1Ils, elles, sont designers, interprètes, comptables et ont choisi de s’installer dans le Gers mais aussi l’Orne ou le Beaujolais pour vivre et travailler, ou plus précisément télétravailler ; c’est-à-dire réaliser à distance, depuis le domicile, tout ou partie de leur activité professionnelle à partir d’un poste informatique, connecté au réseau internet.
2Cette position géographique originale, pour des métiers dont la ville semble le lieu d’exercice par excellence, nous pousse à analyser les raisons de ce choix d’habiter dans l’espace rural. Précisons que dans cet article, l’espace rural englobe l’espace périurbain mais ne lui est pas réductible.
3Nous nous proposons donc d’analyser ce qui fonde cet habitat qui s’ébauche. À la suite d’autres géographes (Di Méo, 1996 ; Morel-Brochet, 2009), nous chercherons à montrer ses principes. L’étude de la mobilité résidentielle permet de mettre en évidence la logique générale présidant à son établissement.
4Le contexte social se prête à ces réflexions. Nous assistons à un regain d’intérêt pour le télétravail. Les lois n° 2012-347 et n° 2012-387 comportent des articles précisant les termes du télétravail dans la fonction publique et le secteur privé. Le thème est à l’ordre du jour du dialogue social dans les entreprises. Enfin, l’annonce, faite par Yahoo, de mettre fin au télétravail de ses employés a été accueillie avec incompréhension (Jaxel-Truer, 2013). Dans l’espace rural, les pouvoirs publics cherchent à maintenir les jeunes adultes et à installer de nouvelles populations. Le télétravail apparaît comme un nouveau style de vie professionnelle pouvant bénéficier à leurs territoires. Il devient dès lors une « ressource à révéler » (Pecqueur, 2009).
5Les stratégies développées depuis quelques années dans les territoires ruraux français afin que des télétravailleurs puissent s’installer ainsi que les statistiques outre-manche, rare pays s’intéressant à cette question depuis longtemps, (Waliullah, 2012) plaident pour une situation à potentiel de développement. Les annuaires mis en ligne permettent de dénombrer autour de 300 télétravailleurs dans le Gers, 110 en Ariège, 50 dans le « Beaujolais vert », pays regroupant quatre communautés de communes. À cela s’ajoutent les télétravailleurs qui s’installent seuls, sans entrer dans le cadre des actions publiques mises en place par les collectivités citées ou d’autres. Ils seraient 200 dans le Gers (Boiron, 2010). Cela concerne également une partie des 50 télétravailleurs aujourd’hui recensés dans le Beaujolais vert (Tavernier, entretien du 02/02/12). Dans les faits, il n’est pas possible de savoir ce que cette population représente exhaustivement. Au niveau national, la seule statistique disponible porte sur la population salariée télétravaillant plus de huit heures par mois qui s’élève à 8,9 % (Morel à L’Huissier, Turbé-Suetens, 2010).
6Les travaux exposés ici reposent sur l’étude de l’expérience d’accueil des télétravailleurs « Soho solo », menée dans le Gers. Ce dispositif de développement local a pour but de permettre l’installation d’actifs ayant fait le choix de télétravailler et de leurs familles. Un accompagnement technique est assuré par déploiement d’Internet et de télécentres. Un accompagnement relationnel est proposé sur le plan professionnel comme sur le plan familial (Sajous, 2011). L’ensemble est piloté par la chambre de commerce et d’industrie (CCI). Cette expérience offre une assise favorable à notre recherche car, lancée en 2001, c’est l’une des plus anciennes en France. Avec ses 300 installations, elle se situe au premier rang des actions de même type sur le territoire national (« Ariège Télétravail », « Beaujolais vert votre avenir », « Nomades 100 »). À ce titre, elle fait figure d’exemple au sein de collectivités. De nombreuses données sont accessibles en ligne. Enfin, elle se localise dans l’orbite de l’aire urbaine d’une métropole, Toulouse.
7L’habitat des télétravailleurs en zone rurale en France n’a pas encore été décrit contrairement au Royaume-Uni par exemple. Nous présentons ici un premier ensemble de résultats. Outre les éléments nouveaux, l’intérêt réside dans le fait de mener ces travaux dans une mise en perspective avec ce qui est connu en périurbain. En quoi ces télétravailleurs, à la culture urbaine marquée concernant leurs attentes en matière de cadre résidentiel par exemple, se distinguent-ils des périurbains ? Les modalités d’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) fondent-elles une différence entre eux ? Avec d’autres moyens et d’autres rythmes, leurs installations s’apparentent-elles à la poursuite de l’étalement urbain ou au retour à la campagne ?
8Nos recherches bibliographiques nous ont permis de constater qu’habitat et habitudes de vie des télétravailleurs n’ont pas fait l’objet en France de publications d’articles de fond. Nous débuterons donc par un cadrage bibliographique international. Dans ce contexte de thématique émergente, nous exposerons les méthodes d’enquête que nous avons privilégiées avant de présenter nos premiers résultats concernant l’habitat et la façon d’habiter des télétravailleurs en zone rurale.
9Les publications sur le télétravail ont été très nombreuses au début des années 2000 (Bergum, 2007). Nous voyons là un engouement pour le sujet en parallèle à la diffusion des TIC. Ces publications débutent systématiquement par la définition des durées, techniques, statuts juridiques et tâches qui paramètrent la forme de télétravail étudiée ; d’où la variété des productions en fonction des combinaisons de modalités retenues. Les publications de Diane G. Tremblay se distinguent en apportant une vision synthétique et globale du phénomène. Elles s’intéressent aux statistiques nationales sur plusieurs continents, aux formes dominantes. L’auteure avance les chiffres de 25 millions de télétravailleurs aux USA et 9 millions en Europe avec une forme principale de « télétravail mixte », sur quelques heures en gardant comme norme la présence dans l’entreprise. Elle liste les avantages portant, pour les personnes, sur un assouplissement dans la gestion des sphères privées et professionnelles, pour les entreprises, sur une moindre tension pour la gestion des ressources humaines et, pour les collectivités, sur de nouvelles options de politiques publiques. L’adaptation du marché du travail et des entreprises constituent les « défis » du télétravail (Tremblay, 2001, Tremblay, 2010).
10Ces débats sur la définition poussent les auteurs à faire état de tous les styles de télétravail, à compiler des données de diverses natures. Cela ne les conduit cependant que rarement à considérer la question spatiale : aucune mention, par exemple, dans l’article de Diane E. Bailey se donnant pour objectif de faire une rétrospective bibliographique sur le sujet (Bailey, 2002). Des informations méthodologiques permettent de déduire que l’espace urbain est le cadre général des études. Pourtant, deux exceptions notables démontrent la pertinence de l’entrée spatiale en caractérisant le télétravail rural. Bruno Moriset développe depuis de nombreuses années une réflexion sur l’introduction du télétravail via les télécentres et l’impact de ces derniers sur une géographie économique rurale (Moriset, 2004, Moriset, 2012). L’ouvrage de Michael A. Clark sera ici l’ouvrage de référence. Il apparaît comme le plus complet sur la question de l’habitat du télétravailleur en zone rurale. En effet, il propose une analyse regroupant motivations, situations et stratégies des télétravailleurs, des acteurs institutionnels et des entreprises dans deux profils ruraux différents en fonction de l’exposition aux influences métropolitaines, fortes en Angleterre et faibles au Pays de Galles. (Clark, 2000). B. Moriset et Michael A. Clark se rejoignent en concluant que les télécentres ne sont pas le pivot d’une politique réussie de développement du télétravail rural. De par ses choix d’étude, Michael A. Clark va plus loin et précise l’aire de clientèle, de taille régionale avec une diversification plus importante en Pays de Galles où la concentration des donneurs d’ordre est moindre. Par ailleurs, il isole au niveau des individus deux principes. D’une part, le but est moins de travailler à la maison que de travailler pour soi. D’autre part, il invite à ne pas sous-estimer la volonté personnelle dans les choix de carrière professionnelle et de lieu de résidence.
11Au-delà de la question de la définition, la figure du télétravailleur est également campée : motivations, profil de la population, bilan de la reconfiguration de la mobilité quotidienne. Nous les considérons comme des indicateurs de l’habitat et façon d’habiter.
12Les motivations sont à chercher ailleurs que dans l’innovation technique. Cette dernière ne reste qu’un moyen pour réaliser des tâches professionnelles et de pérenniser ainsi, l’activité (Clark, 2000). De même, le choix pragmatique de faire moins de trajets est une raison parmi d’autres (Tremblay, 2001). La biographie, les obligations et aspirations personnelles sont un creuset plus fondamental (Mokhtarian, 2004). Michael A. Clark dégage six situations de passage à l’acte chez les 52 télétravailleurs qu’il interroge. Le profil le plus fréquent, 18 télétravailleurs, concerne des personnes qui voulaient changer leur style de vie professionnelle. Elles ont volontairement quitté un emploi jugé routinier, effectué dans une ambiance d’où se dégageaient contrainte et soumission. Dans 10 cas, le télétravail permet une meilleure flexibilité spatiale et temporelle pour accomplir tâches familiales et professionnelles. Les autres motivations peuvent paraître moins représentées en ne concernant qu’entre 3 et 7 cas. Elles tiennent compte de parcours biographiques différents (licenciements prévisible ou acté, expériences urbaines non satisfaisantes) mais se rejoignent toutes autour de la volonté exprimées par ces 24 individus de revenir vivre dans l’espace rural ou de s’y maintenir. La décision se prend au regard d’un environnement institutionnel et/ou professionnel. Les cas de télétravail par défaut et sans accompagnement relationnel de la part des acteurs institutionnels et/ou entrepreneuriaux sont marginaux.
13Plusieurs caractéristiques fondent, à l’international, le profil du télétravailleur. En premier lieu, la majorité d’entre eux vit en couple et sans enfant à charge. Ce sont pourtant des personnes qui sont en majorité en milieu de vie. Des âges entre 35 et 45 ans sont évoqués comme propices pour passer au télétravail (Tremblay, 2001 ; Bailey, 2002 ; Clark, 2000 ; Waliullah, 2012). Les diplômés sont majoritaires (Tremblay, 2001 ; Bailey, 2002). Ils choisissent le télétravail après avoir acquis une expérience préalable lorsqu’il est à temps complet et en indépendant. Ils peuvent alors être considérés comme des experts, terme qui révèle à la fois la teneur des missions, la reconnaissance de leurs capacités mais également, le rôle de sous-traitant, la courte durée des interventions et l’anxiété de ne pas remplir le carnet de commandes. Les revenus sont plutôt déclarés en baisse par rapport à la situation professionnelle antérieure.
14Pour conclure cette synthèse bibliographique, nous remarquons que nous sommes face à un champ d’investigation naissant, en phase de recensement des télétravails.
15Nos orientations méthodologiques prennent acte de ce contexte où beaucoup reste à construire concernant la question du télétravail dans l’espace rural. Nous avons élaboré une trame exploratoire. C’est pourquoi nous avons procédé par entretien qualitatif auprès de personnes dont les profils caractérisent les diverses dimensions de l’action gersoise. Les éléments dont nous disposons ont été collectés en 2011 et 2012 à partir de plusieurs séries d’entretiens.
16Vingt entretiens ont été menés sur janvier et février 2011 auprès d’acteurs du dispositif gersois, de télétravailleurs mais également pour observer des dispositifs similaires dans d’autres régions françaises. Cette première phase visait à comprendre le montage de « Soho solo », son environnement régional comme national. La collecte des données a avant tout porté sur les stratégies territoriales, les actions, les pratiques des porteurs du projet consulaire, des comités d’accueil (CA) dans les villages, des télécentres et des télétravailleurs. Chaque guide d’entretien était construit en ce sens.
17Pour camper le contexte national et ainsi cerner la place de l’action gersoise, nous nous sommes entretenues avec la porteuse de projet Beaujolais Vert. Nous avons suivi les travaux du collectif ville-campagne en participant aux séminaires, journées en région, colloque. Nous avons analysé le contenu de sites Internet d’actions de développement local du même type en Ariège, Orne, Manche. En 2012, une seconde phase visait à compléter les premières données recueillies auprès de 13 autres télétravailleurs.
18Par ailleurs, nous nous sommes appuyés sur des témoignages postés sur Internet, sur les sites des actions locales, des blogs, des reportages télévisés. Bien que ces derniers soient pour la plupart favorables, voire très favorables, à ce mode de vie, cela n’est en soi pas une limite à leur intégration à notre matériel de recherche car nous y trouvons, et c’est cela qui nous intéresse, des indications sur les parcours résidentiels.
19D’une action locale à l’autre, nous retrouvons le même profil de population. Les sources (annuaires, entretiens avec les chargés de projets) convergent sur ce point. Ce sont autant d’hommes que de femmes, pour les cas de « Soho solo » et du « Beaujolais vert », entre 35 et 50 ans, appartenant aux catégories socio-professionnelles supérieures, ayant une expérience professionnelle préalable.
20Cette population s’installe dans le rural à un stade de sa vie où il est commun de dire qu’elle cumule santé, capital intellectuel et capacités matérielles. Cette accumulation place la population dans le moment de vie le plus favorable, une configuration optimale, du point de vue des localisations géographiques auxquelles elle peut prétendre. L’hypothèse d’une mobilité résidentielle par défaut, sans être écartée, semble expliquer une minorité de cas. Sur les 17 télétravailleurs, deux personnes déclarent avoir été intéressées par l’action « Soho solo » dans une situation de recherche d’emploi suite à un licenciement et une fin de contrat. C. Vignal, sociologue à l’université de Lille 1, indique par ailleurs que la perte de l’emploi étant déjà fortement déstabilisante, ce n’est pas dans ce contexte que la mobilité résidentielle est envisagée de façon préférentielle (Vignal, 2006). Dans les deux cas où la rupture a été provoquée par l’emploi, les « racines », même géographiquement vagues, « du sud », sont alors réactivées.
21Suite à nos analyses, si la géographie du télétravail en zone rurale paraît sensible à la question des zones de montagne, elle ne semble pas corrélée à des degrés de ruralité qui pourraient la freiner.
22En effet, l’Agence régionale de développement des territoires d’Auvergne (ARDTA) chargée de développer le télétravail a fait état, lors d’une réunion de partage d’expériences avec les porteurs du projet gersois, d’une difficulté d’attractivité des zones de moyenne montagne en avançant précisément le chiffre de 600 m d’altitude comme barrière : « car au-dessus cela semblait être de la haute montagne pour ces nouveaux arrivants » (Bilowus, entretien 02/03/2012). Au-delà de la formulation totalement déterministe, nous retiendrons que ce sont les représentations générales de la montagne, des paysages et de l’accessibilité, qui sont ici en question. Cela ne déroge pas au mouvement général observé entre 1999 et 2006, concernant l’élargissement des zones d’accueil par migration de toutes les nouvelles populations, mouvement cartographié par J. Laganier et D. Vienne. En creux, pour le sud du pays, cet élargissement vient buter contre les massifs montagneux des Pyrénées, des Alpes et du Massif Central (Laganier, Vienne, 2009).
23En revanche, d’après les observations faites dans le Gers, le rural hors influence urbaine entre dans ces possibles localisations géographiques. Cela permet d’acter que toutes les ruralités sont concernées par le phénomène sans pouvoir cependant distinguer des degrés intermédiaires éventuels d’attractivité.
24Ce département, immédiatement contiguë, à l’ouest, à l’aire urbaine toulousaine a pour caractéristique de se trouver pour moitié sous influence urbaine. La limite suit grossièrement la nationale 21 et passe par Auch. Le reste du département est dit hors influence (Frenot, 2009). Cela se traduit par l’existence dans l’extrême est du département de communes appartenant à la couronne périurbaine de Toulouse et de quelques communes multipolarisées le long de la route nationale 124 entre Auch et Toulouse (Brutel, Lévy, 2011). Cette configuration permet de mesurer l’attractivité de ces deux catégories spatiales pour les télétravailleurs.
25Il faut enfin préciser les conditions d’accès, très moyennes, entre Toulouse et Auch. Ces villes sont distantes de 78 km, la route nationale 124 est dans le département du Gers en majorité à une voie pour chaque sens. Sur 34 kilomètres entre Toulouse et l’Isle-Jourdain, commune limitrophe entre les deux départements, elle a été passée dernièrement à deux voies dans chaque sens et portée à la vitesse maximale de circulation de 110 km/h. Le reste de l’aménagement n’est pas envisagé avant 2018. L’infrastructure ferroviaire a fait l’objet d’un réaménagement sur sa partie haute-garonnaise lui donnant les caractéristiques d’une desserte urbaine par le nombre de gares desservies et la fréquence. Le temps de parcours jusqu’à Auch est d’une heure 30 minutes en moyenne avec un départ toutes les heures en période de pointe le matin et le soir.
26Nous avons construit une carte schématique (fig. 1) découpant le département en cinq secteurs. Quatre correspondent aux cantons situés dans les quatre secteurs délimités par le croisement des deux nationales, principaux axes routiers du département. Nous obtenons ainsi la visualisation recherchée opposant est et ouest mais dans chaque cas, avec une information affinée, pour connaître les comportements au nord et au sud. Le cinquième secteur correspond aux cantons couvrant Auch afin d’isoler l’influence possible de ce pôle urbain.
27Concernant le choix du lieu de résidence, la CCI, tout en étudiant la faisabilité du projet professionnel, propose des outils de connaissance du territoire. Une carte interactive sur le portail Internet de l’action locale permet une première immersion dans l’espace gersois ainsi qu’un système de mise en contact avec les « villages d’accueil » ayant un CA.
28Selon la figure 1, la localisation des télétravailleurs ne se surimpose pas à la logique bipartite scindant le rural, même si on discerne un léger avantage des localisations à l’est. De plus, la carte témoigne d’une localisation préférentielle pour le nord du département par rapport au sud. Les constatations faites par les porteurs du projet les amènent à expliquer cette situation par la présence dans le nord du département d’un parc immobilier résidentiel avec une architecture traditionnelle à laquelle ne sont pas insensibles les personnes s’installant. Nous ne sommes plus ici dans le « rêve pavillonnaire » (Pinson, 1992) mais plus vraisemblablement dans le rêve de la vieille ferme.
29Il faut également tenir compte du statut juridique de travailleur indépendant pour environ 90 % des télétravailleurs. La localisation prend alors en compte celle de leurs clients, peu sur le département mais sur les régions Midi-Pyrénées et Aquitaine, à l’échelle nationale voire internationale. Le logement faisant office de siège de l’entreprise, la stratégie résidentielle intègre dès lors l’accessibilité aux clients par route ou par train avant tout. Mme N., installée depuis 1994, décrit son cas : « Ma zone d’activité est principalement régionale, 70 % de mon travail est sédentaire (grâce aux outils de communication), 30 % en déplacements ciblés et programmés. Les déplacements hors proximité se font en train ou avion ». Le Gers ne compte ni aéroport ni réseaux autoroutiers et TGV. En revanche, à quelques kilomètres de ses limites administratives, il est bordé de toutes parts par ces derniers le long desquels s’égrainent des gares TGV, des entrées/sorties d’autoroutes et les aéroports de Bordeaux et Toulouse. Ainsi, compte tenu des localisations variables des clientèles, un point d’entrée spécifique sur les réseaux n’est pas privilégié. M. O., ayant sa clientèle en Aquitaine a préféré l’ouest du département. M. Stouck, télésalarié depuis 2006 d’un groupe américain basé dans les Hauts-de-Seine, installé à Montréal du Gers, au nord-ouest du département, explique que « la « proximité » de la gare d’Agen a rendu possible le télétravail » (Stouck, www.soho-solo-gers.com). Plusieurs entrées d’autoroutes et gares TGV sont éligibles, le temps d’accès pour les rejoindre étant contrebalancé par la périodicité des déplacements.
30Paradoxalement, le télétravail loué pour générer une moindre mobilité produit une géographie résidentielle gersoise assez dépendante de celle des grandes infrastructures de transport. De nouvelles modalités de recours à ces dernières apparaissent mais l’accessibilité reste une donnée importante ; ce qui pourrait conforter l’explication de l’éviction des zones de montagne. Un nœud du réseau, Toulouse par exemple, n’est pas forcément privilégié. Cela est le fruit des localisations des donneurs d’ordres.
Domiciliation des télétravailleurs
3120 % des « Soho solos » sont gersois et ont pu ainsi rester travailler dans le Gers. Nos propos ne couvrent pas cette situation. Nous abordons ici le cas des 80 % restants dont environ 15 % viennent d’un pays d’Europe du Nord.
32Les 17 télétravailleurs gersois enquêtés, comptant 10 femmes et 7 hommes, sont installés en moyenne depuis sept ans et se répartissent dans tout le département.
33Comment se construisent les arbitrages géographiques au sein de ces foyers télétravailleurs ?
34Les résultats développés ci-après montrent qu’un premier champ explicatif trouve son origine dans l’expérience résidentielle. Le déménagement est alors un moment de réétalonnage. L’analyse qui suit, apporte de nouveaux éclairages sur les ressorts de ce réétalonnage dans le cas du télétravail à temps complet dans l’espace rural.
35Déménager vers l’espace rural est à analyser au regard du parcours résidentiel préalable. Les personnes prennent appui sur ce qu’elles ont vécu antérieurement pour justifier ce choix. Deux moments spécifiques sont mentionnés.
36En premier lieu, trois personnes font référence au temps de l’origine, là où a débuté le parcours résidentiel : « originaire du Sud », « originaire du Gers ». Mais de façon majoritaire, cette mise en perspective du déménagement vers l’espace rural s’effectue par rapport à la situation immédiatement antérieure. Avec une provenance urbaine la plupart du temps, le choix du déménagement se fait en réaction et en rupture avec cette dernière. Ils habitaient les aires urbaines de Paris, Poitiers, Annecy, Lille, Toulouse, Brignoles, Cavaillon et Londres. Nos répondants semblent avoir atteint un seuil d’acceptabilité. Ils souhaitent mettre fin à la privation qu’ils estiment subir d’un ou plusieurs éléments tenant à l’environnement tant naturel qu’humain : « le calme », « le climat », « le paysage », « la chaleur humaine », « la mentalité », « les origines ». Le rural est clairement ciblé comme l’espace permettant de retrouver le lien à un ou plusieurs de ces éléments. Le rural du Sud-Ouest de la France en général et le Gers, en particulier grâce à son aide à l’installation, sont identifiés comme des destinations privilégiées pour cela » : « C’est par amour de la campagne, du calme, et dans le Sud-Ouest pour le climat et pour l’accueil » (M. B.), M. H. parle d’« attrait pour le Sud-Ouest : le terroir, les paysages, la qualité de vie, l’art de vivre ». Ce ne sont pas nécessairement les conditions de vie dans la situation immédiatement précédente qui portent l’entière responsabilité du choix de changement mais elle apparaît comme le dernier niveau d’un processus d’accumulation de concessions, de frustrations ressenties sur les lieux de vie précédents : « Annecy n’est pas ma région d’origine. Je suis originaire du sud de la France. Je trouvais que les personnes étaient froides. Je n’étais pas bien dans l’Est. Je n’avais pas de boulot. J’ai découvert le Gers avec l’émission “Carnet de campagne” » (Mme A.). Ce mode opératoire et ses justifications ne relèvent pas d’une spécificité particulière à la situation que nous étudions. Il ne diffère pas des parcours résidentiels rencontrés dans le périurbain et des justificatifs personnels avancés.
37Cependant dans le cas présent, nos répondants incluent le périurbain dans le monde urbain et ne le perçoivent pas comme un espace éligible. La mesure de ce qu’est le périurbain n’est pas à aligner sur un quelconque indicateur statistique. Elle est personnelle. C’est, pour certains, un espace qui ne répond pas aux caractéristiques de logement recherché. Au-delà de la recherche d’un logement individuel, en accès à la propriété et spacieux, la dimension architecturale fait l’objet d’une considération particulière. Elle peut être assortie d’une recherche d’achat de terres – au-delà de ce qu’on peut faire dans un jardin de pavillon – pour se projeter dans des activités terriennes. L’élevage de chevaux est un souhait assez récurrent chez les candidats à l’installation et exceptionnellement, la reprise d’activité agricole pour celui qui ne télétravaille pas. C’est le cas pour la commune de Beaumarchès qui a gagné une télétravailleuse et un éleveur d’ovins en accueillant le couple G. Lors d’entretiens auprès de responsables de CA, ces derniers s’étaient faits l’écho, à Lombez par exemple, de la difficulté de couvrir toutes les demandes d’installation. En effet, les CA font découvrir le fonctionnement du territoire communal, ses aménités mais se chargent de proposer des biens immobiliers en fonction des critères demandés. Le bâti ancien, sous formes de ferme, grange, maisons de style des bastides, est très recherché. Cette importance de la dimension architecturale s’exprime également dans la méprise du village de Beaumarchès dont l’équipe municipale avait pensé que le fait de devenir village d’accueil permettrait de remplir un lotissement récemment réalisé dans le centre-bourg. C’est une surprise teintée d’étonnement que de voir ces candidats cherchant à s’installer dans de vieilles fermes dans les différents « quartiers », des hameaux, du village (M. le Maire, entretien janvier 2011).
38Si le projet se construit en contre-point à l’installation précédente, il intègre également pour choisir la résidence un savant dosage entre une culture urbaine, dont l’abandon n’est pas envisagé, et des prestations rurales. Poursuivons l’analyse de la construction du compromis territorial pour cette population. Le choix du lieu de résidence semble relever d’un travail artisanal entre inventivité et maîtrise des procédures.
39L’inventivité va tout d’abord se matérialiser dans la capacité à trouver le lieu paraissant adéquat pour faire interface entre l’offre territoriale et les critères personnels. Pour 10 télétravailleurs, choisir une commune, c’est avant tout trouver un logement ou un terrain constructible répondant aux critères personnels. Ces critères personnels rassemblent les capacités financières, les goûts architecturaux, un scenario relatif à la façon d’habiter établi par anticipation en fonction des activités, réelles ou souhaitées, des membres du foyer. C’est donc à cet ensemble de critères qu’il faut trouver une spatialisation. « La commune d’installation a surtout été déterminée par la proximité avec les racines familiales. Ensuite sont venus les moyens de communication avec les écoles, le lycée en l’occurrence » explique M. E. Le choix du lieu de résidence apparaît chez nos enquêtés comme l’aboutissement d’une réflexion cherchant à trouver un point optimal de localisation en fonction des critères personnels. La localisation prend dès lors l’image d’un nœud, pertinent aux yeux du ménage car permettant d’être connecté aux réseaux personnel, commercial et économique (Fishmann, 1990).
40La seconde caractéristique de l’inventivité fait écho aux travaux de Scardigli qui a démontré qu’une technique n’est jamais seulement appropriée pour les avantages immédiats qu’elle procure, mais car elle fait sens dans les histoires personnelles et familiales des utilisateurs (Scardigli, 1992). Dès lors, quel sens est donné au télétravail à temps plein dans le Gers par ces personnes ?
41Reprenant un positionnement classique des recherches sur le télétravail (Tremblay, 2010), nous avons demandé si le principal avantage de ce dernier résidait dans le fait de « ne plus avoir à effectuer de déplacement journalier vers le lieu de travail ou de pouvoir programmer plus librement les plages de travail dans le jour, le mois, l’année ». Les réponses se portent plutôt sur la seconde modalité. La mobilité résidentielle est moins perçue comme la révision d’un poste important de mobilité quotidienne que comme le fait « d’adapter le travail à mon mode de vie », pour citer un télétravailleur connu (de Mazenod, fondateur du site Zevillage.com). Nos répondants confirment : « on gère les heures comme on veut » (M. D.), « si je veux travailler à 4 heures du matin parce que j’ai une insomnie, je peux » (Mme A.). Hors contexte, je reconnais à la relecture que cette citation n’est pas opérante. Mais durant l’échange, il était entendu pour notre interlocuteur que vivre ses passions ne se cantonnerait pas au week-end ou au soir après le travail. L’adaptation saisie par ces propos, en particulier ceux sur le travail de nuit, porte sur les programmations journalière ou hebdomadaire des activités. Entre obligations professionnelles et centres d’intérêt personnels, les télétravailleurs s’affranchissent, pour les premières, du fait de les effectuer dans les temps sociaux classiques.
42Il ne faut cependant pas tomber dans l’angélisme car les télétravailleurs sont souvent des travailleurs indépendants. Cela amène à multiplier les heures de travail le soir ou sur les week-ends ; bref, selon une expression plusieurs fois entendue, ils peuvent « avoir du mal à décrocher ». Compte tenu d’une ancienneté moyenne de 9,2 ans pour les télétravailleurs ayant choisi la seconde modalité de réponse, nous ne sommes pas face à un rêve de télétravailleurs récents. Cette volonté de programmation plus libre du travail a pris corps à long terme dans des quotidiens individuels.
43La maîtrise s’incarne quant à elle dans l’évaluation de la faisabilité de l’installation. Cela revient à rassembler des indicateurs prouvant que le scenario d’installation monté à partir des critères personnels peut s’inscrire dans le territoire. Ces indicateurs prennent différentes formes.
44L’accompagnement offert lors de l’élaboration du projet professionnel en est un. Les acteurs territoriaux ont compris l’enjeu. Ce sont des arbitrages territoriaux qui se décentrent de l’urbain, des résidences principales et des emplois qui les rejoignent. Ils veulent peser sur la faisabilité. C’est pourquoi on peut estimer que l’Ariège, le Gers ou le Beaujolais vert se sont dotés d’un arsenal visant à amoindrir le risque à l’installation. Cet arsenal se fonde sur deux principes dans le Gers : l’accompagnement sans limite dans le temps et des antennes territoriales comme les télécentres et les CA. Les télétravailleurs le ressentent ainsi : « Quand on lit çà [informations sur le site Internet Soho-solo], on se dit : je ne suis pas le seul dingue à vouloir faire ça, et ça, c’est super important. Et là, on découvre, qu’à l’arrivée, des gens font des choses pour que ce soit possible et montrent que d’autres l’ont fait aussi. Du coup, c’est très rassurant. » (Vanderstraete, Demain TV, 2008).
45Mesurer l’adéquation entre couverture Internet du territoire et besoins professionnels personnels est un autre indicateur. Dans le Gers, la couverture réalisée en Adsl compte encore des zones de bas débits. Pour autant, cela ne se révèle pas un frein à l’installation de professionnels des secteurs de l’informatique ou du design. G. Vanderstraeten, informaticien créant des sites très spécifiques « avec beaucoup de programmation et peu de graphisme » en témoigne. Il lui a fallu chercher des secteurs répondant à ses exigences de connexion. Pour tous les télétravailleurs enquêtés, Internet est nécessaire. Quant au débit, ils n’y portent pas tous la même attention qui est fonction de critères personnels et professionnels façonnant le projet d’habiter : « Ce n’est pas la qualité de couverture Internet qui nous a motivés puisque nous n’avons accès qu’au bas débit » (Mme I.).
46Enfin, les indicateurs de faisabilité se traduisent par des « tests » préalables du territoire durant l’enfance et plus systématiquement durant les vacances. Le cas de Louise Gibbons, d’origine galloise, l’illustre : « Quand on a décidé de venir dans le Gers, c’était un choix de vie très clairement. On connaissait déjà un peu parce qu’on avait été à Vic Fezansac, la feria aussi, le festival de salsa… donc des occasions, des week-ends qui nous ont donné un peu le goût. On avait fait des amis à travers ça. » (Gibbons, Demain TV, 2008).
47Il faut à ce stade insister sur le fait que le télétravail et l’usage d’Internet à des fins professionnelles restent un moyen de réaliser un habitat et un mode d’habiter faisant écho à des imaginaires personnels. Le désir de changement est antérieur et non révélé au moment de la prise de connaissance de l’action locale. Comme l’exprime ce père de famille en cours d’installation, partir télétravailler dans le Gers, c’est offrir des perspectives à ses enfants qui ne se dégagent pas à Paris (JT 13h France 2, 2010). L’action locale, déclinée en divers dispositifs selon les territoires, demeure un moyen de réalisation. C’est alors une rencontre entre des propositions territoriales, d’une part, et des obligations, des représentations mentales personnelles, d’autre part. Ni les acteurs territoriaux ni les individus ne détiennent seuls les clés du succès.
48Maîtriser son installation ne semble pas possible dans toutes les configurations familiales et professionnelles. Le projet d’installation peut être alors abandonné.
49En premier lieu, pour les couples, le choix doit être partagé. Le télétravail n’est pas présenté par nos répondants comme un compromis pour ne pas entraver la poursuite de carrière du conjoint ou de la conjointe ou bien soulager des contraintes familiales quotidiennes. Ce registre n’est pas évoqué, en particulier par les 10 femmes de l’enquête, contrairement à d’autres études (Ortar, 2009). C’est un choix assumé en couple qui demande dans les faits des adaptations aux deux : l’un passe au télétravail et l’autre revoit son statut professionnel. Un télétravailleur explique par diverses raisons son installation dans le Gers. Après l’attrait du Sud-Ouest, il fait mention de « l’envie de monter des chambres d’hôtes pour mon épouse, puis vient le besoin d’espace et enfin, le peu d’attachement à Paris » (M. H.) où ils étaient installés précédemment. On retrouve dans un autre témoignage la construction d’un projet de changement de vie en couple. L’arbitrage en faveur du télétravail a vu le jour car, ainsi, Mme G. restait associée dans une entreprise londonienne tout en permettant à monsieur d’avoir une exploitation agricole.
50Par ailleurs, dépasser la difficulté de l’arbitrage professionnel, semble également tenir en grande partie au fait que le choix du télétravail, selon les modalités gersoises, n’intervient pas à n’importe quel moment de la vie professionnelle. Il est toujours précédé par une ou plusieurs expériences. Compétences, savoir-faire voire clientèle sont acquis.
51Enfin, ce choix n’est pas porté par des familles avec de jeunes enfants. Cela coïncide, pour les ménages ayant des enfants, avec la phase de départ de ces derniers. Ce profil, repéré par les porteurs du projet gersois car il constitue un bon potentiel d’installation, se retrouve dans notre échantillon et dans la littérature internationale. Huit répondants ne déclarent pas d’enfants. Quatre ménages ont de jeunes enfants. Trois ménages ont des enfants ayant entre 16 et 22 ans et deux ménages déclarent ne plus avoir d’enfants à charge dont une grand-mère, aujourd’hui, célibataire.
52Nous nous trouvons face à une population qui souhaite se mettre à bonne distance géographique de la ville. Cette distance n’est pas forcément kilométrique mais tient aux éléments du paysage. Pour autant, le lieu choisi doit permettre de faire correspondre un espace rural avec une culture urbaine. Il n’est pas question de se mettre à distance sociale de l’univers urbain. Ainsi, une géographie spécifique se fait jour. Par ailleurs, approcher la mobilité résidentielle en deux temps, celui du départ et de l’arrivée, permet de spécifier motivations et profils des télétravailleurs par rapport au mouvement périurbain.
53Ainsi, les télétravailleurs enquêtés rapportent des vécus les ayant amenés à se positionner aux franges ou en dehors des aires urbaines avec une priorité autre que celle de construire, entre environ 35 et 55 ans, un cycle de vie porté par la fondation d’une famille, l’éducation des enfants. Le déménagement exprime une volonté de réaliser un idéal de vie axé sur un changement du mode de vie en général, plutôt qu’uniquement professionnelle. Un protocole, qui n’est pas sans rappeler celui employé pour s’installer en périurbain, est alors appliqué. Dans les deux cas, le choix de la commune se révèle être un compromis, le choix d’un nœud comme décrit dans le chapitre IV-2. La différence porte sur le modus operandi au quotidien concernant la mobilité professionnelle et la gestion sphère professionnelle/sphère privée. Enfin, cela s’opère dans des territoires, parties prenantes du phénomène.
54La mise en perspectives de ces observations avec la manière classique de traiter des rapports ville/campagne ouvre, à notre sens, un débat. On peut se demander ce que nous donnent à voir les télétravailleurs ? Nous mettent-ils face à une logique périurbaine poussée à l’extrême, en quelque sorte un finisterre périurbain ?
55Certains éléments ici réunis portent à le croire. Si le retour vers la nature est souhaité, il n’est en aucun cas question de remettre en cause un mode de vie qui reste profondément urbain dans ses fondements. Concernant le parcours résidentiel, cette localisation est une étape, produit d’une biographie et qui pourrait être remise en cause. Ayant testé le télétravail, M. V. se dit qu’il pourrait très bien partir vivre en camping-car et travailler de « n’importe quel endroit », d’autant plus que « la retraite sera tardive ». Une vision dynamique de la mobilité résidentielle reste active. Par ailleurs, nous sommes face à la transposition et non pas la reconversion pour d’autres savoir-faire professionnels en lien avec le lieu d’installation. M. K. s’exprime en ce sens : « J’avais envie d’une vie à la campagne. Après avoir acquis une maison il y a quatre ans, nous avons sauté le pas et fin 2011 j’ai transféré mon activité sur le Gers ». Enfin, les réseaux et équipements attendus pour choisir la nouvelle localisation en témoignent. La distance aux réseaux commerciaux est évoquée. La proximité du petit commerce est rassurante (M. V.). Si M. K. explique sa relocalisation dans le rural par sa « passion » pour « la nature et le jardinage », le choix de la commune d’Aux-Aussat, à 12 km de Marciac, tient au fait qu’il est « passionné de musique et particulièrement de jazz ». Musique éminemment urbaine, elle est ici présente dans une configuration exceptionnelle avec un festival de renommée internationale accueillant les plus grands musiciens du genre et se tenant dans une bourgade de 1 200 habitants environ à l’année. Dans un premier temps, son goût pour le festival l’avait attiré : « j’ai connu la région à travers le festival ». Dans le même ordre d’idée, M. V. et Mme M. notent la pertinence de se localiser dans le rural gersois pour « favoriser les rencontres internationales » (Mme M.) ; ce que l’on attend plutôt de l’espace urbain. Comme Pinson a pu le dire pour le périurbain, le télétravailleur rural « reste un homme de la ville ». Il en tire son emploi et sa culture (Pinson, 2006). L’usage des TIC pour effectuer tout ou partie de son travail améliore la transparence de l’espace, plus facile à traverser. De là, il permet de s’éloigner un peu plus des centres urbains en diminuant la contrainte de la distance géographique. Ce point est confirmé par la localisation hors département des clientèles. Les télétravailleurs ruraux ne sont qu’une partie d’un mouvement plus général de réinterrogation du lien domicile-travail via l’emploi des TIC. Nous les considérons comme des pionniers, qui ont eu assez confiance en eux, qui ont perçu les circonstances favorables pour sauter le pas et être parmi les premiers à tenter ce qui peut apparaître comme un pari : déménager en zone rurale et gérer tout ou partie de son activité professionnelle depuis son domicile grâce à un support informatisé et connecté.
56Certains éléments vont à l’encontre de cette première lecture. Le recours au télétravail tel que nous l’avons approché semble permettre de sortir de l’arbitrage géographique qui a prévalu jusqu’à présent dans le périurbain : une installation résidentielle à l’interface d’espaces jugés par les individus trop urbains d’un côté et trop ruraux de l’autre, une installation résidentielle se voulant un compromis entre sphère familiale que l’on veut inscrire dans l’espace naturel et la sphère professionnelle demeurant dans l’espace urbain. Certains télétravailleurs viennent du périurbain et n’étaient pas satisfaits. Ils appartiennent au mouvement des 18 habitants sur 10 000 qui, par an entre les recensements 1999 et 2006, ont quitté les couronnes périurbaines pour l’espace rural (Roullier, 2011). Dans le cas de M. K., Verrières-le-Buisson, sans être dans la couronne périurbaine francilienne à proprement parler, est une commune pavillonnaire très végétalisée du fait notamment, de la présence d’une forêt domaniale sur son territoire. Rappelons que le projet éducatif n’est pas central ; ce qui démarque cette démarche de celle de l’installation en périurbain. Le rêve de la vieille ferme évoqué en première partie en est un autre élément distinctif. Même si leur mode de vie reste fortement connecté à la ville, ces ménages télétravailleurs participent à la renaissance des espaces ruraux et l’assument. La reprise d’une exploitation agricole par M. G. est sans doute le cas le plus emblématique. Il ne faut pas négliger la part de « rural » que ces personnes mettent dans le projet de vie associé à leur installation : jardinage pour M. K., engagement dans le CA qui l’a aidé à s’installer pour Mme T., participation aux repas à thèmes du cybercafé du village pour M. V. Environnement, relations humaines, modulation du rythme urbain sont des champs par lesquels cette sensibilité rurale paraît s’exprimer. On retrouve l’un des quatre profils établis par Yannick Sancébé à propos des habitants du rural, celui pour lesquels « l’ancrage est un choix ». La localisation est le produit d’un choix mûri au long d’un parcours social et géographique gratifiant (Sancébé, 2011). M. K. a décrit son choix mais reconnaît qu’il a pris un risque – « maintenant il faut que mon activité démarre sérieusement » – pour réinstaller son activité professionnelle afin de pouvoir investir ses passions, « et le bonheur sera parfait ! ».
57On considère souvent que la ville s’enfonce toujours plus dans le rural. Le Gers serait alors dans une configuration intéressante, au marge de l’agglomération toulousaine, pour nous donner à voir les premiers exemples des confins périurbains. Pourtant, le discours de M. K., M. V. ou M. et Mme G. reflète le compromis en alimentant, par certains choix, la poursuite du périurbain comme en émargeant par ailleurs, à la sensibilité d’une spécificité rurale. Cet angle d’observation d’une nouvelle forme de compromis spatial nous semble un voie intéressante pour poursuivre l’analyse.
58L’équipement des territoires en infrastructure TIC d’une part, le contexte social d’autre part, amènent à s’intéresser à cette nouvelle situation d’habitat liés au télétravail en zone rurale.
59Nous nous sommes appuyés sur une bibliographie internationale et une enquête concernant les mobilités résidentielles. Nous avons évoqué l’existence de différentes actions locales mais nous avons privilégié l’analyse de l’action gersoise, plus ancienne et plus importante en nombre d’installations.
60Une population au profil socio-éco-démographique assez précis semble sensible à la mobilité résidentielle en zone rurale s’appuyant sur le télétravail.
61Le dynamisme actuel des acteurs en zone rurale pour monter des actions en faveur de l’accueil de nouvelles populations, basées ou non sur le télétravail, nous rappelle que la frange urbaine est, pour d’autres, une frange rurale. Nous nous sommes habitués à l’idée que la première grignote inéluctablement la seconde : cartographie du zonage en aires urbaines, artificialisation des sols, renchérissement du coût du foncier. Ce sont des maux à panser qui semble permettre au rural de se penser et de s’organiser.
Nous tenons ici à remercier F. Cazalas et R. Bilowus de la CCI du Gers, pour leur disponibilité ainsi que toutes les personnes rencontrées.
Nous remercions également les relecteurs de ce texte dont les remarques ont été très stimulantes.