fig. 6 – Carte de localisation des zones d’activités du département de la Haute-Garonne

Carte extraite de l’Atlas des Parcs d’activités réalisé en collaboration par le conseil général de la Haute-Garonne, la direction départementale des territoires de la Haute-Garonne, la chambre de commerce et d’industrie de Toulouse, la chambre de métiers et de l’artisanat de la Haute-Garonne et l’agence d’urbanisme de Toulouse Aire Urbaine.
Notes
1 Laborie J.-P., « L’espace industriel de Toulouse : effets de l’absence d’une politique d’agglomération », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n° 3, t. 54, 1983, p. 287-300.
2 Laborie J.-P., « le desserrement dans les espaces suburbains », in Bidou C., Laborie J.-P., Lebot Y., L’enjeu périurbain, Activités modes de vie, Travaux et recherches de prospective, n° 83, 1981, Documentation française, 1981, 260 p.
3 AUAT : Agence d’Urbanisme et d’Aménagement du Territoire-Toulouse Aire Urbaine. Carte extraite de la publication « Territoires et emploi » réalisée par l’INSEE et l’AUAT en novembre 2009.
4 AUAT-INSEE, « Territoires et emploi », nov. 2009.
5 TCSP : Transport Collectif en Site Propre.
6 Laborie J.-P., « L’espace industriel de Toulouse : effets de l’absence d’une politique d’agglomération », Revue Géographique des Pyrénées et du Sud-Ouest, n° 3, t. 54, 1983, p. 287-300.
7 En 2009, le service Information Économique et Aménagement du Territoire de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Toulouse a procédé à une étude des transferts et des créations d’établissements en interrogeant ses fichiers et en priorité le fichier RCS. Ce fichier mentionne pour chaque entreprise et établissement la date de création, la date d’un transfert s’il y a lieu, le nom de la commune de départ et le nom de la commune d’arrivée.
8 Salariés relevant des Assedic.
9 SCOT : Schéma de cohérence territoriale.
10 Albert P., L’apport des images satellites dans l’analyse comparée des espaces périurbains des métropoles du sud-ouest européen, Thèse de géographie et aménagement, Toulouse, Toulouse II Le Mirail, 2007, 418 p.
11 UNEDIC : Évolution des effectifs des salariés du secteur public.
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Titre | Fig. 1 – Le bassin de main-d’œuvre de Toulouse |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/870/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 528k |
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Titre | Fig. 2 – Évolution des emplois liés à des transferts par sphère d’activités (1999-2007) |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/870/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 96k |
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Titre | Fig. 3 – Les mouvements d’entreprises dans le département de la Haute-Garonne (1999-2007) |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/870/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 72k |
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Titre | Fig. 4 – Répartition des transferts d’établissements selon les sphères d’activité et leur destination |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/870/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 120k |
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Titre | Fig. 5 – Les emplois associés à des transferts selon la sphère productive des établissements et selon les destinations |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/870/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 120k |
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Titre | Fig. 6 – Carte de localisation des zones d’activités du département de la Haute-Garonne |
Crédits | Carte extraite de l’Atlas des Parcs d’activités réalisé en collaboration par le conseil général de la Haute-Garonne, la direction départementale des territoires de la Haute-Garonne, la chambre de commerce et d’industrie de Toulouse, la chambre de métiers et de l’artisanat de la Haute-Garonne et l’agence d’urbanisme de Toulouse Aire Urbaine. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/870/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 906k |
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Paul Laborie et Frédéric Sigal, « Desserrement des activités et étalement urbain à Toulouse », Sud-Ouest européen, 31 | 2011, 79-88.
Référence électronique
Jean-Paul Laborie et Frédéric Sigal, « Desserrement des activités et étalement urbain à Toulouse », Sud-Ouest européen [En ligne], 31 | 2011, mis en ligne le 29 avril 2015, consulté le 15 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/870 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/soe.870
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