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Sylvain Bordiec, La Fabrique sociale des jeunes. Socialisations et institutions (De Boeck Supérieur, 2018)

Maxime Rouzaut
Référence(s) :

Sylvain Bordiec (2018), La Fabrique sociale des jeunes. Socialisations et institutions, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur, 176 p.

Texte intégral

1Pourquoi, en 2020, est-il toujours question d’un « ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse » ? En effet, s’il existe un « ministère en charge des Sports », n’y aurait-il donc qu’une seule et même jeunesse pour laquelle un unique prisme d’analyse suffirait ? Sa définition semble évidente, voire acquise dans les mémoires collectives, mais Sylvain Bordiec, maître de conférences à l’Université de Bordeaux et spécialiste des exclusions sociales, rappelle à travers cet ouvrage la nécessité pour les sociologues de déconstruire la notion de jeunesse, pour mieux la comprendre et la conceptualiser. En réalisant ce pas de côté, et sur les traces de Pierre Bourdieu notamment, l’auteur accomplit un travail de synthèse conséquent pour quiconque s’intéresse à la jeunesse considérée « plurielle ». La présente analyse est d’abord et avant tout un état de l’art à destination des étudiants de l’enseignement supérieur, de master et de doctorat, souhaitant légitimer leurs travaux de recherche. Pour ce faire, l’ouvrage se scinde en neuf chapitres, eux-mêmes redistribués dans trois grandes parties. Les sous-parties sont succinctes et retracent avec justesse les grandes idées et courants sociologiques ayant trait à une « fabrique sociale des jeunes ». Cet ouvrage vise donc à défaire les représentations parfois naïves que l’on pourrait associer aux socialisations juvéniles, en proposant une macro-analyse en début de lecture, puis, progressivement, en pointant leur singularité.

2Dans la première partie, une utile démarche sociohistorique est entreprise. De 1850 à nos jours, différentes dates et périodes clés des jeunesses dans la société française sont balayées, bien que difficiles à délimiter parfaitement dans le temps. En ce sens, les divers travaux d’historiens et de sociologues précisent de quelle manière les apports du Front populaire, et l’intérêt croissant des politiques pour la gestion du temps libre, convergent vers une période charnière : les années 1960. Avant cette période, la jeunesse est considérée comme victimisée et passive, puis elle est plutôt perçue comme marginale, voire contestataire. Il faut attendre, par exemple, l’année 1981 et la première émeute largement médiatisée dans la banlieue lyonnaise des Minguettes, pour que les pouvoirs publics se saisissent davantage du malaise des grands ensembles, en dépit du mouvement social de mai 1968. Selon l’auteur, même si la jeunesse recouvre plusieurs facettes, elle n’en demeure pas moins une transition inévitable entre socialisation primaire et secondaire. Son étude doit également être portée au prisme de la diversité des territoires et du poids des institutions dans les trajectoires individuelles juvéniles. Ainsi, à l’issue de cette première partie, le lecteur saisit toute l’importance des choix et de leurs conséquences, scolaires notamment, opérant au cours de la jeunesse. Ce détour sociohistorique ne laisse aucun doute : le temps et les mécanismes sociaux à l’œuvre n’ont pas réduit les inégalités sociales, bien au contraire, ils les ont renforcées.

3Dans la deuxième partie, l’auteur s’attarde plus en détail sur la diversité caractérisant les sphères privées dans les socialisations juvéniles, allant de la notoriété des établissements scolaires fréquentés jusqu’à l’influence des premiers ébats amoureux vécus. Entre phases de « jeunaissance » et de « jeunissement », ces processus de socialisation n’échappent pas non plus aux questions de genre, de race et de sexe. De ce fait, les inégalités, sociales et spatiales, se renforcent dans et en dehors des cercles extra-familiaux et scolaires. Sylvain Bordiec rappelle également la légitimité de ces cercles dans l’intériorisation informelle des goûts et des dégoûts développés par les jeunes, aussi bien sportifs, artistiques que culturels. Par ailleurs, si tous ces facteurs participent à la construction d’une catégorie sociale à part entière, les « socialisations amicales, amoureuses et sexuelles » (chapitre six) d’hier et d’aujourd’hui s’inscrivent pleinement dans cette analyse. Conjointement, les récents travaux sociologiques cités illustrent le caractère contemporain de l’ouvrage. Au plus, ceci en fait incontestablement une force pour quiconque s’intéresse à la place qu’occupent les jeunes dans notre société, au moins, il constitue une base bibliographique conséquente.

4Mais alors, jusqu’où s’arrête ce « jeunissement » ? Quelles en sont les limites spatiales et temporelles ? Dans la troisième et dernière partie, il est question de l’(in)accès aux études supérieures, amenant à percevoir le statut de l’étudiant comme un métier inédit. Ce dernier s’articule autour de dichotomies opposant études courtes, longues, grandes écoles et université, ou encore expériences et inexpériences de mobilité à l’international. Néanmoins, ce métier ne peut être considéré sans la prise en compte des conditions d’accès au logement étudiant et des formes d’engagement associatif ou militant sur les campus. L’auteur va même plus loin et montre comment les jeunes intègrent le « monde des adultes » suivant les choix scolaires, d’une part, et les attentes familiales, d’autre part. La présente analyse met en lumière les conditions nécessaires à la réussite professionnelle de ces jeunes, s’appuyant à la fois sur différentes formes d’engagement pour certains et de résistance au travail pour d’autres. Ainsi, l’entrée dans la vie active n’est pas linéaire et exempte d’obstacles. Longtemps qualifiée d’insouciante et de volatile, cette nouvelle vie, héritière de mai 68, ne cesse de s’allonger pour répondre aux exigences du marché du travail. Désormais, le ou la jeune doit s’adapter aux nouvelles méthodes de management, tous secteurs d’activités confondus. Cette thèse, défendue par l’auteur, souligne l’importance de nouvelles compétences transverses dont le développement est amorcé au cours de la jeunesse. Par ailleurs, la pression professionnelle exercée est en partie le produit d’une société façonnée par les aînés, même si elle ne doit pas systématiquement être perçue comme une contrainte. Sur ce point, une analyse plus approfondie des nouveaux modes de comportements juvéniles à l’œuvre permettrait une plus large compréhension de la disparité constituant les intégrations sociales, dont les tenants et aboutissants ne cessent de se complexifier.

5Au regard de la thématique abordée, on comprend mieux l’emploi du titre « fabrique sociale ». En effet, une fois la lecture achevée, le lecteur perçoit toute la difficulté à intégrer et à sortir, voire s’échapper, des jeunesses dites contemporaines, notamment par le biais des épreuves de vie et des pairs qu’elles côtoient. Les trajectoires individuelles, renforcées par les inégalités sociales, projettent les jeunes dans un combat qui, pour certains, semble perdu d’avance. Ici, l’auteur n’hésite pas à rappeler à plusieurs reprises les conséquences de la « pesanteur sociale » vécue de manière latente, car influencée par les déterminismes sociaux. Pour d’autres, ces inégalités résonnent comme des opportunités et favorisent un accès moins contraint à la vie d’adulte. Cette idée nuance une vision parfois fataliste que l’on se fait d’une partie du public juvénile contraint socialement. Ici, le travail de synthèse largement documenté, n’existe pas dans l’unique but d’approfondir des connaissances universitaires. Il interroge le poids des institutions publiques et les conséquences de leurs actions dans la construction de certains destins scellés. Il constitue également une grille de lecture afin d’analyser les critères d’une « jeunesse confirmée » au même titre que l’acquisition progressive de son indépendance. Pour susciter et entretenir l’intérêt de l’action publique envers les jeunes, ce travail sociologique doit être davantage dupliqué à des échelles locales, car « ce qui fabrique les jeunes et ce que fabriquent les jeunes apparaît alors comme étant une seule et même question n’ayant pas fini de tarauder les sociologues » (p. 201). Pourtant, et comme le montre le travail entrepris, cette question n’appelle pas une unique réponse. Si les nombreuses recherches sociologiques quant aux processus de socialisation se sont multipliées et l’influence des institutions sur les dotations sociales, culturelles et économiques est identifiée à un grain plus fin, il n’en demeure pas moins que la variable temporelle reste la plus difficile à maîtriser puisque moins perceptible, plus abstraite. Ainsi, le temps qui passe, aléatoire, plus ou moins contraignant d’un jeune à l’autre, ne constituerait-il pas l’une des difficultés majeures pour le sociologue souhaitant établir une grille de lecture des socialisations juvéniles ? Le lecteur pourrait regretter, ou plutôt espérer, que l’intérêt à apporter au temps soit davantage développé dans le sillage de la « fabrique sociale des jeunes ».

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Pour citer cet article

Référence électronique

Maxime Rouzaut, « Sylvain Bordiec, La Fabrique sociale des jeunes. Socialisations et institutions (De Boeck Supérieur, 2018)  », Sociologie [En ligne], Comptes rendus, 2021, mis en ligne le 03 août 2021, consulté le 16 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/8726

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Auteur

Maxime Rouzaut

rouzaut.maxime@gmail.com
Doctorant en STAPS, LABERS EA 3149, ED Sociétés, Temps, Territoires, Université de Bretagne Occidentale - Laboratoire d’études et de recherche en sociologie (LABERS), UFR Lettres et Sciences Humaines, 20 rue Duquesne, CS 93837, 29238 Brest cedex, France

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