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Des professionnelles de la socialisation : visibilité du travail, normes professionnelles et clivages sociaux chez les assistantes maternelles

Professionals of socialization: Visibility of work, professional norms and social divides amongst family childcare professionals
Caroline Bertron, Pascal Barbier, Anne Pellissier-Fall, Pauline Seiller et Irène-Lucile Hertzog

Résumés

Cet article propose une sociologie du travail socialisateur des assistantes maternelles à partir de l’étude des pratiques et du rapport au travail des professionnelles. Les travailleuses subalternes, peu qualifiées, de la petite enfance doivent aujourd’hui témoigner d’une préoccupation pour l’ « éveil », l’« éducatif » ou le « développement moteur sensoriel ou émotionnel » des enfants. Mais en dehors de ces dimensions prescriptives, la composante socialisatrice du travail quotidien reste peu analysée. Or, elle est au centre d’enjeux constants, avec les parents, auprès des enfants et amène les femmes de ce champ professionnel à se positionner par rapport à plusieurs sources normatives pour décrire leur travail. L’étude de cette dimension du travail permet ainsi d’accéder à des registres d’action très diversifiés mais orientés normativement. Elle permet d’aborder la variété des dimensions morales sous-jacentes à l’exercice du métier et aux conceptions du travail sur les enfants. L’article montre l’invisibilisation par les professionnelles de certains aspects prescrits du travail socialisateur au profit d’autres dimensions, comme le rôle d’un accueil familial pour l’enfant. En étudiant plus généralement comment cette dimension du travail est inégalement mise en avant selon les professionnelles, l’article distingue plusieurs registres d’intervention. Il analyse enfin les effets des pratiques professionnelles sur les positionnements sociaux des assistantes maternelles au sein des milieux populaires.

Professionals of socialization: Visibility of work, professional norms and social divides amongst family childcare professionals

This article seeks to inquire into socialization as a form of work, based on the practices of family childcare professionals. Subaltern and lowly qualified, childcare professionals, who work with young infants, are now required to accompany the “emotional”, “educational” and “motor” development of those in their charge. But, outside of these prescriptive requirements, the task of socializing young children remains largely unexplored. However, this task is at the heart of childcare professionals’ vocation. It is a central concern not only for professional caregivers but also for parents and children. Moreover, this socialising dimension of their work leads childcare professionals to understand and describe their own practices in terms of normative discourses. Therefore, this aspect of their work is of interest because it encompasses diverse but normatively oriented modes of action. These normative discourses help professional caregivers approach a variety of moral questions linked to their work and shapes their conception of working with children. This article shows how childcare professionals obscure certain aspects of socializing children whilst emphasizing others. More generally, this article will address how this socialising dimension of their work is unequally emphasized by different professional caregivers and will seek to identify several contrasting strategies of intervening in the socialization of a young child. Lastly, this article will seek to analyze how differentiated practices may affect the position of childcare professionals within the lower classes.

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Texte intégral

1Depuis le début du xxe siècle, les institutions de la petite enfance « mettent aux normes » leurs usagers et leurs professionnel·le·s. Le « soin » des enfants a tout d’abord constitué une préoccupation centrale (Boltanski, 1969 ; Gojard, 2010), la maîtrise des techniques professionnelles liées au monde de la médecine garantissant la jouissance de positions dominantes dans le secteur de la petite enfance. À cette préoccupation fondée historiquement sur la lutte contre la mortalité infantile et la correction de pratiques populaires considérées comme déviantes (Brougère & Vandenbroeck, 2007 ; Rollet, 2017) s’est ajouté ces dernières décennies un souci pour une intervention diversifiée sur les enfants. Les travailleuses de la petite enfance doivent aujourd’hui témoigner d’une préoccupation pour « l’éveil », l’« éducatif » ou le « développement moteur sensoriel ou émotionnel » des enfants. Dans la régulation du secteur de la petite enfance, la question du contenu du travail socialisateur de ces agentes s’est ainsi notamment imposée à travers le vocable de l’ « éducatif » : on attend des établissements d’accueil des jeunes enfants qu’ils formulent un « projet éducatif » ; des « aptitudes éducatives » conditionnent également l’octroi de l’agrément des assistantes maternelles (Vozari, 2014).

  • 1 Cette injonction apparait imprécise au sens où elle repose sur des sources normatives différentes, (...)

2Cette importance de l’enjeu socialisateur tient à deux dynamiques concurrentes. La première est l’injonction à investir le temps de garde des enfants de 0-3 ans à des fins de développement moteur, affectif, psychosocial et intellectuel. Dans la continuité d’une scolarisation des pratiques en maternelle (Chamboredon & Prevot, 1973), le « développement » de l’enfant « apprenant » devient l’objectif du temps précédant l’entrée à l’école ; celui-ci doit conduire à des apprentissages et présenter une « rentabilité » éducative (Roucous, 2007). Dans le même temps, des préoccupations pour le « bien-être » des enfants et pour une « bienveillance » des professionnel·le·s adossées à des savoirs psychologiques sur l’enfance se sont diffusées, portées par la légitimation croissante d’un discours critique sur l’école à travers la promotion de formes alternatives d’éducation, telle celle dite « Montessori », particulièrement visible aujourd’hui. Le corpus normatif qui prévaut dans le secteur de la petite enfance (Giampino, 2016) enjoint d’ailleurs à faire de « l’éducatif » sous une forme « non scolaire », sans pour autant expliciter la signification concrète de cette injonction1.

  • 2 À l’exception des travaux récents sur les pratiques alimentaires des assistantes maternelles (Dupuy (...)

3Le travail socialisateur fourni par les agent·e·s de la petite enfance est donc aujourd’hui une priorité autant pour les politiques publiques – au nom du bien-être des enfants – que pour les parents qui inscrivent pour certains cette délégation de socialisation dans des stratégies de reproduction ou d’ascension sociale. Le secteur est, depuis les années 1980, sujet à un processus de « professionnalisation », qui a été bien étudié pour son caractère prescripteur sur l’exercice concret du travail (e.g. Ulmann et al., 2015 ; Cartier & Lechien, 2017). En revanche, en dehors de cette dimension prescrite, le travail réel – et plus particulièrement la composante socialisatrice du travail – est peu décrit et analysé2 (Unterreiner, 2018), là où il a au contraire été central dans les travaux sur l’entrée dans le système scolaire : à l’école maternelle, les pratiques d’obéissance, de production de l’attention enfantine ou de structuration du rapport au temps, aux objets et à l’espace ont ainsi été régulièrement appréhendées et documentées (Dannepond, 1979 ; Darmon, 2001 ; Millet & Croizet, 2016). On peut s’étonner de cette rareté pour trois raisons. Premièrement, le rôle des professionnelles de la petite enfance dans la structuration des manières d’être et de faire des enfants est souvent affirmé dans les travaux sur la socialisation. Deuxièmement, ce travail sur les enfants constitue une tradition de recherche installée en sociologie de l’éducation, que ce soit dans l’analyse des processus éducatifs à l’école, dans le préscolaire ou dans le périscolaire (Lebon, 2007 ; Garnier et al., 2016) ou chez les sociologues de la famille qui appréhendent les processus éducatifs parentaux (Kellerhals & Montandon, 1991 ; Le Pape, 2009 ; Octobre et al., 2018 ; Lahire, 2019). Troisièmement, les prescriptions éducatives se sont désormais diffusées dans divers espaces professionnels du fait de l’éclatement des métiers traditionnels de l’éducation et de la promotion de « l’apprentissage tout au long de la vie » (Newman et al., 2014).

4Cet article propose une sociologie du travail socialisateur qui est produit en bas de la hiérarchie professionnelle à partir de l’étude des pratiques et du rapport aux pratiques des assistantes maternelles. Nous avons regardé comment le travail socialisateur s’exprime chez ces professionnelles selon leur milieu social, face à des attentes et des normes plurielles, prescrites par les institutions du secteur mais aussi issues de leur socialisation familiale et professionnelle. En cherchant à « intensifier » l’observation ethnographique (Lignier, 2019) par une attention aux détails des relations aux jeunes enfants, nous avons pu étudier des pratiques effectives et la perception que les professionnelles ont de leurs pratiques : apprentissages de savoirs formels, production d’un rapport au monde, manières de se faire entendre de l’enfant et d’orienter son comportement, manières de catégoriser les enfants, registres de compréhension et d’interprétation des actions des enfants, gestion des émotions enfantines, etc. Nous avons également cherché à relever leurs attentes envers les enfants, les attitudes qu’il faudrait, à leurs yeux, pouvoir retrouver chez ceux-ci, telles que l’obéissance, les manières d’exprimer les besoins, le développement en lien ou non avec l’âge biologique, ou encore des formes attendues de sociabilités enfantines. Dans notre recherche, le travail socialisateur renvoie donc à la fois aux pratiques d’appréhension des enfants (comprenant des formes d’identification psychologique, biologique, neuropsychologique), d’orientation des pratiques enfantines (faire faire), d’intervention sur les enfants pour leur inculquer (intentionnellement ou non) des manières de percevoir le monde (inculcation de principes, de valeurs, de connaissances, etc.) et de coordination avec les autres adultes et enfants. En adoptant ce questionnement, nous avons découvert que le travail socialisateur sur les enfants peut revêtir d’autres significations que celles qui se rapportent aux définitions dominantes, scolaires et psychologiques.

  • 3 Si les manières de percevoir et de traiter ses propres enfants constituent un des domaines d’expres (...)

5La première partie de l’article s’attache à montrer la place du « travail socialisateur » effectif des assistantes maternelles dans le quotidien de leur activité professionnelle. La deuxième partie distingue ensuite plusieurs pôles de pratiques, ressources et conceptions socialisatrices des professionnelles en fonction de leur rapport au travail prescrit mais aussi de leurs rapports aux parents et de leurs conceptions de la famille. On repère ainsi que les pratiques de socialisation des assistantes maternelles s’organisent en principes concernant ce que les adultes devraient faire envers l’enfant. Certains revêtent des significations se rapportant aux définitions dominantes, scolaires et psychologiques. D’autres s’en éloignent tout en étant de la même manière socialisateurs. Ainsi, le travail socialisateur s’établit entre une pratique professionnelle instituée et un « sens pratique » de la prise en charge des enfants – un rapport entre pratiques, ressources et conceptions éducatives des assistantes maternelles – qui situent non seulement les assistantes maternelles dans leur groupe professionnel mais aussi dans un espace social plus large des points de vue, populaires et savants, sur l’éducation3. En effet, par l’exposition aux normes légitimes du traitement de l’enfance, l’exercice professionnel de la prise en charge d’enfants permet d’étudier les transformations touchant les classes populaires dont sont principalement issues les assistantes maternelles. C’est ce qu’examine la troisième partie. Elle aborde la manière dont le métier retravaille les normes éducatives des assistantes maternelles et comment la question éducative est un domaine central des prises de position de ces femmes.

Une enquête ethnographique sur le travail quotidien des assistantes maternelles

Cet article repose sur une enquête collective financée par la CNAFa dans le cadre d’un appel à projets de recherche de l’Observatoire national de la petite enfance (ONAPE). L’enquête a été menée entre octobre 2017 et février 2019 auprès d’une diversité de professionnelles de la petite enfance : assistantes maternelles, agentes pour enfants en crèche, auxiliaires de puériculture, éducatrices de jeunes enfants. Le présent article mobilise principalement les matériaux portant sur les assistantes maternelles, qui constituent en France le deuxième mode de garde après les parents. Ce métier dont l’accès est subordonné au suivi d’une partie de la formation au CAP Petite Enfance (120 h) et à l’obtention d’un agrément (délivré par la Protection maternelle et infantile) mais non à l’obtention du diplôme, fait cohabiter des professionnelles peu diplômées (près d’un tiers n’a pas le brevet des collèges) et d’autres qui présentent un niveau de diplôme supérieur aux professionnelles d’autres métiers de service à la personne (Devetter, 2012). Cela s’explique par la diversité du recrutement social des assistantes maternelles. Largement issues des milieux populaires stabilisés et des petites classes moyennes (Cartier et al., 2012), les assistantes maternelles constituent un groupe professionnel qui se distingue par des trajectoires d’emploi variées : l’entrée dans le métier est souvent tardive – 37 ans en moyenne selon l’Enquête Emploi 2009 –, après une première carrière ou une trajectoire dans l’emploi heurtée (Devetter, 2012), mais aussi au moment de l’arrivée d’un enfant ou après un évènement familial ou professionnel. Elles sont plus souvent propriétaires de leur logement que les autres professionnelles des services. Parmi les salariées des services aux particuliers (aides à domicile, femmes de ménage), les assistantes maternelles occupent la fraction la plus élevée socialement et elles s’inscrivent globalement dans les classes populaires stables. Les travaux d’Anne-Sophie Vozari (2014) sur les conditions d’octroi de l’agrément montrent par ailleurs une élévation du « droit d’entrée » dans le métier.
L’enquête s’est déployée sur trois sites, dans un quartier parisien qui se distingue par sa mixité sociale, dans une ville moyenne aisée d’Île-de-France et dans une grande agglomération en Normandie. Outre une analyse documentaire de textes institutionnels faisant référence dans le champ de la petite enfance, l’article s’appuie sur les observations réalisées dans trois relais d’assistantes maternelles (RAM)b dans les trois espaces locaux cités (totalisant 29 périodes d’observation), au domicile de cinq assistantes maternelles aux profils sociaux contrastés (totalisant 25 périodes d’observation – journées et demi-journées) et lors de journées de formations destinées aux assistantes maternelles. L’article repose également sur l’analyse de quinze entretiens semi-directifs réalisés avec des assistantes maternelles, le plus souvent rencontrées lors des observations. Nous avons cherché à faire varier les caractéristiques sociodémographiques des professionnelles interviewées. Ainsi, bien que la majorité d’entre elles fassent partie des milieux populaires et des petites classes moyennes, certaines appartiennent aux fractions supérieures des classes moyennes et disposent d’un niveau de diplôme supérieur à Bac+3 (voir le tableau des enquêtées en annexe électronique 1, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/​sociologie/​8593). Par ailleurs la plupart des professionnelles rencontrées se situe dans la tranche d’âge des 40-50 ans, conformément à ce que l’on sait des trajectoires d’entrée dans le métier. L’analyse de deux entretiens avec des gardes à domicile et de six entretiens avec des éducatrices de jeunes enfants exerçant en Relais d’assistantes maternelles, complète ce corpus.

a Cette enquête a été réalisée par Pascal Barbier, Caroline Bertron, Doriane Montmasson, Irène-Lucile Hertzog, Anne Pellissier-Fall et Pauline Seiller.
b Les relais d’assistantes maternelles regroupent des assistantes maternelles et les enfants le temps d’ateliers mis en œuvre par une animatrice, souvent éducatrice de jeunes enfants. Ces relais jouent aussi un rôle de support pour mettre en relation parents employeurs et professionnelles et les accompagner sur les questions d’emploi.

L’invisibilisation du travail socialisateur sur les enfants

6En dehors des activités réalisées à l’extérieur comme les rencontres à la ludothèque (Brougère et al., 2001) ou des pratiques alimentaires (Dupuy et al., 2018), rares sont les recherches qui s’intéressent de près aux tâches que réalisent chez elles, quotidiennement, les assistantes maternelles (Unterreiner, 2018). Les tâches les plus immédiatement visibles sont celles que les assistantes maternelles, et plus largement les acteurs et actrices du secteur de la petite enfance, décrivent comme des « activités ». Si les contours en sont variables, comme nous allons le voir, cette manière de catégoriser l’action socialisatrice contribue à invisibiliser d’autres pratiques professionnelles, moins légitimes et reconnues (Krinsky & Simonet, 2012) car toujours marquées par leur proximité au travail domestique, mais aussi moins délimitées dans le temps et l’espace.

Un travail socialisateur associé aux « activités »

7Les « activités » constituent un terme générique de description du travail effectué sur les enfants, un terme officiel censé valoriser le travail effectué. L’accent mis sur les « activités » se comprend dans le cadre de la « professionnalisation » du métier d’assistante maternelle. Tant devant les enquêteur·trice·s lors des entretiens qu’avec les parents en fin de journée, les assistantes maternelles se retrouvent toutes autour de ce vocable, qu’elles utilisent pour qualifier certains moments passés avec les enfants, à savoir ceux qui se détachent du reste de la journée, ont un nom en propre et donnent généralement lieu à la production d’un objet (dessin, masque, collier, etc.) ou d’une trace de l’événement (photo de l’écoute d’un conte, d’une séance d’éveil musical, etc.). Le discours sur ces activités permet aux professionnelles de mettre en valeur non seulement les capacités acquises par l’enfant (dessiner, découper, enfiler, etc.), les contextes lui ayant permis de les développer (sensibilisation à la lecture à la bibliothèque, éveil musical au RAM, etc.) mais aussi le travail qu’elles effectuent : aller à la bibliothèque ou au RAM, organiser une séance de dessin, lire des histoires aux enfants.

Chaque Noël, ils font une activité, à chaque Pâques, on fait une autre activité. Là, à Noël, je leur ai fait faire : je découpe... J’ai un petit sapin qui est découpé en cinq-six, et je le colle. Ça c’est du boulot. Je le colle, par quatre, et après, j’achète des gommettes de Noël, et je les accroche dans la cuisine, j’accroche tous les sapins de tout le monde, et à la fin je les donne aux parents (Sabrina, 45 ans, assistante maternelle, titulaire d’un BTS commercial, ancienne chargée de recrutement en agence d’intérim, région parisienne).

8Cette insistance sur les « activités » tient notamment à la volonté des assistantes maternelles d’atténuer le stigmate qui pèse sur le contenu de leur travail et de contrer tout soupçon quant aux motifs qui les ont poussées à entrer en activité et à leur capacité à éduquer les enfants. Il renvoie également à la crainte des travers que pourrait occasionner, aux yeux de parents aux attentes hétérogènes, la socialisation de leurs enfants par des femmes largement issues des classes populaires, de surcroît dans leur propre espace domestique. Parce qu’elle contient la promesse d’une « démarche éducative », l’« activité » joue le rôle de certification d’un « accueil » « professionnel » et éloigne du « gardiennage ». Elle inscrit le travail dans un champ éducatif dans lequel l’action sur l’enfant vise délibérément la production d’une trace (savoir, savoir-être ou savoir-faire), considérée comme essentielle au développement de l’enfant par les instances légitimes de socialisation enfantine (école, crèche, etc.).

En huit ans j’ai vu l’évolution. De : on attendait de moi que de torcher les petites fesses à, euh…. Il faut stimuler les enfants, quoi. [Imitant des parents] « Et vous proposez quoi comme activité ? Vous avez quoi comme jeux ? » Et maintenant, les nouveaux contrats, là, c’est : « Est-ce que vous connaissez la méthode Montessori ? », « Est-ce que vous proposez un cahier d’activités avec leurs, euh… Avec ce que vous faites dans la semaine ? » Donc les parents sont en demande de ça ! (Carla, 46 ans, assistante maternelle, titulaire d’une maîtrise d’espagnol, ancienne maître auxiliaire en collège, Normandie).

9De ce fait, la description des activités sature le discours des assistantes maternelles rencontrées, et ce quelles que soient leurs propriétés sociales, au point de ne laisser que peu de place à l’évocation des autres aspects du travail, alors même que les observations au domicile montrent que ces activités occupent tout au plus une heure de la journée et ne sont pas engagées tous les jours. Certes, les assistantes maternelles évoquent en entretien l’arrivée des enfants, le déjeuner, la sieste, le retour des parents ou encore des aspects ordinaires d’organisation du travail (modalités de déplacement, gestion de l’espace domestique, etc.), mais toujours avec discrétion et souvent par des phrases intransitives telles que « on joue », « on s’occupe », comme si ces moments n’étaient pas structurés et ne mobilisaient aucune forme de technicité. Elles parlent même parfois du « reste » du temps pour évoquer ce qui se joue en dehors des activités.

10Cette invisibilisation de l’ordinaire du travail par les professionnelles résulte de multiples facteurs. Elle tient d’abord aux difficultés qu’elles rencontrent pour décrire en termes de travail ce métier ancré dans la sphère familiale et exercé à l’intérieur de la sphère domestique et ce parce que, d’une part, ce qu’elles réalisent à titre professionnel n’est pas décrit comme un « travail » lorsqu’il est réalisé gratuitement par les mères et, d’autre part, parce qu’il repose sur des compétences acquises en partie dans la sphère familiale.

11L’invisibilisation du travail est liée également aux dynamiques de la relation avec les parents employeurs. Que ce soit dans l’objectif de minimiser la concurrence potentielle avec les parents ou de l’ordre des « savoir-faire discrets » (Molinier, 2010) qui caractérisent les métiers du care, certains aspects du travail sont difficiles à revendiquer – les premiers mots ou les premiers pas des enfants sont, par exemple, souvent réservés aux parents. L’invisibilisation du travail s’enracine également dans une distance sociale. Ainsi, les assistantes maternelles sont fréquemment exposées à des styles éducatifs éloignés des leurs. Dans ce cadre, la situation de délégation de socialisation peut engendrer chez elles une tendance à atténuer l’ampleur de leur action socialisatrice sur les enfants ou à la restreindre à ses éléments jugés les plus attendus (des apprentissages tangibles et mesurables de l’enfant). Certaines professionnelles semblent ne pas vouloir s’imposer aux parents, cela d’autant plus que nombre d’entre elles expriment la crainte de ne pas faire ce qu’il « faudrait » faire. Cette incertitude envers le « bien faire » s’observe chez celles qui disent ne pas « prétendre » à une intervention face aux parents : « on n’entre pas trop dans l’éducation », « on suit les parents ». S’emparer de ce registre risquerait ainsi de dégrader les relations avec leurs employeurs, voire de faire émerger des principes éducatifs concurrents.

12En décalage avec ces conceptions souvent restreintes du travail effectué, les observations menées nous ont permis d’appréhender la diversité et la complexité du travail socialisateur quotidien.

Le « reste » du travail

13Les assistantes maternelles disent assez fréquemment quoique laconiquement « éduquer » et « élever » les enfants, ce que l’observation de leurs pratiques confirme largement. Pour certaines, cela signifie essentiellement suivre les parents dans leurs principes (ces derniers étant décrits comme les véritables éducateurs de l’enfant). D’autres au contraire considèrent qu’elles « élèvent » les enfants, parfois davantage que les parents eux-mêmes et en coulisse, sans que ceux-ci ne le perçoivent. Au-delà, leurs pratiques révèlent une large gamme d’interventions produisant des effets socialisateurs sur les enfants. Notre intention n’est pas de mesurer l’intensité de ces effets mais bien de relever les formes d’intervention dans leur variété et d’insister sur leur ampleur.

14L’enquête a permis de relever chez toutes les assistantes maternelles un ensemble de pratiques par lesquelles elles agissent sur les enfants de manière à orienter leurs comportements et leurs manières de voir le monde. Il s’agit d’actions effectuées directement sur l’enfant (interpellation pour montrer ou reprendre, manipulation physique, verbalisation) lors des jeux, des repas, des déplacements, etc. Il s’agit également d’interventions effectuées indirectement à travers le jeu (d’imitation, de construction, de société, d’extérieur, etc.), les livres ou la mise en place « d’activités » (peinture, pâte à modeler, etc.), conduisant comme d’autres enquêtes l’ont montré à propos des professionnelles en crèche et des parents, à observer comment les assistantes maternelles « imposent » aux enfants des « préférences » (Lignier, 2019) ou orientent leur « intérêt » (Vitores, 2019) envers certains objets ou des détails de l’environnement extérieur, dans le jardin ou la rue. Ce travail sur les enfants se décline sous deux formes principales : d’une part, l’inculcation de connaissances, de savoirs divers (vocabulaire, connaissances sur la nature, formes et couleurs, etc.) et d’attitudes envers le monde extérieur (entretenir une curiosité, soutenir l’imaginaire enfantin et la prise de parole, etc.) ; d’autre part, la transmission de manières d’être et de faire avec les autres à travers des interventions sur le langage et sur la « tenue ». Parfois explicitement relié à des savoirs formels, comme le « nécessaire » apprentissage de la « perception de son corps » et « de ses limites » (Carla, 46 ans), ce travail est plus souvent à peine mentionné en entretien. Néanmoins, l’observation montre que les enfants sont régulièrement interpellés dans l’objectif de se conformer à certaines attentes sociales (dire bonjour et au revoir, être « gentil », savoir attendre, etc.).

15Ces interventions peuvent aussi être plus marquées et intégrées au quotidien afin de redresser ce qui est perçu comme des déviances enfantines (les gestes brusques, les enfants qui tapent, qui mordent ou crient) donnant lieu à l’explicitation de certaines valeurs sociales, présentées comme étant universellement souhaitables chez l’enfant. Ainsi, chez toutes les assistantes maternelles, on observe l’existence d’un domaine de pratiques souvent éludé parce qu’intégré aux actions les plus anodines : l’interpellation sur les manières de parler des enfants, les manières d’être à table, les formules de politesse, l’évocation d’un partage entre le sale et le propre, les rapports aux autres enfants, le rapport aux adultes, l’expression des émotions, etc.

Nadège demande à Luan s’il veut des chansons. Luan répond que oui, il veut des chansons avec « doudou tétine ». Nadège lui donne doudou et tétine et commence à chanter. Il ne dit pas merci et elle lui demande de le faire (Observation chez Nadège, assistante maternelle, 46 ans).

Céline, assistante maternelle, dit à une petite fille qu’elle garde : « tu n’oublies pas de mettre la main devant la bouche quand tu tousses, minette ! » (Observation en RAM, Normandie).

16Ces très nombreuses interventions sur la « tenue » d’un enfant et les « manières » sont autant de visées de socialisation fortement moralisées et associées à des socialisations de classe différentes. Certaines renvoient à l’éducation familiale au sein de la bourgeoisie traditionnelle. D’autres, telles que l’entretien de « qualités sociales » chez l’enfant comme la débrouillardise (Duru-Bellat & Jarousse, 1996), la « conformité » ou encore « l’obéissance » constituent des marqueurs sociaux de la respectabilité des classes populaires établies. Les reprises sur le langage des enfants relèvent parfois du souci « d’hypercorrection » des classes moyennes ayant connu une ascension sociale par l’école. Ces pratiques d’« éducation », et plus exactement de « bonne éducation », d’enfants à « bien élever », ont jusqu’à présent été peu intégrées à l’analyse de la socialisation des publics enfantins et au champ du travail et de l’action professionnelle sur les enfants (Serre, 1998 ; Gojard, 2010). Ce sont ces pratiques que nous examinons ici.

Les déclinaisons du travail socialisateur

17À partir de la description de leur travail quotidien, plusieurs oppositions se dégagent dans les pratiques des assistantes maternelles, selon le type de compréhension qu’elles ont des enfants (comment elles interprètent leurs besoins, leur développement, etc.) ou encore selon la manière dont elles définissent pour elles-mêmes un mandat socialisateur vis-à-vis des parents. La place faite aux apprentissages formels dans le cadre de l’accueil varie, tout comme la propension des professionnelles à dire comment elles mettent en œuvre leur action sur les enfants (ce dans quoi elles se reconnaissent et ce qu’elles peuvent défendre devant les institutions, les parents, les enquêteur·trice·s).

18Ces variations dessinent un espace du travail socialisateur et de prises de positions éducatives structuré selon les rapports qu’entretiennent les assistantes maternelles aux prescriptions institutionnelles (qui définissent l’éducatif par l’éveil et par les attendus de scolarisation en école maternelle). Mais elles décrivent aussi un espace de prises de positions – lesquelles comprennent des choix quotidiens qui peuvent apparaître anodins – plus divers, qui révèle que d’autres normes structurent leur travail.

Trois déclinaisons du travail socialisateur

19Sans pouvoir « classer » de manière univoque les assistantes maternelles dans l’un ou l’autre pôle, nous avons identifié trois pôles de pratiques socialisatrices qui se distinguent largement par le degré de proximité ou de distance avec les normes d’éveil prescrites dans le secteur. Ils révèlent des manières différenciées de décrire et de faire le travail socialisateur selon que les assistantes maternelles minorent sa place ou montrent son omniprésence et selon des principes moraux et des conceptions de l’enfance (le bien-être de l’enfant, le contrat moral envers les parents, la production d’enfants « bien élevés », etc.).

20Fondé sur une faible légitimité éducative des professionnelles, un premier pôle de pratiques se caractérise par une action orientée vers l’entretien d’une relation affective avec les enfants, la volonté de garantir leur sécurité4 et de subvenir à leurs « besoins » élémentaires (sommeil, alimentation, propreté). Lorsqu’on les invite à décrire leurs pratiques, les assistantes maternelles disent alors « suivre les parents » en ce qui concerne certains apprentissages (tels que la propreté), ou la participation à certaines activités (bibliothèque, RAM), notamment en cas de désaccord avec les prescriptions institutionnelles. Elles ont généralement peu confiance en la qualité de leur intervention et s’attribuent un rôle éducatif restreint auprès des enfants, cherchant surtout à ne pas s’exposer à la critique des parents-employeurs. Mais elles défendent également à leur domicile une certaine marge de manœuvre (y compris pour ne pas suivre entièrement l’avis des parents).

  • 5 Elle est décrite aux enquêtrices par l’animatrice du RAM comme « ayant choisi de ne pas avoir de po (...)

21Lydie, 63 ans, dont le mari est un gendarme à la retraite, est devenue assistante maternelle à 55 ans. N’ayant jamais travaillé sous une forme salariée depuis son mariage, elle présente son entrée dans le métier comme un « passe-temps […] plus qu’un métier ». Elle accueille Salomé (mère avocate, grand-mère pédiatre) depuis deux ans et décrit son accueil comme celui d’une grand-mère ce qui, dit-elle, convient aux parents de l’enfant : « Au début, je lui ai dit que ce serait plutôt comme ma petite-fille, alors elle m’avait dit “c’est tout à fait ce qu’on recherche”. » Lydie dit ne pas intervenir dans les apprentissages de l’enfant et suit peu les prescriptions institutionnelles en matière de développement de l’enfant ou de puériculture5. Elle insiste en entretien sur la longue liste de positionnements partagés par elle et les parents (« on avait dit qu’on attendait », « on était d’accord », « on a décidé que ») et elle tâche de répondre à leurs demandes même lorsqu’elle n’est pas convaincue, comme pour la fréquentation du RAM qui, selon elle, « ne [lui] apporte rien ». Lydie légitime ses choix en s’adossant aux supposés goûts de l’enfant et insiste sur le fait que « parfois, Salomé préfère rester à la maison » (plutôt que se promener ou aller à la bibliothèque). Au sein de ce pôle de pratiques, s’appuyer sur les demandes parentales et sur le « caractère » ou les désirs de l’enfant fait partie des principaux registres de présentation du travail mené auprès des enfants. Ce sont par exemple les « caprices » de l’enfant, son espièglerie, son intelligence ou son calme qui sont visés et, de manière plus générale, une individualité qui le met à part, qu’il s’agit de « reprendre » et de « contrôler » ou de favoriser.

22Le recours à l’identification et à la catégorisation des enfants (Lignier, 2015) et le fait de mettre en avant ce que l’enfant est, fait ou sait, ou ne fait pas, permettent à ces assistantes maternelles de minimiser ce qu’elles font et, ainsi, de ne pas trop s’exposer à la critique des parents. Le discours sur les enfants, qui sont alors fréquemment identifiés par le genre et/ou leur âge, par leurs actions (la concentration, la dispersion, la capacité d’obéissance ou la désobéissance...), tient lieu et place d’une description du travail effectif. Si cette attention envers les individualités enfantines peut sembler proche des prescriptions institutionnelles en ce qui concerne le respect du « rythme » de l’enfant, elle s’en éloigne dans la mesure où elle est bel et bien adossée à une organisation du travail plus qu’à des apprentissages.

23Le deuxième pôle rassemble des pratiques – plus ou moins proches des attentes institutionnelles – sur lesquelles les assistantes maternelles s’attribuent une expertise. « Faire reconnaître le métier d’assistante maternelle » est ainsi un objectif structurant pour ces professionnelles qui revendiquent (plus ou moins) la légitimité de leur intervention, que celle-ci soit ou non en accord avec les prescriptions institutionnelles.

24On peut distinguer au moins deux logiques : une logique économique des activités auprès des enfants (où les parents sont des « clients » à satisfaire) et une logique plus proche de la transmission de compétences ordinaires, c’est-à-dire de gestes et attitudes du sens commun ainsi que d’une valorisation de l’autonomie de l’enfant par la « débrouillardise ». Ces pratiques sont présentées comme fondamentales pour l’enfant et universelles. Elles sont pourtant assez distantes des objectifs promus dans le secteur. En effet, il ne s’agit pas alors de transmettre des « dispositions » à apprendre, ni de développer une « ouverture sur le monde » (Giampino, 2016) mais plutôt d’orienter ou de corriger les goûts, de transmettre des savoir-faire d’adulte à enfant (que les enfants ne pourraient selon elles découvrir par eux-mêmes). Cela requiert une intervention adulte forte, visant à produire un enfant « bien élevé ».

25Ces assistantes maternelles initient, participent et organisent de nombreuses activités pour les enfants : memory, dessin, construction de petits objets, pâtisserie, etc. Celles-ci sont rapportées à leur proximité perçue avec des pratiques scolaires, encadrées, délimitées dans le temps et l’espace. Ainsi, Sabrina, 45 ans, réserve le terme « activité » à un type d’action proche de la « forme scolaire » des apprentissages (Vincent, 1994) : « Quand je dis activité, c’est pâte à modeler, peinture, une activité où on est assis voilà ». La logique de préparation à l’école est importante, par exemple, manger « à une petite table », « comme ça, ils se préparent aussi par rapport à la cantine ». Sans qu’elles le revendiquent pleinement, ces activités sont perçues par les assistantes maternelles comme un horizon légitime des pratiques, même si elles ne correspondent pas aux normes effectives du « développement » promues par les prescriptions institutionnelles de la prise en charge de jeunes enfants. Les apprentissages auxquels ces activités pourraient donner lieu chez les enfants sont toutefois peu nommés et ce sont davantage des logiques occupationnelles (« il faut bien les occuper ») et des logiques économiques (les relations à une clientèle, la qualité d’une offre) qui sont mises en avant.

26Ainsi, lorsqu’elle décrit les activités qu’elle propose, Sabrina insiste sur ce qu’elle fait, sur l’effort et le travail réalisé, plus que sur d’éventuels effets sur le développement de l’enfant. Titulaire d’un BTS en commerce, elle a travaillé plus de dix ans dans le secteur privé avant de demander l’agrément pendant son congé parental. Elle emmène régulièrement les enfants à un atelier de gymnastique et au RAM. Engagée dans l’obtention d’une autorisation pour l’organisation d’un atelier musical au domicile, elle perçoit le refus du centre de Protection maternelle et infantile (PMI) comme injuste, témoignant d’un manque de reconnaissance envers les initiatives des assistantes maternelles qui veulent « changer la représentation du métier ». Son intervention sur les enfants est moins présentée comme l’occasion d’apprentissages que comme l’occasion d’un amusement pour l’enfant (« c’est rigolo », « ils adorent »), et comme une offre matérielle de qualité (un équipement « hyper sécurisé », une belle salle, etc.) dont l’objectif est de satisfaire les parents. La démonstration de cet investissement passe également par les compétences qu’il a fallu mobiliser pour produire ce type d’activités. Comme d’autres assistantes maternelles, Sabrina insiste sur ses compétences en bricolage, en couture, en cuisine ou en dessin. Ce pôle de pratiques recouvre également une valorisation de la relation affective avec les enfants.

27Le travail sur les manières d’être des enfants est ici central et le contrôle des corps, du langage des enfants et de leurs interactions, fait partie intégrante du rôle que les assistantes maternelles se donnent6. Ainsi, à la différence du premier pôle de pratiques, Patricia (45 ans, niveau baccalauréat, assistante maternelle de quatre enfants) dit « éduquer » les enfants : « les éduquer, leur donner, comme toujours, des bases ». Au cours d’une même observation, elle reprend Alexiane lorsque celle-ci s’assoit de biais sur sa chaise pour manger ; elle corrige Martin (plus de dix fois en trois heures) lorsqu’il répond « ouais » au lieu de « oui ». Plus généralement, elle insiste souvent sur le fait qu’elle « pose des limites » aux enfants (par exemple, alors qu’elle prépare le déjeuner, elle interpelle Albert qui ferme bruyamment les placards de la fausse cuisine)7. Patricia, très attentive aux marques de politesse, dit aussi ne laisser passer aucun « gros mot ».

28Le rôle socialisateur, orienté moralement et normativement par des représentations de l’enfant « bien élevé », consiste dès lors à instaurer des « limites » et à corriger des comportements perçus comme des déviances enfantines (et parfois même parentales).

29Le troisième pôle de pratiques rassemble les pratiques les plus proches des normes dominantes de développement de l’enfant garantissant le déploiement de toutes les facultés enfantines tout en évitant la « scolarisation des pratiques », la « sur-stimulation » ou la « sur-cognitivation » d’enfants auxquels seraient imposées des « activités assis à table » (Giampino, 2016). Ces pratiques renvoient à une conception englobante de l’action socialisatrice où chaque occasion est perçue comme le support d’apprentissages encadrés par le concours harmonieux de normes scolaires, psychologiques et développementales. Cette même logique est à l’œuvre chez certaines assistantes maternelles qui tendent à associer pour chaque action, un ou plusieurs effet(s) attendu(s) sur le développement de l’enfant8.

30Carla, 46 ans, puise à la fois dans la culture professionnelle des éducatrices de jeunes enfants et dans les référentiels scolaires. Issue des milieux populaires, titulaire d’une maîtrise d’espagnol, elle a été maîtresse-auxiliaire au collège pendant une dizaine d’années. Elle insiste sur la distance qui la sépare des autres assistantes maternelles tant elle estime ne pas faire le même métier qu’elles, même si elle décrit ses collègues comme de « bonnes professionnelles » prenant soin des enfants. Carla est réservée envers le RAM local et son personnel auquel elle reproche « d’imposer les activités » aux enfants. Elle montre à maintes reprises sa maîtrise de plusieurs registres professionnels, dit beaucoup lire et « se documenter » (elle cite Céline Alvarez, Thomas Gordon, Maria Montessori, etc.). Elle associe ainsi un rapport à l’enfant où il s’agit d’organiser le jeu autour de l’apprentissage, avec des connaissances et des pratiques issues de la puériculture plus classique et des savoirs médicaux, qu’elle se sent tout à fait légitime à utiliser et transmettre. Pour décrire son travail, elle introduit d’ailleurs de nombreux termes issus de la psychologie de l’enfant et du territoire professionnel des éducatrices de jeunes enfants (Garcia, 2014) : la « motricité fine », la « période du non », « prendre conscience de ses limites », y compris dans les interactions langagières avec les enfants qu’elle incite à exprimer leurs émotions (« tu as le droit de »). Cet apprentissage moral diffère de celui identifié dans le deuxième pôle de pratiques. En effet, durant les observations réalisées à son domicile, Carla intervient peu sur « l’éducation » des enfants, leurs manières ou leur langage. Alors qu’elle laisse aux parents ce qui concerne les valeurs à inculquer contrairement à certaines assistantes maternelles qui revendiquent des domaines d’intervention spécifiques, tels que la politesse, la propreté ou la sécurité physique, elle dit chercher à agir d’une manière globale sur les enfants :

Le plus important, c’est qu’ils aient confiance en eux, donc les valoriser, trouver que ce qu’ils font, c’est ce qu’il y a de plus important […] Qu’ils soient pas propres, on s’en fiche : ils le seront et on en finira avec des couches. Mais l’estime de soi, être heureux d’avoir réussi quelque chose... (Carla, 46 ans, assistante maternelle, titulaire d’une maîtrise d’espagnol, ancienne maître auxiliaire en collège, Normandie).

31Ce rapport au métier se caractérise, plus généralement, par une constante réflexivité envers ses propres pratiques, visible en entretien comme dans les interactions avec les enfants. Le jeu sur les contours définitionnels du métier s’avère essentiel dans la quête de légitimation de pratiques professionnelles centrées sur l’enfant, entre proximité et distance avec la référence au « scolaire », l’essentiel étant pour Carla de préserver les « étoiles dans les yeux [des enfants] qu’ils perdront à l’école ».

32Le « maternage », compris comme préférence pour la prise en charge affective des « bébés », incarne une figure repoussoir pour les professionnelles des crèches (Meuret-Campfort, 2014). Il est considéré avec une certaine ambivalence par ces assistantes maternelles qui disent par ailleurs prendre en compte le bien-être affectif et global des enfants. Comme Carla, Iris, assistante maternelle depuis six années, délimite des moments de « cocooning » dans la journée, qui sont à ses yeux primordiaux pour l’enfant. Cela désigne selon elle une ambiance visant le déploiement d’un cadre affectif « sécurisant » pour l’enfant, qui se passe de l’explicitation du lien d’attachement à l’assistante maternelle.

33Les pratiques d’Iris et de Carla diffèrent toutefois en ce qui concerne la dimension familiale de l’accueil et sa valorisation. Les représentations de la famille jouent alors un rôle crucial dans la manière d’exercer le métier d’assistante maternelle. Après un baccalauréat professionnel Métiers de la mode, Iris a travaillé dans des bureaux de stylisme. La famille habite un quartier cossu de la banlieue parisienne. Elle suggère à plusieurs reprises l’appartenance aux classes supérieures des parents des enfants gardés : « une maman qui travaille dans la musique », un « papa qui voyage beaucoup », « j’ai eu des parents banquiers », etc. L’adhésion d’Iris à une représentation de la famille « stable », où les rôles sont définis, se traduit dans sa présentation du métier : « ici, ce que je propose aux enfants, c’est de partager une vraie famille, la vie quotidienne, parfois il y a ma mère aussi, les enfants ». Elle situe Iris du côté des styles familiaux de la bourgeoisie traditionnelle (Geay & Humeau, 2016) adossés au style de vie dominant qu’elle propose aux enfants (plaisir de prendre le goûter dans le jardin, d’arroser les plantes, de se promener). En témoigne également le fait qu’elle accorde une importance à ne pas travailler le mercredi (qu’elle dédie à ses enfants) et qu’elle incite les mères des enfants à faire de même.

34En somme, le caractère englobant, visant toutes les facultés, qui caractérise ce pôle de pratiques se décline de deux manières. La première est orientée vers la reconduction de valeurs et de pratiques familiales dominantes dans la sphère de l’accueil de l’assistante maternelle. Ce type d’action socialisatrice est plutôt qualifié et fondé « socialement » par la situation sociale et familiale de l’assistante maternelle : la revendication de ces pratiques résulte d’une appartenance de classe dont les attributs culturels seraient mis à la disposition des enfants et mis en conformité avec certaines normes professionnelles. Elle se dessine particulièrement bien chez Iris dont les propriétés sociales diffèrent toutefois de celles, majoritaires, des assistantes maternelles appartenant aux classes populaires stables. La seconde, identifiée chez Carla, est davantage tournée vers l’introduction de connaissances sur le développement de l’enfant et la pédagogie. Ce sont alors des pratiques héritées de leur trajectoire professionnelle et qui permettent aux assistantes maternelles de se situer en haut de la hiérarchie professionnelle du fait d’une conformité avec les principes promus par le personnel qualifié du secteur de la petite enfance.

35Ces trois pôles de pratiques dessinent des rapports aux enfants différenciés et des normes hétérogènes du travail, faisant plus ou moins intervenir les univers normatifs des parents, ceux des assistantes maternelles, ceux de l’emploi et du travail (répondre aux attentes des employeurs), le rapport à l’école, et aux institutions de la petite enfance. Ils s’inscrivent dans un continuum de pratiques socialement différenciées, le premier étant plutôt le fait d’assistantes maternelles peu diplômées, issues des classes populaires stables, le second plutôt des petites classes moyennes (peu ou pas diplômées) et le troisième, des classes moyennes ou des assistantes maternelles les plus diplômées. Il n’est cependant pas simple d’identifier des « groupes » d’assistantes maternelles homogènes selon la génération, selon la classe sociale ou selon le niveau de diplôme, à partir de ces pôles de pratiques. Iris (troisième pôle) est par exemple plus proche socialement de Sabrina (deuxième pôle) par son niveau de capital économique, que de Carla (troisième pôle, capital scolaire), même si leurs pratiques diffèrent par l’attention donnée aux relations de clientèle avec les parents (recherchées chez Sabrina, source de gêne chez Iris). En outre, les assistantes maternelles observées recourent à plusieurs registres de pratiques : si Patricia se rapproche le plus souvent du second pôle de pratiques, elle catégorise souvent les enfants sur la base de leur genre, de leurs comportements, et minimise également son action éducative ou sa légitimité à intervenir.

36Mais ce qui nous semble le plus significatif ici est que la question familiale structure toujours le travail socialisateur. Certaines pratiques s’éloignent de tout référent familial (la famille des assistantes maternelles, celles des enfants gardés) alors que d’autres ne prennent sens qu’à l’intérieur de la famille.

Le(s) rapport(s) à la famille : un rapport au métier structurant

37La référence à la « famille » et à « l’accueil familial » est aujourd’hui discréditée au niveau institutionnel en tant que source de légitimité dans l’exercice du métier, mais aussi par une large partie des assistantes maternelles. Cette forme d’accueil est décrite comme non réflexive, fondée sur des pratiques domestiques non professionnelles, et parfois contraire au développement enfantin puisqu’elle conduirait à une confusion des rôles de parents et de délégataire de socialisation chez l’enfant. Les « vieilles nounous » (figure repoussoir dans les récits des professionnelles de la petite enfance) agissant comme des mères ou des grands-mères incarnent ce profil : les assistantes maternelles visées ne construiraient pas une frontière suffisante entre la famille et le travail, sphères de leur vie sociale fondées sur des pratiques jugées par elles identiques alors que les dispositifs de professionnalisation cherchent à les cloisonner.

38Or, nos observations et entretiens montrent que cette imbrication du travail dans des dynamiques familiales constitue toujours pour la plupart des assistantes maternelles une forte source de qualification professionnelle et un référentiel structurant leurs interventions sur les enfants. Ces implications familiales se déclinent de trois manières. La première est de faire de la famille une unité de travail. Si Carla (plus proche du troisième pôle de pratiques) n’implique pas sa propre famille dans l’exercice de son activité professionnelle, d’autres comme Patricia (deuxième pôle) ou Aïcha (premier pôle9) font de leur famille un prestataire de services. Leurs enfants font du babysitting auprès des enfants gardés et offrent aux parents les moyens d’une intervention élargie et familière sur les enfants. Pour Patricia, ces petits boulots témoignent d’ailleurs de la confiance que nourrissent les parents envers ses filles. Ces dernières contribuent également au travail en la présence des enfants en rangeant le domicile à l’issue de moments de travail intenses comme le déjeuner. L’implication de la famille dans l’activité professionnelle passe aussi par l’imposition de cette activité à l’intérieur du domicile. Le temps de garde est chez certaines extensif du fait des demandes des parents et les membres de la famille doivent composer avec ce débordement du travail sur le temps familial. Cet aspect, que ces assistantes maternelles disent apprécier, est aussi central dans l’économie familiale et elles le perçoivent comme le reflet d’une bonne pratique professionnelle. Les enfants (et les parents) qui tardent à partir de chez elles le soir signifient leur confiance à leur égard.

  • 10 Idem.

39Deuxièmement, la famille de certaines assistantes maternelles est une matrice de socialisation à des valeurs présentées comme essentielles. Derrière le « maternage » auquel cette posture est souvent réduite, se trouvent d’autres éléments que les seules dimensions affectives. Aïcha, assistante maternelle proche du premier pôle de pratiques10, insiste ainsi sur des valeurs telles que le respect des adultes, le partage et plus généralement la bonne tenue des enfants repérable dans le vocabulaire et la politesse qui dessinent les contours d’une culture éducative familiale qu’elle n’est pas la seule à chercher à transmettre : ses propres enfants y contribuent. Lors d’une observation, la fille d’Aïcha (12 ans) reprend Gabrielle qui vient de dire « ma trottinette bleue » : « ce n’est pas ta trottinette, c’est la trottinette de tout le monde ». D’une manière sensiblement différente, Iris, on l’a vu, valorise son mode de vie familial et en fait un aspect de sa contribution socialisatrice sur les enfants. Les styles familiaux, pourtant socialement différenciés, constituent donc des supports pour les professionnelles dans l’exercice de leur travail.

40L’implication dans la vie familiale des enfants gardés constitue une troisième modalité de la référence à la famille, visible notamment par les actions précédemment décrites comme visant à « éduquer » ou à « élever » les enfants. À travers ces actions, s’expriment des jugements sociaux sur les styles de vie et les styles éducatifs des parents. Certaines professionnelles comme Carla disent refuser toute intrusion dans les pratiques éducatives parentales. Pour elles, éduquer les enfants renvoie à un rôle moral familial qui n’a pas à être rempli par l’assistante maternelle. D’autres professionnelles disent ne rien vouloir savoir de ce qui se joue à l’intérieur des familles de manière, en retour, à bénéficier d’une totale autonomie dans la conduite de leur travail auprès des enfants à leur domicile. Ces manières de se positionner dans la délégation de socialisation n’impliquent pas nécessairement un désintérêt à l’égard des pratiques parentales. Ces dernières sont (presque) toujours évaluées par les assistantes maternelles, à l’image du regard omniprésent posé sur les parents en PMI (Serre, 1998). Toutefois, ces considérations critiques à l’égard des parents, régulièrement assorties d’un « cela ne me regarde pas », ne leur sont jamais directement adressées. Ainsi, ce n’est pas la cause de l’enfant (ce n’est pas une crainte pour le sort de celui-ci) qui motive la critique mais un écart en termes de valeurs entre les parents et les assistantes maternelles. Cette position s’écarte de celle d’autres assistantes maternelles qui souhaitent imposer leur manière de faire aux parents et s’impliquent donc davantage dans la vie familiale des enfants. L’évocation de la question des « parents » oscille alors entre l’entière validation des pratiques de certains et la volonté de transformer celles d’autres. Certaines professionnelles se reconnaissent ici un rôle de soutien à la parentalité, notamment en cas de primo-parentalité (Geay, 2017). D’autres, sous couvert d’une relation décrite comme amicale, dirigent subtilement les parents dans les affaires éducatives. Certaines disent même chercher intentionnellement des employeurs socialement proches d’elles de manière à pouvoir engager ce type de relations. Cette intervention modérée et conditionnée à une relation « amicale » avec les parents les distingue de celles qui cherchent à se rendre totalement indispensables à la conduite de la vie familiale des enfants. Patricia et Nadège (proches du deuxième pôle) aiment à valoriser les nombreuses sollicitations à prendre le relais des parents, sur un plan organisationnel mais aussi sur un plan moral. Elles décrivent chez ces parents qui peinent à se faire entendre de leurs enfants des carences éducatives, des modes de vie inappropriés ou des valeurs éloignées d’une « bonne éducation ». La mère d’Albert, médecin, confie ainsi son fils plusieurs nuits et jours consécutifs à Patricia parce que, selon cette dernière, « elle n’y arrive pas avec lui ». Si Patricia présente cette situation comme source de contraintes et de fatigue, elle insiste néanmoins sur son caractère gratifiant.

  • 11 Contrairement à d’autres espaces professionnels où la socialisation professionnelle diffère selon l (...)

41En somme, l’inscription familiale du travail continue de recouvrir une forte valeur aux yeux des professionnelles de la petite enfance. Si la famille devient encombrante pour les instances de professionnalisation, elle est centrale pour les professionnelles et cela non seulement pour celles qui appartiennent aux milieux populaires et qui valorisent un « familialisme » populaire mais aussi pour des fractions sociales plus favorisées. Au-delà de l’apparente volonté de « suivre les parents », les assistantes maternelles interviennent souvent directement dans la structuration de la socialisation des enfants. Ce rapport au métier n’a rien de « traditionnel » ou de « maternant » au sens où il ne concernerait que des professionnelles appartenant aux générations plus anciennes ; nous l’avons aussi observé chez les professionnelles les plus jeunes de notre corpus ou les plus récemment entrées dans le métier11.

42L’invocation de la « famille » comme principe structurant du travail socialisateur et la diversité concrète des rapports à la famille renforcent l’idée que les assistantes maternelles ne peuvent pas être classées et catégorisées dans un seul pôle de pratiques. Tant dans les rapports à la famille que dans les rapports à « l’éducatif », les variations observées peuvent s’expliquer par le fait que les pratiques professionnelles des assistantes maternelles entraînent des redistributions et des remaniements de leur appartenance sociale aux classes populaires et aux petites classes moyennes.

Affirmer des préférences éducatives : classement et reclassement en milieux populaires

43Travailler comme assistante maternelle, c’est être mise en relation directe avec des normes de traitement des enfants et devoir fréquemment prendre position dans ce domaine. Ce sont là des enjeux de distinction chez les femmes de milieux populaires bien repérés par les sociologues (Barrault-Stella, 2014 ; Stettinger, 2018). Cependant, les milieux populaires restent souvent décrits dans la sociologie de la famille et de l’enfance par leur « faible intervention parentale » contrairement à d’autres milieux sociaux décrits comme engageant un travail d’« inculcation systématique » (Lareau, 2003 ; van Zanten, 2009). Hésitation et fragilité quant à la qualité de l’intervention sur les enfants ont été pointées, qu’il s’agisse du rapport à l’école (Thin, 2009) ou aux institutions de la petite enfance (Cardi, 2007). Or, notre enquête a révélé un positionnement autre des femmes de milieux populaires (des plus fragiles aux plus stables) qui revendiquent leurs manières de faire envers les enfants accueillis et envers leurs propres enfants. Certes, elles décrivent peu en détail leurs pratiques effectives de travail et euphémisent souvent l’envergure de leur intervention. Mais cette faible mise en récit du travail cohabite avec des prises de position sur les actions socialisatrices (les leurs et celles des autres), parfois couplées à des revendications sur l’emploi et le travail (« les parents savent comment je travaille ») et l’évocation de « principes » qui les conduisent pour certaines à s’imposer contre les instances prescriptives de la petite enfance (dans leurs interactions avec les parents, les collègues ou les enquêteur·trice·s).

44Partant du constat que l’activité d’assistante maternelle conduit à faire de la question du traitement des enfants un domaine central des prises de positions des femmes de classes populaires, nous proposons de réfléchir à la manière dont celles-ci s’affirment socialement par l’intermédiaire du travail socialisateur. Notre analyse contribue de cette manière à la réflexion sur les styles éducatifs et leur déclinaison sociale, et plus exactement sur ce qui se joue dans les milieux populaires. Alors que certaines prises de position inscrivent les pratiques dans une perspective « traditionnelle » du traitement des enfants dans les milieux populaires, nous montrons également que d’autres en dessinent des transformations.

Des pratiques socialisatrices « non traditionnelles »

45Les déclarations et les pratiques des assistantes maternelles appartenant aux milieux populaires (dont les conjoints sont ouvriers ou employés) font apparaître une série de propositions qui témoignent de l’incorporation relative au sein des classes populaires de considérations socialisatrices associées aux classes moyennes et supérieures.

46Il en va ainsi de l’usage relativement banalisé d’un langage pour dire le travail sur les enfants en conformité avec la culture psychologique, quoique dans un usage le plus souvent « faible » (Morel, 2012). L’action enfantine est par exemple interprétée à l’aune d’une situation familiale (l’enfant est jaloux car un autre enfant est attendu dans sa famille). Ces références psy sont mobilisées dans des domaines spécifiques et viennent souvent renforcer des aspects sur lesquels les assistantes maternelles se considèrent déjà compétentes, par l’expérience de l’éducation de leurs propres enfants. Elles le montrent en racontant l’apprentissage de la propreté, de la marche ou encore la gestion des « crises » enfantines. Sur ce dernier point, elles font référence à des ressorts de l’action des enfants (leurs impatiences, leurs émotions débordantes, etc.) qu’elles disent emprunter à des formations, à des échanges dans le RAM ou avec la PMI ou encore à la lecture de blogs et sites internet spécialisés. En outre, certains aspects de leur travail sur les enfants qui ont pu longtemps être associés à des dispositions naturalisées comme « féminines » (par les assistantes maternelles elles-mêmes notamment) peuvent être reliés par certaines à des dispositions forgées au travail. Ainsi, Patricia se remémore la « crise » tempétueuse du jeune fils d’une de ses amies lors d’un moment convivial hors travail. Elle insiste sur la banalité du moment pour elle. Sa réaction (« ça ne m’a pas dérangé ») la distingue de ses amies présentes, qui ne manquent pas de le lui signaler « C’est la nounou qui parle ! ».

  • 12 Nous avons recueilli sur ce point de nombreuses observations de ces moments collectifs informels, a (...)

47Nos observations témoignent non seulement de la connaissance et de la fréquentation des institutions locales dédiées à la petite enfance (RAM, ludothèque, bibliothèque, etc.), mais aussi de l’importance des relations entre assistantes maternelles du même quartier, nouées et entretenues dans ces lieux et dans les parcs et jardins. Les échanges sur des questions professionnelles, en particulier celles liées aux enfants12, à leurs états du moment, en rapport à leurs apprentissages ou à leur développement, y sont nombreux. La fréquence avec laquelle les professionnelles mentionnent en entretien et en observation ces échanges et conseils entre « collègues » tend à montrer le caractère collectif des déplacements effectués par le groupe professionnel et l’intégration progressive des normes éducatives dans leur travail.

48Si l’on peut penser que l’exercice du métier d’assistante maternelle transforme le rapport aux enfants et les pratiques socialisatrices dans les milieux populaires, c’est parce que plusieurs assistantes maternelles ont évoqué un changement dans leur manière d’appréhender l’éducation des enfants depuis leur entrée dans le métier. Elles déclarent ne plus l’envisager de la même manière et disent qu’elles ne feraient « plus la même chose » aujourd’hui. S’il n’est pas possible d’attribuer précisément une origine à cette « transformation » (elle peut tenir à l’activité professionnelle mais aussi à la diffusion désormais ancienne de normes de parentalité) ni de définir précisément ce qui s’est transformé, il nous paraît significatif que les assistantes maternelles fassent un lien entre leur activité et leurs styles éducatifs. Ce lien est établi de différentes manières par les assistantes maternelles, du fait de la diversité des manières d’appréhender le travail socialisateur en fonction de leur place occupée dans cet espace professionnel et de leurs propriétés sociales.

Une incorporation des prescriptions différenciée

  • 13 Nous avons trop peu d’éléments pour situer socialement et différencier finement les assistantes mat (...)

49Cette incorporation des prescriptions sur le développement de l’enfant est différenciée selon les assistantes maternelles et selon les positions, plus fragiles ou plus stables, qu’elles occupent au sein des milieux populaires. Si certaines s’en réclament en en faisant un élément central de leur rapport au travail et investissent fortement cette dimension à leur domicile (dans l’organisation de l’espace par exemple), d’autres, comme cela a été montré des rapports des familles de milieu populaire à l’école (Barrault-Stella, 2014), délèguent davantage le cadrage éducatif de leur travail. Ces dernières s’en remettent plus souvent aux institutions (RAM, ludothèque, etc.) et à d’autres professionnelles – les éducatrices de jeunes enfants en particulier mais aussi d’autres assistantes maternelles. C’est le cas par exemple d’Aïcha (proche du premier pôle), qui va fréquemment au RAM mais s’y tient en retrait. Elle rejoint quasi quotidiennement d’autres assistantes maternelles au parc, mais là encore, lorsque des activités collectives sont mises en place (cueillette de feuilles, chants, etc.), elle observe et, contrairement à d’autres assistantes maternelles plus centrales, qui animent ces moments informels, elle s’intéresse peu aux autres enfants présents. Ces positions différenciées de retrait ou d’intervention sont d’ailleurs au centre de l’action des éducatrices en RAM qui n’hésitent pas à classer les assistantes maternelles selon ces positions : « Mme *, j’aimerais bien qu’elle se saisisse de l’activité », ou à propos d’une autre assistante maternelle « elle ne se saisit pas de l’activité », « elle intervient peu », a-t-on pu entendre à de nombreuses reprises, souvent à propos des assistantes maternelles qui prennent aussi le moins la parole13, soulignant par-là qu’il est difficile pour les éducatrices de savoir comment certaines assistantes maternelles perçoivent le contenu de ce qui est proposé au RAM.

50L’incorporation des prescriptions est aussi apparue limitée dans certains cas, non seulement par un sentiment de faible légitimité culturelle de la part des assistantes maternelles, mais aussi par une position fragilisée au sein des milieux populaires et face à l’emploi. Le chômage des assistantes maternelles est souvent invoqué dans les entretiens réalisés dans un arrondissement parisien et source de moindre « exigence » de leur part envers les employeurs. Loin de pouvoir renforcer « l’offre » éducative des assistantes maternelles, la concurrence des crèches et la « préférence » des parents pour les crèches constatée dans la littérature (Cartier et al., 2017) et confirmée sur notre terrain, conduisent les assistantes maternelles à s’aligner sur les attentes qu’elles perçoivent de la part des parents, parfois sur la base de signaux incertains. C’est ainsi le pouvoir des parents-employeurs dans la définition de la situation socialisatrice, plus que le recours à des prescriptions de principe qui se trouve renforcé : « on suit les parents » a-t-on ainsi souvent entendu, même si les assistantes maternelles vont alors approuver ou dévaloriser ce que font précisément les parents.

51Nadine, 52 ans, assistante maternelle depuis 16 ans à Paris exprime les effets de cette situation de fragilité socio-économique sur son travail. Elle a les attributs des milieux populaires « déstabilisés » sur la dernière décennie : son mari, ancien employé, « a une petite retraite » « qui paie le loyer » et trois de ses filles adultes (en emploi, en alternance et en fin d’études) vivent avec eux. Elle dit observer un chômage dans son milieu professionnel « qu’elle n’avait jamais connu auparavant ». Dans cette situation dégradée face à l’emploi (elle pouvait il y a 10 ans « choisir » les parents, et notamment des parents enseignants, pour « avoir les vacances scolaires »), elle dit aller fréquemment à la bibliothèque, à la ludothèque, revenir au RAM (maintenant qu’elle accueille un peu plus d’enfants), « être à l’écoute ». Elle se montre aussi critique face à certaines attentes, jugements et représentations du métier de la part des parents : « si en plus, avec ce qu’on est payées, on nous demande une langue étrangère… », « [les enfants qu’elle a gardés] n’étaient pas plus… en retard qu’un enfant qui va en crèche ». Tout en évaluant ce que font les parents employeurs selon certaines normes du secteur, elle se plie aux règles qu’ils instaurent.

Non, non. Ils [les parents des deux filles gardées] laissent faire l’enfant à leur rythme. Ils brusquent pas pour rien. Ça vient quand ça vient. On en parle ensemble mais voilà. Ils m’ont dit « qu’est-ce que vous pensez ? » J’ai dit « elle est sur le point de se lâcher là [pour la marche], ça va pas tarder ». Parce que les parents, ils sont toujours impatients, voilà. On essaie d’être professionnelles et d’anticiper leurs demandes quoi (Nadine, 52 ans, assistante maternelle, sans diplôme, ancienne vendeuse, Paris).

52Face à une pression économique plus forte, Nadine mobilise finalement une représentation du métier plus traditionnelle pour se raccrocher au métier : « c’est vraiment pour l’amour des enfants. Faut pas prendre ce métier pour s’enrichir… En fin de compte, moi je trouve que le métier d’assistante maternelle, c’est un complément de revenu […] alors que moi j’ai vraiment besoin de ce salaire pour vivre. Pour moi, c’est pas un complément ».

53Cette incorporation relative des normes, notamment lorsqu’elle est liée à une pression sur l’emploi, a ainsi des effets sociaux différenciés selon les positions, plus fragiles ou plus stables, que les assistantes maternelles occupent au sein des milieux populaires, leur rapport au travail et la marge d’expression sur la socialisation, face aux parents.

Prises de position et réassurance des appartenances sociales

54L’incorporation relative et différenciée des normes de socialisation s’inscrit plus généralement dans des prises de position qui dépassent la question du traitement enfantin. Elles indiquent une mutation dans l’exercice du métier d’assistante maternelle et, plus généralement, de la position sociale des femmes des classes populaires, notamment de la place qu’occupe la carrière professionnelle dans les trajectoires féminines (Avril et al., 2019). Le récit vocationnel est par exemple peu présent. Si l’« amour pour les enfants » demeure présent dans les déclarations, il est rarement cité pour décrire l’entrée dans le métier. Au contraire, lorsque les assistantes maternelles racontent la trajectoire qui les a menées vers cette activité, elles insistent sur les contraintes sous-jacentes à la bifurcation : contraintes horaires, contrainte d’articulation travail-famille (qui leur incombe principalement). Cette perception du métier d’assistante maternelle se distancie nettement des définitions naturalisantes de la fonction et des pratiques socialisatrices dans les milieux populaires. Si ces pratiques singulières tiennent à la position sociale de ces femmes situées dans les fractions supérieures des classes populaires, préoccupées par la question scolaire et plus généralement tournées vers des positions moyennes de la stratification sociale, on les retrouve également chez des assistantes maternelles moins assurées socialement et au statut social plus précaire.

55Tout en orientant les pratiques des membres des classes populaires vers des normes éducatives associées aux fractions plus élevées de la stratification sociale, l’appartenance au groupe des assistantes maternelles conduit aussi à réaffirmer des principes éducatifs « populaires ». En effet, certaines normes de la « puériculture psy » (Garcia, 2011 ; Gojard, 2010) ou de l’éducation « positive » sont tournées en dérision par les professionnelles, notamment en référence à des interactions avec des parents ou des éducatrices de jeunes enfants qui les revendiquent. De nombreuses situations d’observation et d’entretien ont fait apparaître cette critique et la revendication de pratiques incarnant un pôle plus « traditionnel » des pratiques socialisatrices en milieu populaire : l’attente en termes d’obéissance de la part des enfants, la hiérarchie des locuteurs au profit des adultes sur les enfants, etc. Ces observations rappellent celles de Marie-Clémence Le Pape (2009) indiquant l’appropriation mesurée des pratiques de parentalité légitimes dans les milieux populaires. L’exercice du métier d’assistante maternelle conduit ainsi fréquemment (et parfois publiquement) à prendre position contre un traitement des enfants différent et légitime socialement : opposer « l’absence d’autorité » à des parents qui produiraient un « enfant roi » sans cadrage, tourner en dérision la crainte pour la consommation de « sucreries », dénoncer les effets néfastes sur l’enfant de ce qui serait perçu comme un excès de proximité par le portage notamment, etc. On peut également citer l’incompréhension face à ce que les assistantes maternelles voient comme un manque de sens pratique et de respect des normes de puériculture, de la part de parents situés en haut de la hiérarchie sociale. C’est notamment le cas en ce qui concerne la propreté ou l’alimentation – l’âge auquel les aliments sont introduits par exemple, et plus généralement les normes de santé qui font aujourd’hui l’objet d’une appropriation et d’une attention marquée dans les milieux populaires stables (Arborio & Lechien, 2019).

56Ces prises de position ne font jamais l’économie de valeurs associées à l’éducation. Ainsi, quand des assistantes maternelles dénoncent le faible temps que l’enfant passe avec ses parents, c’est autant une manière d’élever les enfants qui est dénoncée qu’un investissement dans la sphère professionnelle qui serait trop important (pour la mère en particulier). L’emprise de la question éducative dans le travail permet ainsi des formes de réassurance sociale. Cette réassurance peut se faire envers le haut mais aussi envers le bas de la hiérarchie sociale. En effet, avec certains parents de classes moyennes et supérieures qui valorisent les pédagogies du « bien-être de l’enfant », les assistantes maternelles de classes populaires peuvent aussi prendre position. C’est le cas d’Aïcha avec une mère qu’elle décrit comme une « maman qui est un peu dans le bien-être ». Si Aïcha s’adapte largement à ses demandes, elle se montre néanmoins critique vis-à-vis de certaines pratiques : « il y a des parents qui prennent trop dans les bras, il faut pas trop les habituer ». Cela témoigne, chez cette assistante maternelle concentrée principalement sur la sécurité et la gestion d’un enfant qu’elle décrit comme « difficile », d’un positionnement ambivalent vis-à-vis des normes professionnelles en vigueur.

  • 14 Cela est vrai aussi d’autres professionnelles dans notre enquête, en particulier celles des crèches (...)

57Ces prises de positions éducatives nous semblent donc remarquables en ce qu’elles conduisent à affirmer des appartenances sociales dans le cœur du travail, dans le cadre d’interactions professionnelles avec des parents (Geay, 2017)14.

58Mais au-delà de sa capacité de dessiner ou redessiner les appartenances de classes, l’enjeu du traitement des enfants semble aussi relever chez les assistantes maternelles de questions plus ordinaires de la sociologie du travail telles que la recherche d’autonomie dans le travail. S’affirmer devant les parents ou les institutions permet de s’arranger un cadre et des conditions de travail en phase avec des principes qu’elles se donnent, à distance parfois de ceux qui leur sont imposés par les parents et par les institutions. Certaines assistantes maternelles agissent contre les parents en certains aspects (elles imposent la sieste, anticipent ou retardent les moments d’apprentissage de la propreté), souvent au nom du bien-être enfantin. Lydie (proche du premier pôle) donne des sucreries à Salomé, qui sont proscrites par ses parents, et en fait un objet de relation à l’enfant, d’exclusivité et de transgression en en parlant comme d’un secret. Ces transgressions peuvent aussi être revendiquées afin de composer avec des parents aux attentes variables et parfois concurrentes (sur la nourriture, les sorties, la mise en œuvre d’activités). Ainsi, l’affirmation de certains principes de la part des assistantes maternelles dérive de cette nécessité d’articuler des attentes différentes chez les parents.

59Ces éléments esquissés ici n’épuisent pas l’analyse de la relation qui se tisse entre les parents – qui sont de milieux sociaux variés –, les institutions et les professionnelles de la petite enfance. Il faudrait par exemple s’interroger sur le travail de nivellement des attentes entre les parents et les assistantes maternelles : sur quels points et à quels moments les parents ou les professionnelles cèdent-ils du terrain ? Mais la fréquente prise de position et l’affirmation des assistantes maternelles dans le domaine du traitement des enfants constituent, dans le cas de femmes issues et appartenant aux milieux populaires, un constat relativement inédit, d’autant plus qu’elle se fait notamment envers des parents représentants des classes supérieures.

Conclusion

60Le travail socialisateur des assistantes maternelles est souvent invisibilisé du fait des attendus dans le secteur de la petite enfance (par les parents, d’une part, et par les institutions de professionnalisation, d’autre part). En outre, la capacité à dire et mettre en scène le travail dans sa variété scinde le groupe des assistantes maternelles. La majorité d’entre elles produit des descriptions succinctes, principalement exprimées autour du terme « d’activité », sans entrer dans le détail de leur action de socialisation et sans en valoriser les dimensions les plus ordinaires, en dehors, parfois, de l’usage de catégories les plus attendues aujourd’hui dans le secteur de la petite enfance : bienveillance, attention, écoute. À l’inverse, d’autres mettent en relief le contenu de leur travail, en insistant sur leur rapport aux enfants et leur compréhension de la vie enfantine. Elles explicitent et légitiment alors leurs modes d’action auprès des institutions (RAM, PMI) ou vis-à-vis des parents. Ces dernières apparaissent comme les plus dotées en ressources socio-économiques (capital scolaire, petite ascension sociale). Elles témoignent aussi d’une plus grande familiarité avec la culture psychologique du fait de trajectoires professionnelles qui les ont conduites à côtoyer des mondes professionnels de l’enfance qualifiés (de l’enseignement par exemple) ou du fait de la diffusion de normes héritées de la puériculture psy. Enfin, les rapports que ces femmes de milieux populaires entretiennent à leurs pratiques professionnelles montrent des transformations des positionnements sociaux au sein des milieux populaires. L’appartenance au groupe des assistantes maternelles se joue en effet notamment sur l’alternance entre l’adhésion à des normes éducatives et sociales associées aux classes moyennes et supérieures, et des formes de réassurance sociale par la revendication de principes éducatifs et moraux des milieux populaires, qui s’expriment à travers la mise à distance des pratiques de parents de classes supérieures.

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Notes

1 Cette injonction apparait imprécise au sens où elle repose sur des sources normatives différentes, parfois quasi contradictoires (pédagogies différentes, psychologie de l’enfant, neurosciences) et qu’elle est formulée de manière variée selon l’origine de l’injonction (les éducatrices de jeunes enfants, les puéricultrices, les psychologues et psychanalystes, les institutions et politiques qui encadrent le secteur).

2 À l’exception des travaux récents sur les pratiques alimentaires des assistantes maternelles (Dupuy et al., 2018).

3 Si les manières de percevoir et de traiter ses propres enfants constituent un des domaines d’expression de la distinction sociale (Chamboredon & Lemaire, 1970 ; Lareau, 2003), nous faisons l’hypothèse que ces mêmes enjeux structurent également la pratique des professionnelles ainsi que leurs relations avec les parents des enfants gardés.

4 Voir en annexe électronique 2, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/8593.

5 Elle est décrite aux enquêtrices par l’animatrice du RAM comme « ayant choisi de ne pas avoir de positionnement professionnel ».

6 Voir en annexe électronique 2, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/8593.

7 Si cet aspect a pu être intensifié par la relation d’enquête, il constitue toutefois un aspect distinguant Patricia d’autres assistantes maternelles.

8 Voir en annexe électronique 2, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/8593.

9 Voir en annexe électronique 2, https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/8593.

10 Idem.

11 Contrairement à d’autres espaces professionnels où la socialisation professionnelle diffère selon la génération, les assistantes maternelles forment un groupe professionnel aux trajectoires scolaires et professionnelles variées et les différentes générations ne partagent pas un socle commun de formation qui pourrait expliquer, pour partie au moins, des différences générationnelles sur la question du rapport à la famille dans le travail.

12 Nous avons recueilli sur ce point de nombreuses observations de ces moments collectifs informels, au parc, dans l’espace public, qui montrent en quoi ces moments participent plus qu’à la sociabilité professionnelle, à une socialisation professionnelle, sur les enjeux d’emploi, liées aux démarches institutionnelles et aux relations avec les parents-employeurs, mais aussi aux enfants et à leurs apprentissages.

13 Nous avons trop peu d’éléments pour situer socialement et différencier finement les assistantes maternelles observées pendant les temps de rencontre des RAM.

14 Cela est vrai aussi d’autres professionnelles dans notre enquête, en particulier celles des crèches, auxiliaires de puériculture et agentes auprès d’enfants.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Caroline Bertron, Pascal Barbier, Anne Pellissier-Fall, Pauline Seiller et Irène-Lucile Hertzog, « Des professionnelles de la socialisation : visibilité du travail, normes professionnelles et clivages sociaux chez les assistantes maternelles  », Sociologie [En ligne], N° 2, vol. 12 |  2021, mis en ligne le 12 mai 2021, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/sociologie/8521

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Auteurs

Pauline Seiller

pauline.seiller@unicaen.frMaîtresse de conférence en sociologie, Université de Caen, CERREV - Centre de Recherche Risques & Vulnérabilités, Université de Caen Normandie, Esplanade de la Paix, CS 14032, 14302 Caen cedex, France

Articles du même auteur

Caroline Bertron

carolinehs.bertron@gmail.com
Post-doctorante en sociologie, Université Paris-Dauphine, IRISSO-CNRS, Docteure associée au CESSP - CESSP, CSE-EHESS, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris, France

Pascal Barbier

Pascal.barbier@univ-paris1.fr
Maître de conférence en sociologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP - CESSP, CSE-EHESS, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris, France

Anne Pellissier-Fall

anne.pellissier@unicaen.fr
Maîtresse de conférence en sciences de l’éducation, Université de Caen, CIRNEF - Université de Caen Normandie, UFR des Sciences de l’Homme et de la Société, Esplanade de la Paix, Campus 1, Bâtiment Droit, DRS 32, 14032 Caen cedex, France

Irène-Lucile Hertzog

irene-lucile.hertzog@unicaen.fr
PRCE de sociologie, Université de Caen, CERREV - Centre de Recherche Risques & Vulnérabilités, Université de Caen Normandie, Esplanade de la Paix, CS 14032, 14302 Caen cedex, France

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