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Changements environnementaux, vulnérabilité et adaptation des sociétés du passé : exemple du Petit Âge Glaciaire en Roussillon (xiiie-xvie s.)

Environmental changes, societal vulnerability and adaptation in the past: the Little Ice Age in Roussillon
Cambios medio-ambientales, vulnerabilidad y adaptación de las sociedades del pasado : ejemplo de la Pequeña Edad de Hielo en el Roussillon (del siglo XIII al XVI)
Jean-Michel Carozza et Carole Puig
p. 67-79

Résumés

Dans cet article, nous dressons un panorama préliminaire des transformations et des formes d’adaptation des sociétés médiévales du Roussillon à la crise environnementale du Petit Âge Glaciaire. Les effets de cette phase de péjoration climatique sont principalement perçus par sa traduction paléohydrologique et le changement de dynamique sédimentaire dans la basse plaine. Les défluviations des cours d’eau d’une part, mais surtout l’importance de l’alluvionnement conduisent à la mise en œuvre de pratiques de bornage, d’échange de terres, d’intervention directe et indirecte sur les cours d’eau et in fine de réorganisation des territoires et, en partie du réseau de peuplement. Ces effets sont liés au changement progressif et scandé du fonctionnement des basses plaines et sont différenciés dans l’espace.

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Texte intégral

Introduction

1L’idée que les sociétés du passé ont été très fragiles et sensibles aux aléas environnementaux, en particulier climatiques, s’est imposée progressivement comme paradigme dans l’étude des relations sociétés et environnement (de Menocal, 2001 ; Diamont, 2005), au point de devenir dominant dans certains champs disciplinaires. Leur faiblesse technologique, leur structure hiérarchisée, leur forte dépendance aux ressources immédiates du milieu sont autant de facteurs qui sont invoqués pour asseoir cette hypothèse, qui est parfois poussée à l’extrême et décrit des sociétés figées à la fois dans leurs structures sociales et politiques, leurs pratiques et leurs territoires. Les théories du « collapse » procèdent largement de ce type de déterminisme environnemental : des sociétés immobiles dans un environnement changeant. Ce modèle s’est construit sur la coïncidence entre des événements climatiques définis le plus souvent à une échelle semi-continentale ou globale et des évolutions sociales le plus souvent appréhendées à une échelle locale (le site) à régionale (les ensembles culturels). Les exemples les plus souvent mobilisés sont l’empire d’Akkad ~ 4200 ans BP (Enzel et al., 2003), les Mayas ~ 1100 ans BP (Hodell et al., 1995 ; Haug et al., 2003), les Mochica ~ 1500 ans BP (de Menocal, 2001 ; Benson et al., 2006) ou la civilisation de l’Indus (Straubwasser et Weiss, 2006).

2Ces travaux traduisent la prise de conscience progressive à partir de la fin des années 1990, d’une variabilité climatique au cours de l’Holocène, certes modérée en comparaison de la variabilité glaciaire-interglaciaire, mais suffisamment importante pour avoir eu des effets significatifs sur le fonctionnement des milieux et sur les sociétés du passé. Dans de nombreux cas, la sécheresse est le facteur mis en avant, notamment dans la zone intertropicale et ses marges. Dans la zone tempérée, cette variabilité climatique est principalement perçue par ses conséquences indirectes sur la paléohydrologie, notamment fluviale, et le régime des crues. Ainsi, dès le début des années 1990, Bravard (1992) définit-il dans la vallée du Rhône une succession de phases de crises hydro-sédimentaires au cours de la seconde partie de l’Holocène. Si certaines d’entre elles coïncident avec des phases déjà reconnues à cette époque de péjoration climatique, notamment le Petit Âge Glaciaire ou la crise de la transition bronze final/âge du fer, le rôle respectif du climat et de l’anthropisation dans la survenue de ces crises reste alors discuté. Dans l’ensemble, les géographes privilégient l’action de dégradation de l’environnement par les sociétés du passé dans le déclenchement de ces crises, et un consensus semble se former autour de la notion de crise anthropo-climatique (Neboit et Lespez, 2004). Le climat apparaît ainsi non pas comme l’élément déclencheur mais comme un révélateur de la dégradation de l’environnement par les sociétés du passé. Si cette position présente l’avantage de remettre au centre la complexité des interactions entre sociétés, environnements et territoires, elle ne facilite pas l’élaboration d’une typologie de ces crises car il est alors difficile de faire la part du rôle respectif du climat et de l’anthropisation dans leur déclenchement, le poids du climat ne se mesurant que « négativement » au regard de l’anthropisation des milieux et des territoires. Cette position médiane privilégie les effets géomorphologiques aux causes, et masque la diversité des situations possibles depuis des crises purement climatiques vers des crises réellement anthropo-climatiques. Ce consensus semble procéder d’un refus a priori du déterminisme environnemental que la géographie classique s’est évertuée à chasser du domaine des sciences sociales depuis Vidal de la Blache. Mais aujourd’hui, face aux évidences des changements environnementaux et notamment du climat, comment comprendre la proposition de Vidal de la Blache « la Nature propose, l’Homme dispose » ? L’enjeu n’est-il pas alors de comprendre comment les phases de crises, c’est-à-dire de changements transitoires et temporaires des milieux (Bravard, 2004) sont susceptibles de modifier le rapport des sociétés avec leur environnement c’est-à-dire la manière dont elles disposent de leurs ressources et aménités et s’ajustent à ces nouvelles contraintes ? Dans cette optique, les concepts de vulnérabilité et d’adaptation sont-ils pertinents et peuvent-ils être transposés aux sociétés du passé ?

3La transposition de ce concept aux situations du passé semble difficile pour deux raisons. D’une part, le concept de vulnérabilité revêt une dimension synthétique et non analytique. Or, dans une large part, « le contexte, d’un certain nombre de conditions propices, ces dernières étant susceptibles d’engendrer des dommages et/ou dysfonctionnements majeurs en cas de concrétisation d’un aléa » (D’Ercole, 1998) nous échappent. Nous n’appréhendons que l’exposition à l’aléa et les effets qu’il engendre. D’autre part, la définition de D’Ercole (1998) souligne que la vulnérabilité revêt une dimension de potentiel qui est nécessairement appréhendée a posteriori dans notre cas. Nous ne percevons, par les sources d’archives et de terrain, que la vulnérabilité réalisée et non la vulnérabilité potentielle des sociétés du passé. Celle-ci se traduit concrètement par un ensemble de transformations qui visent à développer des formes de résiliences en réponse aux changements environnementaux. Il s’agit bien alors d’appréhender comment les sociétés du passé s’adaptent au sens qui a été défini par le GIEC (2001) « d’ajustement des systèmes naturels ou humains en réponse à des stimuli [climatiques] présents ou futurs ou à leurs effets, afin d’atténuer les effets néfastes ou d’exploiter des opportunités bénéfiques ». Il est remarquable que la dimension rétrospective soit absente de cette définition alors que celle-ci est fondamentale dans l’appréciation du changement climatique. Cette absence est révélatrice là également des difficultés à transposer le concept d’adaptation aux systèmes sociaux passés autrement qu’en inférant des coïncidences temporelles entre phases de changement climatique et périodes d’ajustement sociales.

4Une autre difficulté inhérente de cette transposition tient aux différences d’échelles spatiales auxquelles sont appréhendés les deux compartiments du système société-climat. Alors que les évolutions socio-démographiques des sociétés du passé sont appréhendées à des échelles variant du local (le site) au sous-régional (les ensembles culturels), les variations du climat sont, elles, appréhendées au niveau régional, zonal voire global. De surcroît, l’inférence du rapport causal entre évolution climatique et sociale se fait de la petite échelle vers la grande échelle spatiale suivant une démarche top-down qui ne permet pas d’appréhender la variabilité des effets régionaux des changements climatiques. Nous avons récemment proposé une démarche inverse (bottom-up) pour percevoir au travers du changement global du Petit Âge Glaciaire, les effets régionaux à locaux (Carozza, 2009). Par les possibilités qu’elle offre de mise en conformité des échelles spatiales de travail, l’étude de la crise du Petit Âge Glaciaire peut revêtir une dimension exemplaire et heuristique. En effet, il s’agit pratiquement de la seule crise qu’il soit possible d’étudier par le croisement de sources multiples : sources d’archives textuelles et iconographiques et sources d’archives naturelles pédo-sédimentaires et paléobiologiques. Cette double documentation permet de renseigner de manière fine l’organisation territoriale, sociale, technique et environnementale des sociétés médiévales. En particulier, l’étude multi-sources de la transition entre l’Anomalie Climatique Médiévale (ACM, Xoplaqui et al., 2011) et le Petit Âge Glaciaire (PAG) pourrait permettre la mise en évidence des changements sociaux et territoriaux qui surviennent durant cet intervalle de temps en réponse aux changements environnementaux.

5Dans cet article, nous dressons un panorama préliminaire des changements observés en Roussillon (fig. 1) sur l’organisation à plusieurs échelles des territoires des sociétés médiévales dans l’intervalle XIIIe-XVIe siècle AD qui correspond à l’alternance ACM-PAG. Nous examinons les relations possibles de ces transformations avec les changements environnementaux mis en évidence sur la même période par l’étude croisée des sources d’archive et de terrain, archéologique et géomorphologique. À partir de ces observations sur la physionomie de la plaine et de son fonctionnement géomorphologique, nous montrons les effets qu’ils ont pu avoir à différentes échelles spatiales sur certains terroirs et sur les réseaux de peuplement.

Fig. 1 – Localisation de la zone d’étude et des principaux lieux cités

Fig. 1 – Localisation de la zone d’étude et des principaux lieux cités

I – L’entrée dans le Petit Âge Glaciaire dans le sud de la France : un phénomène pulsé d’une ampleur sans précédent

6Il existe peu de travaux menés en Méditerranée nord-occidentale sur la transition entre la période de l’Anomalie Climatique Médiévale et le Petit Âge Glaciaire. Pourtant, la question chronologique est bien au cœur de la problématique lorsqu’il s’agit de comparer données naturelles et données sociales à l’échelle régionale.

7Il est généralement admis qu’en Europe occidentale tempérée, le début du Petit Âge Glaciaire coïncide avec le début du XIVe siècle AD. Leroy-Ladurie (2004) à la suite de Pfister (1996) retient même la date de 1303 sur la base des données textuelles alpines. Toutefois, en se basant sur les crues glaciaires de l’Aletsch et du Groner (récemment revues dans Holzhauser et al., 2005), Grove (2001) indique une date plus tardive, comprise entre 1369 et 1385 AD. Cette différence de près de trois-quarts de siècle est peut-être liée à la nature même des données mobilisées. Les données historiques présentent l’avantage d’une grande précision chronologique, mais la faiblesse du nombre de sources disponibles oblige à une agrégation des données à une échelle au moins régionale qui tend à un lissage des évolutions. La rareté des données textuelles pour la période antérieure au début du XIVe siècle AD rend difficile la multiplication des travaux régionaux et leur comparaison (Puig, 2009). Ainsi, les travaux basés sur les sources d’archives sont rares en domaine méditerranéen pour appréhender la période cruciale comprise entre la seconde moitié du XIIIe et le début du XIVe siècle En Languedoc central, les séries de crues étudiées par Blanchemanche (2009) débutent dans le courant du XIVe siècle AD pour la plus ancienne (bassin du Lez) et plus couramment durant le XVe siècle AD. Les données sur les dates de vendanges sont encore plus tardives et ne permettent de documenter l’histoire du climat qu’à partir du milieu du XVIe siècle AD pour les plus anciennes. La période charnière de la fin du XIIIe et de la première moitié du XIVe siècle leur échappe. Dans le bas-Rhône, les récents travaux de Pichard et Ricaute (2009) ont étendu la chronologie des crues et des embâcles de glace du Rhône jusqu’aux premières décennies du XIVe siècle AD mais ils ne couvrent que partiellement la période critique entre 1250 et 1350. Il se dégage toutefois de ces données l’existence d’une première phase froide, marquée par des embâcles de glaces et des crues qui semble débuter avant 1320 et s’achever vers 1480.

8La synthèse proposée par Puig (2009) pour l’Europe du Sud met en évidence une première phase de dégradation autour des années 1276-1278. En Roussillon, la décennie 1310 est marquée par une récurrence des inondations avant l’entrée dans une phase de péjoration entre 1327 et 1334, cette dernière année étant perçue comme la première d’une série d’années difficiles (Mal any primer).

9Plus au sud, les chroniques de crues des cours d’eau espagnols (Llasa et al., 2003 et 2005) couvrent la période comprise entre le XIVe et le XXe siècle. Les données du bassin du Sègre et du Ter, montrent une première phase de crues répétées entre 1300 et 1380, puis, après une période plus calme jusque vers 1450, une augmentation progressive du nombre d’événements qui culmine vers 1550-1650 puis à nouveau vers 1700 puis 1850. Les indicateurs indirects du climat comme les rogations pro pluvia et pro serenitate (Rodrigo et Barriendos, 2008) s’ils semblent s’avérer fiables, ne documentent l’histoire du climat du nord de la péninsule ibérique qu’à partir du XVIe siècle AD. Le rythme qui se dégage montre une alternance entre 1505-1575 plutôt humide, qui marquerait l’entrée dans la phase sévère du Petit Âge Glaciaire, puis, entre 1575 et 1800, une alternance forte entre phases humides et phases de sècheresses avec une périodicité de 33 ans. Après 1800, l’absence de sécheresse marque la phase ultime du Petit Âge Glaciaire.

10Il est alors nécessaire de se tourner vers des sources d’archives naturelles, biologiques, sédimentaires ou géomorphologiques pour tenter d’appréhender cette phase de transition entre l’Anomalie Climatique Médiévale et le Petit Âge Glaciaire (fig. 2).

Fig. 2 – Synthèse chronologique du Petit Âge Glaciaire en Méditerranée nord occidentale

Fig. 2 – Synthèse chronologique du Petit Âge Glaciaire en Méditerranée nord occidentale

11À la suite des travaux de Bravard (1992) qui dessinait une première esquisse de l’évolution de l’activité fluviale du Rhône au cours de la seconde moitié de l’Holocène, l’étude des remplissages lacustres a permis d’acquérir des enregistrements continus du Rhône alpin. Les travaux d’Arnaud et al. (2008) mettent ainsi en évidence à partir des flux de titane dans le lac du Bourget, une première phase d’apports accrus à partir de 1150 AD qui pourrait d’après ces auteurs, signer une première pulsation humide, avant une augmentation progressive et régulière jusque vers 1250/1260, qui marquerait la véritable entrée dans la phase précoce du Petit Âge Glaciaire (1250/1450). Puis, après une phase de répit correspondant au quattrocento, débuterait la phase dite sévère (1550/1750). Il apparaît donc d’après ces données que dans l’arc alpin occidental, l’entrée dans le PAG est précoce (un siècle plus tôt qu’indiqué par les données glaciologiques et un demi-siècle plus tôt que d’après les données historiques) et pulsée (succession de phases plus humides à très humides).

12En Espagne septentrionale, les données issues des lacs de l’Estanya (Riera et al., 2004 et Morellon et al., 2010) fournissent une séquence de référence pour le dernier millénaire. Une première phase humide est enregistrée vers ~ 1300 par des faciès laminés associés à un haut niveau lacustre. Cette période semble s’achever vers 1340 avec un retour à des conditions de bas niveau lacustre. La rupture majeure intervient vers 1380 et perdure jusqu’en 1850 avec une tendance à la persistance de hauts niveaux lacustres interrompue seulement par quelques rares baisses autour de 1700 notamment.

13En Espagne méridionale, l’étude du remplissage lacustre du lac Zoñar (Martin-Puerta et al., 2010) ont permis à ces auteurs de reconstituer les précipitations qui suivent un schéma proche de celui reconnu pour le lac de l’Estanya. Une phase de fortes précipitations est déduite des observations sédimentologiques autour de 1300 et est suivie d’une phase plus aride, brève mais très marquée. Autour de 1500, une augmentation brutale des précipitations pourrait signer l’entrée dans l’hyper-PAG.

14Cette chronologie est plus ou moins conforme avec les données sur les crues du Tage (Bénito et al., 2003) qui montrent, après un premier pic de crues autour du XIVe siècle, une reprise de l’activité fluviale régulière à partir de 1450/1500. Il faut toutefois noter l’absence de crues entre 1250 et 1410 dans ce bassin.

15L’approche géomorphologique développée par Schulte (2003) dans certains bassins de l’est de l’Espagne montre, après une longue phase de stabilité, des apports détritiques à partir de 1288/1422 AD dans le bassin de la Bisbal en Pénèdes. Plus au sud, dans le bassin de Vera, deux phases d’alluvionnement sont identifiées : la première vers 960/1034 AD, puis entre 1417/1800, la borne inférieure de cette deuxième phase ne datant pas la base de la séquence.

16En France, autour du golfe du Lion, il n’existe pas pour l’instant d’enregistrement continu comparable et la chronologie de la transition entre ACM et PAG est construite principalement sur la base de l’activité fluviale des cours d’eau méditerranéens.

17Les données issues du bassin du Vidourle (Berger et al., 2008) constituent une des séries de crues la plus complète obtenue en zone de petits deltas et couvre environ sept siècles. Un changement de nature des sédiments est enregistré après 1200 et jusqu’à la période Moderne. L’augmentation des vitesses de sédimentation et d’exhaussement de la plaine se produit autour de 1300/1350.

18Dans le delta du Rhône les travaux sont peu loquaces sur la période charnière entre le XIIe-XVe siècle. Pour Arnaud-Fassetta (2003), la période 990-1440 correspond dans son ensemble à une séquence dominée par les crues, avant l’entrée dans le Petit Âge Glaciaire sévère, à partir de 1560 (Arnaud-Fassetta et Provensal, 1999).

19En Roussillon, nos propres travaux menés dans les bassins de l’Agly et du Tech fournissent une image relativement précise des phases d’alluvionnement entre le IXe et le XXe siècle AD. La période comprise entre 1260 et 1280 apparaît comme une période de rupture dans la dynamique fluviale de la basse plaine, bien enregistrée autour de la zone humide de Montescot et dans la basse plaine de l’Agly (Carozza et al., 2010). Celle-ci se traduit d’une part par des épisodes de défluviations majeures qui sont perçus aussi bien dans les sources d’archives que par les données de terrain (Carozza et Puig, sous presse) et d’autre part par l’entrée dans une phase d’accumulation de matériaux sableux venant recouvrir un paléosol développé entre le IXe siècle AD et le début du XIIIe siècle AD (Carozza, 2009). Les travaux menés sur l’évolution des villages de Sainte-Eugénie-de-Tresmals et de Saint-Étienne-de-Villerase sur le Tech, ou de Saint-Martin-de-Tura sur l’Agly mettent en évidence le synchronisme de cette évolution à l’échelle régionale. Il est probable que ce changement de dynamique se soit accompagné d’une métamorphose fluviale d’un style méandriforme vers un style en tresse comme cela est documenté sur l’Agly autour de 1260/1280. À cet égard, la crue de 1264 (Aragon, 1919) dont les dégâts sont importants notamment à Perpignan, semble constituer l’événement charnière. Cependant, malgré une signature forte, cette première pulsation semble avoir été éphémère et il faut attendre le premier tiers du XIVe siècle pour que cette rupture dans la dynamique fluviale produise des effets perceptibles sur la dynamique alluviale.

II – Les effets immédiats sur les hommes et les territoires

20L’appréciation de l’impact de cette phase de déstabilisation hydrosédimentaire nécessite la mise au point d’une grille de lecture des faits rapportés ou mis en évidence. Nous proposons de classer ces informations en termes d’effets directs et d’effets indirects. Les crues méditerranéennes sont des événements brutaux, généralement courts dans le temps, de quelques heures à quelques jours au plus. Leurs effets sur les populations, les biens et les territoires sont perçus de manière immédiate par les dégâts qu’ils engendrent ou de manière plus ou moins différée par les conséquences qu’ils ont sur les ressources et leur gestion.

  • 1 C’est le cas des chroniques de Saint-Jean P. Vidal, p 518.

21Les effets directs concernent les dommages aux personnes et aux biens qui résultent directement des effets des inondations. Les mentions de morts liés aux crues restent exceptionnelles avant la période Moderne. Les crues meurtrières du Lez de 1331 (Brunel, 1945) et de Limoux en 1484 (Antoine et al., 2001) témoignent ainsi de la violence des événements, alors que les sources roussillonnaises que nous avons consultées ne font état d’aucune mort. Loin d’envisager que les crues roussillonnaises sont de moindre importance que les languedociennes, il faut expliquer ce biais par la nature de la documentation qui n’a pas pour objectif d’être informative à propos de l’événement. Les sources écrites illustrent plus fréquemment la destruction de biens, en raison des problèmes matériels (reconstruction, financement, délimitation…) ou des conflits que ceux-ci induisent. Ainsi, la grande crue de 1264 cause la destruction du pont de pierre de Perpignan (Soumain, 1865). En 1346, ce sont les regards du canal d’évacuation d’eau de l’étang de Canohès qui se sont effondrés suite à une inondation. Mais le financement des travaux de reconstruction est à l’origine d’un contentieux entre les villageois et l’abbaye de Lagrasse (Alart, p. 300). Cependant, ces références sont bien souvent ténues, et il est difficile d’évaluer l’impact réel des crues sur le bâti. Avec l’époque moderne, les chroniques religieuses permettent parfois d’enrichir la liste événementielle, sans toutefois mieux documenter l’impact social et matériel1.

22La géoarchéologie renseigne mieux ce volet, notamment dans le cas des édifices religieux qui présentent l’intérêt d’avoir une chronologie longue (Moyen Âge central-XXe siècle) permettant de mieux appréhender la succession de crues. Suite aux travaux menés par Serrat (1999) et Calvet et al. (2000), nous avons montré des dégâts directs sur certains sites (Saint-Julien-de-Valventosa, Saint-Nazaire-de-Barbadell) où les inondations ont conduit à l’aménagements des accès (Sainte-Eugénie-de-Tresmals (fig. 3), Saint-Pierre-del-Villar...) (Carozza et al., 2008 et 2009). Néanmoins, les observations sont partielles et ne nous permettent pas, pour l’heure, d’appréhender ces effets sur l’habitat villageois.

Fig. 3 – Exemple d’impacts directs sur le bâti : la chapelle Sainte-Eugénie-de-Tresmals

Fig. 3 – Exemple d’impacts directs sur le bâti : la chapelle Sainte-Eugénie-de-Tresmals

A – Épaisseur de l’alluvionnement au niveau de la nef
B – Réaménagements successifs des seuils de l’entrée latérale entre le XIIe s. et l’actuel

(Clichés de O. Passarrius)

23Les effets directs sont donc difficiles à évaluer alors que les dommages indirects sont plus facilement perçus au travers des sources écrites car ils motivent fréquemment des plaintes. C’est le cas de l’alluvionnement des terres qui sont alors recouvertes par une couche plus ou moins importante de sédiments incultes, le plus souvent sableux, gommant parfois le parcellaire existant. L’effet direct se résume à la perte de la récolte, mais cet alluvionnement soulève deux conséquences indirectes : un problème agronomique, lié à la baisse de la qualité des terres et un problème juridique, lié à la pérennisation de la propriété.

  • 2 « …détériorée et de faible valeur après l’inondation… » (Alart, xiii, p. 567).

24Ce point est parfois clairement exposé dans la documentation. Ainsi, en 1338, frère Arnaud de Tafanel, moine de Sainte-Marie-de-Villelongue cède en acapte (droit de mutation) à un habitant de Claira, Bartholomé Natalis, une terre relevant de la grange qu’il qualifie de « deteriorata et pauci valoris propter inundacionem aquarum »2. Malheureusement, l’usage qu’il est prévu d’en faire n’est pas indiqué dans ce texte.

25Dès 1362, Jacques II fait procéder à une enquête pour canaliser les cours de l’Agly, de la Têt, du Réart et du Tech qui détruisent les récoltes et stérilisent les terres (cité par Aragon, 1919). Ce type de remarques se retrouve jusqu’à la veille de la Révolution, en 1785, sous la plume de l’Abbé Marcé, qui constate l’alluvionnement par la Têt à Corneilla-de-la-Rivière en pleine phase de paroxysme du deuxième Petit Âge Glaciaire. La préoccupation de la perte de terres fertiles et leur protection est donc bien antérieure aux soucis des physiocrates...

26L’importance de ce phénomène d’alluvionnement et de stérilisation des terres est clairement perçue par les travaux géoarchéologiques notamment autour des villages de la basse plaine du nord d’Elne, qui permettent également d’identifier des mesures mises en œuvre pour pérenniser la propriété. Le village d’Alenya, au nord d’Elne, a fait l’objet de travaux d’archéologie préventive qui mettent en évidence l’évolution de la basse plaine du Tech, postérieurement à la défluviation du Tech de 1260/1280 et à l’alluvionnement d’une grande partie du finage agricole de ce village. Trois opérations menées au sud (Alenya – Las Mottas, Vignaud, 2004), à l’est (La Colomina del Forn, Pezin, 2008) et au sud-est (Alenya – La Vignassa, Koratba, 2011) permettent d’appréhender l’emprise spatiale et la chronologie du phénomène (fig. 4).

Fig. 4 – Exemple d’impact indirect : le recouvrement sédimentaire du parcellaire d’Alenya

Fig. 4 – Exemple d’impact indirect : le recouvrement sédimentaire du parcellaire d’Alenya

27L’extension des terroirs agricoles est mise en évidence par un système de fossés associés à un paléosol plus ou moins bien préservé. Le niveau d’ouverture de ce réseau fossoyé est situé en moyenne vers – 1 m de la surface actuelle. Il est recouvert et fossilisé par un ensemble de niveaux de sables moyens à grossiers mis en place par le Tech. Les données chronologiques permettent d’attribuer l’arrêt du fonctionnement du réseau entre la fin du XIVe et le début du XVe siècle pour la partie sud et au cours du XVIe siècle pour la partie nord-est du réseau sur la base des seules données archéologiques.

28L’importance de ce phénomène d’alluvionnement est loin d’être anecdotique, car il affecte de vastes surfaces dans la basse plaine. Une tentative d’évaluation des épaisseurs des dépôts du Petit Âge Glaciaire dans la basse plaine montre l’extension généralisée et les épaisseurs parfois considérables de ce niveau alluvial. Il reste toutefois encore difficile de proposer une quantification du phénomène compte tenu de la forte variabilité de l’épaisseur de la formation et d’une mise en place sur une période relativement longue de près de sept siècles.

III – Adaptation, innovation et réorganisation des territoires

29Face à cette rupture géomorphologique majeure dans la dynamique alluviale, les sociétés roussillonnaises ont développé des stratégies d’innovation, d’adaptation qui ont finalement conduit à une réorganisation territoriale partielle.

30Pour faire face aux crues, les stratégies d’adaptation visent en premier lieu à préserver l’organisation territoriale par la mise en œuvre de solutions techniques ou juridiques. Ces solutions semblent avoir été privilégiées dans le premier temps de la phase précoce du Petit Âge Glaciaire, entre 1260/1280 et 1360/1380. Ainsi, face au problème majeur que semble constituer l’alluvionnement des terres, la première réaction a-t-elle été de tenter de maintenir les structures agraires de production et de propriété par des pratiques de bornage. Le cas du finage d’Alenya, évoqué précédemment, a livré des éléments matériels qui vont dans le sens de l’introduction de pratiques de bornage destinées à faire face au recouvrement sédimentaire (fig. 4). Un monolithe, découvert à l’intersection de deux fossés, a été interprété comme un élément de bornage. Cependant, les volumes déposés et l’absence de recreusement des structures interdisaient d’envisager une remise en état à chaque grosse crue. Nous pouvons donc imaginer que le parcellaire, ainsi borné, a disparu au cours d’une importante phase d’alluvionnement. Pourtant, l’orientation de ces structures se retrouve dans le parcellaire moderne, postérieur au XVIIe siècle, date à laquelle le Tech semble retrouver un tracé plus méridional et les accumulations se déplacer vers le sud. Il nous faut donc considérer qu’une pratique destinée à figer le parcellaire a été fructueuse dans ce cas. Les sources écrites apportent ici un élément de réponse. Dans un texte de 1338 (Aragon, 1919), il est fait état de pratiques de bornage particulières sur les rives de la Têt, alliant des bornes de pierre et des pieux en bois, très probablement destinés à servir de repère en cas de recouvrement alluvial. C’est peut-être de cette façon qu’il faut expliquer la pérennisation du parcellaire observée sur le territoire d’Alénya.

31On perçoit là, au travers de ces petits aménagements, la volonté, malgré la rupture géomorphologique, de maintenir le fonctionnement d’un terroir agricole par l’introduction de pratiques nouvelles. Il semble toutefois que, dans certains cas, le maintien de l’activité agricole n’ait plus été possible suite à l’importance des apports alluviaux. Un problème similaire s’est posé après les crues de 1940 et de 1942, qui ont nécessité une remise en état des terres agricoles parfois recouvertes de plusieurs mètres de sédiments (Jacob, 1997). Mais ces pratiques, si elles sont relativement efficaces pour pérenniser la propriété foncière, sont inaptes à pallier la perte de fertilité des terres. Elles étaient donc accompagnées, comme cela a déjà été souligné, de solutions techniques qui visaient à empêcher les débordements du fleuve.

32Les premières traces laissées par ces aménagements datent de 1327 et concernent Perpignan, mais il semble erroné de penser qu’il s’agit déjà d’un enjeu exclusif de protection de la ville face au fleuve. Si cette préoccupation de défense urbaine apparaît clairement dans le réaménagement du quartier du Thor, situé à la confluence de la Basse et de la Têt en 1330, les aménagements mis en œuvre entre 1335 et 1378 sur la Têt, et vers 1340 sur l’Agly témoignent davantage d’une préoccupation liée à la protection des riches terres agricoles qui bordent la ville autour de Saint-Génis-de-Tanyères, des jardins Saint-Jacques et l’Orta de la ville (Puig, 2009). L’enquête royale menée en 1362 met clairement en exergue cet enjeu et couvre l’ensemble des quatre grands bassins fluviaux du Roussillon alors que les enjeux urbains y sont, sauf pour la Têt et plus secondairement sur l’Agly, absents.

  • 3 Archives Départementales des Pyrénées-Orientales (désormais adpo), série 1 B 276, f° 76-77 (Caucana (...)

33Les premiers ouvrages de protection s’apparentent davantage à des murs de soutènement à Perpignan sur la Têt, mais semblent déjà présenter la structure de véritables digues sur l’Agly (bareria ou vellus terre). Leur construction s’accompagne également de mesures de recalibrage et de rectification. C’est le cas en 1378, où, suite à une inondation importante et un fort contentieux opposant les communautés riveraines de la Têt à la hauteur de Château-Roussillon, Bajoles et Bompas, le lit de la Têt est rectifié et recalibré sur une largeur de 40 cannes de large (soit près de 79 m)3. En outre, sur chaque rive, des boisements sont prévus sur une largeur de 10 cannes (soit 20 m) qui ne devront pas excéder une demi-canne de haut. L’espace laissé au fleuve est ainsi de 120 m. La similitude avec l’ordonnance royale « portant règlement d’administration publique pour la rivière de la Têt » du 20 Mai 1818, dite de « servitudes des bois-taillis » est frappante. Celle-ci prévoit en effet le maintien d’un lit d’au moins 80 m et de bois-taillis sur 48 m de chaque côté, soit une largeur d’emprise totale de 178 m (DDE, 1974). Entre défense passive et droit, cette pratique visant à stabiliser le fleuve en lui cédant un espace propre est d’une étonnante modernité et traduit la recherche d’un compromis entre dynamique du fleuve, propriété foncière et protection des terres.

  • 4 « …destructionis periculis perpetuer inundaciones aquas fluminis Eyglinis… » adpo, série 1 B 16, f° (...)

34En ce qui concerne le bâti, l’ensemble de ces stratégies d’adaptation observées semble privilégier le maintien des réseaux d’occupation. La fixité des pôles paroissiaux est exemplaire, même lorsque ceux-ci sont directement menacés par les inondations. L’exhaussement des niveaux d’occupation de plusieurs lieux de culte comme Notre-Dame-de-Juhègue ou Sainte-Eugénie-de-Tresmals par exemple (fig. 3), le confirment. L’habitat villageois illustre aussi cette observation. Le cas de Saint-Martin-de-Tura est, à ce propos, emblématique. En 1332, à la demande des villageois, le roi autorise le déplacement de Turà vers le nord, pour le protéger des crues répétitives de l’Agly4. Or, il s’agit d’une possession de l’abbaye de Fontfroide qui s’oppose à ce qu’il sorte du territoire placé sous sa juridiction car cela causerait un sérieux préjudice au monastère. Le roi leur accorde l’autorisation de déplacer le village mais à l’intérieur des limites du finage. Les archives postérieures témoignent que le déplacement n’a pas eu lieu, et, qu’en 1368, des maisons situées à Tura, jouxtent l’Agly et un chemin (Alart, XV, p. 236). Il semblerait donc que le déplacement accordé soit trop limité, et ne satisfasse pas la population, alors prise en tenaille entre l’aridité des terres au nord, et le fleuve au sud.

35Ainsi, la phase précoce du PAG, malgré ses effets directs sur le village et indirects sur le territoire de la communauté n’a-t-elle finalement pas abouti à son déplacement. Par contre, entre le XVe et le XVIIe siècle, l’entrée dans la phase sévère du PAG a conduit à sa désertion. Il faut attendre 1572 pour que les sources écrites en témoignent dans une déclaration faite au nom de l’abbé de la Réal qui indique qu’il n’y a plus de maisons dans les églises d’Ortolanes, Pena et Tura (Alart, p. 191). Le déplacement évoqué n’ayant pas eu lieu, les habitants ont quitté le site progressivement dans les siècles qui suivirent. Le site est alors le siège d’une sédimentation importante qui conduit à son enfouissement sous près de sept mètres de dépôts, antérieurement à la construction d’un ermitage dans le courant du XVIIe siècle. Dans l’état des travaux, il est difficile de préciser si l’abandon a été le fait d’un événement exceptionnel ou d’une augmentation de la récurrence des événements de crues. Une chronologie similaire peut être dressée pour d’autres lieux de peuplement. Toujours sur l’Agly, Saint-Saturnin-des-Ortolanes est victime des inondations qui conduisent en 1340 à la construction d’une digue (bareria). Cette communauté perdure jusqu’au début du XVe siècle avant d’entamer un lent déclin qui conduit à une désertion effective du village au XVIIe siècle. Situé sur la Têt, Saint-Génis-de-Tanyères au nord de Perpignan semble également péricliter après le XIVe siècle en liaison avec les crues de la Têt. De la même manière, la désertion du village de Mossellon sur un diffluent du Tech semble s’effectuer graduellement après le XVe siècle alors que les premières inondations sévères l’affectent dès le milieu du XIIIe siècle. (Carozza et al., 2008).

36L’ensemble de ces mesures a-t-il été fructueux ? Il semble que, dans le dernier tiers du XIVe siècle AD, une grande partie des travaux destinés à canaliser les crues en Roussillon ont été réalisés (Puig, 2009), même s’il est difficile d’évaluer l’ampleur exacte de ces interventions. L’endiguement et la rectification de la Têt en rive droite au niveau de Perpignan est achevé. Les travaux sur l’Agly semblent également menés à bien puisque les digues font l’objet de réparations au XVe siècle (Marichal et al., 1997). Peu d’éléments sont rapportés sur le Réart, mais les travaux sur le Tech semblent avoir fait l’objet d’une forte opposition. Ne faut-il pas voir dans cette période plutôt calme les effets de la relative atonie du climat plutôt que de l’efficacité réelle des mesures structurelles et juridiques mises en œuvre ? Dans tous les cas, si la première crise du PAG entre 1250/1280 et 1350/1370 semble avoir été surmontée par cette combinaison de mesures qui en ont peut-être limité les effets, il n’en va pas de même pour la phase sévère de la crise à partir du milieu du XVe siècle.

37L’impact des transformations des territoires induits par le Petit Âge Glaciaire à partir du début du XIIIe siècle peut être apprécié à l’échelle de l’ensemble du Roussillon (fig. 5). Sur cette période, l’ensemble des désertions ou disparitions de lieux de peuplement attestées par les sources écrites ou archéologiques peut être mis en relation avec les impacts directs et indirects du changement de fonctionnement de la basse plaine puisque tous les lieux de peuplement disparus se localisent dans la zone des atterrissements fluviaux du Petit Âge Glaciaire. Cependant, deux remarques s’imposent. La première concerne l’importance de ce phénomène en valeur absolue et relative. En l’état actuel de ce travail, une dizaine de villages sont concernés par ce phénomène de désertion. En valeur relative, seuls 10 % des lieux de peuplement de la plaine sont concernés, ce qui peut apparaître marginal. La deuxième concerne le processus de l’abandon en lui-même. Nous avons montré que ce processus semble graduel et structuré par les capacités de réponse des sociétés médiévales à répondre aux transformations des territoires. Mais, cette homogénéité masque une réalité plus complexe. En effet, si certains de ces lieux de peuplement sont totalement abandonnés, d’autres voient certes la fonction d’habitat disparaître mais le lieu perdure sous la forme de lieux de culte notamment en liaison avec le mouvement érémitique dès la fin du XVIe siècle. Il n’est pas exclu également que d’autres fonctions aient été pérennisées sans qu’elles soient perçues ni par les sources écrites ni géoarchéologiques.

Fig. 5 – Épaisseur des dépôts du Petit Âge Glaciaire en Roussillon

Fig. 5 – Épaisseur des dépôts du Petit Âge Glaciaire en Roussillon

Conclusion

38L’étude de la transition entre Anomalie Climatique Médiévale et Petit Âge Glaciaire permet d’illustrer la complexité des effets des transformations des milieux sur les sociétés du passé. La résolution infra-séculaire des données mobilisées montre le caractère graduel et pulsé de la transition entre ces deux phases climatiques qui s’échelonne dans la zone méditerranéenne entre la seconde moitié du XIIIe siècle et le milieu du XVe siècle. Cependant, la rupture majeure d’un point de vue géomorphologique semble se produire très tôt en Roussillon, vers 1260/1280. Elle oblige dès cette date, les sociétés à rechercher des solutions face à la multiplication des événements hydrologiques et à se prémunir vis-à-vis de leurs conséquences. Si des solutions techniques de type endiguements sont mise en œuvre dès le premier tiers du XIVe siècle, elles s’accompagnent également de modifications des pratiques de gestion des territoires dont témoignent les bois-taillis et les bornages spécifiques qui témoignent de la capacité d’adaptation des sociétés médiévales aux changements environnementaux.

39Il semble pourtant que cette capacité d’adaptation n’ait pas été suffisante pour amortir totalement les effets de l’entrée dans la phase sévère du Petit Âge Glaciaire à partir du XVsiècle. Le processus d’abandon des villages et de certains finages, montre à l’évidence l’impossibilité pour la société médiévale roussillonnaise de maintenir tel quel le réseau de peuplement qui s’est partiellement réorganisé. Dans cette phase sévère, le niveau scalaire d’adaptation n’est plus l’unité de peuplement élémentaire comme dans la phase précédente mais le réseau de peuplement. Le franchissement d’un seuil d’intensité des événements hydro-climatiques semble impliquer des processus de résilience de nature différents que de futurs travaux permettront probablement de mieux cerner.

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Notes

1 C’est le cas des chroniques de Saint-Jean P. Vidal, p 518.

2 « …détériorée et de faible valeur après l’inondation… » (Alart, xiii, p. 567).

3 Archives Départementales des Pyrénées-Orientales (désormais adpo), série 1 B 276, f° 76-77 (Caucanas, 1991) et série 1 B 276, f° 175-176 (Aragon, 1919).

4 « …destructionis periculis perpetuer inundaciones aquas fluminis Eyglinis… » adpo, série 1 B 16, f° 154-155.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1 – Localisation de la zone d’étude et des principaux lieux cités
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Fichier image/jpeg, 312k
Titre Fig. 2 – Synthèse chronologique du Petit Âge Glaciaire en Méditerranée nord occidentale
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/693/img-2.png
Fichier image/png, 78k
Titre Fig. 3 – Exemple d’impacts directs sur le bâti : la chapelle Sainte-Eugénie-de-Tresmals
Légende A – Épaisseur de l’alluvionnement au niveau de la nefB – Réaménagements successifs des seuils de l’entrée latérale entre le XIIe s. et l’actuel
Crédits (Clichés de O. Passarrius)
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/693/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Fig. 4 – Exemple d’impact indirect : le recouvrement sédimentaire du parcellaire d’Alenya
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/docannexe/image/693/img-4.png
Fichier image/png, 180k
Titre Fig. 5 – Épaisseur des dépôts du Petit Âge Glaciaire en Roussillon
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Michel Carozza et Carole Puig, « Changements environnementaux, vulnérabilité et adaptation des sociétés du passé : exemple du Petit Âge Glaciaire en Roussillon (xiiie-xvie s.) »Sud-Ouest européen, 32 | 2011, 67-79.

Référence électronique

Jean-Michel Carozza et Carole Puig, « Changements environnementaux, vulnérabilité et adaptation des sociétés du passé : exemple du Petit Âge Glaciaire en Roussillon (xiiie-xvie s.) »Sud-Ouest européen [En ligne], 32 | 2011, mis en ligne le 27 avril 2015, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/soe/693 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/soe.693

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Auteurs

Jean-Michel Carozza

Maître de Conférences, Université de Strasbourg, Faculté de géographie et GEODE-UMR 5602.

Articles du même auteur

Carole Puig

Chercheuse associée, FRAMESPA-UMR 5136.

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