Annexes de l'article « Des professionnelles de la socialisation : visibilité du travail, normes professionnelles et clivages sociaux chez les assistantes maternelles »
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1En complément des analyses présentées dans l’article, nous avons souhaité mettre à la disposition des lecteurs un certain nombre de documents supplémentaires qui ne pouvaient pas être intégrés ou joints à sa version papier.
Annexe 1. Caractéristiques sociales des assistantes maternelles enquêtées citées dans l’article
Prénom de l’enquêtée |
Age |
Trajectoire scolaire et professionnelle |
Domicile et espace local |
Situation familiale |
Patricia |
45 ans |
Assistante maternelle depuis 15 ans, elle a été agente polyvalente en crèche avant cela. Elle a toujours travaillé dans la petite enfance. |
Elle vit et travaille dans une commune favorisée de la région parisienne. Elle est propriétaire de son appartement |
En couple avec un homme travaillant comme « gérant de stock » dans une entreprise de luxe. Trois filles : une de 20 ans, actuellement en séjour en Australie où elle travaille pour perfectionner son anglais, une de 17 ans au lycée souhaite faire une prépa « marketing » ( sa mère dit ne pas savoir ce que contient la formation), une dernière de 12 ans. |
Aïcha |
48 ans |
Assistante maternelle depuis 2005. Elle a exercé divers métiers auparavant : fleuriste, employée dans une entreprise d’emballages, auxiliaire de vie |
Elle vit et travaille dans une commune favorisée de la région parisienne. Elle est propriétaire de son appartement |
En couple avec un professeur au collège en physique-chimie. Quatre enfants : Un fils de 20 ans en centre de formation de football, une fille de 19 ans en première année de licence de biologie après une première année en fac de médecine, une fille en terminale (17 ans) et une fille de 10 ans. |
Iris |
40-45 ans |
Assistante maternelle depuis 6 ans, elle est syndiquée dans un syndicat professionnel d’assistantes maternelles. Titulaire d’un bac technologique dans le textile, elle a travaillé « dans la mode ». |
Elle vit et travaille dans une commune favorisée de la région parisienne. Elle est propriétaire de sa maison (bourgeoise, situé dans un « beau quartier » de la commune, avec un système de sécurité apparent). |
Elle a deux enfants : une fille de 18 ans (plutôt tournée vers les langues selon elle) et un fils de 15 ans (avec un profil plus « ingénieur » selon Iris). |
Sabrina |
45 ans |
Titulaire d’un BTS dans les professions commerciales, elle a été chargée de recrutement dans une entreprise d’intérim pendant une dizaine d’années avant de devenir assistante maternelle. Elle est adhérente du syndicat professionnel des assistantes maternelles |
Elle vit et travaille dans une commune favorisée de la région parisienne. Elle est propriétaire d’une maison dans un « beau quartier » où elle a emménagé peu de temps avant l’entretien |
Son mari est « commercial » en région parisienne. Elle a deux enfants : un garçon de 13 ans et une fille de 15 ans. |
Lydie |
63 ans |
Devenue assistante maternelle à 55 ans, elle a une formation de « sténo » et a été employée de bureau avant d’interrompre sa carrière car « [mon] mari ne voulait pas que je travaille » |
Elle vit et travaille à Paris où elle s’est installée il y a une dizaine d’années pour la mobilité professionnelle de son mari. Elle était auparavant propriétaire d’une maison à Metz |
Son mari aujourd’hui en retraite était gendarme. Elle a deux enfants d’une trentaine d’années : le garçon est éducateur sportif, la fille travaille dans une association d’aides à domicile. |
Carla |
46 ans |
Titulaire d’une maîtrise d’espagnol, elle a travaillé dans l’enseignement (maître auxiliaire espagnol). |
Propriétaire de sa maison dans une commune de l’agglomération d’une grande ville de Normandie. |
Son mari est diplômé du supérieur (niveau bac +4) mais on ne dispose pas d’éléments concernant son activité professionnelle. 3 enfants, tous 3 scolarisés dans l’enseignement privé : une fille de 18 ans en terminale générale, un garçon de 15 ans en seconde générale et une fille de 11 ans en 6e. Elle est issue d’une famille populaire (mère femme de ménage et père ouvrier du bâtiment) |
Nadège |
46 ans |
Titulaire d’un BEP Sanitaire et social, elle a travaillé en tant que secouriste (agente non diplômée effectuant des tâches proches de celles des aides soignantes) 17 ans dans un service de neurochirurgie infantile dans un CHU. Par validation des acquis elle a passé un brevet d’auxiliaire de puériculture |
Elle vit et travaille dans une petite commune en Normandie, non loin de la côte. Elle est propriétaire de son logement (une maison). |
Son mari a un diplôme de carreleur et exerce en auto-entrepreneur dans le bâtiment (c'est un très bon bricoleur qui « touche à tout ») . Elle a 3 enfants dont deux jumeaux de bientôt 18 ans (l’un est en CAP Espaces verts et l’autre en CAP Ebénisterie). L’ainé (21 ans) est inscrit dans un IUT en logistique (après une scolarité difficile selon elle). |
Olga |
40 ans |
Elle a travaillé une dizaine d'années à la caisse et à l'accueil dans un supermarché avant de devenir assistante maternelle suite à des problèmes de garde pour sa propre fille. Elle a suivi des formations « dans la vente » mais ne dispose pas d’un titre scolaire en lien avec cette activité. Elle est assistante maternelle depuis 16 années. |
Propriétaire de son logement, elle vit et travaille dans une commune de bord de mer en Normandie |
Son mari est gendarme. Sa mère était femme au foyer et son père ouvrier d’industrie. Elle a deux enfants : un fils de 20 ans et une fille de 17 ans. |
Nadine |
52 ans |
Nadine a travaillé comme vendeuse dans un grand magasin parisien pendant 15 ans, avant de prendre un congé parental. Elle se présente comme « sans diplôme » et a arrêté l’école en troisième. Elle est assistante maternelle depuis 16 ans. |
Locataire de son logement, elle vit à Paris avec son mari et trois de ses filles, maintenant adultes. La retraite de son mari « paie le loyer ». |
Son mari, ancien réceptionniste, est à la retraite depuis 10 ans. Elle a quatre filles entre 20 et 30 ans, trois sont en emploi (dont une en alternance, certaines ont de petits salaires dit-elle) et une « ne fait rien », vient de terminer un BTS. |
2Pour garantir la confidentialité des données personnelles dans cette enquête, nous avons recouru à des pseudonymes pour désigner les personnes, adultes et enfants, auprès de qui nous avons réalisé des entretiens et observations. Cette anonymisation a fait l’objet d’un travail collectif, au cours de l’analyse croisée des données, dans le souci de répondre à plusieurs enjeux. Nous avons cherché à limiter les données socio-spatiales et institutionnelles afin que les enquêté·e·s ne puissent pas être identifié·e·s, en dehors de l’identification toujours possible au sein de leurs réseaux proches d’interconnaissance (Beaud et Weber, 2007). Nous avons également procédé à une « anonymisation située » (Coulmont, 2017) visant à transcrire la position sociale et l’origine des assistantes maternelles rencontrées et celles des enfants qu’elles gardent. Les prénoms de substitution ont été choisis au cours de discussions collectives sur chaque trajectoire, parfois en se référant au « fichier des prénoms » (1950-2019, INSEE), parfois en recourant à la proximité sociale des prénoms selon les résultats obtenus au baccalauréat (http://coulmont.com/bac/index.html).
3Beaud S. & Weber F. (2007), Guide de l’enquête de terrain: produire et analyser des données ethnographiques, Paris, La Découverte, 334 p.
4Coulmont B. (2017), « Le petit peuple des sociologues », Genèses, n° 107, p. 153‑175.
Annexe 2. Extraits de compte-rendu d’observation
5Le document suivant a pour objectif de donner à voir les matériaux recueillis lors d’observations du travail au domicile des assistantes maternelles. Il illustre ici trois postures différentes analysées dans l’article.
1. Une action auprès des enfants minimisée qui s’appuie sur une catégorisation des enfants
6Aïcha, 48 ans, assistante maternelle dans une commune aisée de la région parisienne
Aïcha a arrêté l’école après le collège et a exercé divers métiers (employée dans une entreprise d’emballage, auxiliaire de vie, fleuriste). Elle est mariée avec un enseignant et a quatre enfants.
J’arrive à 16h chez Aïcha et les trois enfants qu’elle accueille sont réveillés et finissent leur goûter, Liam (20 mois) et Gabrielle (2 ans) sont debout dans le salon. Aïcha continue de leur donner quelques biscuits en partant de chez elle puis au parc.
Aïcha propose assez rapidement « que Gabrielle [me] fasse un dessin », elle dit : « C* [l’enquêtrice] veut un dessin ». Aïcha installe Gabrielle à table. Gabrielle dit qu’elle veut aussi faire un dessin pour sa maman. Aïcha se met à chercher des feuilles blanches dans l’armoire du salon « normalement, je les mets là », tandis que Gabrielle attend dans sa petite chaise. Finalement, Aïcha se ravise et abandonne l’idée de dessin « car c’est difficile avec Liam », il ne tient pas en place. Elle ajoute aussi très vite après mon arrivée : « c’est Liam, il n’a pas changé ». Elle ajoute également que « Gabrielle aime bien les enfants », sous-entendu, elle est gentille avec Oscar, le plus petit (9 mois). (...) Oscar est ensuite installé par terre sur le tapis de jeu et Aïcha fait toujours attention à ce que les deux autres enfants ne soient pas trop près de lui. Aïcha descend Gabrielle de sa chaise (puisqu’Aïcha a abandonné la conduite de l’activité dessin), nous nous installons à nouveau sur le canapé, et Aïcha, assise par terre, tend un livre à Gabrielle et à Oscar. Aïcha souhaite que je lise une histoire à Gabrielle et m’observe. (…) Alors que nous sommes autour des livres, Gabrielle veut le livre qu’a Liam, et Aïcha lui tend un autre livre : « tiens, prends Oui-Oui ». Aïcha ajoute en se tournant vers moi : « J’aimerais bien aller à la bibliothèque avec toi [un jour où je serai là] mais avec Liam c’est compliqué ». « Ah oui ? » « Oui, il va dans tous les coins de la bibliothèque, il court partout » et elle montre par des gestes qu’elle doit courir après lui. « Et il peut déchirer les livres aussi, alors qu’ici, ce n’est pas grave ». J’acquiesce, et demande comment elle fait d’habitude : « J’y vais quand j’en ai que deux ». Elle ajoute aussi qu’elle n’y va pas très souvent.
Liam commence à s’agiter, d’abord assez doucement puis plus clairement, il ne veut pas rester dans les bras d’Aïcha. Lorsqu’il va sur sa chaise (derrière le canapé), il se met debout sur le repose-pied de la chaise enfant sans s’asseoir et Aïcha est obligée de le suivre, d’être près de lui, de lui rappeler qu’il ne faut pas faire ça, qu’il va se faire mal. Aïcha s’inquiète beaucoup, elle a peur pour les enfants. Elle dit d’ailleurs quelque chose qu’elle avait dit le premier jour d’observation : « les parents les amènent dans un état le matin et il faut les rendre dans le même état le soir. » (…).
[plus tard] Liam se cogne la tête en arrière sur le rebord du canapé et semble avoir voulu cet effet. Aïcha lui dit en le regardant dans les yeux : « Qu’est-ce qui t’arrive ? Pourquoi est-ce que tu fais ça ? » de manière beaucoup plus concentrée, focalisée sur lui que ce que j’avais vu à présent. Elle s’adresse vraiment à lui, avec un air d’incompréhension, non pas parce que ce serait inhabituel, plutôt peut-être parce qu’elle perçoit cela clairement comme un problème (Liam faisait cela aussi lors de ma deuxième observation). Liam repart puis vient taper avec sa main le bras d’Aïcha plusieurs fois. Aïcha lui rappelle plusieurs fois que « ton papa a dit qu’il ne fallait pas taper ». Aïcha me dit que plus tôt dans la journée « il lui a fait mal » et me montre sa main et les points de suture qu’elle avait il y a trois semaines et la blessure qui n’est toujours pas bien refermée. Liam s’approche de moi et fait la même chose. Aïcha le reprend et elle l’avait déjà prévenu plusieurs fois qu’il « irait au coin ». Sans qu’elle se fâche, toujours très calmement, elle emmène Liam et le met sur sa chaise. Il semble qu’aller « au coin » signifie mettre l’enfant sur sa chaise, laquelle est un peu à l’écart de la table à la même place que la dernière fois où je suis venue. Celui-ci se met à crier, elle le laisse un peu sur sa chaise. Aïcha s’affaire autour de lui, et lui parle (pendant ce temps, j’essaie de me faire aussi petite que possible et reste dans le salon avec les deux autres). Elle revient après 4-5 minutes avec Liam sur les genoux, il pleure et elle le console chaudement, avec des baisers et en l’appelant « mon chéri », « c’est fini ». Liam semble se calmer progressivement : « Quand il fait des crises, je le laisse », « Avec son père, il ne fait pas ça, mais avec sa mère oui », « C’est le seul enfant de sa mère ». (…)
[Plus tard, une promenade est prévue, nous sortons dans la cour devant la maison d’Aïcha] Liam joue sur un camion à roulettes et ne souhaite pas descendre pour monter à l’avant de la poussette, alors même qu’il est déjà au portail (prêt à partir sur son camion). Aïcha le regarde de loin. Nora [la fille d'Aïcha] dit qu’il faut prendre Liam et le mettre dans la poussette. Aïcha refuse : « On va attendre qu’il ait fini », « Ça ne sert à rien de le forcer ». La « crise » récente de Liam, selon les termes d’Aïcha, peut jouer dans le fait qu’elle souhaite le ménager pour l’instant (ou se ménager), mais c’est en même temps un moment où elle laisse vraiment les enfants en autonomie. « L’autonomie » des enfants semble plus facile à l’extérieur de la maison. La surveillance est plus diluée, plus à distance.
Lorsque nous sortons dans la rue, Aïcha demande à Gabrielle si elle veut marcher à côté, s’installer debout (sur le petit marchepied de la poussette) ou si elle veut monter (assise, à l’avant, face à elle, sur la capote de la poussette double). Aïcha installe Gabrielle devant le guidon, face à elle. Aïcha ajoute qu’elle ne peut pas faire marcher Liam : « La dernière fois, il marchait dans la rue et il s’est mis à courir dans l’autre sens. Je n’arrivais pas à le suivre. Il court vite » ; « ce n’est pas possible, je ne peux pas le laisser dans la rue, je le mets dans la poussette ».
(compte-rendu d’observation chez Aïcha, 3e observation, octobre 2017)
2. La production d'enfants « bien élevés »
7Patricia, 45 ans, assistante maternelle dans une commune aisée de la banlieue parisienne.
Patricia est une ancienne agente polyvalente en crèche. Son conjoint est gérant de stock dans une entreprise de luxe. Elle a trois enfants.
Patricia ne s’arrête pas une minute : elle range les produits, nettoie le vomi d’Eva (fréquent), la remet au centre du tapis, passe une lingette sur la table où les enfants peignent, vérifie la cuisson du repas, range les jeux. Les enfants continuent à peindre. Le pinceau les intéresse plus directement. Elle m’explique également, à ma demande, avoir trouvé « l’activité rouleau sur un groupe où je me suis inscrite, enfin inscrite, un groupe Facebook quoi ». « Je les installe et après ils font ce qu’ils veulent » me dit-elle, mais c’est tout l’inverse que j’observe. Elle passe du temps avec eux pour les pousser à faire des choses tout en s’occupant de tout le reste en même temps : elle montre comment utiliser le rouleau puis organise une activité sapin de Noël en mettant de la peinture sur les mains des enfants qui les appliquent ensuite sur une feuille. Ce n’est pas la première fois où elle cherche à minorer l’expression des activités qu’elle fait avec les enfants, notamment celles pouvant être qualifiées d’éducatives. Ainsi, lorsque je lui avais demandé de me raconter les activités qu’elle faisait à Noël avec les enfants, elle m’avait dit : « J’ai beaucoup d’idées. Enfin, je veux dire, j’ai des idées pour les occuper ». Cela peut signifier une volonté à ne pas trop vouloir apparaître comme extrêmement préoccupée par ces activités mais, dans le même temps, en pratique, elle cherche à me donner à voir des activités (comme ce matin où elle après avoir occupé les enfants avec la peinture, elle dira aux enfants, au moment de mon départ « on fera des cookies avec M*[l’enquêteur] la prochaine fois, d’accord ? »). Il y a donc un élément étrange ici : une tendance à modérer son enthousiasme et ce qu’elle fait du point de vue éducatif dans le discours, mais une volonté de le montrer pratiquement. (…)
[Autre journée d’observation] Il est quasiment 11h. Je me mets en marche pour quitter l’appartement mais reviens avec prudence sur un aspect qui a beaucoup retenu mon attention ce matin : j’apprends de la bouche de la mère de Sylvain [un enfant que Patricia commence tout juste à garder] que le grand frère de ce dernier vient de rentrer dans « l’école Montessori de [la commune] ». Je souhaite savoir si cela a une incidence sur le travail de Patricia, sa manière d’appréhender les choses avec Sylvain et ses parents et plus généralement dans sa pratique ordinaire, etc. J’ai le sentiment que cela peut constituer un indicateur, pour Patricia, des attentes de la mère de Sylvain et cela m’apparaît aussi comme une bonne opportunité pour engager une discussion sur le volet « éducatif » de son travail. Je lui demande donc de me confirmer qu’elle a bien compris comme moi que le frère de Sylvain était inscrit dans cette école. Je ne reprends pas la parole et Patricia d’elle-même me dit : « C’est du privé. Je ne sais pas ce que c'est. » (….)
Patricia reprend toujours les enfants lorsqu’ils doivent dire merci, au revoir, bonjour, pardon, etc. Elle dit aussi les reprendre en cas de formulation de « gros mots » (je l’ai observé une fois, lorsqu’Alexandre a dit à Martin « T’es caca »). Elle les reprend aussi sur certains aspects de la propreté comme la main devant la bouche lorsqu’ils toussent ou éternuent. Avec Alexandre, elle poursuit son effort (non soutenu par les parents selon elle) pour le rendre propre. Elle l’incite donc à trois reprises à se rendre aux toilettes pour faire pipi : « J’ai un peu briefé la mère d’Alexandre pour la propreté, enfin « briefé » non… Je lui ai dit que les vacances, ça pouvait être le bon moment ». Elle se reprend sur le terme « briefer » car, semble-t-il, le terme lui semble trop fort, en tout cas, trop fort potentiellement à mes yeux. (…) Enfin, à de très nombreuses reprises Patricia reprend le langage et l’expression des enfants : elle cherche le bon mot, elle reformule les phrases maladroites des enfants, elle insiste sur la prononciation des enfants (avec Martin qui « sosotte » selon elle et Alexandre qui « articule mal »). Elle passe par exemple plusieurs secondes à faire répéter « regarde » à Alexandre qui dit « garde ».
(extraits de comptes-rendus d’observation chez Patricia, automne 2017)
3. Un « éducatif total »
8Carla, 46 ans, assistante maternelle, commune d’une grande agglomération en Normandie
Carla est titulaire d’une maîtrise d’espagnol, elle a été enseignante (maitre-auxiliaire) au collège. Son conjoint est aussi diplômé du supérieur. Elle a trois enfants.
J’arrive à 8H45 chez Carla. Les enfants qui sont présents sont : Simone, Emilie, et Noam, le plus petit, dans le transat. Simone est sur le canapé, allongée à sa place habituelle et Carla m’explique que celle-ci est un peu triste parce qu’elle s’est disputée avec sa maman avant d'arriver chez elle. Carla a entendu Simone crier (pleurer ?) de l’autre côté de la porte, avant même qu’elle n'entre chez elle. La petite fille voulait amener sa poupée chez Carla et sa maman a refusé et a dit que la poupée resterait dans la voiture. Carla dit que Simone a des larmes dans les yeux, qu’elle est triste et en colère et que ça va passer. Elle m’explique ensuite la situation : les enfants ont le droit d’amener chez elle des jouets qui viennent de leur maison, mais cela devient des jouets que tous les enfants accueillis peuvent utiliser. Or Simone ne voulait jamais prêter la poupée qu’elle amenait de sa maison et cela créait souvent des problèmes au point que Carla devait la remettre dans le sac de la fillette et, du coup, la maman a décidé que Simone laisserait sa poupée dans la voiture. Carla s’adresse aussi à Simone en me faisant ce récit : elle ne reproche pas à la petite fille de bouder mais « verbalise » ce qui se passe. Elle utilise l'expression « tu as le droit de… »
Carla propose ensuite des activités aux enfants (de la peinture). Émilie est dans le coin du canapé (elle écoute ce que Carla me dit) et Noam est dans le transat, calme.
Un peu plus tard, Émilie joue un peu plus loin dans le coin jeu tandis que Simone est toujours dans le canapé (…)
[9h] Les deux filles jouent sur le canapé avec leur poupée. Simone ne boude plus et Carla lui pose une question : « Ton humeur a changé, tu n’es plus triste ? »
Un peu plus tard, Carla propose une activité peinture aux deux filles : « il y a de la peinture sur la table de la cuisine et si vous voulez peindre ». Émilie acquiesce et Carla lui explique que si elle veut peindre, elle doit aller chercher son tablier. Émilie ne bouge pas. La scène se répète : proposition d'activité peinture, acquiescement d’Émilie, demande de Carla à propos du tablier, immobilité d’Émilie. Je demande des explications à Carla : Carla m’explique qu'elle n'insiste pas parce qu’on fait toujours à la place des enfants et que, à l’âge d’Émilie, on commence à savoir ce que l’on veut. Laisser la petite fille ne pas faire peut l'aider à formuler/se formuler ses désirs. D'ailleurs, à d'autres occasions, quand elle fait la même proposition aux enfants, ces derniers se lèvent aussitôt, mettent le tablier et vont peindre à la table. L’attitude d'Emilie signifie peut-être que la petite fille ne veut pas vraiment faire de la peinture. Carla pense d 'ailleurs que celle-ci est préoccupée par le fait que Simone est fatiguée et qu'elle reste presque endormie sur le canapé.
Carla installe Noam couché sur le ventre sur le tapis de gym vert (il s'agit d'un tapis plus épais que celui qu’on trouve dans les salles de gym ; c'est un « tapis de motricité » me dit Carla.) Au départ, le bébé pleure, il n’est pas content, il hurle. Carla est assise par terre à côté de lui et lui explique l’intérêt de cet exercice (il s’agit d’un exercice destiné à favoriser la motricité des bébés). Carla dégage la tête de Noam en mettant des mots sur ce qu'elle est en train de faire : « Il faut que tu dégages ta tête ». Il apprécie davantage l’exercice et touche un petit jouet pas loin de lui. Carla le félicite : « Tu as vu cette puissance ! C’est très bien, tu es très courageux parce que ce n’est pas facile ! Tu as vu comme tu agites les jambes ! Ça te permet d’avancer. Allez, utilise tes bras ! Oui, tu es en colère : tu veux être en mode cocooning dans les bras et du coup ta tête, elle travaille pas ». « Oh là là, je suis fâché, je n’aime pas être dans une situation inconfortable ! Allez, c’est très bien ! Allez, vomis. N’aie pas peur, je suis là ! C’est le dernier rototo qui t’embêtait ? Tu es vraiment très, très courageux ! » Elle m’explique qu’elle faisait cela déjà avec ses enfants mais qu’elle n’avait pas de tapis spécifique pour ce genre d'exercice et qu'elle en avait entendu parler lors d'une conférence faite par un pédopsychiatre. (...)
[9H32] Carla propose de faire des jeux sur le tapis. Elle choisit le premier jeu, celui des couleurs (cartes avec rabat d’une couleur et quand on le soulève, il y a un dessin de cette couleur) : « C’est quoi cette couleur ? », « Et après : qu’est-ce qu’il y a en dessous ? » Il est plus facile pour les enfants de nommer l’objet que de nommer la couleur. Le jeu est répété avec des variantes.
9H37 on entend Noam pleurer. Carla monte le voir et celui-ci s’arrête de pleurer. Carla redescend, range le jeu et va en chercher un autre (une sorte de memory mais adapté aux plus petits : une grande fiche sur laquelle se trouvent différents dessins et il faut retrouver le dessin qui est sur sa carte sur le grand dessin où se trouvent toutes les figures). Plusieurs parties s’enchaînent : Carla demande : « Où est [cet objet] ? », « Tu montres ? » et l’enfant doit chercher et montrer précisément du doigt. Ce jeu est fait par terre sur le tapis de motricité. Elle complimente les deux filles « vous êtes trop, trop fortes mes princesses ». Carla demande ensuite « Quel jeu vous voulez ? » et les deux filles choisissent le jeu de dînette : dans une boite, il y a des gâteaux et dans l'autre des hamburgers. Emilie et Simone jouent ensemble et Carla m’explique que les enfants ne veulent pas tout le temps jouer avec les adultes et qu’elles sont dans la phase « Je découvre seule ».(...) Les enfants continuent à jouer et je fais remarquer qu’elles font cela depuis longtemps. Elle me dit que lorsqu’ils sont plusieurs, les enfants peuvent plus facilement jouer seuls (que lorsqu’ils sont tout seul). Elle aime bien les voir jouer ainsi car selon elle, cela développe « l’autonomie », « l’indépendance », « l’imaginaire », le fait de n’avoir « pas besoin d’un adulte », « d’expérimenter ».
(compte-rendu d’observation chez Carla, automne 2017)
Pour citer cet article
Référence électronique
Caroline Bertron, Pascal Barbier, Anne Pellissier-Fall, Pauline Seiller et Irène-Lucile Hertzog, « Annexes de l'article « Des professionnelles de la socialisation : visibilité du travail, normes professionnelles et clivages sociaux chez les assistantes maternelles » », Sociologie [En ligne], N° 2, vol. 12 | 2021, mis en ligne le 28 juin 2021, consulté le 19 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/8593
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