Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux, Les Jeunes, la Sexualité et Internet (Éditions François Bourin, 2020)
Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux (2020), Les Jeunes, la Sexualité et Internet, Paris, Éditions François Bourin, 224 p.
Texte intégral
- 1 Amsellem-Mainguy Y. & Vuattoux A. (2018), Enquêter sur la jeunesse, Paris, Armand Colin.
- 2 Amsellem-Mainguy Y. & Vuattoux A. (2019), « Sexualité juvénile et rapports de pouvoir : réflexions (...)
- 3 Dagorn J. & Alessandrin A. (2018), « Nos fantasmes, leurs réalités », L’École des parents, no 626, (...)
- 4 Voir l’intégralité du rapport de recherche : Amsellem-Mainguy Y. & Vuattoux A. (2018), « Construire (...)
1À partir d’une enquête initiée et financée par l’Institut national de la Jeunesse et de l’Éducation populaire (Injep), Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux éclairent les usages sociaux d’Internet par les adolescentes et adolescents, le tout au prisme des questions sexuelles. Les deux sociologues sont spécialistes des questions de jeunesse1 mais aussi de sexualité2, et force est de constater que s’il y a bien un débat inépuisable en matière de fantasmes3 et d’inconnus c’est bien ce que font les jeunes sur Internet, sur les réseaux sociaux, qui plus est lorsqu’il s’agit de sexualité. En quelque sorte, Les Jeunes, la Sexualité et Internet compile là deux sujets épineux. Alors d’emblée, Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vouattoux font table rase des préconçus : si Internet a largement modifié le paysage culturel et éducatif et si les jeunes sont aujourd’hui très connectés, « les principes qui orientent les pratiques des jeunes évoluent moins vite qu’il n’y paraît » (p. 6). Alors qu’Internet est connu pour ses pratiques de cyberharcèlement, le contrepied immédiat semble être qu’Internet témoigne d’une « accélération de la démocratisation des questions sexuelles » (p. 6). Comme le rappellent les auteur·es, les #metoo et #balancetonporc, les débats sur le féminisme ou sur l’égalité femmes-hommes en sont des exemples porteurs. Quant aux pratiques sexuelles et, plus directement, quant à la sexualité, le sens qu’y confèrent les jeunes (entre part virtuelle et relations physiques) est, dès l’introduction, mis à distance de toute « panique morale » (p. 8). Ce qui semble néanmoins faire paniquer, c’est la place prise par les pairs et, par conséquent, les absences remarquées des adultes et des institutions ; absences prononcées en matière de sexualité (p. 10). Enquêter à cet endroit de la jeunesse et des questions de sexualité aura nécessité une méthodologie mixte, par entretiens et questionnaire, même si ce dernier est moins mobilisé dans ce livre qu’il ne l’est dans le rapport final de l’Injep4. L’objet du livre n’est pas de traiter d’un usage global, unique d’Internet en matière de sexualité, mais il porte plutôt sur une « segmentation des usages » (p. 18) : la recherche d’informations, la pornographie, les communautés numériques ou le partage de contenus et d’expériences.
2La première partie de l’ouvrage est donc consacrée à « la recherche d’informations ». Mais ceci ne renvoie pas simplement à la recherche documentaire. En réalité, pour les jeunes enquêtés, il s’agit d’obtenir un « espace à soi » (p. 19), ce qui n’est pas sans provoquer des tensions intrafamiliales. Mais cet espace à soi se doit de rassembler certaines conditions. La chambre doit notamment devenir la pièce centrale de cette activité de recherche via Internet, même si les smartphones déplacent largement cette question. Toutefois, d’autres stratégies semblent indispensables, comme par exemple la maîtrise des historiques de recherche (et de leur effacement). Pour ces jeunes, « le contrôle parental peut-être perçu comme contraignant, voire infondé » (p. 24). La jeunesse révélant plusieurs temporalités, les chercheur·es insistent également sur « la mise en couple et l’installation dans un logement » qui « viennent de nouveau complexifier les usages personnels d’Internet » (p. 25). C’est dire qu’avec l’avancée en âge, les enjeux liés à cette recherche numérique autour de la sexualité évoluent, de même que ses contenus. « S’informer en ligne » (p. 26) est donc une pratique qui, si elle varie avec les âges, n’en demeure pas moins révélatrices des « projections dans la sexualité » et des « inquiétudes » qui y sont associées (p. 36). Pour rompre avec les préjugés sur l’usage d’Internet par les jeunes en matière de sexualité, il faut alors saisir que « loin de se cantonner à la pornographie ou à des contenus à caractères explicites, les recherches que les jeunes font sur Internet […] sont extrêmement diversifiées, et ce dans tous les milieux sociaux » (p. 42). Entre autres exemples, les auteur·es évoquent les questions de santé, de contraception, d’identité sexuelle, des douleurs. Dans un même temps, une distinction est établie entres les garçons et les filles. Pour les premiers, l’entrée dans les recherches numériques sur la sexualité semble fortement marquée par des recherches liées à l’éjaculation et la masturbation. Quant aux filles, ces dernières axent plus leurs interrogations du côté de la contraception notamment. Mais « les jeunes filles ne sont pas en reste des recherches sur Internet en matière de sexualité, loin de là » (p. 46) nous rappellent les auteur·es. Plus encore, il s’agit bien là d’une logique de « mise en relation » entre pairs et l’expression d’un besoin d’information (p. 42).
- 5 On retrouvait déjà ces éléments dans le texte de Michel Bozon (2012), « Autonomie sexuelle des jeun (...)
- 6 Bajos N. & Bozon M. (2008), Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, L (...)
3Afin de ne pas complètement évincer la thématique, l’ouvrage consacre un chapitre entier à la pornographie (p. 55). De façon assez inattendue, ce chapitre débute par quelques mises au point. D’une part, pour reprendre les mots des auteur·es, les jeunes ne sont pas une « catégorie à part » dans l’usage qu’ils et elles font d’Internet en ce qui concerne les questions de sexualité. Or, toujours selon leurs termes, de trop nombreuses recherches isolent la jeunesse pour mieux la protéger (d’elle-même et des autres) et tout ceci s’effectue « sans que ces derniers [les jeunes] puissent participer à la discussion » (p. 56). Cette asymétrie ne se répercute toutefois pas de façon équitable entre les sexes puisque les entretiens réalisés montrent que les jeunes femmes restent la cible privilégiée de ce contrôle adulte de la sexualité des jeunes et de leurs quêtes numériques, notamment pour des questions de responsabilité et de modération qui pèsent sur le féminin (p. 57)5. Quant aux données chiffrées6 relatives aux différences d’âge des premiers visionnages pornographiques entre les sexes (15 ans pour les garçons, 17 ans pour les filles), elles sont là aussi mises en lumière par les entretiens réalisés pour cette enquête. Au total, malgré l’individualisation des pratiques grâce aux smartphones, des « divergences liées au genre » restent encore toujours très marquées (p. 78). Deux éléments ressortent néanmoins : le premier nous rappelle que les contours définitionnels du pornographique sont très flous chez les jeunes, ou tout du moins non uniformes (p. 59) et le second que rien ne « prédestine » un·e jeune consommateur·ice de pornographie à voir croître sa fréquence de visionnage dans son futur proche, « loin de là » rajoutent les auteur·es (p. 61). Les débats autour de la pornographie n’étant pas étrangers aux univers juvéniles, le livre s’attarde également sur « les injonctions », les « découvertes » et les « émancipations » qu’offrent de tels visionnages (p. 92). Loin d’offrir une réponse unidirectionnelle, les entretiens restitués témoignent d’une pluralité de rapports aux supports pornographiques : « l’excitation, l’amusement, le dégoût ou encore l’ennui font partie des principaux effets émotionnels évoqués par les jeunes lors des entretiens » (p. 100). De même, il semble que les interviewées aient « découvert le sexisme bien avant de visionner de la pornographie » (p. 100). C’est plus réellement du côté de l’entourage (familial notamment) que ce chapitre nous encourage à discuter les rapports des jeunes à la pornographie sur Internet : « les jeunes qui évoluent dans un environnement marqué par de profondes inégalités, où l’ordre de genre sert de structure aux rapports sociaux, verront ces représentations confirmées dans des productions pornographiques » là où « un milieu égalitaire […] semble favoriser la critique des contenus » (p. 100).
4Le livre se poursuit sur un troisième chapitre qui prolonge la restitution des résultats de cette enquête autour de « l’expérience communautaire en ligne » (p. 101). Les questions relatives aux « difficultés vécues au sein des groupes de pairs » ou bien encore les « identités sexuelles » y trouvent une place importante (p. 101). Si cette partie est accompagnée par des propos de jeunes « gamers » (p. 103) ou par des éléments relatifs à des identités lesbiennes, elle demeure plus courte, plus succincte et peut-être plus frustrante que les autres chapitres du livre qui sont bien plus densément discutés et illustrés. Plus intéressante est la quatrième partie de cet ouvrage consacrée à l’exposition de soi et au partage de contenus sexuels sur Internet (p. 117). À de nombreuses reprises dans leur ouvrage, les auteur·es reviennent sur les questions de cyber-harcèlement, de consentement dans l’espace numérique, de rapports de pouvoir, sans vraiment s’y attarder (tout en promettant d’en parler). Voilà chose faite avec ce chapitre. Plusieurs arrêts sont proposés aux lecteur·ices. Le premier revient sur les échanges entre ami·es, via des discussions, des chats, des applications ou par texto. Si, une nouvelle fois, les différences de genre sont marquées dans cette pratique de partage de l’intime, il est également rappelé qu’en parler à des ami·es revient, pour des jeunes appartenant à des minorités sexuelles, à rompre un isolement qui peut être de rigueur au lycée ou au collège (p. 125). Le second arrêt analytique porte sur les échanges de contenus entre partenaires. Cette pratique, comme toutes celles décrites dans l’ouvrage, ne souffre pas d’égalité des sexes : « il est généralement attendu qu’elles [les filles] acceptent de partager des photos ou des vidéos intimes d’elles-mêmes, contrairement à leurs partenaires masculins qui peuvent choisir de le faire ou non » (p. 129). De ces éléments découlent des tensions en matière de « consentement » (p. 130) ou bien encore de « violences et rappel à l’ordre de genre » (p. 134). À cet égard, selon les chercheur·es, Internet n’est pas un lieu « spécifique » mais un « miroir » qui tend à refléter les oppressions des femmes et des minorités (p. 144). Enfin, un dernier chapitre offre un débouché physique à ces interrogations en se posant la question « qu’est-ce que se rencontrer pour ces jeunes » ? (p. 145). Il s’agit alors de se pencher sur l’au-delà du numérique, pour souligner que derrière ces pratiques culturelles se cachent parfois aussi des relations sociales variées, toujours saisies dans des rapports de pouvoir. Ainsi, comme annoncé dans l’introduction, un des objectifs et apports de ce chapitre est d’inscrire les usages sexuels d’Internet dans le contexte plus large des pratiques culturelles.
5La conclusion de cet ouvrage cherche à répondre à la question que l’on se pose tout au long de sa lecture : « Internet a-t-il reconfiguré la sexualité des jeunes ? » (p. 163). À cette question les auteur·es répondent par plusieurs affirmations. D’une part, si Internet nécessite de rediscuter « les frontières de l’intime » (p. 165), les usages qu’en font les jeunes restent encore très marqués par des interactions « ritualisées » (p. 165). D’autre part, si la « jeunesse » est décrite comme « naïve » ou « influençable » dans son rapport au numérique, particulièrement en matière de sexualité, l’enquête insiste sur la dimension fortement « relative » et « évolutive » de cette naïveté (p. 167). Enfin, pour ne pas demeurer dans un relativisme absolu, les deux auteur·es rappellent également le déterminisme genré (p. 168) qui traverse ces pratiques numériques et sexuelles.
6En refermant cet ouvrage, nous faisons face à la dimension très kaléidoscopique de cette jeunesse et de son usage d’Internet à des fins sexuelles. Mais nous prenons conscience pareillement de ce qui demeure parfois inchangé malgré la diversification technologique : le sexisme, les discriminations à l’égard des minorités, le rapport négocié de l’adolescent·e à son intimité. Il est remarquable que l’ouvrage ne verse jamais ni dans la description isolée de parcours ou de « cas » (ce qui pourrait-être le piège à lire tous ces témoignages restitués), ni dans la catégorisation absolue en matière de « domination » ou rapport « filles-garçons » (lorsque, notamment, sont inoculées les questions de classe ou de minorités sexuelles). Aidé par une écriture fluide et des illustrations foisonnantes, cet ouvrage qualitatif permet non seulement de mieux saisir une population jeune bien souvent caricaturée dans son rapport à la sexualité et aux réseaux sociaux, mais également de mieux déconstruire nos propres préjugés en la matière.
Notes
1 Amsellem-Mainguy Y. & Vuattoux A. (2018), Enquêter sur la jeunesse, Paris, Armand Colin.
2 Amsellem-Mainguy Y. & Vuattoux A. (2019), « Sexualité juvénile et rapports de pouvoir : réflexions sur les conditions d’une éducation à la sexualité », Mouvements, no 99, p. 85-95.
3 Dagorn J. & Alessandrin A. (2018), « Nos fantasmes, leurs réalités », L’École des parents, no 626, p. 42-43.
4 Voir l’intégralité du rapport de recherche : Amsellem-Mainguy Y. & Vuattoux A. (2018), « Construire, explorer et partager sa sexualité. Une étude sur les usages sexuels d’Internet des adolescents et jeunes adultes », Note & rapport, Injep, en ligne sur www.injep.fr, rubrique « Publications ».
5 On retrouvait déjà ces éléments dans le texte de Michel Bozon (2012), « Autonomie sexuelle des jeunes et panique morale des adultes. Le garçon sans frein et la fille responsable », Agora débats/jeunesses, no 60, p. 121-134.
6 Bajos N. & Bozon M. (2008), Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte.
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Référence électronique
Arnaud Alessandrin, « Yaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux, Les Jeunes, la Sexualité et Internet (Éditions François Bourin, 2020) », Sociologie [En ligne], Comptes rendus, 2022, mis en ligne le 10 mai 2022, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/9993
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