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L’écologisation des normes et des pratiques professionnelles dans le travail sur et/ou avec autrui

Date limite d’envoi des propositions d’article : 31 mars 2024

Responsables du Dossier

Perrine Devleeshouver (université de Corse, France), Murile Sacco (ULB, Belgique), Olovia Vieujean (Ehess, France) et Pierre Bataille (Université de Grenoble-Alpes, France)

Appel à contributions

Dans le contexte actuel de crise environnementale (IPPC, 2022), les injustices sociales, migratoires et environnementales se superposent à l’échelle mondiale (Thésée & Carr, 2008). Les alertes des scientifiques sur la nécessité de modifier en profondeur notre rapport au monde se font de plus en plus nombreuses (Latour, 2015 ; Tassin, 2020). Les questionnements liés aux relations entre inégalités sociales et environnementales font l’objet d’un intérêt grandissant dans les débats et les agendas politiques et médiatiques (Deldrève et al., 2019). Les sociétés contemporaines sont marquées par une écologisation de la pensée posant l’environnement comme une problématique centrale (Kalaora, 2001) dans les préoccupations citoyennes et gouvernementales. Cette prise en compte des questions environnementales au sens large concerne tant les politiques publiques que les organisations ou les pratiques professionnelles (Mormont, 2013) et individuelles. Elle implique « un recadrage cognitif et normatif », c’est-à-dire « un changement dans la manière de penser et de juger une conduite sociale visant à une inflexion écologique plus ou moins forte des normes (légales ou implicites) et pratiques sociales » (Ginelli, 2017, p. 23). Ainsi, l’écologisation est devenue une priorité transversale de l’action publique qui se diffuse dans tous ses secteurs à travers des normes, tant incitatives que contraignantes, au sein de la sphère publique comme dans les milieux entrepreneuriaux et associatifs. Elle tire également ses racines dans les croyances et engagements pour la transition écologique des personnes qui souhaitent œuvrer personnellement (Hajek, 2020 et 2021) ou collectivement à partir de leur ancrage professionnel ou quotidien. L’écologisation prend donc des formes qui varient selon le contexte social, professionnel et institutionnel dans lequel elle s’inscrit (Arpin et al., 2015) et des priorités et codes qui caractérisent ces contextes. Bien qu’elle renvoie le plus souvent à un consensus de principe, flou dans son contenu et laissant la place dans la pratique à d’autres préoccupations (Ginelli, 2015), l’écologisation ne peut s’envisager sans rapports de pouvoir (Ginelli et al., 2020). 

  • 1 L’universitarisation des formations enseignantes et sociales, surtout pour les branches en directio (...)

L’analyse de l’écologisation des pratiques des classes populaires constitue un champ de recherche fécond et en plein expansion (Comby, 2015 ; Malier, 2019 ; Comby et Malier, 2021…). Dans la continuité de ces travaux, ce dossier vise à s’intéresser plus spécifiquement aux processus d’écologisation des normes et des pratiques professionnelles dans le travail sur et avec autrui. Ce dernier se définit comme l’ensemble des activités professionnelles participant à la socialisation des individus et qui visent explicitement à les transformer (Dubet, 2014). Il comprend les métiers de l’éducation, du soin, du travail social ou encore de l’animation et du secteur culturel, marqués par une tendance contemporaine à l’accompagnement, l’individualisation et la responsabilisation (Astier, 2007 ; Laforgue, 2009). La plupart de ces professions ont longtemps eu en commun de conditionner leur accès à la possession d’une certification ou d’un diplôme universitaire 1 sanctionnant l’apprentissage des règles, savoirs et pratiques professionnelles qui favorisait une socialisation professionnelle spécifique, aussi durablement ancrée que la socialisation primaire (Darmon, 2010). Toutefois, ces secteurs sont sujets à des transformations que nous souhaitons questionner par le prisme de l’écologisation des pratiques.

Poser la question de l’écologisation de ces professions nous semble intéressant à plusieurs égards. Premièrement, les professions du travail sur et/ou avec autrui se retrouvent en première ligne pour relayer les normes des politiques environnementales. Iels se trouvent souvent en contact et travaillent avec des populations exclues de la réflexion et de la recherche de solutions sur les problématiques environnementales (groupes précaires, d’origine étrangère, personnes âgées…) (Comby, 2015). Or ce sont ces populations qui sont les plus vulnérables face aux risques liés aux changements climatiques et environnementaux (Keucheyan, 2019) et qui ont le plus faible accès aux ressources naturelles au sein des pays occidentaux (Deldrève, 2020) alors même qu’elles tendent à développer des modes de vie davantage marqués par la sobriété que les populations aisées (Deldrève, 2020 ; Comby, 2021). En outre, cette sobriété écologique des groupes populaires se décline en fonction du genre, de l’âge, des trajectoires migratoires, de la localisation résidentielle… Sachant que, malgré leur généralisation, l’appropriation des normes et pratiques écologiques est fortement informée par les ressources et trajectoires individuelles (Ginsburger, 2020), quelles formes prend l’écologisation des pratiques professionnelles ? Comment s’articule-t-elle aux conditions et modes de vie des publics de ce travail sur et/ou avec autrui ? Comment les travailleur.euse.s interprètent et font face aux éventuelles résistances des publics cibles ?

Ensuite, dans le contexte du gouvernement des conduites (Dubuisson-Quellier, 2016), l’éducation au sens large (enseignement, information, accompagnement et prévention) est souvent présentée comme l’une solution des principales clés de changements individuels et collectifs. Cependant, que ce soit dans les actions en milieu scolaire ou associatif, les traductions éducatives des politiques environnementales s’inscrivent dans la logique néolibérale en se centrant sur la responsabilité individuelle comme moyen d’action (Jacqué, 2016). Cette socialisation environnementale normative touchant toutes les sphères de la société propose principalement des modes d’engagement individuels préconstruits empêchant toute remise en cause des logiques structurelles organisant les différentes sphères de la vie sociale (production, consommation, mobilité, tourisme…) du système (Aspe & Jacqué 2008 ; Jacqué, 2016 ; Toupet, 2019). Plus encore, il a été montré que cette posture implique une relation asymétrique vis-à-vis du public ciblé : l’institution est considérée comme la seule dépositaire de la définition des pratiques à adopter pour le bien commun (Chavanon et al., 2011). Cependant, aux côtés de ces formes de travail sur autrui se développent des formes de travail avec autrui (Laforgue, 2009). Les mutations du travail sur et avec autrui se superposent, elles peuvent converger ou entrer en contradiction. Outre la responsabilisation des publics cibles en lien avec le processus de subjectivation politique, les principes du nouveau management public reposant sur l’optimisation des ressources humaines et la rationalisation des dépenses publiques transforment également les pratiques professionnelles. Le financement d’une partie de ces activités par le biais de subventions publiques, d’appels à projets ou d’agréments impose des critères de plus en plus nombreux (gender sensitivity, diversité, inclusion, accessibilité, innovation sociale…) à respecter dans la réalisation des activités et incite à des stratégies de distinction qui passent également par l’écologisation des pratiques professionnelles. Ces mutations de la gouvernance publique concomitantes à l’urgence écologique contribuent également aux transformations des paradigmes, des identités et des pratiques professionnelles, mais aussi des frontières professionnelles par la désectorialisation à l'œuvre dans l’action publique notamment (Douillet et al., 2023). Par conséquent, cette convergence invite à retracer les processus d’adoption de ces pratiques pour en restituer l’entremêlement.

Enfin, interroger l’écologisation des pratiques du travail sur et avec autrui implique d’enquêter sur les mutations des identités et des frontières professionnelles. Dans une perspective interactionniste, Andrew Abbott a montré que ces frontières ne sont pas figées et qu’elles produisent des luttes et des renégociations à travers le temps, mais également du travail de défense et de définition (boundary work) (Abott, 1988). Par conséquent, l’écologisation des pratiques professionnelles est susceptible de bouleverser ces frontières et de transformer les identités. Depuis peu, l’écologie fait son entrée dans les cursus d’enseignement en travail social afin de mieux prendre en compte les convergences entre la justice sociale et la justice environnementale, mais aussi par souci de distinction pour s’insérer dans le marché de l’enseignement supérieur (Musselin, 2017) et de la formation professionnelle, où l’attention à intégrer des enseignements abordant le bouleversement climatique en cours est de plus en plus présente (Leininger-Frezal et al., 2023). Qui sont les entrepreneur.euse.s de ces changements de frontières ? Appartiennent-iels au travail social sur autrui ou viennent-iels d’horizons extérieurs ? Quels sont les apprentissages dans les normes et les pratiques professionnelles écologiques préconisées ? Ces apprentissages appellent-ils de nouvelles compétences et/ou de nouveaux profils, voire un nouveau paradigme dans les métiers du travail sur et/ou avec autrui ?

À l’heure où le contexte social et environnemental appelle à une modification en profondeur de notre société, s'interroger sur les divers processus d’écologisation des pratiques professionnelles liées au travail sur et avec autrui permet d’approfondir la réflexion sur les possibilités de transformer la façon de penser l’histoire, la société et l’action à la hauteur des enjeux socio-écologiques (Larrère, 2015).

Contributions attendues

Les contributions attendues dans le cadre de cet appel à articles seront empiriques et aborderont la thématique à partir de différents angles. La question centrale est celle de savoir s’il y a bel et bien écologisation dans les professions sur autrui. Si oui, quelles sont les formes concrètes que prend ce processus. Pour cela, plusieurs axes sont envisagés :

  • Les contributions peuvent questionner les rapports de pouvoir à l’œuvre dans ce processus : s’agit-il de formes d’actions imposées ? par quel·les acteur·ices, quelles sont les réactions des travailleur·euses ou des publics auxquels iels s’adressent ?

  • Les contributions attendues peuvent également analyser l’articulation de ces processus d’écologisation avec d’autres dimensions et évolutions de la sphère professionnelle.

  • L’écologisation des professions du travail sur et/ou avec autrui peut être abordée à partir des identités professionnelles et des statuts des travailleur·euses.

  • Enfin, la place de l’écologisation dans les formations initiales et continue des professions du travail sur et/ou avec autrui est également une question possible pour contribuer à ce dossier.

Calendrier et envoi des propositions d’articles

Les propositions de contributions (titre et résumé de 4.000 à 6.000 signes, références bibliographiques incluses, en français) sont attendues pour le 31 mars 2024. Elles mentionneront la question de recherche, l’approche théorique, ainsi que des précisions méthodologiques sur les matériaux mobilisés. En outre, elles seront assorties d’une notice bio-bibliographique de l’auteur·ice.

Elles doivent être envoyées aux coordinateur·ice·s du dossier : devleeshouwer_p@univ-corse.fr ; Muriel.Sacco@ulb.be ; olivia.vieujean@ehess.fr ; pierre.bataille@univ-grenoble-alpes.fr

La sélection des propositions sera transmise aux auteur·ice·s courant avril 2024. Les textes définitifs (de 25.000 à 35.000 signes max., en incluant les espaces et bibliographie non comprise) devront être envoyés avant le 30 septembre 2024 en vue d’une publication prévue à partir de septembre 2025.

Bibliographie

Abbott A. (1988), The System of Professions. An Essay on the Division of Expert Labor, University of Chicago, Chicago Press.

Arpin I., Bouleau G., Candau J. & A. Richard-Ferroudji (2015), Activités professionnelles à l’épreuve de l’environnement, Toulouse, Octarès Éditions [En ligne] https://hal.inrae.fr/hal-02601390

Aspe C. & M. Jacqué (2008), Au secours la nature, redonne-nous du lien social : Morale écologique et socialisation environnementale [En ligne] https://www.researchgate.net/publication/281657337_Au_secours_la_nature_redonne-nous_du_lien_social_morale_ecologique_et_socialisation_environnementale

Astier I. (2007), Les Nouvelles règles du social, Paris, Presses universitaires de France.

Chavanon O., Joly O., Laforgue D., Raymond R. & S. Tabois (2011), « Le scénario facteur 4 : Les rhétoriques institutionnelles au regard des conduites ordinaires en matière de consommation d’énergie », Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, vol. 2, n°1.

Comby J.-B. (2015), « À propos de la dépossession écologique des classes populaires », Savoir/Agir, vol. 33, n° 3,pp. 23-30.

Comby J. & H. Malier (2021), « Les classes populaires et l'enjeu écologique: Un rapport réaliste travaillé par des dynamiques statutaires diverses », Sociétés contemporaines, n° 124, pp. 37-66.

Darmont M. (2010). La Socialisation, Paris, Éditions Armand Colin.

Deldrève V. (2020), « La fabrique des inégalités environnementales en France. Approches sociologiques qualitatives », Revue de l’OFCE, vol. 165, n° 1, pp. 117-144.

Deldrève V., Lewis N. & S. Moreau (2019), « Les nouveaux chantiers de la justice environnementale », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne] http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/vertigo/24863

Douillet A.-C., Lebrou V. & L. Sigalo Santos (2023), « Franchir les frontières bureaucratiques. (Dé)sectorisation et transversalité dans l’action publique », Gouvernement et action publique, vol. 12, n° 1, pp. 9-26.

Dubet F. (2014), Le Déclin de l’institution, Paris, Éditions du Seuil.

Dubuisson-Quellier S. (2016), Gouverner les conduites, Paris, Presses de Sciences Po.

Ginelli L. (2015), Jeux de nature, natures en jeu. Des loisirs aux prises avec l’écologisation des sociétés, thèse de 3ème cycle, Université de Bordeaux.

Ginelli L., Candau J., Girard S., Houdart M., Deldrève V. & C. Noûs (2020), « Écologisation des pratiques et territorialisation des activités : Une introduction », Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, vol. 11, n° 1.

Ginsburger M. (2020), « De la norme à la pratique écocitoyenne. Position sociale, contraintes matérielles et diversité des rapports à l’écocitoyenneté », Revue française de sociologie, vol. 61, n° 1, pp. 43-78.

Hajek I. (2020), « Militer contre le gaspillage: reprendre en main sa vie, reprendre en main l'économie ? », Écologie et Politique, n° 60.

Hajek I. (2021), « Récup’, glanage, zéro déchet : une nouvelle conception du politique ? », Géocarrefour, n° 95.

Ion J. (2009), « Travailleurs sociaux, intervenants sociaux : quelle identité de métier ? », Informations sociales, n° 152, pp. 136-142.

IPCC (2022), Climate Change 2022: Impacts, Adaptation, and Vulnerability, Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)]. Cambridge University Press. Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, 3056 pp.

Jacqué M. (2016), « L’éducation à l’environnement : Entre engagements utopistes et intégration idéologique », Cahiers de l’action, vol. 47, n° 1, pp. 13‑19.

Keucheyan R. (2019), La Nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, Paris, Éditions La Découverte.

Kalaora B. (2001), « À la conquête de la pleine nature », Ethnologie française, vol. 31, n° 4, pp. 591-597.

Larrère C. (2015), « Anthropocène : Le nouveau grand récit », Esprit, n° 12, pp. 46-55.

Latour B. (2015), Face à Gaïa  : Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, Éditions Les Empêcheurs de penser en rond.

Leininger-Frézal C., Sprenger S., de Lázaro-Torres M.-L., Rodriguez Domenech M.-Á., Heidari N., Pigaki M., Naudet C., Lecomte A. & M. Gallardo (2023), « Global Change Challenge in the Higher Education Curriculum on the Approach of Blended Learning », European Journal of Geography (European Association of Geographers), vol. 14, n° 2, pp. 1-14.

Malier H. (2019) « Greening the poor: the trap of moralization », The British Journal of Sociology, vol. 70, n° 5, pp. 1661-1680.

Mormont M. (2013), « Écologisation : Entre sciences, conventions et pratiques », Natures Sciences Sociétés, vol. 21, n° 2, pp 159-160.

Musselin C. (2017), La Grande course des universités, Paris, Presses de Sciences Po.

Tassin J. (2020), Pour une Écologie du sensible, Paris, Éditions Odile Jacob.

Toupet J. (2019), Éducation non formelle à l’environnement [Notes & rapports/Revue de littérature], INJEP.

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Notes

1 L’universitarisation des formations enseignantes et sociales, surtout pour les branches en direction des plus jeunes et des plus démuni·es est récente.

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