1Les crues sont l’un des principaux traits du comportement naturel des cours d’eau. Fréquemment, le débit déborde de ses lits habituels à cause des crues et occupe une partie de la plaine alluviale en couvrant des champs, des exploitations d’élevage, des zones industrielles et urbanisées. En même temps, son énergie se dissipe et le débit fournit des composants bénéfiques pour les sols. La nature et la portée des conséquences environnementales produites par les inondations dépendent généralement du fait que les biens et les personnes sont excessivement exposés au danger des inondations, ce qui constitue un facteur prépondérant. Cette vulnérabilité s’est accrue progressivement le long des berges de nombreux cours d’eau compte tenu du faux sentiment de sécurité fondé sur la faible fréquence des crues, la construction de barrages ou de mécanismes de protection comme les endiguements.
2En général, les crues et les inondations constituent une préoccupation dans n’importe quel territoire où elles se produisent. Le risque qu’elles posent augmente davantage au moment où elles acquièrent un caractère extraordinaire puisque, au-delà de leur intérêt hydrologique, les inondations et les crues provoquent de graves dégâts socio-économiques. En Europe centrale, elles sont de plus en plus l’objet d’intérêt à cause des inondations de l’été 2002 en République tchèque (la Vltava, le Danube), peu après en Allemagne (l’Elbe) et très récemment, en 2013, en Autriche, Allemagne, République tchèque et Pologne (Barredo, 2007 ; Petrow, Merz, 2009 ; Marchi et al., 2010 ; Glaser et al., 2010 ; Bormann et al., 2011 ; Kotlarski et al., 2012 ; Kundzewicz et al., 2012). Dans le contexte méditerranéen, la préoccupation que suscitent les évènements de crues et les inondations est ancienne (Almela y Vives, 1957 ; Morell, 1999 ; Camarasa et Mateu, 2000 ; Chastagnaret, Gil Olcina, 2006 ; Olcina, 2006 ; Pérez Morales, Gil, 2012 ; Tarolli et al., 2012 ; Sánchez Fabre et al., 2013 ; Terranova, Gariano, 2014 ; Faus, 2015).
3L’impact des inondations peut être apprécié dans tout le bassin de l’Èbre. Cependant, les crues récentes ayant les conséquences environnementales les plus importantes se sont concentrées dans les affluents pyrénéens (García Ruiz et al., 1983 et 2001 ; Beguería et al., 2003 ; López-Moreno et al., 2006 ; Acín et al., 2012 ; Serrano-Muela et al., 2013 ; Marquínez et al., 2014 ; Serrano-Notivoli et al., 2014) et l’Èbre moyen (Ollero, 1992 ; Bescós, 2003 ; Ollero et al., 2004 ; Losada et al., 2004 ; Bescós, Camarasa, 2004 ; Ollero, 2007 ; Espejo et al., 2008 ; Sánchez Fabre et al., 2015).
4Cette multiplication des crues et de leurs études coïncide avec la promulgation de la directive 2007/60/CE du Parlement européen relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondations. Cette directive a été transposée en Espagne par le décret royal 903/2010 et elle encourage l’analyse des crues ainsi que les actions visant à l’amélioration de sa gestion.
5L’objectif clé de ce travail est d’étudier l’évolution du phénomène de crues et les évènements récents dans l’Èbre moyen en mettant l’accent sur la crue de la période février-mars 2015. À l’analyse du déroulement des crues s’ajoute la gestion des crues récentes : systèmes de prévision, parmi lesquelles se comptent les modèles d’action, les changements récents dans la gestion des risques d’inondation et les conflits que ce type de risque pose pour la société.
6La zone d’étude correspond au cours moyen de la vallée de l’Èbre (fig. 1). Il est caractérisé par la présence d’un lit méandriforme qui maintient un certain dynamisme hydromorphologique, même s’il est inférieur à celui qu’il détenait jusqu’aux années 1980. Elle comprend 345 km de parcours qui représentent l’un des exemples européens de méandres libres les plus significatifs (Ollero, 1992), déployés dans une plaine alluviale de 3,2 km de largeur moyenne. Dans ce tronçon moyen le coefficient de sinuosité est de 1,505 et la pente moyenne est très basse (0,67 m/km). Lorsque le lit méandriforme déborde à cause des débits de crues, l’eau couvre aussi bien les anciens méandres abandonnés que les divers secteurs de la vaste plaine alluviale. Logiquement, l’extension majeure de la nappe d’eau se produit en raison des crues extraordinaires.
Fig. 1 – Carte de situation
7Du point de vue hydrologique, au-delà de crues et leurs effets, l’Èbre moyen se caractérise par un régime pluvionival dont le maximum est atteint en février et un étiage estival bien marqué. L’influence pluviale océanique maintient un haut débit en hiver, une des saisons avec les crues les plus fréquentes. À leur tour, les pluies de printemps conjointement avec la fonte des neiges et le dégel des cours supérieurs pyrénéens donnent naissance à bon nombre de crues en cette saison. Ces affluents pyrénéens contribuent aux apports d’eau les plus importants de l’Èbre, parmi lesquels on distingue deux cours d’eau et leurs affluents respectifs : l’Aragón et l’Arga, le Sègre et le Cinca.
8Dans son cours moyen, l’Èbre reçoit les apports d’eau de l’Aragón et de l’Arga, ce qui double presque son débit à proximité de Castejón de Navarra. En aval de Castejón, l’Èbre est alimenté par le Queiles, l’Huecha et le Jalón, en rive droite et par l’Arbas, en rive gauche. Leurs apports d’eau arrivent à peine à 25 m3/s, c’est la raison pour laquelle la confluence du Gallégo à Saragosse constitue de nouveau une hausse significative du débit de l’Èbre (tableau 1).
Tableau 1 – Disponibilité du débit de l’Èbre moyen
|
Séries de données
|
Débit (m3/s)
|
Surface drainée du bassin (km2)
|
Débit spécifique (l/km2/s)
|
Apport d’eau (hm3)
|
Mendavia
|
1948-1949
2012-2013
|
106,27
|
12 010
|
8,84
|
3 351,19
|
2012-2013
|
1928-1929
2012-2013
|
229,31
|
25 194
|
9,1
|
7 231,47
|
Castejón
|
1912-1913
2012-201
|
231,03
|
40 434
|
5,71
|
7 285,70
|
2012-2013
|
1945-1946
1997-1998
|
247,59
|
48 974
|
5,05
|
7 807,90
|
Source : Anuario de Aforos (MAPAMA) ; Sánchez Fabre et al.
9Les données hydrologiques fournies par le Sistema de Información del Anuario de Aforos (système d’information de l’annuaire de jaugeages) édité par le ministère espagnol de l’Agriculture, de la Pêche, de l’Alimentation et de l’Environnement (MAPAMA – Ministerio de Agricultura, Pesca, Alimentación y Medio Ambiente) et le système automatique de l’information hydrologique de la Confédération hydrographique de l’Èbre (SAIH-Ebro) sont des informations clés dans l’analyse du développement des crues. Afin d’étudier leur l’évolution, nous avons disposé des données du Catalogue national des inondations historiques de la Direction de la protection civile en Espagne et de la série de registres (1913-1914 à 2011-2012) recueillie dans l’annuaire de jaugeages pour la station de Saragosse (9011) sur le débit maximal instantané annuel et le débit moyen journalier. De plus, la série de registres de l’année 2015 s’est ajoutée à l’analyse en utilisant les données (quelques-unes, provisoires) du SAIH-Ebro.
10Pour l’analyse des crues plus récentes, nous avons utilisé les registres journaliers et les horaires des sources déjà mentionnées (l’annuaire et le SAIH-Ebro), tout en considérant les principales stations de jaugeage de l’Èbre moyen : Logroño, Mendavia, Castejón et Saragosse. Pour certains évènements de crues, des valeurs de jaugeages correspondantes aux affluents majeurs de l’Èbre ont été employées. Dans le but d’étudier la crue de l´Èbre en 2015, nous avons également consulté le « Rapport sur les crues du premier trimestre 2015 dans le bassin versant de l’Èbre », élaboré par la Confédération hydrographique de l’Èbre (Demarcación Hidrográfica del Ebro, 2015).
11Il faut savoir que les données hydrologiques ont une marge d’erreur. Les registres actuels acceptent un degré d’incertitude moyen de 10 %, c’est pourquoi les registres historiques doivent admettre au moins le même pourcentage d’incertitude.
12L’annuaire de jaugeage tout comme le SAIH-Ebro permettent de télécharger facilement les données au format Excel ou CSV, ce qui a rendu facile le traitement des registres et l’élaboration des graphiques qui affichent l’évolution des débits maximaux instantanés annuels ainsi que la distribution temporelle des débits moyens journaliers qui dépassent leur seuil de crue à Saragosse. De plus, nous avons reconstruits les hydrogrammes des crues principales pour les analyser ultérieurement.
13Diverses sources ont été utilisées afin d’obtenir des images et la cartographie de la zone occupée par la lame d’eau dans les différents évènements de crues. De cette façon, le Système d’information territoriale de la Confédération hydrographique de l’Èbre (SITEbro, http://iber.chebro.es/SitEbro/sitebro.aspx) a recueilli toute information disponible sur le territoire inondé lors des crues de 2003 et 2013. À son tour, le satellite Landsat-8 a saisi les images de l’inondation produite par le débordement de l’Èbre en février-mars 2015. L’image prise le 3 mars le montre clairement puisqu’elle correspond au moment postérieur à la pointe de crue. La crue y couvre une vaste portion de l’Èbre moyen : dès Novillas jusqu’à La Zaida. En outre, les cartes des zones inondées par la crue de 2015 élaborées par le Service de gestion des situations d’urgence Copernicus de la Commission européenne ont été consultées. Ces cartes rassemblent l’aire inondée entre le 2 et le 27 mars.
14De plus, nous avons utilisé la cartographie de la surface des zones à risques d’inondation pour la période de retour de 10 ans dans l’Èbre moyen. Cette information, disponible au format shapefile, a été fournie par le Système national de cartographie de zones inondables (SNCZI-IPE).
15Les zones dont la surface est inondée, téléchargées du SITEbro, et l’imagerie satellite permettent de comparer les secteurs de la plaine alluviale qui ont été couverts par la lame d’eau durant les différents épisodes de crues. D’autre part, la cartographie de zones à risque du SNCZI-IPE met en évidence la relation entre les zones inondées et les crues de faible fréquence décennale (fig. 2).
Fig. 2 – Schéma de principales sources de données et d’information et de leur usage
Source : Sánchez Fabre et al.
16L’analyse des effets, des nouvelles mesures de gestion et des conflits éventuels a été réalisée à partir du travail de terrain, les suivis des épisodes de crue récents et les nombreux rapports qui abordent cette thématique.
17L’irrégularité interannuelle de l’Èbre n’est pas élevée étant donnée, certainement, la régularité relative des apports pyrénéens abondants. Le coefficient d’irrégularité est de 4,4 pour la période de 1950-1951 jusqu’à 2009-2010 à Mendavia et d’environ 6 à Castejón et Saragosse, ce qui donne une faible dispersion de ces apports annuels (écart type de 0,3) pour l’endroit méditerranéen où le bassin est situé.
18Néanmoins, l’analyse de la série historique des apports de l’Èbre révèle des variations dans lesquelles prédominent les années où les volumes annuels sont en dessus du module et d’autres dans lesquelles l’on observe le contraire. Dans les années 1930 et les années 1960-1970, les apports en dessus du module sont les plus communs ; les années n’atteignant pas la valeur moyenne sont, en fait, rares. Cependant, il existe des périodes d’apports faibles dans les années 1920 et 1940-1950 où les apports ont été en dessous du module presque toutes les années. Dès la seconde moitié des années 1980, une nouvelle période d’apports faibles est identifiée, durant laquelle les années qui surpassent la valeur moyenne le font très discrètement à l’exception des années hydrologiques 1987-1988 et 2012-2013. Les périodes évoquées sont très bien inscrites dans les registres du jaugeage de Saragosse où le module est de 7 285,7 hm3 (fig. 3).
Fig. 3 – Variations des apports annuels de l’Èbre à Saragosse par rapport au module
Source : Anuario de Aforos (MAPAMA) ; Sánchez Fabre et al.
19En général, une diminution des apports au cours des dernières décennies est remarquée non seulement dans l’Èbre, mais aussi dans la plupart de ses affluents. Ceci est constaté lors de la comparaison des modules des séries 1950-1951 jusqu’à 2009-2010 et, surtout, ceux de 1975-1976 jusqu’à 2009-2010. Cette comparaison a été faite dans 80 stations de jaugeage du bassin de l’Èbre et la baisse des apports a été identifiée dans toutes les stations hormis une d’entre elles. Cette diminution qui représente une moyenne de 20 % pour l’ensemble de jaugeages se situe autour de 10-15 % dans un nombre considérable de jaugeages. La figure 4 montre certains d’entre eux et met en évidence la baisse généralisée des modules autant pour les fleuves à gros débit que pour ceux à faible débit.
20Lorsque le module de la période comprise entre 1975-1976 et 2009-2010 est confronté à celui de 1950-1951 jusqu’à 2009, on observe que sa diminution dans l’Èbre moyen est constatée à Mendavia (7,5 %), Castejón (13,61 %) et Saragosse (10,05 %).
21Il convient de signaler qu’au-delà des variations périodiques des apports annuels, les crues ont été une caractéristique continue du comportement du bassin versant de l’Èbre au cours des périodes d’apports annuels bas tout comme dans les périodes d’apports plus élevés.
Fig. 4 – Diminution des apports d’eau dans les dernières décennies
Source : Anuario de Aforos (MAPAMA) ; Sánchez Fabre et al.
22Comme signalé précédemment, l’une des caractéristiques hydrologiques les plus importantes de l’Èbre sont ses crues. L’Èbre moyen, situé entre Logroño et La Zaida, est un secteur assez vulnérable aux débordements. Cette situation est liée aux modifications du lit et des berges dues au manque d’encaissement du lit (Ollero, 1996). Pendant des siècles, les riverains ont dû endurer les crues et apprendre à vivre avec elles.
23La première crue dûment documentée date de février 1643. Ses conséquences, de caractère catastrophique à Tudela et Saragosse, ont été enregistrées par Velázquez et Mazo. Une autre crue importante est celle de septembre-octobre 1787 qui a eu son origine dans l’Esca. Elle a provoqué la destruction de tous les ponts de la vallée de Roncal et a fait des victimes à Sangüesa. Les conséquences de cette crue ont été constatées dans tout le bassin de l’Èbre, cependant elles ont été particulièrement graves en Aragon. Si l’on prend l’église de Xerta comme point de référence, la crue a atteint les 10 m.
24L’évènement qui a eu lieu entre le 10 et 13 janvier 1871 a été le plus remarquable du xixe siècle, même le plus important dans l’histoire de l’Èbre moyen. La plaine alluviale a été complètement inondée ainsi que les principaux centres urbains où des pertes humaines ont été enregistrées (Galván et al., 2013). D’autres crues de grande ampleur se sont produites en septembre 1874 et en mars 1878. Autour de ces dernières dates, de l’autre côté des Pyrénées, la crue dévastatrice de la Garonne en 1875 est bien documentée (Gazelle, 1990).
25Dans la première moitié du xxe siècle, on distingue comme des crues importantes comme celles de mars 1930 et d’octobre 1937. De la même manière, en mars 1930 a été enregistré une crue significative de la Garonne et du Tarn. En France, la décennie des années 1930 est marqué par des très fortes crues en mars 1935 et janvier 1936 (Pardé, 1930, 1937). Les crues de la seconde moitié du xxe siècle sont nombreuses (tableau 2). Parmi elles, la crue de janvier 1961 constitue la crue de plus grande envergeure, inondant la totalité de la plaine alluviale et provoquant des importantes pertes économiques. Heureusement, cette crue n’a pas pris des vies humaines.
Tableau 2 – Principales crues de l’Èbre moyen durant la seconde moitié du xxe siècle
Crue
|
Mendavia
|
Castejón
|
Zaragoza
|
Février 1952
|
855
|
3 140
|
3 260
|
Mai 1956
|
603
|
2 960
|
2 744
|
Décembre 1959
|
1 476
|
2 810
|
2 790
|
Janvier 1961
|
1 307
|
4 950
|
4 130
|
Novembre 1966
|
971
|
4 050
|
3 154
|
Février 1978
|
1 252
|
3 375
|
3 154
|
Décembre 1980
|
1 903
|
3 250
|
2 908
|
Janvier 1981
|
1 825
|
2 675
|
2 940
|
Source : Anuario de Aforos (MAPAMA) ; Sánchez Fabre et al.
26Aux crues présentées dans le tableau 2, il faut ajouter d’autres crues extraordinaires de la même période (seconde moitié du xxe siècle), et d’autres crues ordinaires, mais qui ont dépassé le seuil de débordement et ont entraîné donc des inondations bien qu’elles étaient de moindre portée. Ces différents types de crue peuvent être visualisés dans la figure 5. Les crues extraordinaires y sont plus fréquentes dans les années 1950 et 1960 ainsi que vers la fin des années 1970 et au début des années 1980. Après 1981, une crue extraordinaire ne s’est produite qu’en 2003 et le nombre des crues ordinaires provoquant des inondations a diminué de façon significative.
Fig. 5 – Débits moyens journaliers dépassant les seuils des crues ordinaires, des débordements et des crues extraordinaires dans le jaugeage de l’Èbre à Saragosse
Source : Anuario de Aforos (MAPAMA) ; Sánchez Fabre et al.
27Si l’on considère la période comprise entre 1945-1946 et 2012-2013 (fig. 6), les registres de débits maximaux instantanés annuels montrent une tendance décroissante, tout comme la diminution de crues à partir des années 1980. Ce qui n’empêche pas que parfois l’Èbre et ses affluents aient de grandes crues et atteignent des débits maximaux instantanés très élevés.
Fig. 6 – Évolution des débits maximaux instantanés dans l’Èbre à Saragosse
Source : Anuario de Aforos (MAPAMA) ; Sánchez Fabre et al.
28La figure 6 permet d’apprécier que nombreuses sont les années durant lesquelles les valeurs du débit dépassent le seuil de débordement. Concrètement, ce seuil est dépassé une année sur trois environ, les 2 000 m3/s sont atteints une année sur trois et les 2 500 m3/s sont dépassés une année sur six ou sept. En résultat, ceci suppose que la plupart des années, l’Èbre déborde dans son tronçon médian, tout en occupant un secteur de sa plaine d’inondation.
29Encore une fois, les débits moyens journaliers de l’Èbre à Saragosse permettent de détecter clairement les évènements de crue les plus importants de la période comprise entre 2000 et 2015 (fig. 7). Pour l’élaboration de la figure 7, les données de l’annuaire de jaugeages dès le 1er janvier 2000 jusqu’à la fin de l’année hydrologique 2011-2012 ont été considéré ainsi que les données de SAIH-Ebro, en attente de vérification, du début de l’année hydrologique 2012-2013 jusqu’au mois d’avril 2015. Tout comme dans la figure 5, le seuil de crue ordinaire et le seuil de débordement a été calculé par une multiplication par trois du module.
Fig. 7 – Distribution des débits moyens journaliers de l’Èbre à Saragosse
Source : Sánchez Fabre et al., 2015
30Le constat se caractérise par le fait que tous les ans se produit au moins une crue ordinaire. D’autre part, dans 50 % des années, le seuil de débordement est dépassé, ce qui fait qu’une lame d’eau couvre quelques secteurs de la plaine alluviale. La pointe de crue enregistrée comme la plus importante correspond à celle de février 2003, qui avait été précédée par celle de décembre 2002. D’autres pointes de crues à signaler, par ordre d’importance, sont celles de février-mars 2015, mars-avril 2007, janvier 2013, juin 2008, mars 2014 et janvier 2009. Certains débordements très spécifiques ont pu se produire en mars 2001 et 2006 et en janvier 2010 étant donné que les débits ont atteint des valeurs très proches à celles du seuil de débordement. Sur la Garonne, diverses crues et inondations ont également eu lieu au cours de ces années : juin 2013, janvier 2014 et février 2016.
31Les causes des crues de l’Èbre correspondent à des situations atmosphériques dominées par les basses pressions en surface ainsi qu’en altitude, essentiellement, avec des fronts associés à ces conditions et qui traversent successivement la péninsule Ibérique. Ces situations entraînent des précipitations abondantes dans un secteur ou dans la totalité du bassin de l’Èbre. Parfois, elles sont intenses et d’autres, elles sont plus prolongées dans le temps. De plus, les précipitations comprennent des phases d’advection d’air chaud qui provoquent la fusion de la neige accumulée antérieurement ou enregistrée pendant l’évènement de précipitations.
32La crue de 2003 a été mise en relation avec la présence d’un anticyclone en surface centré sur les Açores et des noyaux de basses pressions, assez profonds, situés au nord de l’Italie-Europe centrale-Norvège avec des fronts associés (Ollero et al., 2004). Alors qu’en altitude, les pressions basses dominaient, leur centre se trouvait dans les pays scandinaves et une goutte froide était centrée au Sud-ouest de la péninsule Ibérique. Espejo et al. (2008) ont analysé la complexité atmosphérique de la crue de 2007 et sont arrivés à différencier trois phases qui ont eu comme résultat trois pointes de crue. La présence de différentes dépressions entourant la péninsule Ibérique a déclenché de nombreux fronts qui l’ont traversée notamment par le nord. Les précipitations, sous la forme de neige dans des moments différents, se sont déplacées de l’amont du bassin de l’Èbre jusqu’à son embouchure. Dans la deuxième et troisième phase, des moments d’advection d’air chaud ont produit une importante fonte de neige qui vient s’ajouter à l’écoulement produit par les pluies.
33L’évènement de crue de février-mars 2015 est lié à la situation de pluies persistantes entre l’Atlantique et le bassin de l’Èbre. Ces pluies ont un rapport avec les systèmes frontaux et la persistance de vents provenant du nord-ouest, chargés d’humidité. Les précipitations se sont concentrées principalement en trois moments : les derniers jours de janvier et les premiers jours de février (Huarte : 180 mm), mi-février et dès le 21 février jusqu’au début de mars (Huarte : 175,4 mm). Quelques stations de la communauté autonome de Navarre ont registré le mois de février comme le plus pluvieux depuis plus de 150 ans qui correspondent au nombre d’années depuis lesquelles ces données sont disponibles. Comme dans d’autres occasions, les températures enregistrées pendant quelques jours ont permis la fonte d’une partie importante du manteau neigeux qui s’était accumulé pendant l’hiver et aussi pendant cet épisode atmosphérique et hydrologique.
34Lorsque l’on analyse le développement des principaux évènements de crues dans l’Èbre moyen, il s’avère difficile de trouver des modèles communs (Espejo, 2008 ; Viglione et al., 2010). Les hydrogrammes des crues de 2003, 2007, 2013 et 2015 le mettent clairement en évidence.
35Une augmentation du débit à la fin du mois de janvier et au début de février 2003 (fig. 8a) a impliqué une crue ordinaire. La courbe descendante respective n’est pas achevée puisqu’elle est coupée par la nouvelle courbe ascendante qui provoque la pointe de crue extraordinaire le 6 février à Castejón (2 883 m3/s) et le 8, à Saragosse (2 832 m3/s). Ces débits maximaux instantanés sont en cours de validation et vérification dans le SAIH-Ebro.
Fig. 8 – Hydrogrammes de principales crues récentes
Source : SAIH-Ebro, Ollero et al., 2004 ; Espejo et al., 2008. Réalisation : Sánchez Fabre et al.
36Dans l’évènement de 2007, l’on remarque notamment les trois pics de crues successives, chacune d’entre elles avec des courbes ascendantes très prononcées. Toutes ces pics de crue représentent des débits supérieurs à leur précédent, c’est pourquoi le dernier pic est la principale, marquant 2 144 m3/s à Castejón le 3 avril et 2 282 m3/s à Saragosse deux jours plus tard. Dans l’hydrogamme apparaît l’apport d’eau de certains principaux affluents aux différentes pointes pics de crue de l’Èbre (fig. 8b).
37La crue de l’Èbre moyen en 2013 (fig. 8c) a été assez prolongée dans le temps, de janvier jusqu’au mois d’avril et puis, sans presque avoir achevé la courbe de tarissement, un nouvel évènement de crue a commencé en juin. D’autres caractéristiques de l’hydrogramme sont, en premier lieu, la vertigineuse montée du débit qui, dans quelques heures, a conduit à pic de crue principal (2 146 m3/s à Castejón le 21 janvier) et, en deuxième lieu, les descentes et montées continues du débit les mois qui ont suivi, ce qui a donné comme résultat plusieurs pics secondaires.
38L’hydrogramme de 2015 (fig. 9) montre une longue période qui intègre plusieurs crues afin d’observer le maintien de débits élevés sur une longue période. Ainsi, le développement d’un événement de crue principal pourrait aller de la mi-février jusqu’au 19 mars approximativement.
Fig. 9 – Hydrogramme de la crue de 2015
Source : SAIH-Ebro. Réalisation : Sánchez Fabre et al.
39Le tableau 3 présente les valeurs du débit des différents pics de crue montrées dans l’hydrogramme des jaugeages de l’Èbre moyen, dans le secteur en amont et aussi dans les affluents qui ont contribué le plus. Il est à noter que la Confédération hydrographique de l’Èbre (CHE) a constaté des problèmes pour mesurer la pointe de crue principale dans la station de jaugeage de Castejón. Précisément, une partie du débit d’eau s’écoulant à côté de la station n’était pas mesurée. La CHE estime à 250 m3/s ce débit non mesuré avec une valeur maximale non officielle encore de 2 650 m3/s à Castejón.
Tableau 3 – Événements de crue de 2015. En gras, le débit maximum mesuré dans chaque station de jaugeage
|
Première pointe de crue *
|
Deuxième pointe de crue
|
Troisième pointe de crue *
|
|
débit m3/s
|
date
|
débit m3/s
|
date
|
débit m3/s
|
date
|
L’Èbre à Miranda
|
1 022
|
18 h, 31 janvier
|
671,2
|
16 h, 17 h et 18 h, 17 février
|
767
|
3 h, 27 février
|
L’Èbre à Lognoño
|
1 515
|
11 h et 12 h, 1er février
|
1 024
|
7 h, 18 février
|
1 128
|
6 h, 27 février
|
L’Èbre à Mendavia
|
1 280
|
17 h, 1er février
|
989,9
|
10 h à 13 h, 18 février
|
1 064
|
13 h, 27 février
|
L’Èbre à Castejón
|
2 315
|
19 h, 1er février
|
1 647
|
10 h à 14 h, 18 février
|
2 691
|
0 h, 27 février
|
L’Èbre à Saragosse
|
1 714
|
3 h, 4 février
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1 586
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10 h à 19 h, 20 février
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2 448
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3 h, 2 mars
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L’Aragón à Caparroso
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363
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11 h, 31 janvier
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211,8
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9 h, 16 février
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741
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2 h, 26 février
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L’Arga à Funes
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882
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1 h, 1er février
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393
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7 h et 8 h, 16 février
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864
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19 h et 20 h, 26 février
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L’Ega à Andosilla
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305
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4 h, 5 h et 6 h, 1er février
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151
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13 h, 16 février
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253
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16 h, 26 février
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L’Iraty à Liédana
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289
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23 h, 30 janvier
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237
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2 h, 16 février
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534
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4 h, 26 février
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* Données de SAIH-Ebro, en temps réel, vérifiées dans le rapport sur les crues du premier trimestre 2015 sur le bassin versant de l’Èbre de la Confédération hydrographique de l’Èbre (Demarcación Hidrográfica del Ebro, 2015).
Source : SAIH-Ebro et rapport sur les crues du premier trimestre 2015 dans le bassin de l’Èbre ; Sánchez Fabre et al.
40L’hyétogramme de précipitation à Huarte (fig. 9) confirme le lien étroit entre les précipitations et la forte augmentation du débit. Chacune des phases de crue correspond à une phase des précipitations d’une intensité donnée.
41Après avoir étudié les différents événements de crue récents, quelques modèles communs de développement peuvent être énumérés :
-
la plupart présente plusieurs pointes de crue ;
-
les courbes ascendantes ainsi que les descendantes se développent rapidement même si ceci semble inhérent au phénomène des crues. À l’exclusion de l’année 2013, dans le reste des crues récentes principales de l’Èbre moyen, la courbe ascendante est moins abrupte à Saragosse que dans les jaugeages en amont. Ce phénomène peut s’expliquer par le laminage naturel des crues entre Castejón et Saragosse ;
-
cet écrêtement est la cause de l’enregistrement plus élevé des principales pointes de crues à Castejón qu’à Saragosse ;
-
l’Èbre moyen reçoit les principaux apports des affluents pyrénéens, riojans et basques de la rive gauche même pendant les périodes des crues. Dans ce sens-là, les grandes crues enregistrées dans le cours moyen de l’Èbre sont fréquemment associées à celles du groupe Aragón-Arga.
42Ces événements de crues récents seront utiles pour analyser le rôle des systèmes de prévision dans la mitigation de leurs effets, de même que les changements et les progrès de la gestion, et les conflits sociaux déclenchés par les inondations.
43Les effets produits par les crues qui font déborder le cours d’eau et qui occupent une partie de la plaine d’inondation du fleuve sont multiples et diverses. Ils sont classés en deux groupes : ceux liés au milieu naturel et ceux de caractère socio-économique.
44Les conséquences sur le milieu naturel ont une connotation positive puisque les crues font partie de la dynamique des fleuves et sont la preuve de leur caractère naturel. L’érosion des berges du cours d’eau, la sédimentation sur différentes parties du fleuve, les déplacements de la ligne de vitesse maximale de l’eau, en définitive, la réactivation des processus géomorphologiques fluviaux sont un signe de la vitalité des fleuves. Divers écosystèmes du corridor rivulaire bénéficient de ces changements, de même que l’aquifère profite de la recharge provenant des zones inondées.
45Les effets des crues sur le domaine économique et social ont une connotation négative (Barredo, 2009). Les infrastructures, les zones urbanisées, les champs de culture et les fermes sont frappés par la lame d’eau qui couvre de larges secteurs de la plaine alluviale de l’Èbre moyen pendant les événements de crues plus importants. Parmi les infrastructures les plus frappées, il est possible de noter les routes, les systèmes d’arrosage, les ponts et les systèmes de défense (digues, barrages, etc.). Après les crues récentes les plus remarquables (2003, 2007, 2013 et 2015) abondent les images des autoroutes inondées et coupées, des ponts dépassés par le niveau de l’eau, des canaux d’irrigation cassés et des défenses détruites. Parmi ces dernières, certaines n’ont pas été détruites pat le fleuve mais par l’action de l’administration pour éviter l’entrée d’eau dans les diverses agglomérations. Lors de la crue de 2015, les autoroutes A-126, A-127 et A-1017 ont été coupées, ainsi que l’autoroute autonome ARA-A-1. Cette dernière a connu des dommages considérables à Villafranca de Ebro, à cause d’un ouvrage déficient qui n’a pas permis l’écoulement d’eau à travers l’infrastructure dans la plaine d’inondation.
46L’incidence des inondations sur les zones urbanisées est l’effet le plus remarquable. Dans le cours moyen de l’Èbre, plusieurs agglomérations sont situées près des rives du lit. Malgré les digues et les barrages de défense, ces agglomérations sont fréquemment frappées par les inondations. Pendant la crue de 2003, il a fallu évacuer les habitants de Pradilla de Ebro pendant 48 heures. En 2015 plus de 1 000 personnes ont étés évacuées de Pradilla, Monzalbarba, Alfocea, Movera, Alfajarín et surtout de Boquiñeni (fig. 10). Dans la ville de Saragosse, l’eau a inondé des garages, des zones sportives et des espaces de récréation. Sans doute, une des priorités doit être la protection des zones urbaines dans la gestion des crues. Cette protection signifie le renforcement des défenses dans les agglomérations existantes et l’interdiction des nouvelles constructions urbaines dans des zones à risque d’inondation. Ce problème des inondations urbaines est commun à de nombreuses villes situées le long des rivières. En France, des plans de prévention des risques d’inondation s’efforcent de limiter, ou du moins contrôler l’urbanisation en zone à risque. Pour cela, il existe des outils tels que VIGICRUES ou l’atlas des zones inondables (AZI) [Maesani et al., 1994 ; Bravard, 2002 ; Vinet, 2010].
Fig. 10 – Laminages des crues de 2003 et 2015
Source : CHE et Landsat 8 (USGS-NASA). Réalisation : Sánchez Fabre et al.
47Également, à cause des crues au cours moyen de l’Èbre plusieurs hectares de culture sont submergés. En 2003, le nombre d’hectares inondés était de 25 000 et de 19 000 ha approximativement en 2015. À ce dernier cas, s’ajoute la permanence prolongée de la lame d’eau sur quelques champs de culture, qui n’est pas seulement liée à la durée du haut débit, mais aussi parce que les endiguements n’ont pas permis le retour des eaux d’inondation vers le lit mineur. En tout cas, dans ces deux événements des crues, les inondations de certaines terres agricoles n’ont pas été provoquées par l’écoulement de surface de l’Èbre, mais par la montée de la surface phréatique.
48Divers groupes frappés par la grande surface du territoire inondé en 2015 ont soulevé le débat, en raison du fait que la superficie inondée augmentait même avec des pics des crues inferieures. Selon Sánchez Fabre et al. (2015), les pointes des crues, le volume d’eau des crues récentes et la superficie du laminage des crues sont proportionnels. Pour arriver à cette conclusion, ils ont considéré la cartographie des zones inondées en 2003 et 2013, crées par le CHE, ainsi que les images du satellite Landsat 8 de la crue de 2015 et les limites établies par le SNCZI pour la zone submergée avec une période de retour de 10 ans. L’événement de crue de 2015 a inondé des zones qui ne l’avaient pas été en 2003, de même que la crue de 2003 a inondé des zones qui ne l’avaient pas été lors de la dernière crue extraordinaire (fig. 10). Comme il a été expliqué ci-dessus, la superficie du territoire inondé en 2003 a été supérieure à celle de 2015 ainsi que la pointe de crue atteinte. D’autre part, par rapport à toutes les crues récentes – comme celle de 2013 –, les événements de 2003 et 2015 ont inondé une superficie plus large.
49De plus, la cartographie créée pour se conformer à la directive européenne 2007/60/CE concernant l’évaluation et la gestion des risques d’inondation et présentée dans le SNCZI-IPE permet de vérifier qu’aucune de ces crues n’a dépassé les limites d’inondation dans une période de retour de 10 ans. Seulement dans deux secteurs ces limites ont été dépassées de façon exceptionnelle, pendant les crues de 2003 et 2015 (en amont de Gallur et en amont de la confluence du fleuve Jalón).
50Aujourd’hui, des techniciens de la Confédération hydrographique de l’Èbre travaillent sur la reconstruction des événements des crues récents comme ceux de 2003 et 2007 afin de rédiger des rapports similaires à celui rédigé pour l’événement de 2015. Ce travail peut sans doute faire une contribution utile sur la relation niveau-débit et sur la proportionnalité entre les débits et les terrains inondés.
51L’apparition des conflits entre les collectivités et les organisations est normale face à l’ampleur des effets. Les conflits suscités après chaque événement de crue ne seront pas faciles à ignorer dans le futur proche car l’atténuation des effets est complexe. De plus, l’exposition ainsi que la vulnérabilité continue d’augmenter et, par conséquent, le risque. Cette perception du risque est assez déficiente puisque les mesures structurelles et les laps de temps sans événements importants de crues produisent un faux sentiment de sécurité.
Fig. 11 – Relation entre la zone à risque d’inondation avec un retour de 10 ans (SNCZI) et le laminage de la crue de 2003 (CHE)
52Après chaque événement de crue, les riverains, les agriculteurs et les éleveurs demandent des dragages et le renforcement des endiguements. Cette demande est soutenue par la sphère politique. Par ailleurs, des techniciens, scientifiques et groupes écologistes sont d’avis de redonner au fleuve une partie de son lit à travers le déplacement des digues, la création des lits pour les crues et le réaménagement de l’utilisation de quelques zones de la plaine d’inondation. En même temps, ils demandent la mise en œuvre du plan environnemental de l’Èbre qui proposait ce type de mesures après la crue de 2003. L’application du concept territorio fluvial (Ollero, 2007), en Espagne, ou « espace de liberté des cours d’eau » (Malavoi et al., 1998 ; Bravard, 1998) en France, peut permettre aux fleuves et rivières récupérer leurs lits divagants.
53Après la crue de 2015, tant le gouvernement central que le gouvernement régional se sont engagés dans la mise en place de mesures économiques pour ceux qui ont subi des pertes matérielles (récoltes, têtes de bétail, enclos, fermes, machines agricoles, etc.). Il a fallu un an pour être témoin de leur concrétisation.
54La promulgation d’un décret-loi du gouvernement d’Aragón visant à réduire la protection environnementale de l’Èbre est très controversée. D’un côté, la volonté est de réduire les périmètres des sites d’importance communautaire et, de l’autre, rendre inactif trois articles du plan de gestion de la réserve naturelle dirigée des Sotos et Galachos de l’Ébre. Des techniciens et chercheurs environnementaux et des collectifs écologistes ont sévèrement critiqué ces mesures et ont porté plainte auprès de l’Union européenne.
55La résolution du Conseil des ministres a également été la cible des critiques. Cette résolution déclare que diverses actions liées aux travaux d’urgence visant à l’amélioration de la sécurité en cas d’inondations sont exclues de l’évaluation environnementale. Par exemple, l’élimination d’îles et d’un brise-lame à Miranda de Ebro, la mise en œuvre des vannes dans l’embouchure du Queiles (Tudela) ou la construction d’un canal de dérivation à Alfaro ont été faites sans une étude d’impact préalable.
56Traditionnellement, la lutte contre les effets des inondations se traduisait par des mesures structurelles insuffisantes telles que la construction de barrages, de digues de protection, de canalisations, entre autres. Pendant ces dernières décennies, il a été jugé nécessaire la mise en place de mesures non structurelles qui ont été complémentaires des mesures déjà mentionnées et à la fois plus efficaces que celles utilisées pour éviter les dommages des inondations. Parmi ces mesures non structurelles, les plans de protection civile, la mise en œuvre des systèmes d’alerte météorologiques et hydrologiques, les restaurations hydrologiques-forestières des bassins et l’aménagement du territoire sont progressivement mis en place.
57Tout comme le rapport sur les crues du premier trimestre 2015 dans le bassin de l’Èbre l’indique, la Confédération hydrographique de l’Èbre a mis en place plusieurs mesures visant à l’amélioration de la gestion des crues durant les dernières décennies.
58Le premier groupe de mesures est lié à ce que la directive européenne a établi par rapport à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation (2007/60/CE). Des tâches marquées par la directive ont été amorcées, en commençant par l’évaluation préliminaire des risques d’inondation (EPRI). Un travail d’identification des zones à risque important d’inondation est réalisé et 374 zones regroupées dans 46 zones à risques potentiels importants d’inondation sont identifiées à ce jour (en espagnol ARPSIs). Les résultats ont été transmis à la Commission européenne en mars 2012. Dans une deuxième phase, il a été créé des cartes de danger et cartes des risques qui montrent les conséquences négatives potentielles des inondations dans les différentes ARPSIs. Les premières montrent la superficie occupée par la lame d’eau et sa profondeur et les deuxièmes montrent les éventuels dégâts tels que la population touchée, les activités économiques perturbées, des prises d’eau ou des épurateurs endommagés, entre autres. Les résultats de cette deuxième phase ont été transmis à la Commission européenne en octobre 2014. Finalement, le plan de gestion des risques d’inondation du district hydrographique de l’Èbre (PGRI Ebro) a été créé. Ce plan établi les objectifs par rapport à la gestion du risque pour chaque ARPSI et les mesures à coordonner avec d’autres administrations.
59Le deuxième groupe de mesures comprend la mise en place de différents outils notamment le système d’information territoriale de l’Èbre (SITEbro), le système automatique d’information hydrologique (SAIH) et le système d’aide à la décision pour l’exploitation des barrages du SAIH de l’Èbre (SAD). Le SITEbro regroupe toute la géo-information compétence de la CHE et permet sa visualisation, consultation et téléchargement. Parmi cette information géoréférencée, l’on trouve notamment la cartographie du système national de cartographie des zones inondables (SNCZI) correspondante au territoire du district. En outre, le SNCZI contient la cartographie du laminage des crues de 2003 et 2013 et vise l’apport de l’information liée au déroulement des crues de 2007 et 2015, entre autres, dans le futur.
60Le SAIH inclut 231 stations de jaugeage dans le fleuve, 345 mesures de précipitations, 286 jaugeages dans des canaux d’irrigation et d’autres stations à distance ou points de contrôle de nature diverses. Dans toutes ces stations, on recueille des données en temps réel, mises à jour toutes les 15 minutes. L’information est disponible sur le site internet de l’organisme du bassin. Le SAIH favorise une amélioration de la disponibilité des données hydrologiques tant pour le côté quantitatif que qualitatif, surtout pour le suivi des crues.
61Le SAD est composé d’un ensemble de modèles (hydrologiques, hydrauliques et de gestion des barrages) et des outils informatiques désignés pour prévoir, encore une fois, les débits des crues en temps réel. Ce système peut simuler des situations et prévenir le danger des crues suffisamment à l’avance. Ces prévisions peuvent être consultées à travers le SAIH.
62Le troisième groupe réunit les mesures de la CHE par rapport aux débits et à ses crues qui peuvent être mises en place avant, pendant et après les événements des crues. Il existe des mesures à caractère préventif, telles que le contrôle et la surveillance du domaine public hydraulique. D’autres mesures sont à caractère protecteur, telles que les travaux en cours d’eau et la gestion des barrages. Certaines mesures visent à étudier les événements comme la mesure directe du débit et le suivi des crues. Enfin, il existe des mesures de restauration, telles que les travaux d’urgence. L’idéal serait qu’aucun ou presque aucun bien du domaine public hydraulique ne soit exposé au danger, que les travaux en cours d’eau ne détruisent pas la dynamique hydromorphologique des cours d’eau et que les travaux d’urgence ne soient considérés que dans des cas extrêmes de protection des populations ou de restauration des infrastructures essentielles en ayant toujours en considération que l’on ne doit pas augmenter les effets négatifs sur l’écosystème fluvial.
63Il est évident qu’aujourd’hui les mécanismes pour la prévention des inondations dont l’efficacité a été démontrée dans les événements des crues récentes sont développés. En général, les prévisions des pointes des crues se sont avérées précises et la contribution à la minimisation des dommages est incontestable. En même temps, au cours des dernières décennies, la connaissance des fleuves et de la dynamique de leurs crues ont augmenté et cela devrait se poursuivre même si chaque crue présente des particularités qui rendent plus difficile la prévision de leurs effets. Il est nécessaire de conserver la confiance dans les systèmes de prévision et le suivi des crues (SAIH et SAD) et de continuer à étudier la dynamique hydrologique et géomorphologique des cours d’eau pour améliorer la gestion des crues.
64Quant à la gestion des crues, il convient de passer de mesures structurelles qui ont une tendance à provoquer des problèmes récurrents, à des mesures non structurelles dont l’efficacité a été vérifiée dans plusieurs pays européens durant les 25 dernières années. Ceci vise non seulement à réduire le risque d’inondation, mais aussi à mettre à profit les avantages de ces événements propres à la dynamique des fleuves. Parmi ces mesures non structurelles, l’aménagement du territoire qui délimite et établit les changements d’usages des zones à risques dans la plaine d’inondation, doit occuper une place plus importante. Le but : redonner de l’espace aux fleuves et réduire l’exposition au risque des biens ainsi que des personnes, autant que possible. Seulement la protection des personnes et des populations pourrait justifier la permanence des mesures structurelles. Dès 2016, on a commencé à reculer quelques digues en amont de Saragosse, ce qui a augmenté localement (Alcalá, Cabañas, Utebo) l’espace fluvial et le laminage des crues.
65Parallèlement à ces changements dans la gestion, un travail intense d’éducation aux risques et aux avantages des crues doit être mené. Cette formation doit contribuer à combattre la résistance de certains groupes à ce changement d’orientation dans les mesures de gestion.
66En définitive, si la gestion repose sur l’adaptation au risque et sur la dynamique des fleuves, au lieu de lutter contre leur dynamique, elle sera plus effective et moins coûteuse. Selon cette nouvelle approche, la restauration fluviale visant à réduire les effets des impacts, à redonner de l’espace aux fleuves et, dans la mesure du possible, leur naturalité, se révèle très utile.
67Le débit au cours moyen de l’Èbre a dépassé fréquemment le seuil de crue et de débordement dans le passé et à l’heure actuelle, en provoquant de grandes inondations dans de larges zones de la plaine d’inondation. Parmi les événements les plus récents, ceux de 2003 et de 2015 ont un caractère extraordinaire et leurs effets sont particulièrement remarquables.
68La plupart de ces événements de crues et d’inondations sont associés à des périodes où se cumule un volume important de précipitations, soit du fait de l’intensité élevée des pluies, soit du fait de leur durée prolongée pendant plusieurs semaines. De plus, la hausse des températures lors du déroulement de ces événements déclenche la fonte nivale qui contribue à l’augmentation du niveau des débits.
69L’analyse des hydrogrammes des plusieurs crues montre que ces événements sont complexes, avec plusieurs pointes de crues et de courbes ascendantes qui s’achèvent rapidement. En même temps, l’analyse montre qu’il n’existe pas un seul modèle pour le développement des crues dans l’Èbre moyen, mais dans la plupart des crues on trouve un élément particulier.
70Les principales crues de l’Èbre moyen, en raison de la morphologie en méandres divagants du fleuve et de l’ampleur de la plaine d’inondation, produisent des effets multiples sur le milieu naturel et le milieu socio-économique. Les crues ont un effet positif sur le milieu naturel, puisqu’elles font partie de la dynamique des fleuves, réactivent les processus géomorphologiques fluviaux, soutiennent des écosystèmes fluviaux différents et révèlent leur naturalité.
71Par contre, les effets socio-économiques sont plutôt négatifs. Ils sont directement proportionnels à l’exposition des biens et des services au risque d’inondation. Traditionnellement, dans le cours moyen de l’Èbre, plusieurs populations et zones cultivées ont été exposées aux crues du fleuve. En plus, il a été remarqué une augmentation progressive de l’exposition au risque parfois à cause de la mobilité naturelle du fleuve et d’autres fois à cause de l’occupation et de l’usage des zones proches du cours d’eau. Sans doute, l’effet majeur se produit dans les zones urbanisées, où il existe une forte concentration des populations. Toutefois, malgré les endiguements, des évacuations régulières ont été nécessaires (Pradilla en 2003, Boquiñeni, Pradilla, Monzalbarba, Alfocea, Movera, et Alfajarín en 2015).
72L’inondation de larges zones de la plaine alluviale signifie aussi des effets dans les champs de culture, systèmes d’arrosage, fermes, autoroutes, ponts et même dans les systèmes de défense (digues). Tous ces effets ensemble représentent des pertes économiques considérables tant pour les propriétaires privés que pour les organismes publics des communautés autonomes et de l’État. Des outils comme les photographies aériennes, l’imagerie satellite et la cartographie du tronçon moyen de l’Èbre incluse dans le SNCZI permettent d’affirmer que l’extension du territoire inondé par les eaux est proportionnelle au volume de la crue. Cependant, il est impossible que ces limites ne soient pas dépassées dans un moment spécifique, en raison des particularités déjà mentionnées pour chaque événement de crue.
73L’ampleur des effets produits par les grandes crues suscite des conflits entre des groupes aux points de vue différents sur le caractère positif/négatif des crues ou sur les actions qui doivent être menées afin de minimiser les dommages.
74Dans le passé, la gestion des inondations se traduisait en mesures structurelles telles que la construction des barrages, canalisations et défenses dont l’inefficacité a été démontrée. Actuellement, cette gestion s’inspire de la directive-cadre sur l’eau (2000/60/CE) et de la directive inondation (2007/60/CE) qui se focalisent principalement sur la prévention des dommages. La délimitation des zones à risque potentiel d’inondation ainsi que la cartographie des zones inondables (SNCZI) ont connu un grand progrès. En outre, il convient de mentionner que les mécanismes pour la prévention du risque et la réduction des dommages des crues, tels que le SITEbro, le SAIHEbro et le SAD se sont avérés très utiles. En plus, la CHE mène des actions visant à prévoir les crues et minimiser leurs effets comme par exemple, le contrôle du domaine public hydraulique et la gestion des barrages. Ces changements dans la gestion des crues sont recueillis dans le plan de gestion des risques d’inondation de la démarcation hydrographique de l’Èbre (PGRI Ebro).
75Dans un futur proche, face aux mesures structurelles traditionnelles, la gestion des crues et des inondations doit être dirigée par l’aménagement du territoire, c’est-à-dire par le fait de redonner de l’espace aux fleuves et la volonté de réduire l’exposition au danger. Toutes ces actions représentent une adaptation au risque et à la dynamique des fleuves au lieu de lutter contre eux.
Nous voudrions remercier Soledad de los Ángeles Toledo Miranda et Rocío Carolina Oporto Corrial pour la traduction.