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AccueilNumérosN°2, vol. 2Théories & méthodesPenser l’intégration des immigrés : (…)

Penser l’intégration des immigrés : les enseignements de la sociologie américaine

Immigrant assimilation theory: Insights from American sociology
Mirna Safi

Résumés

Cet article propose une revue de la littérature sociologique qui s’est penchée sur la théorisation du processus d’intégration des immigrés et de leurs descendants depuis plus d’un siècle aux États-Unis. Il commence par présenter le paradigme classique – dont les racines remontent à l’École de Chicago – qui conçoit le processus comme une convergence individuelle des caractéristiques des migrants et de leurs descendants vers celles des natifs. L’objectif de l’article est de montrer comment les sociologues américains n’ont cessé de déconstruire ce paradigme dont les connotations ethnocentriques sont plus ou moins explicites selon les auteurs. Cette déconstruction s’est faite données empiriques à l’appui, en mobilisant notamment des preuves de production, de reproduction et de persistance des inégalités liées à l’origine ethnique ou raciale. L’article se termine par les théories sociologiques les plus récentes qui tentent de reconstruire une conception dynamique de l’intégration des immigrés en insistant sur les rapports entre groupes et sur la notion de frontières ethniques.

Immigrant assimilation theory: Insights from American sociology

In this article, I review the most important works of American sociological literature that have looked into immigrant assimilation over the course of more than a century. I start by presenting the straight line assimilation paradigm - whose roots can be found in the Chicago School research - that conceived an individual convergence process towards the American mainstream. The articlehighlights the scientific efforts of American sociologists to deconstruct this dominant paradigm and to depart from itsmore or less explicit ethnocentrism. These efforts have been productive because they rely on empirical evidence describing the mechanisms of production, reproduction and persistence of ethnic and racial inequality in American society. The last section of this review presents the most recent theoretical research, which rethinks assimilation theory from the perspective of interethnic group relations, drawing particular attention to the notion of ethnic boundaries.

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Texte intégral

  • 1  En Anglais, on parle plutôt du processus d’assimilation. En France, suite à un réel « combat pour (...)

1La sociologie américaine fut fondée par les travaux de l’École de Chicago sur l’immigration. Depuis, les sociologues n’ont cessé d’élaborer de nouveaux concepts, d’émettre de nouvelles critiques, de déconstruire et de reconstruire des modèles théoriques de l’intégration1 des immigrés. De manière générale, cette littérature s’intéresse au devenir des individus et des groupes qui arrivent dans une société d’accueil à l’issue d’un processus migratoire et aux mécanismes sociaux qui y caractérisent leurs parcours.

2En France, à l’inverse, les écrits fondateurs de la sociologie ne se préoccupent que très peu des questions de l’immigration. Les premiers travaux sur ce sujet ont émergé dans les années 1950 et étaient d’ailleurs très proches de l’école de Chicago (Girard & Stoetzel, 1953a et 1953b). Néanmoins très vite, les études scientifiques se sont écartées de cette littérature en mettant l’accent sur une « tradition française » d’intégrer les immigrés (Schnapper, 1991 et 1999). Si cette tradition est parfois revendiquée comme remontant aux racines mêmes de la République, ce sont les années 1980 qui ont réellement entériné sa prégnance sur le discours politique et sur la recherche scientifique sur l’immigration (Blatt, 1997 et 2000 ; Favell, 2001b). L’examen des mesures politiques concrètes sur l’immigration témoigne en effet d’un glissement au cours de ces années d’un centrage socioéconomique pragmatique et accommodant à des idées moralisatrices et assimilationnistes sur l'intégration des immigrés (Favell, 2001b ; Kastoryano, 2002).

  • 2  Signalons ici que si de nombreux chercheurs sur l’immigration affirmaient directement dans leur tr (...)
  • 3  Le terme empirique englobe ici les travaux qui mobilisent des résultats d’enquêtes, que les donnée (...)
  • 4 De grandes enquêtes de la statistique publique permettant désormais de travailler sur les secondes (...)

3Du point de vue de la littérature sociologique, cette tradition, qu’on aime qualifier de « républicaine », correspond en fait très largement à un paradigme resté longtemps dominant dans les travaux sur l’immigration aux États-Unis ; il conçoit l’intégration comme un processus individuel de convergence des caractéristiques des immigrés vers les caractéristiques moyennes de la société d’accueil. Alors que cette conception de l’intégration fut débattue pendant près d’un siècle dans les cercles de la recherche sociologique aux États-Unis, elle fut en France très rarement confrontée à des modèles alternatifs et très peu sujette à la validation empirique2. Ces différences dans le cheminement de la recherche sur l’intégration des immigrés sont sans doutes liées à des facteurs politiques et historiques, qu’ils soient à l’échelle macro (conception de la citoyenneté et rôle de l’état dans la gestion de la diversité, lien entre l’immigration et l’histoire coloniale, force des partis politiques « nativistes » ou d’extrême droite, etc.) ou meso et micro (liens entre cercles de recherche et cercles du pouvoir, positionnement de certains chercheurs dans les débats politiques sur ces questions, etc.). De nombreux travaux ont précisément porté sur les conditions socio-historiques de ce qu’on appelle parfois les « modèles nationaux » de l’immigration et certains ont comparé plus particulièrement les contextes français et américain (Hammar, 1985 et 1989 ; Brubaker, 1992 ; Horowitz, 1992 ; Freeman, 1995 ; Schnapper, 1999 ; Favell, 2001a et 2001b ; Freeman, 2004). Ce n’est pas l’approche de cet article : il ne s’attardera que très peu sur la socio-histoire de la production sociologique sur l’intégration des immigrés. Il se focalisera plutôt sur la « matière » même de cette production dans le cas américain, ses outils conceptuels, ses principaux résultats empiriques, bref sur ses enseignements. Une revue de littérature sur la sociologie américaine de l’immigration me semble en effet être particulièrement utile pour la recherche sur l’immigration en France aujourd’hui, dans un contexte de redynamisation des travaux empiriques3 grâce aux données nouvellement disponibles sur ces questions4.

4Ainsi, c’est plus d’un siècle de recherche sur l’intégration des immigrés qui sera parcouru dans cet article. Après une présentation du paradigme classique de l’assimilation conçue comme convergence, il développe les critiques les plus virulentes, ayant notamment émergé dès les années 1960, qui contestent les mythes autour cette conception et mettent l’accent sur les inégalités et les conflits inhérents à ce processus. Il expose ensuite les tentatives les plus récentes d’une certaine réhabilitation de l’assimilation qui s’attache à intégrer les principales critiques. Ce qui est sans doute le plus impressionnant pour le lecteur français de cette littérature américaine, c’est la complémentarité qui y règne entre travaux théoriques et empiriques : la réflexion théorique sur ce processus n’a pu avancer que grâce à des travaux empiriques – qualitatifs comme quantitatifs - qui lui imposaient constamment de modifier ses hypothèses et de les adapter aux données existantes.

  • 5  Précisons ici que cette appellation a pris sens a posteriori ; ce sont les travaux qui se sont att (...)
  • 6  Elle est aussi appelée tout simplement assimilation ou parfois straight line assimilation. Cette d (...)

5Dans la littérature américaine contemporaine, on désigne par l’assimilation classique5 tout un cadre théorique ayant dominé les travaux sociologiques sur l'immigration dès les années 19206. Ce paradigme anticipe qu'au fil du temps et des générations, les populations issues de l'immigration se rapprocheraient de plus en plus des natifs au point de devenir indiscernables par rapport à ces derniers. Trois idées centrales caractérisent ce paradigme et en constituent les piliers :

  • 7  L’École de Chicago utilisait plutôt le terme racial pour désigner autant les Italiens, Irlandais, (...)

6Le texte classique de Park présentant le migrant comme homme « marginal » est une des meilleurs illustrations de cette conception individuelle (Park, 1928). Cette marginalité est douloureuse psychologiquement (le concept d’acculturation insiste sur le fait que les immigrants sont attirés par la culture de la société hôte mais leur culture d'origine les « retient ») mais elle aboutirait au final à une harmonisation bénéfique à tous. Il faut voir derrière cette conception individualiste une vision optimiste du migrant présenté comme précurseur d’une société moderne émancipée et libérée des préjugés, vision tout à fait typique du contexte américain. Ainsi, même si certains travaux de l’École de Chicago soulignent l'importance de la formation d'un groupe ethnique7 dans la société d'accueil, ils s’accordent quasiment tous sur l’idée que l’assimilation signifie une « harmonisation » des attitudes et valeurs des migrants et des natifs et s’accompagne d’une émancipation individuelle face à l'homogénéité de l'expérience du groupe ethnique.

  • 8  Ce cycle est composé de quatre étapes : le contact, la compétition, l’accommodation et l’assimilat (...)

7Le paradigme classique conçoit l'assimilation comme un processus naturel, inéluctable et inconscient. Cette vision peut être retrouvée dans tous les travaux empiriques de l’École de Chicago, avec une préoccupation propre à la sociologie de l'époque, qui consiste à présenter les concepts sociologiques comme des vérités scientifiques tout aussi solides que celles établies par les sciences de la nature. Dans la théorie des cycles des relations raciales, l'assimilation apparaît comme une étape finale, qui prend place grâce à un cheminement logique et irréversible8.

8Le paradigme de l'assimilation classique théorise un processus de convergence uniforme et unilatéral (straight line) des caractéristiques des immigrés vers une sorte de caractéristiques moyennes de la société d'accueil. Cette vision stipule ainsi l’existence d’un corps unifié et central de la société d'accueil et c’est dans ce noyau que l’assimilation s’opère. Cette conception de l’assimilation comme convergence a des implications directes sur les travaux empiriques sur l'immigration, qui ont longtemps consisté à comparer les caractéristiques des populations immigrées par rapport à celles du mainstream.

  • 9  Cela ne signifie pas pour autant que l’assimilation advienne rapidement. Selon Warner et Srole par (...)
  • 10  Il convient de souligner que selon Warner et Srole, les disparités dans la vitesse de l’assimilati (...)

9Ces trois piliers façonnent l’idée selon laquelle l’intégration des migrants n’est qu’une question de temps (a matter of time) : la durée du séjour et le changement intergénérationnel seraient à eux seuls, une sorte de « main invisible » de l’intégration9. On le voit bien, le paradigme classique véhicule une image optimiste du devenir des immigrés. Les sociologues de Chicago décrivent des phénomènes cycliques qui suivent l’arrivée des migrants dans la société d’accueil et qui, même s’ils se caractérisent par des périodes de conflits ou de désharmonie, aboutissent inéluctablement à l’assimilation. Ce type de description peut être retrouvé par exemple dans les travaux de Thomas et Znaniecki (1927) sur la « désorganisation et réorganisation » de l’immigration polonaise aux USA, dans les écrits sur le « cycle des relations raciales » de Park et Burgess (1921) ou encore dans la description que fait Wirth (1928) de l’impact de l’assimilation sur les trajectoires de mobilité résidentielle des habitants du ghetto juif à Chicago. Néanmoins une interprétation radicale de ce paradigme peut également conduire à une hiérarchisation des origines ethniques et des cultures ; l’immigré se « modernise » parce que sa culture est en quelque sorte « archaïque ». La représentation des WASP comme le noyau dur de la société américaine érige la culture anglo-américaine en modèle supérieur. Par conséquent, les immigrés venus de sociétés plus traditionnelles auront plus du mal à s’intégrer. C’est sans doute l’ouvrage de Warner et Srole qui assume le plus pleinement cette conception ethnocentrique de l’assimilation ; les auteurs y proposent un classement des groupes les moins assimilables (les Noirs) au plus assimilables (English speaking protestants) (Warner & Srole, 1945)10.Enfin, la conception de l’intégration comme un processus individuel et naturel conduit à déresponsabiliser la société d’accueil des « dysfonctionnements » potentiels et ignore ainsi l’existence de mécanismes discriminatoires plus ou moins institués qui freinent l’intégration.

  • 11  Ce terme provient de la pièce de théâtre d’I. Zangwill (1864-1926) « The Melting Pot », dont le me (...)
  • 12  Avec notamment les écrits d’intellectuels tels que H. Kallen et de R. Bourne cités par M. Gordon ( (...)

10Si l’École de Chicago est présentée comme la pépinière du paradigme classique, il convient tout de même de souligner que, replacés dans leur contexte, les travaux de l’École de Chicago cherchaient justement à combattre le rapport ethnocentrique de la société américaine vis-à-vis de l’immigration (Chapoulie, 2001). En effet, dans les années 1920, le courant radical de l’Americanization était très influent en matière de politique d’immigration (Abramson, 1994 ; Gleason, 1994). C’est aussi à cette période que des visions politiques alternatives commençaient à émerger avec l’idée romantique du melting pot11, c'est-à-dire du mélange sans conflit ni rapport de force, et l’idée du pluralisme culturel qui comprenait une dimension de reconnaissance des minorités12. Il est indéniable que face à ces modèles idéologiques plus ou moins cohérents, ce sont les sociologues de Chicago qui ont érigé le projet scientifique précis de l’étude de l’assimilation en forgeant un arsenal d’outils conceptuels toujours utilisés aujourd’hui : acculturation, assimilation, communauté, ségrégation, etc. Néanmoins, comme le souligne Persons (1987), les sociologues de Chicago se sont plus intéressés au processus par lequel les groupes ethniques perdent leur ethnicité pour se dissoudre dans la majorité, qu’à la description précise de ce que représente cette majorité et aux mécanismes par lesquels les distinctions ethniques y restent saillantes. C’est surtout en ceci que leurs travaux ont conduit à des interprétations assimilationnistes.

11Précisons enfin que, en dépit de son omniprésence dans la recherche sociologique sur l’immigration de la première moitié du XXe siècle, il est difficile de citer des travaux précis ayant forgé de manière explicite le paradigme classique de l’assimilation. Si les travaux de l’École de Chicago ont sans doute largement véhiculé les principaux éléments conceptuels de ce paradigme, le cadre théorique de l’assimilation classique doit beaucoup aux premiers travaux sociologiques sur l'intégration ou la cohésion sociale, tels que ceux de Simmel, de Tönnies et de Durkheim. La contribution de l'École de Chicago réside dans l’application de ces théories macro-sociologiques à la question du devenir des migrants. Toujours est-il qu’aucun ouvrage de sociologues de Chicago n’

12explicite les mécanismes théoriques de l’assimilation. C’est seulement en 1964 qu’un auteur entreprendra une synthèse théorique de ce paradigme.

13Dans un ouvrage publié en 1964, extrêmement cité depuis dans l’ensemble des travaux sur l’immigration, Milton Gordon fut le premier à proposer une théorie explicite de l’assimilation des immigrés. Il s’agit là d’un premier effort d’élaboration de concepts opérationnels qui permettent de mesurer l’intégration des immigrés et d’en caractériser les cheminements. Bien que l’ouvrage s’inscrive dans le paradigme classique, et en fournit même une synthèse que certains auteurs ont ultérieurement qualifiée de « canonique » (Alba & Nee, 2003), la décomposition qu’il propose du processus ouvre la voie à sa déconstruction. La critique va notamment se focaliser sur les contradictions qui peuvent exister entre les différentes dimensions distinguées par Gordon. Assimilation in American Life peut ainsi être présenté comme une sorte de paroxysme de l’influence du paradigme classique, annonçant simultanément sa remise en cause ultérieure.

14Gordon décompose le processus d'intégration différenciant plusieurs dimensions et cherchant à analyser les liens qui peuvent exister entre elles. Il fut ainsi le premier à distinguer l'assimilation de l'acculturation, deux concepts qui avaient tendance à être confondus dans les travaux de Chicago. L'acculturation est selon Gordon une des conséquences de la « rencontre » des groupes ethniques : elle concerne le comportement culturel. L'assimilation désigne quant à elle l’ensemble de la dynamique du devenir des populations minoritaires et se compose de plusieurs autres dimensions : l'intermariage, la dimension structurelle (la participation dans les groupes primaires de la société d'accueil), la dimension identitaire, l'absence de discrimination et d'hostilité de la part de la société d'accueil et enfin la participation civique et politique.

15Cette décomposition présente deux apports analytiques fondamentaux à la sociologie de l’immigration. Le premier consiste en la relativisation de l’importance de l’acculturation dans la dynamique de l’assimilation. Non seulement l’acculturation devient une étape parmi d’autres mais, en plus, Gordon considère qu’il s’agit de la transformation qui advient la première à la suite de la rencontre entre groupes minoritaires et groupe majoritaire. Gordon dépouille même l’acculturation de tout impact causal ; l’assimilation culturelle peut avoir lieu sans que les autres types d’assimilation ne se réalisent et cette condition de l’« acculturation seule » peut durer indéfiniment. Cette relativisation de la place de l’acculturation s’oppose ainsi très clairement à la vision de l’assimilation comme processus naturel.

  • 13  Gordon parle de participation dans les sphères sociales primaires du groupe majoritaire (« cliques (...)

16La seconde contribution primordiale de l’ouvrage de Gordon réside dans la place qu’occupe la dimension structurelle dans le processus d’assimilation. Bien que cette dimension ne soit pas définie de manière très claire dans l’ouvrage13, elle a indéniablement ouvert la voie à une nouvelle série de travaux empiriques sur l’intégration des immigrés, qui se focalisent désormais plus sur l’insertion sur le marché du travail et dans la ville que sur les dimensions psychologiques et culturelles de la migration. Pour Gordon, c'est la dimension structurelle de l'assimilation qui déclenche une dynamique causale dans le processus d’assimilation : elle stimule toutes les autres dimensions en faisant baisser la discrimination et l'hostilité et en augmentant les probabilités d'intermariage. Ce dernier devient ainsi le symbole de l’intégration, voire son incarnation. De plus, seule la dimension structurelle de l'assimilation entraîne une atténuation du sentiment identitaire spécifique au groupe et ce, au contact des structures sociales de la société d'accueil (marché du travail, logement, école, etc.).

17L’ouvrage de Gordon demeure toutefois difficilement classable. Il présente en effet certains éléments qui le situent bien du côté de la rupture avec le paradigme classique ; la relativisation de l’acculturation, l’idée d’une assimilation potentiellement bloquée, ou du moins freinée, et la possibilité de contradiction entre les dimensions. Néanmoins, il reste assez intrinsèquement lié au paradigme classique ; le dessein de Gordon était d’ailleurs d’élaborer une formalisation théorique de ce dernier plutôt que de l’attaquer. L'élément crucial de ce lien réside dans la conception toujours unilatérale de l’assimilation ; il s’agit d’un ensemble de transformations du groupe minoritaire vers le mainstream. Tout comme les travaux les plus assimilationnistes, pour Gordon, le standard économique, social et culturel qui représente la direction dans laquelle évolue l'acculturation est bien celui de la classe moyenne majoritairement blanche, protestante et d'origine anglo-saxonne. Selon lui, ce noyau central de la société reste largement non affecté – excepté de quelques « modifications mineures » dans des sphères telles que la cuisine et le nom des lieux – par l'arrivée de nouveaux groupes. Il est indéniable toutefois que, en dépit de cette limite, le cadre conceptuel de l’assimilation forgé par Gordon fut d’une grande utilité pour tout un ensemble de travaux empiriques sur l'immigration aux États-Unis. Sa décomposition des dimensions et les typologies qui en découlent ont été notamment très opérationnelles pour les travaux quantitatifs sur ce sujet.

18Les critiques du paradigme classique sont devenues de plus en plus audibles au cours des années 1960. Les premières études empiriques sur les migrants non européens commencent en effet à mettre en évidence des parcours qui dévient du modèle classique (Zhou, 1997). La persistance, voire l’accentuation, des différences ethniques au fil du temps, la très faible et très lente mobilité sociale et la reproduction des inégalités d’une génération à l’autre, sont tous des phénomènes observés dans les études empiriques sur certains groupes migratoires aux États-Unis (Gans, 1973 ; Waters & Eschbach, 1995 ; Rumbaut, 1997). Dans le contexte post Civil Rights, ces travaux font volontiers des parallèles entre la situation des populations immigrées (désormais majoritairement venues d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique) et la situation des Noirs-Américains. Devant cette prise de conscience des difficultés de l’assimilation, les sociologues ont désormais cherché à expliquer non plus la disparition mais plutôt la persistance et la reproduction des inégalités liées à l’origine (Hirschman, 1983 ; Glazer, 1993 ; Lundberg & Startz, 1998). Gans affirme que ce virement dans la perspective des travaux théoriques sur l’assimilation est lié à l’origine des sociologues de l’immigration eux-mêmes : les recherches des années 1920 ont souvent été menées par des chercheurs extérieurs aux groupes ethniques étudiés et influencés par les valeurs assimilationnistes. Dès les années 1960, ce sont des chercheurs eux-mêmes issus des minorités ethniques qui investissent les travaux sur l’assimilation : ces in-group members sont assez réticents à l’idée d’homogénéisation culturelle implicite au paradigme de l’assimilation (Gans, 1997).

  • 14  Pour un éclairage récent sur les perspectives culturalistes et structuralistes en sociologie, on p (...)

19On peut synthétiser la production théorique ayant réfléchi aux modèles alternatifs à l’assimilation classique en distinguant deux grands courants que l’on qualifiera assez schématiquement de culturaliste et structuraliste. Les culturalistes insistent sur le caractère « choisi » du maintien des différences ethniques (ethnic retention) alors que les structuralistes sont plutôt enclins à analyser la persistance de certaines différences en termes d’inégalités subies. Ils pointent en effet des mécanismes structurels qui émanent de la segmentation sociale et ethno-raciale de la société et qui bloquent le processus d’intégration ou du moins le ralentissent14

20Beyond the melting pot publié en 1963 par Glazer et Moynihan est le premier ouvrage majeur qui s’attaque très explicitement aux piliers du paradigme classique (Glazer & Moynihan, 1963). Il dresse un portrait très détaillé de l’organisation de plusieurs minorités ethniques à New York. Dans leur analyse, les auteurs rejettent d’abord la notion de « noyau central »; la société américaine est composée de plusieurs groupes sociaux qui se définissent par des appartenances ethniques, raciales ou religieuses. Pour Glazer et Moynihan, le noyau central décrit par Gordon a acquis lui-même une dimension ethnique quasi exclusive, laissant peu de place à une assimilation dans ses rangs à l’exception de rares « cousins proches ». D’autre part, Glazer et Moynihan remettent en cause le caractère naturel ou inéluctable de l’assimilation. « The point about the melting pot is that it did not happen », écrivent-ils (p. 290). Non seulement les appartenances ethniques sont loin de disparaître, mais elles seraient en plus en perpétuelle création et recréation même au-delà de la troisième génération. Cette persistance de l’ethnicité s’explique selon eux par les liens familiaux, les intérêts économiques de la communauté et l’organisation politique et sociale de cette dernière. « The ethnic group in American society became not a survival from the age of mass migration but a new social form » ; c’est par cette phrase que Glazer et Moynihan résument la thèse principale de leur ouvrage (p.16-17).

  • 15  Glazer et Moynihan ne donnent une définition précise du groupe ethnique que dans la préface à l’éd (...)

21Si Beyond the Melting Pot figure parmi les premiers travaux à défendre l’idée que la participation des populations issues de l’immigration à l’American way of life n’entraînait pas pour autant la fin de l’ethnicité, c’est-à-dire l’identification des individus comme appartenant à des groupes et des communautés historiques ou politiques particulières, cet ouvrage a alimenté une recherche qui dépasse désormais la sociologie de l’immigration. Il s’agit en effet d’expliquer le fonctionnement global des sociétés pluriethniques ou multiculturelles. Pour les sociologues culturalistes, l’existence des groupes ethniques15 et le rôle social et politique essentiel qu’ils jouent sont des caractéristiques principales de telles sociétés (Glazer, 1997). Les groupes ethniques ne sont plus considérés comme uniquement liés à l’immigration ; ils constituent des éléments fondamentaux de l’organisation sociale en général. Ce n’est pas l’immigration qui « fait importer » des groupes ethniques dans la société américaine, c’est cette dernière même qui « produit » une forme spécifique de groupes ethniques (Cornell, 1996 ; Glazer, 2000). Plus important encore, les travaux culturalistes les plus radicaux cherchent dans les cultures des groupes ethniques les explications de leur évolution dans la société d’accueil ; c’est par là qu’ils se revendiquent parfois d’une certaine « anthropologie sociale » des groupes ethniques. Certains chercheurs les qualifient alors de « primordialistes » (Cornell & Hartmann, 1998). C’est par là aussi qu’ils se démarquent, et nous y reviendrons dans la section suivante, de la définition du groupe ethnique proposée par Barth qui relativise l’importance du « contenu » des cultures pour insister sur la notion interactionniste des frontières inter-groupes qu’elles produisent (Barth, 1969).

22Les travaux d’inspiration structuraliste refusent eux aussi le cadre de l’assimilation, non pas parce que les groupes ethniques s’accrochent à leur ethnicité, mais parce que les mécanismes inégalitaires bloquent durablement le cours de l’intégration. Ces travaux critiquent ainsi la déresponsabilisation de la société d’accueil, véhiculée par le paradigme classique. Ils s’attachent à montrer comment le fonctionnement des grandes institutions de la société américaine (notamment le marché du travail et le marché résidentiel) produit une stratification ethnique qui ralentit et parfois obstrue le processus d’assimilation (Shibutani & Kwan, 1965 ; Massey & Denton, 1993 ; Logan et al., 2000). L’exploitation de la main d’œuvre ethnique produit dans certains cas des minorités « racialisées » et ce sans laisser véritablement le choix aux populations concernées entre la résistance ou l’assimilation (Bonacich, 1972 ; Bonacich, 1976). Les travaux de Waters sur les immigrés venus des Caraïbes constituent de fortes illustrations du peu de marge de manœuvre des immigrés (Waters, 1999) ; conscients du désavantage qui pourrait découler de leur identification aux Afro-Américains, les Caribéens de couleur de peau foncée ne cessent de tenter de se démarquer de ce groupe. En vain, car les inégalités socioéconomiques et spatiales les en rapprochent souvent. Cette absence de choix de ces populations contraste avec la marge d’instrumentalisation que des immigrés de couleur de peau plus claire ont quant à leur auto-identification ethnique (Waters, 1990 ; Xie & Goyette, 1997). Ainsi, dans leurs critiques du paradigme classique, les travaux d’inspiration structuraliste, on le voit, insistent sur les mécanismes inégalitaires de catégorisation ethnique et raciale, de discrimination directe et indirecte et plus généralement de rapports de domination sous-jacents aux relations interethniques dans la société américaine (Massey, 2007).

23Soulignons à ce stade que si cette distinction entre culturalistes et structuralistes peut paraître opérationnelle pour résumer la différence des approches théoriques critiques de l’assimilation classique, elle souffre d’un caractère excessivement simplificateur. Les travaux se revendiquant exclusivement de l’une ou de l’autre de ces approches sont très marginaux aujourd’hui. En réalité, la majorité des travaux sur l’intégration des immigrés utilisent les deux types d’arguments (résistance culturelle et inégalités subies) et réfléchissent justement aux liens entre ces deux approches. Ainsi, nombreuses sont les études qui relient la rétention de la culture d’origine à des circonstances d’inégalités structurelles sur le marché du travail ou dans la ville. Le travail devenu classique de Gans sur les immigrés italiens dans les quartiers West end de Boston fut un des premiers à introduire cette idée de la « rétention culturelle réactive ». Gans insiste sur l’idée que c’est la relégation économique qui favorise une réaction de rétention culturelle et ralentit par là l’assimilation (Gans, 1962). Selon lui, cette préservation – souvent illusoire – de la culture d’origine défavorise d’autant plus les groupes ethniques concernés. Des développements théoriques assez proches sont étayés dans les travaux de J. Ogbu (1978) sur les parcours scolaires des enfants issus des minorités ethniques et raciales aux États-Unis. Ogbu va au-delà de l’idée de la rétention culturelle en parlant d’inversion culturelle. C’est la rigidité stratificationniste de la société américaine (qu’il apparente à la société de castes, notamment en ce qui concerne la puissance de la color line) qui pousse, comme dans une réaction de désespoir, certaines minorités à s’opposer délibérément aux normes et valeurs de la société. Cela ce traduit par un rejet de l’ethos culturel du groupe dominant et notamment de l’idéal de réussite socioéconomique qu’il véhicule. Bien qu’elle ait inspiré beaucoup de travaux critiques de l’assimilation, cette théorie de « l’inversion culturelle » tient en fait assez peu face à l’épreuve de validation empirique ; de nombreux travaux montrent que les membres des minorités ethniques intériorisent les normes de réussite sociale parfois davantage que le mainstream et manifestent par ailleurs de très fortes aspirations scolaires (Kao & Thompson, 2003 ; Tyson et al., 2005).

24Ces critiques culturalistes et structuralistes de l’assimilation classique sont synthétisées dans la théorie de l’assimilation segmentée. Cette théorie, développée par un ensemble de chercheurs autour d'A. Portes, insiste sur le caractère multidimensionnel du processus d’intégration et sur la diversité des parcours des migrants. Des travaux issus de ce courant ont d’abord commencé par mettre l’accent sur le rôle joué par les acteurs collectifs (les groupes ethniques, les institutions de la société d’accueil) et sur l’impact de facteurs contextuels (la conjoncture économique, la segmentation du marché du travail, la ségrégation spatiale) dans les trajectoires individuelles d’assimilation. C’est ce souci de « désindividualiser » l’assimilation qui rapproche les premiers travaux sur l’assimilation segmentée du courant de la sociologie économique. Dans the Economic Sociology of Immigration, Portes affirme que l’immigration est un des domaines où la théorie de l’encastrement social de l’action individuelle de Granovetter s’applique le mieux. Il distingue ainsi trois facteurs extra-individuels qui présentent des impacts décisifs sur l’intégration des immigrés dans une société d’accueil (Portes, 1995, p. 23-25).

  • La politique de l’État vis-à-vis de l’immigration : celle-ci peut osciller entre des périodes plus ou moins favorables. Ainsi, aux États-Unis, la loi de 1965 (Immigration Law Reform) a présenté un impact très favorable à l’insertion des vagues migratoires. Les années 1990 ont connu quant à elles, un durcissement des lois migratoires. La gestion des flux migratoires et les politiques d’accueil, les lois sur la naturalisation, sont autant de facteurs institutionnels qui peuvent directement affecter les parcours des migrants.

  • Le rôle de la société civile et l’opinion publique : selon Portes, les attitudes de la société d’accueil en termes d’immigration sont conditionnées par des caractéristiques phénotypiques et culturelles. Elles sont aussi extrêmement sensibles à la conjoncture économique, les poussées des partis xénophobes coïncidant souvent avec des périodes de crises.

  • Le rôle de la communauté ethnique installée dans le pays d’accueil : c’est cette thématique qui constitue la clé de voûte de nombreux travaux sur la segmentation. Pour Portes, l’appartenance à un groupe ethnique est une donnée primordiale de l’immigration. Les individus ne migrent pas seuls et leur intégration dans la société d’accueil se fait d’abord par l’intermédiaire des structures sociales de leur communauté d’origine. Cette dernière joue un rôle essentiel dans l’accueil, l’installation, le logement et l’emploi des nouveaux arrivants d’une part, et développe aussi des réseaux relationnels plus ou moins forts qui peuvent parfois être mobilisés en tant que ressources sociales par les individus (Portes & Sensenbrenner, 1993 ; Portes, 1998). Contrairement au marginal man de Park, l’immigré est présenté comme un « transmigrant » (Schiller et al., 1995 ; Vertovec, 2003) qui gère son dualisme culturel, voire politique, dans le cadre d’un monde globalisé. L’image de l’immigré entrepreneur est au centre de ces développements sur le transnationalisme (middleman) (Portes, 1999 ; Portes et al., 2002) et ce sont les entrepreneurs cubains qui ont été mobilisés comme l’exemple par excellence de ce capital social communautaire (Portes & Bach, 1980 ; Wilson & Portes, 1980). D’autres travaux sur des communautés asiatiques insistent sur le rôle positif de la solidarité ethnique dans la réussite scolaire des enfants d’immigrés et le découragement des comportements délinquants (Zhou, 1992 ; Zhou & Carl, 1994 ; Zhou, 1997).

25L’étude de l’articulation entre les rôles de ces trois différents acteurs fournit à Portes et ses collègues une typologie globale de l’assimilation qui insiste sur la diversité des parcours possibles (Portes & Borocz, 1989 ; Portes & Zhou, 1993 ; Portes, 1997). Dans cette typologie explicitement présentée dans Portes et Zhou (1993), la trajectoire de l’assimilation dite classique apparaît comme un cas particulier au sein de trois « modes d'incorporation » :

  • Une mobilité sociale ascendante, que connaissent de manière individuelle certains migrants et leurs descendants, et qui s’accompagne d’une acculturation progressive et d’une adoption des normes et valeurs de la société d’accueil. Il s’agit bien de l'assimilation classique.

  • Une assimilation à faible mobilité sociale (voire même à mobilité sociale descendante) qui incorpore les migrants dans les segments les plus défavorisés de la société. Elle s’accompagne d’une acculturation pourtant soutenue et de pratiques sociales et culturelles qui se rapprochent de celles de la société d’accueil. Dans cette trajectoire d’intégration, un facteur clé réside dans le degré d’hostilité de la société d’accueil à l’égard de certaines origines, souvent en raison de stéréotypes racistes ou xénophobes. Cette hostilité se traduit très souvent par de sévères mécanismes de discrimination et d’exclusion. Des travaux empiriques sur les Haïtiens ou les Mexicains illustrent ce caractère durablement infériorisant de ce mode d’incorporation qualifié de downward assimilation (Portes & Rumbaut, 1990 ; Portes, 1996 ; Portes & Rumbaut, 2001).

  • Une intégration économique dans la classe moyenne qui s’accompagne d’une préservation délibérée de la spécificité ethnique (via des pratiques intenses d’endogamie, une forte solidarité communautaire associée à d’importantes ressources économiques et sociales au sein du groupe). Cette forme d'intégration est censée préserver les caractéristiques culturelles du groupe ethnique sans franc conflit avec la culture centrale de la société, et sans que cela implique des conséquences négatives sur l'intégration des individus sur le marché du travail ou dans l’accès au logement. Ce mode d'incorporation – appelé parfois intégration sur le mode du pluralisme culturel – est de plus en plus possible dans un monde globalisé où les contacts avec la culture et le pays d’origine sont accessibles à tous et où l’ « immigration rupture » ne fait plus règle. Les travaux sur les cubains à Miami ou sur les communautés vietnamiennes ou coréennes constituent les exemples les plus fréquents de ce type de trajectoire d’intégration.

26Cette typologie a été largement mobilisée dans toute une panoplie de travaux empiriques qualitatifs comme quantitatifs, publiés dans des ouvrages majeurs produits par l’école de la segmentation (Portes & Rumbaut, 1990 ; Portes, 1995 ; Portes, 1996 ; Portes & Rumbaut, 2001) ou encore dans des études ponctuelles sur telle ou telle communauté (Zhou, 1992; Portes & Zhou, 1993 ; Zhou & Carl, 1994). Elle a été appliquée à l’école (Hirschman, 2001 ; Boyd, 2002), à la délinquance et la déviance (Zhou, 1997 ; Nagasawa et al., 2001 ; Martinez et al., 2004), dans des travaux en psychologie sociale (Rumbaut, 1994), des études sur la ségrégation spatiale (South et al., 2005), sur la vie familiale (Brandon, 2002 ; Rosenfeld, 2002), l’accès aux soins (Antecol & Bedard, 2006), etc. Néanmoins, la grande visibilité de cette théorie dans les travaux empiriques contemporains sur l’immigration cache des différences d’interprétation assez intenses. Certains travaux ne retiennent de l’assimilation segmentée que l’idée de la downward assimilation. D’autres accordent trop d’importance à l’image de l’immigré entrepreneur transnational gérant de manière quasi instrumentale sa double appartenance (Aldrich & Waldinger, 1990 ; Sanders & Nee, 1992). Ces travaux, d’ailleurs souvent critiqués, s’éloignent en réalité de l’esprit de synthèse qui motivait les premiers travaux sur la segmentation et qui présentait la théorie comme un cadre général contestant – mais aussi englobant – le paradigme classique. La force de cette synthèse réside notamment dans le fait qu’elle ait réussi à intégrer dans une même typologie des arguments à la fois culturalistes (l’idée de préservation du lien ethnique et du rôle de la communauté) et des arguments structuralistes (l’idée de l’assimilation infériorisante en raison des mécanismes inégalitaires et discriminatoires). Toujours est-il que la théorie de l’assimilation segmentée est souvent présentée comme la principale rivale du paradigme classique. De ce point de vue, elle a été un des majeurs outils de la déconstruction (voire la destruction) de ce paradigme. Dès la fin des années 1990, cette déconstruction a en réalité laissé place à une entreprise de réhabilitation.

  • 16   Au point qu’un célèbre texte de N. Glazer fut intitulé  Is assimilation dead ? (Glazer, 1993).

27Si la critique du paradigme de l’assimilation a été très virulente16, elle fut en grande partie réinvestie pour reconstruire un concept d’assimilation libéré des prénotions ethnocentriques des années 1920. Cette réhabilitation s’explique par le fait que, en dépit des critiques développées ci-dessus, la grande majorité des études empiriques dressent un portrait positif de l’évolution de la situation des immigrés aux États-Unis (Waters & Reed, 2007) ; il suffit de considérer l’évolution des indicateurs linguistiques ou maritaux pour se rendre compte de l’ampleur des changements. L’assimilation reste donc un concept utile pour analyser le devenir des migrants ; il s’agit là de la conclusion de la synthèse que font Waters et Jiménez dans Annual Review of Sociology en 2005 (Waters & Jiménez, 2005), comme de celle plus ancienne de Massey publiée dans la même revue en 1981 (Massey, 1981). Ces recensions s’accordent sur le fait que l'assimilation des immigrés venus d'Asie ou d'Amérique latine ne se fait pas à un rythme plus lent que celle des immigrés européens venus au début du XXe siècle. Plus généralement, la réhabilitation du concept d'assimilation réagit également à l’idée, de plus en plus répandue sur la scène politique mais aussi académique, selon laquelle les nouvelles vagues d’immigration seraient moins assimilables (voire même inassimilables). Cette opposition entre anciens et nouveaux immigrés traverse en réalité l’ensemble des pays d’immigration occidentaux.

  • 17  Les auteurs soulignent d’ailleurs qu'à l'origine, les travaux de l'École de Chicago étaient loin d (...)

28Les sociologues Richard Alba et Victor Nee sont les grandes figures américaines de la réhabilitation de l’assimilation. Leur ouvrage Remaking the American Mainstream est aujourd’hui une référence centrale des travaux sur les parcours d’intégration des immigrés aux États-Unis. Selon Alba et Nee, la sociologie doit, afin de combattre le « pessimisme » qui prévaut dans les représentations actuelles de l’immigration, reforger une définition de l’assimilation qui remédie aux défauts des définitions passées et qui explicite les mécanismes causaux du processus. Cette définition doit aussi être en phase avec le constat empirique de l’assimilation comme réalité indéniablement à l’œuvre, telle que l’atteste l’ensemble des travaux en sciences sociales, y compris les plus critiques vis-à-vis du paradigme classique. C’est ainsi que ces auteurs proposent de revenir aux racines du concept d’assimilation de l'École de Chicago tout en l’épurant des influences assimilationnistes et ethnocentriques17. Pour réhabiliter l’assimilation, ils procèdent d’abord par la réhabilitation de l’École de Chicago. D’après Alba et Nee, Park et Burgess considèrent l’assimilation comme le processus qui incorpore les minorités ethniques dans le noyau central de la société d’accueil, sans pour autant supposer une quelconque éradication de leurs signes ethniques et culturels. Néanmoins, si Alba et Nee réhabilitent Chicago, ils ne font pas pour autant abstraction de toutes les critiques énoncées vis-à-vis du paradigme classique de l’assimilation. Tout au contraire, ils consacrent une partie de leur ouvrage à dresser le bilan des objections les plus convaincantes pour proposer ensuite une définition « moderne » qui les intègre. Cette définition repose sur trois principes :

    • 18  Le texte devenu classique de Barth insiste sur le fait que c’est l’interaction sociale entre les g (...)

    Le premier principe concerne « la construction sociale des distinctions ethniques et raciales ». Depuis les travaux de Barth (1969)18, ce principe est largement partagé par les sociologues américains de l’immigration avec des versions plus ou moins radicales (Banton, 1998 ; Hirschman et al., 2000 ; Winant, 2000 ; Lee & Bean, 2004 ; Morning, 2008 ; Wimmer, 2008 ; Morning, 2009).

  • Cette ligne de distinction est encastrée ou matérialisée dans des éléments concrets de différences sociales et culturelles entre les groupes que les auteurs appellent des « marqueurs ethniques » (phénotypiques, religieux, culturels mais aussi socioéconomiques).

    • 19  La notion des frontières ethniques est influencée entre autres par les travaux sur les frontières (...)

    Si l’ethnicité est une frontière sociale construite, une ligne de distinction qui oriente les actions et les valeurs des individus, les rapports entre les groupes ethniques deviennent dépendants de « distances sociales » qui, lorsqu’elles sont réduites, stimulent les échanges entre groupes19 (Lamont & Molnar, 2002). C’est ce qui caractérise l’assimilation désormais définie par Alba et Nee comme l’atténuation des « frontières ethniques ».

29Ainsi, la nouvelle théorie de l’assimilation étayée par Alba et Nee insiste sur l’idée de transformations des distances sociales entre les groupes ethniques. Si les auteurs retiennent bien la notion de convergence dans leur théorie, ce n’est plus une « convergence vers » mais une « convergence entre ». Il n’est en effet pas nécessaire de supposer un remplacement d’une culture par une autre ; l’impact de la culture du groupe minoritaire sur le corps central peut se traduire par une expansion du champ de ce dernier. Une culture composite est ainsi créée par l’interaction de deux ou plusieurs groupes. Cette culture fusionnelle qui apparaît surtout dans la vie urbaine, reconstruit les répertoires de cuisine, de style, de culture populaire, etc. C’est à cette culture que réfère le concept de mainstream utilisé par les auteurs et qui remplace l’idée normative de noyau central. Si Alba et Nee considèrent que l’assimilation n’est ni naturelle ni inévitable, ils insistent aussi sur le fait qu’elle peut prendre cours indépendamment des volontés individuelles, et parfois même à leur encontre. Des immigrés qui ne « souhaitent » pas s’assimiler (devenir comme les natifs) peuvent évoluer dans ce sens en conséquence de décisions pragmatiques qu’ils prennent pour « réussir » dans la vie. Ainsi, plusieurs mécanismes expliquent les trajectoires particulières d’assimilation qui parfois se caractérisent par un mode plus collectif ou plus individualiste. Dans le deuxième chapitre de leur ouvrage, Alba et Nee décrivent trois principaux mécanismes de transformations des frontières ethniques qu’ils illustrent ensuite par des exemples empiriques issus d’un siècle d’immigration aux États-Unis.

30 - Boundary crossing (ou la transgression des frontières) : c’est ce mode qui se rapproche le plus du paradigme classique de l’assimilation. Il s’opère sur un plan individuel et désigne la traversée de la frontière « Someone moves from one group to another without any real change to the boundary itself » (p. 60). Cette transgression est souvent associée à une mobilité sociale individuelle ou parfois à l’intermariage. Le boundary crossing a un impact très faible sur la frontière elle-même.

31 - Boundary shifting (ou le déplacement des frontières) : il s’agit d’une translation des frontières qui transforme des outsiders en insiders. C’est par exemple par ce type de mécanisme que les immigrés irlandais, italiens et juifs qui étaient perçus comme racialement différents au début du XXe siècle sont devenus blancs (whitening) (Alba, 1992 ; Ignatiev, 1995). Alors que par boundary crossing, on désigne une trajectoire individuelle de traversée de la frontière, le boundary shifting décrit bien un mécanisme de déplacement de la ligne frontalière pour intégrer d’un côté ou de l’autre des groupes entiers (et non pas des individus aux trajectoires particulières) et sans pour autant altérer la distinction ethnique même. En d’autres termes, les Irlandais perçus comme racialement non blancs au début du siècle, sont devenus blancs sans pour autant que cela affaiblisse la frontière entre les Blancs et les Noirs, frontière qui est restée tout aussi structurante de la société étasunienne.

  • 20  L’exemple de l’esclavage est ici emblématique.
  • 21  Cette idée de contact à égalité de statut n’est pas nouvelle ; elle a une longue histoire de reche (...)

32 - Boundary blurring (ou le brouillage des frontières) : c’est ce mécanisme qui caractérise la « convergence entre » les groupes. Le boundary blurring signifie que les frontières symboliques deviennent de plus en plus « troubles » et ce, de manière collective et non pas par des trajectoires individuelles. C’est la fréquence de l’intermariage qui représente le mécanisme le plus puissant du boundary blurring. En effet, l’intermariage « produit » comme mécaniquement des individus dont les appartenances ethniques sont mixtes (que ces appartenances soient associées à des marqueurs phénotypiques, culturels ou socioéconomiques). Mais la mixité n’est pas en elle-même génératrice de brouillage des frontières. À l’inverse de Gordon qui considérait le contact soutenu entre les groupes comme le moteur du processus d’assimilation (c’est ce qu’il a dénommé l’assimilation structurelle), Alba et Nee affirment que ce ne sont pas la fréquence ni l’intensité du contact social qui aboutissent à l’assimilation. En effet, lorsque les « marqueurs ethniques » structurent des relations sociales inégalitaires – que cette inégalité soit le fruit de différences de traitement (discrimination) ou de comportements préférentiels – les contacts, même soutenus, ne peuvent troubler la frontière20. Alba et Nee affirment que la clé du mécanisme de blurring des frontières est le contact à égalité de statuts (equal status contact) produit par des opportunités socioéconomiques et résidentielles semblables21. L’intermariage incarne sans doute de la manière la plus symbolique ce contact égalitaire. Mais étant donné la forte préférence pour l’endogamie dans tous les groupes sociaux, il serait illusoire de compter sur l’intermariage comme seul moteur de l’assimilation. Alba et Nee plaident ainsi pour des dispositions et mécanismes institutionnels qui renforcent l’égalité des droits dans une société, conditions sine qua non au « contact égalitaire ». Ces dispositions apparaissent aujourd’hui sans doute les plus urgentes pour des populations très vulnérables telles que les immigrés clandestins, les réfugiés politiques, etc.

33Aujourd’hui, on trouve dans les publications les plus récentes de nombreuses études empiriques sur ces trois mécanismes de transformation des frontières appliqués à l’intermariage (Loveman & Muniz, 2007 ; Qian & Lichter, 2007), le choix des prénoms donnés aux enfants (Sue & Telles, 2007 ; Gerhards & Hans, 2009), les déclarations de l’appartenance ethno-raciale dans les recensements (Harris & Sim, 2002 ; Morning, 2005 ; Saperstein, 2006), etc. Ces travaux fournissent des descriptions très précises de la dynamique des frontières ethniques et raciales et contribuent ainsi à une vision « flexible » de l’assimilation entre les groupes d’une société d’accueil (Sanders, 2002). On le voit bien, la réhabilitation de l’assimilation proposée par Alba et Nee extirpe le concept du domaine de la sociologie de l’immigration où il est né pour étendre sa portée à la question plus générale de la différenciation sociale, ses modes de création, de cristallisation, d’évolution, de persistance ou d’atténuation. L’immigration représente de ce point de vue un phénomène extrême parce qu’elle fait parvenir dans une société des individus nouveaux, très souvent perçus et traités comme différents et se ressentant parfois comme tels. Il s’agit là d’un phénomène générateur d’intenses distinctions sociales. L’assimilation désigne ainsi de manière très large le devenir de ces distinctions sociales, leur dynamique. La réflexion sur l’assimilation devient ainsi la réflexion sur le changement social.

34Cet article passe en revue plus d’un siècle de recherche sur le processus d’intégration des immigrés aux États-Unis. L’exhaustivité est impossible à atteindre dans une telle entreprise ; l’objectif n’est d’ailleurs pas de lister toutes les idées et conceptions de l’intégration mais plutôt de mettre en exergue les principales lignes du débat et leurs évolutions au sein de la communauté scientifique. Un enseignement général qui pourrait paraître trivial me semble néanmoins utile à souligner ; cette lecture de la littérature américaine fait bien apparaître le processus d’intégration des immigrés comme un objet de recherche scientifique – toujours d’actualité. Dans le cadre de la démarche analytique en sciences sociales, il est ainsi soumis aux règles croisées de l’énonciation théorique et de la validation empirique.

35La littérature américaine sur ce sujet a produit un certain nombre de savoirs incontournables aujourd’hui pour les travaux portant sur l’immigration. Le premier est bien connu en France ; il met en évidence que le paradigme assimilationniste a longtemps profilé les groupes sur les bases de certains requis culturels supposés nécessaires au « succès » dans les sociétés « modernes ». Mais cet ethnocentrisme inhérent aux premiers travaux sur l’intégration des immigrés a été dépassé grâce à une réelle complémentarité entre recherches empiriques et théoriques sur l’immigration et sans pour autant abandonner des concepts clés de la tradition sociologique sur ces questions tels que assimilation, ethnicité ou appartenance raciale. Un large nombre d’études empiriques s’accorde aujourd’hui sur la faible importance relative des mécanismes culturels dans le déroulement de l’assimilation ; ce ne sont pas les supposés hiatus culturels entre les peuples qui ralentissement ou bloquent l’assimilation des immigrés. Pendant près de trente ans, une déconstruction méthodique du paradigme classique insiste sur l’importance des dimensions structurelles (accès à l’emploi et au logement, égalité de droits et de statuts, égales chances d’éducation, accès au soin, etc.). L’atténuation des frontières entre les groupes sociaux passe en grande partie par un affaiblissement des barrières discriminatoires et, plus généralement, par une dépréciation des stéréotypes de catégorisation ethno-raciale. L’intégration est difficile donc, non pas en raison de l’inégalité des cultures, mais plutôt de l’inégalité de traitement. Dans cette perspective, l’apport des derniers travaux sur la réhabilitation de l’assimilation réside dans l’apaisement qu’ils injectent dans le débat, en montrant que les barrières à l’assimilation ne sont pas infranchissables et que les frontières ethno-raciales sont des objets sociaux toujours dynamiques. Dans les visions les plus optimistes, cette dynamique des frontières devrait aboutir à un mouvement d’égalisation croissante de la situation des minorités ethniques et raciales dans les prochaines décennies ; c’est le pari que fait R. Alba dans son dernier ouvrage (Alba, 2009). Si l’on peut douter de la réalisation effective d’une telle prophétie, il est indéniable que l’égalité ethnique et raciale est aujourd’hui une aspiration politique majeure dans les démocraties occidentales confrontées à une plus grande diversité de leurs populations.

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Notes

1  En Anglais, on parle plutôt du processus d’assimilation. En France, suite à un réel « combat pour les mots » (Schnapper, 1998, p. 407-408), on a plutôt insisté pour l’abandon du terme assimilation, et son remplacement par le terme intégration, sans pour autant changer réellement son sens (Sayad, 1994 ; Lorcerie, 1997). Dans ce texte, nous avons néanmoins fait le choix d’utiliser de manière interchangeable ces deux termes qui désignent pour nous un même objet de recherche en sociologie : le devenir des migrants dans une société d’accueil. Comme nous le montrerons ci-dessous, les sociologues américains ont forgé différents modèles de ce processus sans changer de terminologie ; ce sont précisément ces modèles que le texte cherche à présenter.

2  Signalons ici que si de nombreux chercheurs sur l’immigration affirmaient directement dans leur travaux leur adhésion au modèle républicain, certains auteurs l’ont contesté dès les années 1990, mais les données empiriques à leur disposition ne permettaient pas d’apporter des preuves généralisables (Lapeyronnie, 1987 ; Dubet & Lapeyronnie, 1992 ; Lepoutre, 1997). Et puis, il faut sans doute réserver une place particulière aux travaux de A. Sayad. Ses recherches ont porté sur la dimension psycho-sociale et politique de l’intégration des migrants avec une attention particulière accordée à l’immigration algérienne. On peut trouver dans son texte « Qu’est-ce que l’intégration » publié en 1994 une des meilleures formulations critiques vis-à-vis du modèle républicain : « une vertu civique qu'on présente comme une garantie ou un garde-fou contre la discrimination essentialiste (par nature, donc raciste) et dont on se loue aussi, le contrat social et politique ayant en France et dans la tradition française le primat sur les liens d'appartenance ethnique, la France (qu'on aime opposer alors à l'Allemagne) ne se refusant pas de faire de n'importe quel homme (en droit) un Français, sans se douter de ce que cet universalisme et le monopole qu'on croit détenir sur cet universalisme (à preuve la manière française de parler des droits universels de l'homme) peuvent avoir de chauvin, voire d'impérialiste (le chauvinisme et l'impérialisme de l'universel), pour reprendre l'expression de Pierre Bourdieu) » (Sayad, 1994, p. 11)

3  Le terme empirique englobe ici les travaux qui mobilisent des résultats d’enquêtes, que les données soient collectées et/ou traitées avec des méthodes quantitatives (grandes enquêtes sur échantillons représentatifs et méthodes statistiques) ou qualitatives (monographies et enquêtes de terrain, analyses d’entretiens…). Les travaux cités dans cet article se repartissent d’ailleurs de manière relativement équivalente dans ces deux grandes familles de méthodes empiriques en sociologie.

4 De grandes enquêtes de la statistique publique permettant désormais de travailler sur les secondes générations immigrées ont récemment donné  lieu à de nombreuses publications sur les inégalités sur le marché du travail, la ségrégation spatiale, les inégalités dans l’accès aux soins, etc. Par ailleurs, l’enquête TeO réalisée en 2008 spécifiquement sur des questions d’immigration, de discrimination et de diversité constitue un formidable chantier pour les recherches sur ces questions (Beauchemin et al., 2010) .

5  Précisons ici que cette appellation a pris sens a posteriori ; ce sont les travaux qui se sont attelés à la critique de ce paradigme à partir des années 1960 qui l’ont aussi désigné comme classique ; les écrits de l’École de Chicago ne parlaient pas de « paradigme classique ».

6  Elle est aussi appelée tout simplement assimilation ou parfois straight line assimilation. Cette dernière expression traduit bien l'idée de convergence linéaire.

7  L’École de Chicago utilisait plutôt le terme racial pour désigner autant les Italiens, Irlandais, Européens de l’Est, etc. que les populations afro-américaines. Pour Park et Burgess « le cycle des relations raciales » était d’ailleurs à l’œuvre à la fois pour les populations immigrées et les Noirs (Park & Burgess, 1921). Néanmoins, comme le montrent de nombreux travaux sur la catégorisation officielle de la population américaine, l’ethnique renvoie désormais plus dans ce pays à la culture ou à l’origine nationale alors que le racial réfère au phénotype (Rodriguez, 2000 ; Perlmann & Waters, 2002 ; Hattam, 2007 ; Schor, 2009). Tel n’est pas vraiment le cas en France où l’ethnique et le racial sont en général des termes peu populaires dans la littérature scientifique alors que le débat public utilise souvent le premier terme comme un substitut « euphémisé » du second (Fassin & Fassin, 2006 ; Sabbagh, 2007). Néanmoins, dans la littérature scientifique, les théories les plus récentes de l’ethnicité englobent aujourd’hui la question raciale,  insistant plus d’ailleurs sur le caractère intrinsèquement conflictuel, voire infériorisant, des relations raciales que sur leur rattachement inhérent aux différences phénotypiques (Rex, 1986 ; Rex & Mason, 1986 ; Ignatiev, 1995 ; Cornell & Hartmann, 1998 ; Back & Solomos, 2000 ; Winant, 2000 ; Foner & Frederickson, 2004). Le racial serait donc un cas particulier de l’ethnique ou du moins les zones où les deux concepts se recoupent seraient importantes. C’est pour cela que j’utilise dans ce texte l’expression « ethno-racial ».

8  Ce cycle est composé de quatre étapes : le contact, la compétition, l’accommodation et l’assimilation. Selon Park et Burgess, cette dernière est le « produit final parfait » de l’interaction (Park & Burgess, 1921, p. 736).

9  Cela ne signifie pas pour autant que l’assimilation advienne rapidement. Selon Warner et Srole par exemple, cette durée peut être plus ou moins longue en fonction de la couleur de la peau des migrants, de leur religion et de leur culture. Ils estiment ainsi que les Italiens (dark skin mediterranean catholics) s’assimileront au fil de six générations, une durée qualifiée de modérée par ces auteurs (cité par Alba & Nee, 2003, p. 3).

10  Il convient de souligner que selon Warner et Srole, les disparités dans la vitesse de l’assimilation des différents groupes étaient plus liées à leurs distances culturelles aux WASP qu’à leurs caractéristiques raciales (ou phénotypiques). D’ailleurs, pour ces auteurs comme pour leurs prédécesseurs, notamment de Chicago, l’importance accordée au facteur culturel était un moyen de lutter contre les théories racistes et le darwinisme social encore présent dans les représentations mentales de l’époque (Banton, 1977 ; Altschuler, 1982). Ainsi, les Afro-Américains n’étaient pas inassimilables (en raison de leur race) mais plutôt non encore totalement assimilés – ou sur la voie (certes lente mais réelle) de l’assimilation. Cette idée d’une assimilation encore inachevée des Noirs-Américains était à l’époque concordante avec un positionnement politique plutôt libéral qui adhère à la lutte contre les préjugés raciaux et les discriminations, tout en encourageant les populations noires à aspirer à l’assimilation et à rejoindre par là la classe moyenne blanche.

11  Ce terme provient de la pièce de théâtre d’I. Zangwill (1864-1926) « The Melting Pot », dont le message était que tous les immigrants arrivés aux États-Unis pouvaient devenir Américains, un peuple formé dans un creuset de démocratie et de liberté.

12  Avec notamment les écrits d’intellectuels tels que H. Kallen et de R. Bourne cités par M. Gordon (n’est pas dans la biblio) (1964, p. 142) ; le premier défendait l’idée d’une « Amérique démocratie des nationalités » alors que le second est notamment connu pour son article publié en 1916 « Trans-national America » qui mettait en avant la nécessité de prendre en compte la dimension cosmopolite de la nation américaine.

13  Gordon parle de participation dans les sphères sociales primaires du groupe majoritaire (« cliques », associations et institutions de la société accueil). Elle renvoie donc à l’idée durkheimienne de lien de participation organique.

14  Pour un éclairage récent sur les perspectives culturalistes et structuralistes en sociologie, on peut se référer au premier numéro de l’année 2010 de The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science et notamment à l’introduction (Small et al., 2010). Dans la même revue, Charles a également publié un texte qui me paraît précieux pour comprendre les développements sociologiques récents sur ces questions (Charles, 2008).

15  Glazer et Moynihan ne donnent une définition précise du groupe ethnique que dans la préface à l’édition de 1970 : « un groupe distinct, avec une histoire distincte, des intérêts définis et un style de vie identifiable dans la vie sociale, la culture et la politique ».

16   Au point qu’un célèbre texte de N. Glazer fut intitulé  Is assimilation dead ? (Glazer, 1993).

17  Les auteurs soulignent d’ailleurs qu'à l'origine, les travaux de l'École de Chicago étaient loin des accusations ethnocentriques et uniformatrices dont a souffert le concept d'assimilation. Ce sont selon eux les travaux ultérieurs qui ont déformé la vision chicagoienne de l'assimilation. Il s'agit essentiellement des travaux  de Warner et Srole mais aussi, dans une certaine mesure, de ceux de Gordon.

18  Le texte devenu classique de Barth insiste sur le fait que c’est l’interaction sociale entre les groupes qui crée les différences culturelles et leur confère un sens (Barth, 1969). Contrairement aux théories culturalistes qui expliquent les différences ethniques par des cultures différentes, la définition de Barth du groupe ethnique est extérieure aux différences culturelles.

19  La notion des frontières ethniques est influencée entre autres par les travaux sur les frontières symboliques de Michèle Lamont (Lamont, 1999). Une définition proposée par Lamont et Molnar est la suivante : « distinctions conceptuelles construites par les acteurs sociaux pour catégoriser les objets, les personnes, les pratiques, et même le temps et l’espace ».

20  L’exemple de l’esclavage est ici emblématique.

21  Cette idée de contact à égalité de statut n’est pas nouvelle ; elle a une longue histoire de recherche en psychologie sociale, notamment depuis les travaux de Allport (1954). L’hypothèse centrale de Allport est que le contact à égalité de statut réduit les stéréotypes ethniques et raciaux et promeut des attitudes inter-groupes  plus positives. Cette hypothèse est généralement validée dans les travaux empiriques, même si la définition du « equal status contact » ne va pas toujours de soi (Jackman & Crane, 1986 ; Sigelman & Welch, 1993 ; Pettigrew & Tropp, 2006).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mirna Safi, « Penser l’intégration des immigrés : les enseignements de la sociologie américaine », Sociologie [En ligne], N°2, vol. 2 |  2011, mis en ligne le 16 juin 2011, consulté le 21 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/964

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Auteur

Mirna Safi

mirna.safi@sciences-po.frChargée de recherche à Sciences Po - Département de sociologie - Observatoire Sociologique du Changement (OSC) - 27 rue Saint-Guillaume - 75337 Paris Cedex 07

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Droits d’auteur

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